L’Assemblée nationale n’a pas voté la retraite à 64 ans !

/lassemblee-nationale-na-pas-vote-la-ret

  • Grandeur de la stratégie insoumise
    https://blogs.mediapart.fr/geoffroy-de-lagasnerie/blog/180223/grandeur-de-la-strategie-insoumise

    Les 15 jours qui ont été consacrés à l’Assemblée Nationale aux mesures du gouvernement sur les retraites ont été marqués par la stratégie des députés insoumis. Critiquée par la droite et l’extrême droite mais aussi par les fractions les plus domestiquées de la gauche (le PCF de Roussel bien sûr, les Verts et la CFDT de Laurent Berger), elle a donné naissance à un moment politique d’une intelligence stratégique profonde. Nous avons assisté pour la première fois depuis longtemps à une sorte de dérèglement méthodique de tous les rituels parlementaires pour faire entrer dans cette enceinte la politique à l’état pur, la vraie, la politique non domestiquée par des formes fictives.

    L’idée de débat et d’échange parlementaire est un mythe. Toute personne qui a déjà regardé des séances de l’Assemblée nationale sait qu’aucun argument, même le plus rationnel, ne fait jamais changer le moindre vote. Pourquoi donc se soumettre à ce rituel factice ? Pourquoi ne pas plutôt utiliser le temps disponible pour mettre en question, acculer, devenir maître d’une temporalité que les macronistes voulaient "programmée". Pourquoi présenter des amendements comme de bons petits soldats que personne n’écoute et respecter un rituel qui ne sert jamais à rien ? Il n’y a pas de débat parlementaire. Il y a des prises de parole qui se déroulent dans l’indifférence générale, et des députés qui votent en fonction de leur camp. Puisque l’on sait que ces rites sont de purs mythes, autant les subvertir et faire l’usage le plus dissident possible que l’on peut de cette enceinte : exprimer la colère, demander des explications, cibler les ministres. Si personne n’a rien d’autre à opposer à la stratégie insoumise qu’un mythe politique, c’est parce que c’est elle qui porte une part de vérité.

    La stratégie de la montée en tension a permis de relayer dans l’assemblée la colère qui s’exprime dans la rue. Elle a permis aussi d’empêcher les macronistes de voter tranquillement, avec bonne conscience, ces mesures de régression sociale et d’exercer, assis sur leur siège rouge, une extrême violence sur la vie des autres, avant de rentrer chez eux en ayant le sentiment du devoir accompli et d’avoir été de bons parlementaires. Etre une opposition non violente (discursivement), domestiquée, c’est faire le jeu de la majorité et lui être loyal. C’est lui permettre de se dire : j’ai débattu, j’ai écouté, j’ai voté, tout va bien. Faire exploser ce rituel, faire bouillir l’assemblée, en faire un lieu de tension, les bousculer, c’est rappeler à chaque député de la majorité la violence que représente le fait de voter ces Lois pour celles et ceux qui vont voir les conditions de leur vie et de leur mort s’aggraver. C’est leur retirer la bonne conscience (et c’est déjà quelque chose). Et c’est aussi accroître le rejet à leur encontre qui sera susceptible, dans le futur, d’être la base d’un mouvement de conquête de l’appareil d’Etat.

    Comme l’a justement dit Jean-Luc Mélenchon dans un post vendredi soir, avoir empêché l’Assemblée Nationale de voter le texte a permis de surcroît de saboter l’objectif que Macron s’était fixé en terme de communication politique et que les médias se seraient empressés de reprendre pour décrédibiliser le mouvement social : faire voter rapidement l’assemblée à travers une fraude procédurale afin d’opposer au mouvement social, à la rue, le fait que "La Loi a été votée". "Macron voulait pouvoir opposer la légitimité de l’Assemblée à celle du mouvement social avec un vote favorable de l’Assemblée nationale. Échec total."

    Les macronistes voulaient contrôler le temps politique. Les insoumis ont subverti ce dispositif, ils se sont appropriés le temps - et c’est une conquête décisive.

    Moment de colère, moment de sabotage, moment de montée en tension, ces 15 jours ont aussi été un moment de véridiction. Il y a eu des polémiques sur Thomas Portes posant avec un ballon sur lequel était collé un masque du ministre du travail ou Aurélien Saintoul le traitant d’« assassin » et d’« imposteur ».. Si certains se sont empressés de dénoncer cela comme des "excès", il faut au contraire les voir comme les pièces essentielles d’une opération stratégique visant à mettre en question la déréalisation qu’opèrent les rituels politiques et à rappeler la vérité de ce qui se joue sur la scène dite politique. Il n’est pas indifférent que Thomas Portes soit cheminot et que la présidente de l’assemblée nationale qui l’a exclu possède 1,5 million d’euros d’actions chez l’Oréal, 40 000 euros d’actions émanant de plusieurs multinationales (LVMH, Kering, Axa, Total, BNP Paribas…) C’est comme si la lutte des classes avait fait irruption de manière quasi-parfaite au sein de l’assemblée : celle qui préside une assemblée qui fait voter des Lois qui aggravent l’exploitation de classes (dont elle profite) et exercent des effets concrets sur l’espérance de vie accusant de violence celui qui résiste de manière symbolique à la violence qu’elle exerce sur lui. 

    Si nous étouffons dans ce monde politique, c’est parce que presque tout le monde y joue un rôle faux, mythique, fictif, c’est parce que les discours sont en décalage avec la réalité et masquent les rapports concrets, c’est parce que tout le monde a tendance à se conformer à des rites prescrits et sans aucun sens - à aller au devant d’une recherche d’une sorte de respectabilité institutionnelle et médiatique. Les oppositions sont trop souvent domestiquées et participent de la mystification politique et des effets de déréalisation qu’elle produit. Et il suffit de se souvenir de la manière dont le Parti Communiste se comportait à l’Assemblée en 1947, alors qu’ils étaient un parti si important, pour comprendre que c’est dans la conflictualité et non dans la respectabilité que se trouve la clé d’un gauche puissante.

    Grandeur de la stratégie insoumise qui a fait voler en éclat les mythes politiques de l’assemblée nationale, qui a domestiqué une institution pour en faire l’un de lieux essentiels de la conflictualité sociale assumée, sans masque, sans faux semblant, sans politesse. Ces 15 derniers jours furent un moment essentiel de la politique contemporaine et si le 7 mars est une réussite, ce sera en grande partie grâce aux députés insoumis.

    • L’Assemblée nationale n’a pas voté la retraite à 64 ans !https://manuelbompard.fr/2023/02/lassemblee-nationale-na-pas-vote-la-retraite-a-64-ans

      L’examen de la réforme des retraites s’est donc achevé ce vendredi soir à l’Assemblée nationale. Il aura duré à peine 4 journées complètes réparties sur 9 jours. En effet, le gouvernement a choisi d’imposer l’utilisation de l’article 47-1 de la Constitution pour limiter le temps des discussions. On a donc assisté à un cadenassage inédit du débat parlementaire : jamais une réforme d’une telle importance n’aura été examinée à l’Assemblée nationale dans de telles conditions. 

      En vérité, confronté à une mobilisation d’une puissance inédite en France depuis plus de 30 ans, le gouvernement voulait plier le match en quelques jours à l’Assemblée Nationale. Un vote en faveur du projet de loi ou, à minima, en faveur de l’article 7 (qui entérine le report de l’âge de départ à la retraite) était son objectif. Il permettait de donner à une réforme rejetée par plus de 70% des français une apparence de légitimité. L’objectif ? Semer le doute, démobiliser l’opposition à ce projet et espérer ainsi tuer dans l’œuf le blocage du pays programmé à partir du 7 mars.

      La NUPES était son seul obstacle sur ce chemin. En ne déposant pas plus que quelques dizaines d’amendement, le Rassemblement national avait abandonné la bataille avant même qu’elle n’ait commencé. Il est d’ailleurs sidérant d’observer à quel point Marine Le Pen aura servi d’allié constant du macronisme dans ce combat. Le dépôt par son groupe d’une motion de censure après 10 jours de sommeil profond n’en aura été qu’une démonstration supplémentaire. Car tout le monde savait qu’elle n’avait aucune chance d’être votée. Dès lors, en lui offrant une victoire sur un plateau, Marine Le Pen ouvrait une porte de sortie parfaite à un gouvernement incapable de faire adopter son projet de loi. Il n’était pas question pour nous de lui faire un tel cadeau.

      Pour aller au bout de son scénario, le gouvernement devait donc faire rentrer la NUPES dans le cadre contraint de ce débat en la poussant à retirer ses amendements. Pour y parvenir, il a instrumentalisé les déclarations de certains dirigeants syndicaux qui, croyant voir à l’Assemblée nationale une opportunité de battre les macronistes, ont pris position sur la stratégie parlementaire. On pourrait se satisfaire de voir se clore la période dans laquelle les manifestations et la grève étaient l’apanage des syndicats et l’action parlementaire celui des partis (ou mouvements) politiques. Mais formons le voeu que l’action des uns et des autres puisse s’articuler davantage à l’avenir afin d’éviter les pièges du pouvoir en place. 

      Car pour notre part, nous ne partagions pas cet optimisme. Nous considérions que le gouvernement avait gardé suffisamment de cartes en main pour se garantir une victoire ou, à minima, une absence de défaite. Une d’entre elles est d’ailleurs apparue au grand jour à quelques minutes de la fin des travaux. Poussé dans ses retranchements par l’action conjointe des insoumis et du député Aurélien Pradié, le ministre Dussopt a annoncé reprendre à son compte un amendement déposé par le groupe des Républicains sur les carrières longues. Il s’agissait pour lui de réduire encore le front des députés LR prêts à voter contre la réforme. Et peu importe si cet amendement initialement chiffré par le gouvernement à 10 milliards d’euros mettait en cause la sincérité financière de la loi toute entière.

      Il fallait donc tenir bon et ne pas tomber dans les intox qui ont fleuri tout au long de la semaine. Ainsi, on parlait de députés macronistes absents le vendredi pour éviter d’avoir à voter en faveur de la réforme. Ou d’une liste de plus de 25 républicains prêts à voter contre la réforme. Ou d’un gouvernement qui voulait faire gagner du temps. Ces illusions naïves se sont dissipées peu à peu. Les macronistes étaient finalement au complet. Les députés LR opposés à la réforme n’excédaient pas une quinzaine et la reprise en main autoritaire du débat par la présidente LREM de l’Assemblée Nationale était un signal clair de la volonté gouvernementale de reprendre le contrôle des horloges. Mais elles auront conduit les députés écologistes d’abord, puis les députés socialistes et communistes à retirer l’ensemble de leurs amendements.

      Dès lors, il ne restait plus dans la dernière ligne droite que les députés insoumis pour bloquer le passage en force macroniste, défendre des amendements et pousser le gouvernement dans ses retranchements. Cette stratégie a produit des résultats. 

      Elle a permis par exemple de s’engouffrer dans la brèche ouverte par l’économiste Mickaël Zemmour à propos de la retraite minimum à 1200 euros. Nous avons acculé le ministre Dussopt sur ses mensonges à ce sujet et il a du reconnaitre que toutes les personnes qui partiront à la retraite ne pourront pas bénéficier de cette retraite minimum. Pilonné par les députés de la NUPES, il a finalement dû fournir un chiffre de 5% de bénéficiaires parmi les retraités. Mais ce chiffre n’a été confirmé par aucun organe officiel et le ministre n’a pas été capable d’en indiquer la provenance. Encore un mensonge ? 

      Sur un autre sujet, nous avons pu démontrer l’absurdité des propositions actuelles sur les carrières longues. Elles conduisent à ce qu’une personne ayant commencé à travailler à 17 ans cotise 43 annuités alors qu’une personne ayant commencé à travailler à 16 ans en cotise 44. Nous avons également mis en lumière l’impact désastreux de cette réforme pour les femmes et fait la démonstration qu’un report de l’âge de départ à la retraite aura comme conséquence une baisse des salaires et une augmentation du chômage.

      Bref, à l’issue d’une bataille parlementaire intense, une première victoire a été remportée : le texte n’a pas été adopté à l’Assemblée nationale et ne dispose d’aucune légitimité. Son retrait est donc plus que jamais à l’ordre du jour. Face aux millions de manifestants dans les rues, le gouvernement fait la sourde oreille. Il faut donc crier encore plus fort en s’engageant sur la voie du blocage du pays. C’est l’objectif que s’est fixé l’intersyndicale à partir du 7 mars. Nous le soutenons totalement. Contribuer à sa réussite est désormais notre seul objectif.

    • Un commentaire intéressant :

      Je pense aussi que la stratégie de LFI est la bonne.

      Contaminée par les médias et les interventions critiques de toutes les forces politiques, j’ai regretté un temps que les députés de la France insoumise tendent les bâtons pour se faire battre en donnant des arguments à ceux qui les présentent comme des rigolos inconséquents. Mais j’avais tort.

      J’ai regardé les débats de la nuit, et j’ai compris que la LFI a pris le président et tout l’exécutif à son propre piège. En utilisant ce détournement de la constitution, probablement attaquable, Jupiter, auto-déclaré maître des horloges, voulait contraindre l’opposition à faire voter, en vitesse et sans vraie discussion, un texte avec lequel elle n’est pas d’accord, mais une grande majorité des français non plus. Ensuite, le parti au pouvoir aurait pu faire le généreux en reculant sur des détails et la NUPES aurait été perdante (ainsi que le peuple) après avoir accepté un jeu démocratique faussé.

      L’acceptation du projet de loi sans vote permet de montrer à qui on a affaire : je suis d’accord avec vous, c’est une guerre de classe, et un déni de démocratie, et cela se voit.

      Tous ces gens, députés, ministres et président, qui n’ont (et n’auront) même pas besoin de leur retraite pour vivre, et qui se battent pour réduire à la pauvreté les vrais travailleurs âgés, c’est un véritable scandale. Le fait qu’il n’est pas question pour ces valets du CAC40 de prendre un centime aux ultra-riches pour « sauver » le régime de retraite (lequel va plutôt bien, d’ailleurs) montre bien ce dont il est question. Pour moi, il s’agit de casser notre système de retraite par répartition en le rendant inefficace (pourquoi cotiser toute sa vie si c’est pour mourir avant sa retraite ?) et ce, afin de conditionner la population a accepter en alternative une retraite par capitalisation, ce qui fera rentrer dans la finance l’argent de nos cotisations. Les fonds de pension se frottent déjà les mains...

      LFI a donc eu raison de prendre le temps de démontrer tous les mensonges de ce gouvernement. Mais il y en a encore à débusquer !

      Je rajoute que tous ces intervenants qui vilipendent le style des députés insoumis, notamment les députés de droite, mais pas seulement, ne se doutent pas qu’ils favorisent l’ancrage populaire de ce groupe. Cela fait du bien d’entendre des gens nous représentant, utilisant les même mots que nous et disant la vérité. C’est rafraichissant, après tous ces manipulateurs au langage châtié qui roulent la population, et les électeurs, dans la farine depuis des lustres, et cassent peu à peu tout notre système de protection sociale et nos services publics.

      A propos de l’éventuel détournement de procédure au Parlement, j’ai trouvé très intéressant l’article de Paul Report : "Réforme des retraites : le Parlement est-il victime d’un détournement de procédure ?"https://blogs.mediapart.fr/paul-report/blog/150223/reforme-des-retraites-le-parlement-est-il-victime-d-un-detournement-

      https://blogs.mediapart.fr/geoffroy-de-lagasnerie/blog/180223/grandeur-de-la-strategie-insoumise/commentaires

    • « Dès que j’ai voté, je repars en courant »
      https://lagedefaire-lejournal.fr/des-que-jai-vote-je-repars-en-courant

      Léo Walter est l’instituteur des Alpes-de-Haute-Provence qui a battu l’ancien ministre Christophe Castaner aux dernières élections législatives. En tant que nouveau député de la France Insoumise et de la #Nupes, il découvre de l’intérieur le travail parlementaire. Il nous parle des courses dans les couloirs de l’Assemblée, des nuits blanches, des niches parlementaires, de l’obstruction des débats, du déséquilibre des pouvoirs entre exécutif et Parlement, ou encore des mille et une stratégies du gouvernement Macron pour imposer sa volonté.