Retraites : la crise politique et sociale menace les autres projets de réforme de Macron
La Tribune, 18 Mars 2023, par Grégoire Normand @gregoirenormand
Dans les journaux de droite, on apprend qu’il est déjà prévu de nous infliger une nouvelle une nouvelle loi Travail, alors que la précédente n’a toujours pas fini de détériorer la vie des travailleurs au seul profil du capital. Quant à la loi industrie verte, ça sent la dégueulasserie à plein nez.
Quand tu vois que le cœur de programme c’est « la baisse des impôts et de financer le modèle social », ce qui est totalement antinomique dès l’énoncé, t’as compris qu’en ne se bat pas juste contre une aggravation de la destruction du système de retraite, mais contre des attaques systématiques de la bourgeoisie pour liquider les classes moyennes et s’approprier tout le pactole confisqué !
Après avoir déclenché le 49-3, le gouvernement Borne a provoqué un séisme politique et social partout dans le pays. En première ligne face aux contestations, la Première ministre a assumé « être le fusible » de cette réforme en cas de renversement de l’exécutif après une motion de censure. Quel que soit le scénario, les marges de manœuvre d’Emmanuel Macron pour dérouler son programme de réformes économique et sociale dans un contexte politique hautement inflammable seront considérablement réduites.
Le déclenchement du 49-3 pour faire passer la réforme des retraites va-t-il mettre un coup d’arrêt au Macronisme réformateur ? A l’heure où le pays est plongé dans une crise politique et sociale explosive, la question se pose forcément .
Déposée ce vendredi, la motion de censure déposée par le groupe des Indépendants (LIOT) risque de rassembler un large spectre de députés allant de la France Insoumise (LFI) aux députés Les Républicains (LR) opposés à la réforme, sans oublier ceux du Rassemblement National (RN), sachant que Marine Le Pen a également déposé une motion censure.
Une image de réformateur abîmée
Même dans l’hypothèse où le gouvernement serait maintenu, le réformisme économique et social mené au pas de charge par Emmanuel Macron risque d’en prendre un coup. « S’il en pâtira moins sur les questions de santé ou d’environnement, il va être difficile pour Emmanuel Macron de disposer du soutien de l’opinion autour de son programme économique et social après ce 49-3 qui fait figure de passage en force. Le gouvernement court ainsi le risque d’être inaudible sur ses futurs projets relatifs aux conditions de travail et de vie quotidienne sur lesquels il a perdu beaucoup de crédit », confie à La Tribune Erwan Lestrohan, directeur conseil chez Odoxa.
Dans l’opinion publique, « il est prévisible que l’image d’Emmanuel Macron ressorte écornée de cette séquence politique. Dans nos différentes enquêtes d’opinion, son image de réformateur qui était notamment l’une de ses forces principales lors de son premier mandat, est aujourd’hui abîmée », ajoute le sondeur.
Une loi « Plein emploi » avortée ?
Lors de la campagne présidentielle de 2022, le président candidat avait mis la valeur « travail » au cœur de sa campagne. Ces propositions devaient permettre de poursuivre « la baisse des impôts et de financer le modèle social » français. La loi Travail ou « Plein emploi » actuellement en préparation au ministère du Travail pourrait finir dans les cartons de la rue de Grenelle . En effet, la mobilisation sociale qui s’était essoufflée lors des dernières manifestations risque de repartir, avec le risque de débordements à la clé. L’utilisation du 49.3 a galvanisé les syndicats, laissant présager des discussions tendues sur ce dossier entre les organisations syndicales et le gouvernement.
Une loi industrie verte qui déraille ?
Pourtant plus consensuel, le projet de loi industrie verte pourrait également dérailler. Et pour cause : l’absence de majorité absolue à l’Assemblée nationale pourrait compliquer la tâche du gouvernement pour faire voter ce texte. Quand aucune majorité n’a pu se dégager sur la réforme des retraites, alors même que les Républicains passaient depuis des années à relever l’âge de départ, impossible en effet de savoir comment des majorités pourraient se dessiner demain.
Un budget 2024 compromis ?
La préparation du projet de loi de finances pour 2024 pourrait également virer au casse-tête pour l’exécutif. Comme ce fut le cas l’an dernier, l’exécutif risque fort d’être obligé d’utiliser le 49-3. En effet, le règlement de la Constitution de la Vème République indique que l’utilisation de cet article peut être limitée pour les textes ordinaires à l’exception des projets de loi de finances. C’est d’ailleurs l’une des raisons pour lesquelles l’exécutif a choisi de recourir à un texte financier, le projet de loi de finance rectificative de la sécurité sociale (PLFRSS), pour pouvoir dégainer le 49-3.
Une détérioration du lien avec les Français
Historiquement, les précédentes réformes des retraites avaient également suscité des vagues de contestation. « Les précédents présidents de la République ont par le passé enregistré leurs plus bas niveaux de popularité à l’Elysée face à la contestation de réformes sociales : Chirac en 1995, Sarkozy en 2010 et Hollande en 2016 », rappelle Erwan Lestrohan. Mais tous pouvaient s’appuyer sur une majorité absolue.
Dans ce contexte, le déroulement du programme de réformes pourrait aussi marquer un coup d’arrêt. « Le risque de détérioration du lien avec les Français est aujourd’hui important pour le chef de l’Etat : la prolongation du mouvement social en cours tend à le transformer en mouvement anti-macron, au-delà du seul rejet de la réforme des retraites, comme le montrent d’ailleurs de nombreux messages et slogans dans les cortèges », ajoute-t-il.
Réformes : changer de méthode pour ne rien changer ?
Au lendemain de la crise des gilets jaunes qui avait marqué pendant plusieurs mois la première partie du quinquennat, Emmanuel Macron avait promis de changer de méthode en organisant un Grand débat. Partout sur le territoire et pendant plusieurs mois, les citoyens de tous bords pouvaient s’exprimer sur des sujets de préoccupation à l’occasion de rassemblements organisés dans les villes mais aussi dans les ministères.
Cinq ans après ses réunions, la verticalité du pouvoir est de nouveau critiquée par les organisations syndicales et la rue. Au Parlement, certains cadres de la majorité présidentielle ont même fait part de leur désapprobation sur l’usage du 49-3 sur un texte aussi important que la réforme des retraites. Aurore Bergé, la cheffe de file des députés Renaissance à l’Assemblée était contre.
Retraites : la crise politique et sociale menace les autres projets de réforme de Macron
A l’automne, le président avait lancé le conseil national de la refondation (CNR) pour « revivifier le débat démocratique ». Mais là encore, les oppositions ont boudé cette instance dont le secrétaire général François Bayrou est actuellement renvoyé en correctionnelle dans l’affaire des assistants parlementaires européens révélée par Médiapart.
Emmanuel Macron va-t-il pouvoir reprendre les commandes facilement dans les jours à venir ?« Sur le fond, reprendre la main à court terme sera très compliqué, affirme Bruno Cautrès, chercheur au Cevipof de Sciences-Po. Les annonces de réformes, même à grand renfort de communication et de discours présidentiels seront perçues comme très lointaines et n’ayant pas d’effet à court terme », poursuit l’universitaire. Une des issues possibles pour le pouvoir macroniste serait « d’associer à la production de ces politiques publiques les acteurs de la société mais plus du tout sous l’angle de la consultation mais de la vraie association à la fabrique de ces mesures et d’être perçu comme sincère ». En attendant, le macronisme pourrait sortir grandement affaibli de cette réforme.