Savoir chercher. Pour une éducation à l’évaluation de l’information de Mônica Macedo-Rouet – Inter CDI

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  • Savoir chercher. Pour une éducation à l’évaluation de l’information de Mônica Macedo-Rouet – Inter CDI
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    Recension du livre « Savoir chercher » de Mônica Macedo-Rouet à destination des documentalistes.

    C’est une lecture plutôt rare et très rafraîchissante en matière professionnelle, que propose Mônica Macedo-Rouet avec Savoir chercher. Pour une éducation à l’évaluation de l’information. Professeure des universités en Psychologie, la chercheuse est déjà connue dans le domaine info-documentaire, de par son travail souvent à la croisée entre Psychologie, Sciences de l’éducation et de la formation (SEF) et Sciences de l’information et de la communication (SIC). C’est dans le cadre de ce triptyque que s’inscrit l’ouvrage, qui convoque les recherches menées sur la question de l’évaluation de l’information dans ces trois disciplines, afin d’en faire une synthèse. Et ce ne sont pas seulement des états des lieux qui sont proposés, mais un travail de bilan et de perspectives.

    Saluons comme il se doit l’intérêt des éditions normandes C&F, dirigées par Hervé Le Crosnier, pour les questions d’information, de documentation, avec, au-delà d’écrits nombreux sur l’histoire de l’informatique et le paysage numérique contemporain, plusieurs ouvrages relatifs à des sujets importants pour les professeurs documentalistes. On rappellera ainsi la publication des travaux d’Anne Cordier sur le rapport des adolescents à la recherche d’information (2015), ou de Marion Carbillet et d’Hélène Mulot sur les communs dans l’éducation (2019).

    Pour discuter d’évaluation de l’information, Mônica Macedo-Rouet contextualise d’abord son propos, nous offrant un point de vue large sur la notion. En appui sur différentes études menées depuis plus de vingt ans, elle interroge la lecture sur écran, en comparaison avec la lecture sur papier. Ce qui l’amène à préciser et à définir plusieurs notions, comme celles de texte, d’hypertexte et d’hypermédia, directement liées à la lecture sur écran. C’est aussi l’occasion de traiter de la structure du document, de la structure du texte, rappelant à l’occasion que cette notion suppose des apprentissages, dès l’enseignement élémentaire, et ce, afin de favoriser chez les enfants le repérage de l’organisation des textes, notamment des ouvrages documentaires. L’auteure montre aussi toutes les limites de la lecture sur écran, et les difficultés qu’elle peut poser : du fait d’une lecture hypertextuelle parfois complexe, de logiques éditoriales qui ne sont pas toujours pertinentes pour une lecture efficace, et d’une lenteur et d’une superficialité qui semblent intrinsèques à ce mode de lecture. Il n’en ressort cependant pas l’idée d’abandonner l’écran, ce serait aller contre les usages et les pratiques. Il s’agit plutôt d’insister sur le fait que ce n’est pas un sujet à prendre à la légère, à la fois dans le domaine de l’édition où des efforts sont à faire, et dans le domaine de l’enseignement pour cerner ce qui peut et doit être mis en œuvre en matière pédagogique. L’auteure insiste également sur le besoin d’éviter une simple transposition, du document imprimé au document numérique, qui relève de deux modes différents de concevoir le document.

    C’est avec un même souci de synthèse que sont abordés les processus de recherche et d’évaluation, dans un contexte d’augmentation du nombre de sites web et du nombre d’utilisateurs d’Internet (avec aujourd’hui près de deux milliards de sites pour quatre milliards d’internautes potentiels). Un tel paysage informationnel suppose des compétences de recherche, avec alors, pour les enfants, des difficultés de méthode et de connaissance que rappelle l’auteure. Une piste pour dépasser ces difficultés est de maîtriser l’ensemble des étapes que compte une recherche d’information : par exemple les huit étapes du modèle TRACE, proposé par Jean-François Rouet en 2006, qui peut être un outil intéressant dans le cadre d’un travail pédagogique avec les élèves. La recherche est d’autant plus complexe que l’évaluation de la pertinence des sources apparaît, selon les études citées, particulièrement difficile pour les jeunes (des pistes possibles pour améliorer les pratiques sont données). L’évaluation de la qualité et de la crédibilité des sources est également étudiée, avec un regard particulier sur le contexte scolaire : il en ressort que les élèves ne sont pas indifférents à la question de l’évaluation, qui demande une mise en œuvre différenciée, selon les consignes données et les difficultés rencontrées. Là encore l’auteure s’attache à pointer ce qui pose problème, afin de proposer des solutions pédagogiques, mettant en avant à l’occasion des pistes de recherche non encore exploitées. Parmi les problèmes et/ou les obstacles relevés, on peut citer par exemple, en fin de primaire et début de collège en particulier, l’intérêt pour l’affichage des pages plutôt que pour la connaissance des sources, ou encore la difficulté à détecter les biais commerciaux et les conflits d’intérêts sur le web. Cela suppose des apprentissages, relatifs à la navigation web, au repérage d’informations, à la connaissance des questions techniques liées aux bases de données, au fonctionnement des moteurs de recherche, à l’évaluation des sources et à tout ce que cette notion recouvre (pertinence, fiabilité, autorité, typologie, etc.).

    L’auteure ne s’arrête pas à des préjugés, il n’est pas question de dire que les élèves savent tout faire parce qu’ils ont été bercés par le numérique ou qu’ils ne savent rien faire parce qu’ils n’ont que des usages superficiels. Non, il s’agit de regarder précisément les pratiques, d’en étudier les subtilités pour en tirer des pistes pédagogiques : par exemple, en contexte scolaire, expliciter les étapes de la recherche et de l’évaluation. Les élèves peuvent avoir envie d’évaluer les sources, encore faut-il qu’on leur explique comment faire, et qu’on leur apprenne à le faire. Ce n’est pas une démarche spontanée pour eux, des compétences sont nécessaires qui sont mises en exergue dans l’ouvrage : l’identification de l’auteur, l’évaluation de son niveau de compétence, ses intentions, les éventuels conflits d’intérêt. Ces savoirs et savoir-faire permettent notamment d’aider à repérer les fausses informations, auxquelles sont réservées quelques pages.

    Un chapitre est consacré à l’éducation, côté terrain : il est d’autant plus décevant que les chapitres précédents sont riches. Sans doute faut-il voir là le fait que les études relatives à ces apprentissages sont rares. L’auteure elle-même insiste sur la nécessité de commencer par analyser les dispositifs de formation dans le domaine. La limite du propos tient notamment dans le plaidoyer, présent dès le titre de l’ouvrage, « pour une éducation à l’évaluation de l’information ». On ne parle pas d’apprentissages, d’enseignement, mais bien d’une « éducation à », un domaine particulièrement flou, dont la transversalité cache mal des projets très ponctuels, non systématiques, qui s’appuient sur des « bonnes volontés », autant de limites que l’auteure n’aborde pas. Il manque une observation des pratiques réelles, aussi la proposition de cette nouvelle « éducation à », sans mention de pratiques et dispositifs, peut laisser dubitatif. Une autre limite de cet ouvrage, un écrit scientifique, toujours dans le même chapitre, est de voir l’Éducation aux médias et à l’information (EMI) englober l’éducation aux médias, la maîtrise et les cultures de l’information, ainsi que la culture de l’informatique. Cela crée une confusion entre la Media and information literacy (MIL) et l’EMI telle qu’institutionnalisée en France : en effet, telle que définie dans les programmes en France, l’EMI n’intègre pas la culture informatique dans son entier, des enseignements spécifiques existent en Technologie et en Sciences numériques et technologie (SNT). De même la prise en mains de l’EMI en France par le CLEMI, sujet d’un anachronisme dans l’ouvrage, peut amener selon certains points de vue à minorer l’importance de la maîtrise de l’information dans son ensemble, dans les documents institutionnels. De ces problématiques françaises, il n’est nullement question dans l’ouvrage, ce qui ne contribue pas à la clarté du propos. Ainsi, alors que la revue de la littérature portant sur les recherches est intéressante, le mélange effectué entre domaines scientifiques et dispositifs politiques ou éducatifs peut poser problème. En outre, l’apport des professionnels est peu envisagé. Si par exemple est cité le référentiel de compétences de 1997 de la FADBEN, devenue APDEN, ainsi que les travaux du GRCDI (2010-2012), rien n’est dit des travaux qui ont donné lieu au Wikinotions Info-Doc (2010) ou à la proposition de curriculum info-documentaire (2013).

    Ainsi, si l’ouvrage est riche en études scientifiques sur la lecture de l’information, sur la recherche et l’évaluation de l’information, avec des pistes intéressantes pour construire des séances et des progressions, les propositions plus politiques, elles, manquent sans doute de diversité, elles restreignent les possibles. L’engagement pour un dispositif spécifique, dans un ouvrage de ce type, de niveau universitaire, conduit à minorer d’autres voies ou à les ignorer. L’auteure fait la prouesse de ne citer qu’une fois les professeurs documentalistes, sans discuter de leurs apports ou de ce qu’on peut envisager pour l’avenir des apprentissages qu’ils peuvent mettre en œuvre. Quand des disciplines sont invoquées pour des expérimentations, le domaine de l’information-documentation n’apparaît pas, que ce soit seul ou même dans le cadre de dispositifs en collaboration. Et alors que des études citées montrent l’importance d’une expertise, une étude récente est mentionnée qui « montre la faisabilité d’un tel programme au sein des disciplines, sans bouleverser complètement la structure actuelle et sans demander des moyens très importants ». Après des réflexions pédagogiques, sur la nécessité d’un travail didactique, avec des pistes intéressantes pour avancer, ce sont des propositions « clé en main » qui sont faites, dans la voie typique des « éducations à ».

    Malgré ses limites, compte tenu de la perspective politique que prend l’ouvrage, on peut cependant souhaiter que tout professeur documentaliste le lise, pour prendre connaissance des voies pédagogiques que l’auteure met en avant, études à l’appui : explicitation des démarches de recherche et d’évaluation, séances spécifiques sur la notion de pertinence, mise en place de processus d’évaluation relatifs à la crédibilité et la qualité de pages, avec identification et évaluation des auteurs, catégorisation des différents types de sites web, etc. Cette synthèse est aussi une promesse de nouvelles recherches, pour mieux encore mesurer les capacités d’apprentissage des élèves dans le domaine, et les méthodes les plus efficaces. Ces travaux et ces pistes valent-elles la création d’une nouvelle « éducation à » ? Rien n’est moins sûr.

    Macedo-Rouet, Mônica. Savoir chercher. Pour une éducation à l’évaluation de l’information. Caen : C&F Éditions, 2022. 244 p. Préface d’Alexandre Serres.

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