« Les aides à domicile, grandes perdantes de la future réforme des retraites »

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  • « Les aides à domicile, grandes perdantes de la future réforme des retraites »
    https://www.lemonde.fr/idees/article/2023/02/10/les-aides-a-domicile-grandes-perdantes-de-la-future-reforme-des-retraites_61

    L’économiste Clément Carbonnier démontre, dans une tribune au « Monde », que les compensations avancées par le gouvernement ne protègent que très peu de personnes.

    Il est compliqué de ne faire que des gagnants avec une réforme cherchant à économiser 12 milliards d’euros par an. De fait, l’analyse des effets de la réforme des retraites montre de plus en plus qu’elle générerait surtout des perdants, parmi lesquels les femmes ouvrières ou employées seraient les plus durement touchées. Celles-ci, apparues comme essentielles pendant la pandémie, restent mal rémunérées et ne voient pas leurs conditions de travail s’améliorer.

    Le cas des aides à domicile est, à ce titre, emblématique. La nécessité et l’utilité de s’occuper des personnes en perte d’autonomie ne font aucun doute : leur permettre de rester chez elles malgré la baisse de leurs capacités a notamment des effets bénéfiques sur le système hospitalier, les personnes bénéficiant de ces aides sont moins souvent orientées vers l’hôpital par les SAMU et moins souvent hospitalisées par les services d’urgences.

    Toutefois, cette utilité collective a un coût, qui est supporté par ces employés. Leurs conditions de travail sont pénibles, les exposent à des produits chimiques d’entretien ménager et des postures traumatisantes, quand il faut porter les patients du lit au fauteuil, les aider à marcher ou à faire leur toilette. Les rémunérations restent très faibles, non seulement parce que le salaire horaire est faible, mais aussi parce que le temps de travail rémunéré est bien moindre que le temps dévolu au travail, car il est fragmenté entre les différentes personnes aidées et entrecoupé de nombreux temps de transport entre leurs domiciles : selon les données de la direction des études du ministère du travail, le nombre d’heures moyen des salariées des organismes de services à la personne était en 2021 de 16 heures par semaine.

    Le flou de la pénibilité

    Pour les aides à domicile, la réforme des retraites est un coup violent de plus porté à leurs conditions de vie. Les tâches accomplies ne permettent pas à ces femmes de tenir jusqu’à 64 ans. On leur imposerait donc un passage par le chômage, voire par le RSA, entre le moment où, usées par cet emploi si utile à la collectivité, elles arrêteront de l’exercer, et le moment où elles pourraient enfin prétendre à la retraite. Et combien de temps en profiteront-elles ? Si l’espérance de vie a augmenté, les inégalités restent très élevées, et en défaveur des aides à domicile : l’Insee estime à huit ans et quatre mois la différence d’espérance de vie entre le cinquième des femmes les plus aisées et le cinquième le plus pauvre. De plus, la direction des études du ministère de la santé montre que l’écart est également très fort dans la proportion des personnes fortement limitées par des incapacités dès la première année de leur retraite.

    Dans le projet de loi, des compensations sont prévues concernant la pénibilité ou à travers ce qui est présenté, à tort, comme une pension minimale de 1 200 euros. Ces compensations ne protègent que très peu de personnes, et pas les aides à domicile. Pour ce qui concerne la pénibilité, le flou peut faire croire que ce dispositif pourrait bénéficier aux aides à domicile dont le métier est pénible. C’est doublement faux.

    Premièrement, la réforme prévoit un report de deux ans de l’âge de départ, même pour les bénéficiaires du dispositif. Ils garderaient juste le même écart à l’âge général. Deuxièmement, le vocable générique de pénibilité cache des critères très stricts, qui ne concernent que très peu de personnes. Par exemple, la pénibilité du travail répétitif n’est reconnue qu’en cas de « travaux impliquant l’exécution de mouvements répétés, sollicitant tout ou partie du membre supérieur, à une fréquence élevée et sous cadence contrainte », avec au minimum 30 actions techniques par minute pendant au moins 900 heures par an (soit 19 heures par semaine, en comptant cinq semaines de congé).

    Carrières à trous

    Pour le travail de nuit, il faut travailler au moins 120 nuits par an. Certes, la réforme prévoit de baisser ce seuil à 100 nuits par an, mais même ainsi, une aide à domicile travaillant 2 nuits par semaine en plus de son travail de jour n’aurait toujours pas droit au dispositif de pénibilité pour sa retraite. Surtout, les pénibilités posturales, les ports de charges lourdes et l’exposition aux produits chimiques ont été retirés en 2017 de la liste des pénibilités prises en compte pour la retraite.

    Concernant les compensations pour les petites retraites, il ne s’agit pas d’une retraite minimale à 1 200 euros par mois, mais d’une revalorisation du minimum contributif. Une personne ayant cotisé tous les trimestres requis en travaillant au smic à temps plein pourrait jouir d’un tel montant si on additionne le minimum contributif et la retraite complémentaire. Toutefois, ce type de bénéficiaires est très rare et ne se trouve pas chez les aides à domicile. Ces femmes ont souvent eu des carrières à trous et validé moins de 4 trimestres, par an du fait de temps partiels et de faibles rémunérations. Elles n’auraient donc pas droit à l’augmentation annoncée de 100 euros du minimum contributif, mais à un prorata d’une augmentation bien moindre, prévue à 25 euros.

    De plus, certaines de ces femmes pourraient ne même pas voir la couleur de ces quelques euros, voire subir une baisse de leur niveau de vie : celles qui seraient éligibles à l’allocation de solidarité aux personnes âgées verraient la baisse de cette allocation sociale différentielle compenser euro pour euro la hausse du minimum contributif, sachant que cette hausse de pension minimale sans hausse de revenu net pourrait conduire à une baisse des allocations logement. Le diable est souvent dans les détails, mais dans le cas d’espèce, les détails sont alignés pour faire des aides à domicile, ces travailleuses si utiles et déjà si mal traitées, de grandes perdantes de la future réforme des retraites.

    #retraites #femmes