Le « refus du travail » : une idée reçue qui fait diversion

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  • La lune de la grande démission, le doigt de la valeur-travail, par Yann Moulier Boutang
    https://www.multitudes.net/wp-content/uploads/2023/02/multitudes90-AChaud-Grande-demission-7fev.pdf

    Le sociologue Nicolas Roux, dans un article d’AOC du 8 janvier 2023, Le « refus du travail » : une idée reçue qui fait diversion, balaie d’un revers de la main la « grande démission » apparue aux États-Unis dans le sillage immé-diat de la pandémie de Covid1. Ce qu’il reproche à ce « pseudo constat », de « pénurie de main-d’œuvre », c’est de faire diversion sur la cause profonde du malaise dans le marché du travail, l’instauration d’un précariat généra-lisé qui dégrade l’emploi. Cela revient à passer sous silence la question du sens écologique de l’emploi comme de la croissance. On n’a pas l’impression que notre sociologue a vraiment écouté les retentissantes déclarations des élèves des grandes écoles d’ingénieurs lors des remises de leurs diplômes.Le paradoxe de la « grande démission » (Great Resignation) américaine Aux États-Unis, sur l’année 2021, 47 millions d’Américains ont donné leur démission2. Le phénomène n’a entamé une décélération qu’au printemps 2022. On s’attendait dès la fin 2020 à une crispation dans leurs emplois des salariés peu enclins à grossir les effectifs des chômeurs à un si mauvais moment. Or, on a assisté à une vague sans précédent de démissions, y com-pris pour des catégories d’emplois qui n’appartenaient pas aux cadres supé-rieurs chez qui le taux de mobilité est bien plus fort que dans les emplois peu ou moyennement qualifiés. 47 millions d’Américains ont donc quitté volontairement leur emploi, soit pour changer de travail immédiatement, soit pour s’inscrire au chômage et rechercher un autre emploi, soit, enfin, pour se retirer carrément du marché du travail pour une retraite anticipée ou devenir inactif en attendant des jours meilleurs. Actuellement, avec un taux de chômage de 5,8 % , les États-Unis réalisent le moins mauvais score des pays de l’OCDE. Il n’empêche, 47 mil-lions de démissions en un an et encore plus de 20 en 2022, c’est tout à fait impressionnant. Le taux de démission a atteint 3 % par mois fin 2021, son plus haut niveau depuis l’an 2000. Mais dans l’industrie manufacturière, le taux de démission est actuellement similaire à celui atteint au début des années 1950, puis dans les années 1960 et 19703.

    (...)Le pari de Margaret Thatcher et de Milton Friedman était de contourner les luttes du salariat par la généralisation du mécanisme de rente des actions, de l’épargne, en vue d’une capitalisation des retraites, des biens immobiliers, par la consommation sur l’ensemble du cycle de vie (le revenu permanent). Il a été largement gagné, marginalisant l’impact du coût du travail. Mais ce coût du travail, chassé par la porte, est revenu par la fenêtre de la société financiarisée. Partout, y compris dans les pays les plus « libéraux », la part de la dépense publique dans le PIB a franchi la barre des 40 %17 et monte à 51 % dans l’ensemble des pays de l’Union européenne. Ces transformations majeures font que la contractualisation du coût de la population est globale, des vieux mécanismes syndicaux à l’ensemble des mécanismes de l’État-Providence dont les contours se modifient de jour en jour jusqu’au soutien de l’économie sous toute ses formes. Cela correspond strictement à la transformation effective de l’économie qui n’est plus sim-plement un output de facteurs (dont celui du « travail » mesuré par la popu-lation active) mais un résultat global, un outcome. Il faudra bientôt ajouter, dans ce calcul, le prix du futur représenté par le degré d’endettement. Là aussi, alors que la taille de la dette publique et privée a grandi, l’imbécile néolibéral qui ne comprend rien à la finance (à la masse monétaire comme lien avec le futur) réclame l’équilibre des finances publiques et la gestion de « bon père de famille ». Et ce, à un moment où le prix du futur exige des taux d’endettement de guerre (deux ou trois fois le montant du PIB) pour faire face aux investissements dans la transition écologique.

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