• « Les seniors de la deuxième ligne sont plus nombreux à être ni en emploi ni en retraite que les autres salariés »
    https://www.lemonde.fr/idees/article/2023/02/10/les-seniors-de-la-deuxieme-ligne-sont-plus-nombreux-a-etre-ni-en-emploi-ni-e

    La crise sanitaire a mis en lumière un ensemble de salariés travaillant dans des métiers nécessaires à la continuité de notre vie économique et sociale, les « deuxième ligne », salués par le président de la République aux côtés des soignants dans son discours d’avril 2020. Parmi eux, des #ouvriers (dans l’agriculture et les industries agroalimentaires, le bâtiment, la manutention) mais aussi des conducteurs, des bouchers, des charcutiers, des boulangers, des vendeurs de produits alimentaires, des caissiers de la grande distribution, des agents du nettoyage et de la propreté, de l’aide à domicile, de la sécurité…

    La mission lancée par Elisabeth Borne en novembre 2020, dont le rapport a été publié en décembre 2021, a montré la difficulté de leurs conditions de #travail et d’emploi, marquées notamment par des salaires faibles, diverses formes de pénibilité et de faibles chances de promotion en cours de carrière… Pourtant, malgré la richesse du bilan statistique et l’ambition d’un dialogue social renouvelé dans les branches concernées, la « reconnaissance » du rôle essentiel de ces salariés s’est arrêtée à une prime exceptionnelle laissée à la discrétion des employeurs en 2021, et de plus non spécifique à ces métiers.
    Dans le contexte du débat sur la réforme des retraites, il nous semble important de renouer avec la démarche de la mission et de reprendre une approche par métiers pour analyser les fins de carrière et leurs difficultés.

    Les données de l’enquête Emploi de l’Insee permettent une première approche, en décomposant la population des seniors de 50 à 64 ans selon leur situation à l’égard du marché du travail en fonction de leur métier. Les résultats montrent que les salariés qui exercent ou ont exercé comme dernier emploi un métier de la deuxième ligne représentent 28 % du total des seniors, soit 3,6 millions de personnes. Ils sont un peu moins souvent en emploi que les autres salariés (58 % contre 66 %), et il s’agit davantage d’emplois à temps partiel (18 % contre 10 %).

    Fort risque de pauvreté

    Toutefois, comme ils sont un peu plus touchés par le chômage, et surtout par l’inactivité hors retraite, les seniors de la deuxième ligne sont nettement plus nombreux à être ni en emploi ni en retraite (26 % contre 15 %), situation associée à un fort risque de pauvreté selon une étude de la Drees de 2018. Signe de la dureté de leurs métiers, un tiers d’entre eux (9 %) est en #invalidité, le double de ce qui est observé dans les autres emplois. Chômage et inactivité, hors retraite, ne diminuent que lentement avec l’âge : pour certains métiers, comme les ouvriers du bâtiment, les caissières ou les agents de propreté, cette situation touche encore plus du quart de la population entre 60 et 64 ans. Elle renvoie très probablement à l’impossibilité de ces travailleurs à prendre leur retraite compte tenu de leurs carrières (nombre de trimestres et niveaux de salaires).

    Pour les seniors qui travaillent dans les métiers de deuxième ligne, on retrouve des salaires nettement plus faibles que ceux des autres métiers (salaire médian de 1 400 euros pour les secondes lignes, contre 2025 euros pour les autres métiers entre 50 et 54 ans). De plus, cet écart ne s’explique pas par une différence de durée du travail, mais bien par la faiblesse du salaire horaire, puisqu’il n’est que très légèrement plus faible lorsqu’on se limite à ceux qui travaillent à temps complet. Et il augmente avec l’âge (de 625 euros pour les 50-54 ans à 965 euros pour les 60-64 ans), confirmant des carrières salariales en général très plates. Les travailleurs et travailleuses de la deuxième ligne qui restent en emploi après 60 ans ont toujours des niveaux de salaires faibles relativement aux autres salariés, les métiers les plus défavorisés étant les aides à domicile et aides ménagères, les agents d’entretien, les caissiers et vendeurs en produits alimentaires.

    Ces statistiques confirment, sans surprise, un marché du travail inégal selon les métiers et légitiment le sentiment d’injustice de celles et ceux qui terminent leur carrière dans ces conditions difficiles, et sont le plus souvent exclus des dispositifs de pénibilité, centrés sur des critères correspondant au secteur industriel. L’élargissement de ces critères constitue un enjeu fondamental pour la soutenabilité des fins de carrière des salariés de la continuité économique et sociale… Mais il reste insuffisant pour répondre aux déficits de rémunération et de qualité de l’emploi accumulés tout au long des trajectoires professionnelles, pour lesquels une démarche volontariste associant les partenaires sociaux est plus que jamais nécessaire.

    Christine Erhel est professeure d’économie au Conservatoire national des arts et métiers (CNAM), directrice du Centre d’études de l’emploi et du travail (CEET).

    Laurent Berger
    https://www.lemonde.fr/economie/article/2022/10/27/reforme-des-retraites-politiques-et-syndicats-divergent_6147539_3234.html

    ... 40 % des personnes qui partent à la retraite ne sont déjà plus en emploi : ils sont en invalidité ou au chômage ...

    #retraite #chômage

  • « Les aides à domicile, grandes perdantes de la future réforme des retraites »
    https://www.lemonde.fr/idees/article/2023/02/10/les-aides-a-domicile-grandes-perdantes-de-la-future-reforme-des-retraites_61

    L’économiste Clément Carbonnier démontre, dans une tribune au « Monde », que les compensations avancées par le gouvernement ne protègent que très peu de personnes.

    Il est compliqué de ne faire que des gagnants avec une réforme cherchant à économiser 12 milliards d’euros par an. De fait, l’analyse des effets de la réforme des retraites montre de plus en plus qu’elle générerait surtout des perdants, parmi lesquels les femmes ouvrières ou employées seraient les plus durement touchées. Celles-ci, apparues comme essentielles pendant la pandémie, restent mal rémunérées et ne voient pas leurs conditions de travail s’améliorer.

    Le cas des aides à domicile est, à ce titre, emblématique. La nécessité et l’utilité de s’occuper des personnes en perte d’autonomie ne font aucun doute : leur permettre de rester chez elles malgré la baisse de leurs capacités a notamment des effets bénéfiques sur le système hospitalier, les personnes bénéficiant de ces aides sont moins souvent orientées vers l’hôpital par les SAMU et moins souvent hospitalisées par les services d’urgences.

    Toutefois, cette utilité collective a un coût, qui est supporté par ces employés. Leurs conditions de travail sont pénibles, les exposent à des produits chimiques d’entretien ménager et des postures traumatisantes, quand il faut porter les patients du lit au fauteuil, les aider à marcher ou à faire leur toilette. Les rémunérations restent très faibles, non seulement parce que le salaire horaire est faible, mais aussi parce que le temps de travail rémunéré est bien moindre que le temps dévolu au travail, car il est fragmenté entre les différentes personnes aidées et entrecoupé de nombreux temps de transport entre leurs domiciles : selon les données de la direction des études du ministère du travail, le nombre d’heures moyen des salariées des organismes de services à la personne était en 2021 de 16 heures par semaine.

    Le flou de la pénibilité

    Pour les aides à domicile, la réforme des retraites est un coup violent de plus porté à leurs conditions de vie. Les tâches accomplies ne permettent pas à ces femmes de tenir jusqu’à 64 ans. On leur imposerait donc un passage par le chômage, voire par le RSA, entre le moment où, usées par cet emploi si utile à la collectivité, elles arrêteront de l’exercer, et le moment où elles pourraient enfin prétendre à la retraite. Et combien de temps en profiteront-elles ? Si l’espérance de vie a augmenté, les inégalités restent très élevées, et en défaveur des aides à domicile : l’Insee estime à huit ans et quatre mois la différence d’espérance de vie entre le cinquième des femmes les plus aisées et le cinquième le plus pauvre. De plus, la direction des études du ministère de la santé montre que l’écart est également très fort dans la proportion des personnes fortement limitées par des incapacités dès la première année de leur retraite.

    Dans le projet de loi, des compensations sont prévues concernant la pénibilité ou à travers ce qui est présenté, à tort, comme une pension minimale de 1 200 euros. Ces compensations ne protègent que très peu de personnes, et pas les aides à domicile. Pour ce qui concerne la pénibilité, le flou peut faire croire que ce dispositif pourrait bénéficier aux aides à domicile dont le métier est pénible. C’est doublement faux.

    Premièrement, la réforme prévoit un report de deux ans de l’âge de départ, même pour les bénéficiaires du dispositif. Ils garderaient juste le même écart à l’âge général. Deuxièmement, le vocable générique de pénibilité cache des critères très stricts, qui ne concernent que très peu de personnes. Par exemple, la pénibilité du travail répétitif n’est reconnue qu’en cas de « travaux impliquant l’exécution de mouvements répétés, sollicitant tout ou partie du membre supérieur, à une fréquence élevée et sous cadence contrainte », avec au minimum 30 actions techniques par minute pendant au moins 900 heures par an (soit 19 heures par semaine, en comptant cinq semaines de congé).

    Carrières à trous

    Pour le travail de nuit, il faut travailler au moins 120 nuits par an. Certes, la réforme prévoit de baisser ce seuil à 100 nuits par an, mais même ainsi, une aide à domicile travaillant 2 nuits par semaine en plus de son travail de jour n’aurait toujours pas droit au dispositif de pénibilité pour sa retraite. Surtout, les pénibilités posturales, les ports de charges lourdes et l’exposition aux produits chimiques ont été retirés en 2017 de la liste des pénibilités prises en compte pour la retraite.

    Concernant les compensations pour les petites retraites, il ne s’agit pas d’une retraite minimale à 1 200 euros par mois, mais d’une revalorisation du minimum contributif. Une personne ayant cotisé tous les trimestres requis en travaillant au smic à temps plein pourrait jouir d’un tel montant si on additionne le minimum contributif et la retraite complémentaire. Toutefois, ce type de bénéficiaires est très rare et ne se trouve pas chez les aides à domicile. Ces femmes ont souvent eu des carrières à trous et validé moins de 4 trimestres, par an du fait de temps partiels et de faibles rémunérations. Elles n’auraient donc pas droit à l’augmentation annoncée de 100 euros du minimum contributif, mais à un prorata d’une augmentation bien moindre, prévue à 25 euros.

    De plus, certaines de ces femmes pourraient ne même pas voir la couleur de ces quelques euros, voire subir une baisse de leur niveau de vie : celles qui seraient éligibles à l’allocation de solidarité aux personnes âgées verraient la baisse de cette allocation sociale différentielle compenser euro pour euro la hausse du minimum contributif, sachant que cette hausse de pension minimale sans hausse de revenu net pourrait conduire à une baisse des allocations logement. Le diable est souvent dans les détails, mais dans le cas d’espèce, les détails sont alignés pour faire des aides à domicile, ces travailleuses si utiles et déjà si mal traitées, de grandes perdantes de la future réforme des retraites.

    #retraites #femmes

  • « Les Français ont au moins trois bonnes raisons d’afficher leur hostilité à la perspective de travailler jusqu’à 64 ans »
    https://www.lemonde.fr/idees/article/2023/02/10/les-francais-ont-au-moins-trois-bonnes-raisons-d-afficher-leur-hostilite-a-l

    Une décision de la Cour de cassation pourrait contraindre les entreprises à promouvoir un travail supportable tout au long de la carrière professionnelle de leurs salariés, révèle l’expert de la santé au travail François Desriaux, dans une tribune au « Monde ».

    Malgré les efforts de l’exécutif pour tenter de montrer que la réforme des retraites est juste et indispensable, les Français refusent de travailler deux ans de plus. Et, du point de vue du travail, ils ont au moins trois bonnes raisons d’afficher leur hostilité à cette perspective.

    Tout d’abord, la pénibilité des conditions de travail est loin d’être compatible avec l’avancée en âge. Les travaux de recherche en ergonomie (Le Travail pressé, de Corine Gaudart et Serge Volkoff, Les Petits Matins, 2022) ont montré que les contraintes de temps, le travail dans l’urgence et l’absence de marge de manœuvre posent des problèmes particuliers aux travailleurs vieillissant. Or, c’est précisément l’intensification du travail qui caractérise le mieux l’évolution des conditions de travail ces trente dernières années.

    Selon les enquêtes de la direction de l’animation de la recherche, des études et des statistiques (Dares) du ministère du travail, entre 1984 et 2019, la proportion de salariés dont le rythme de travail est imposé par « des normes ou des délais en une heure au plus » est passée de 5 % à 23 % ; celle des travailleurs dont le rythme dépend d’une « demande extérieure exigeant une réponse immédiate » est passée de 28 % à 55 %.

    Une des premières inquiétudes des salariés face au recul de l’âge légal de la retraite semble de se demander s’ils vont pouvoir tenir le rythme imposé par l’organisation du travail. D’ailleurs, plus ils avancent en âge, et plus la réponse à cette question est négative, notamment pour les ouvriers et employés. Selon les tout premiers résultats d’une étude menée par l’observatoire Evrest, après 60 ans, la moitié des ouvriers et des employés doutent que leur état de santé leur permette, à horizon de deux ans, de poursuivre leur travail actuel. Et l’on sait par d’autres travaux scientifiques que ces doutes sont souvent fondés et laissent présager la survenue d’#incapacités. Avec des risques sérieux de perte d’emploi et d’une longue période de chômage.

    « Situation qui stagne »

    La deuxième raison de refuser de travailler jusqu’à 64 ans est à rechercher dans les comparaisons européennes. L’âge de départ plus élevé dans nombre de pays de l’Union justifierait, pour l’exécutif, que la France recule le sien. Sauf que la première ministre, Elisabeth Borne, et son ministre du travail, Olivier Dussopt, se gardent bien de reconnaître que, parmi les pays européens, la France se situe en queue de peloton dans le domaine de la qualité des conditions de travail.

    C’est en tout cas ce que montre l’enquête menée sur le sujet par la Fondation européenne pour l’amélioration des conditions de vie et de travail auprès de 72 000 travailleurs des 27 Etats membres et de 9 pays voisins (Royaume-Uni, Norvège, Suisse…). La France se classe 28e, selon l’index de qualité du travail ; 5 % des salariés de l’Hexagone considèrent leurs conditions de travail comme extrêmement contraintes, 11 % les caractérisent comme fortement tendues et 22 % comme plutôt tendues.

    Enfin, le gouvernement a beau mettre l’accent sur les mesures d’accompagnement de sa réforme, notamment sur la prévention de l’usure professionnelle, nos concitoyens ont raison de se montrer sceptiques. Surtout s’ils ont lu le rapport de la Cour des comptes sur les politiques de prévention en santé au travail dans les entreprises (décembre 2022), qui critique le manque d’ambition de la politique publique en matière de santé au travail et de prévention des risques professionnels, et l’absence de contraintes qui pèsent sur les entreprises.

    Malgré les quatre plans santé au travail, « les données de sinistralité en matière d’accidents du travail et de maladies professionnelles montrent une situation qui stagne depuis le début des années 2010 », écrivent les magistrats de la rue Cambon. « Il apparaît en effet que les actions de prévention ne font pas partie du quotidien de tous les salariés – de nombreuses entreprises reconnaissant ne pas être impliquées en matière de prévention. »

    Lueur d’espoir

    Or, rien n’indique dans le projet de loi du gouvernement qu’il a pris conscience de cette situation et qu’il va mettre les entreprises au pied du mur pour que cela change.
    La seule lueur d’espoir pour les salariés pourrait venir de l’arrêt rendu le 20 janvier par l’assemblée plénière de la Cour de cassation à propos de l’indemnisation des accidents du travail et des maladies professionnelles. Dans un revirement de jurisprudence dont elle a le secret, en cas de faute inexcusable de l’employeur, « la Cour de cassation permet désormais aux victimes ou à leurs ayants droit d’obtenir une réparation complémentaire pour les souffrances morales et physiques », peut-on lire dans son communiqué.

    Cette évolution passée relativement inaperçue pourrait inciter les victimes d’accidents du travail et de maladies professionnelles à engager de façon beaucoup plus fréquente qu’aujourd’hui des procédures en faute inexcusable de l’employeur devant les tribunaux, car les montants d’indemnisation perçus seraient beaucoup plus intéressants qu’ils ne l’étaient jusque-là. Cela devrait, à terme, obliger les entreprises à être beaucoup plus scrupuleuses à l’égard de l’obligation de sécurité et du respect des neuf principes généraux de prévention imposés par les articles L.4121-1 à L.4122-2 du code du travail. Dès lors, de gré ou de force, les entreprises pourraient bien à l’avenir être conduites à promouvoir un travail supportable tout au long de la carrière professionnelle de leurs salariés, ce qui fait tant défaut aujourd’hui et qui nuit tant à l’emploi des seniors.

    #travail #faute_inexcusable #droit_du_travail #intensification_du_travail #conditions_de_travail #santé #accidents_du_travail #maladies_professionnelles #retraites