« Déclaration d’intention »
Ces propos de la ministre – dans la lignée de ceux de son collègue Jean-Michel Blanquer, alors ministre de l’éducation nationale, qui, dès octobre 2020, avait dénoncé les « ravages à l’université » de l’« islamo-gauchisme » – relevaient finalement du registre exclusif de la communication et de la fausse nouvelle. C’est ce que révèle le ministère de l’enseignement supérieur lui-même, dans un document daté du 17 mars dont Le Monde a eu copie.
Il s’agit d’un mémoire en défense adressé au tribunal administratif de Paris, à qui le Conseil d’Etat avait transmis, il y a bientôt deux ans, la requête de six enseignants-chercheurs : les sociologues Nacira Guénif, Caroline Ibos, Gaël Pasquier, la géographe Anne-Laure Amilhat Szary, l’historienne Fanny Gallot et le politiste Fabien Jobard, en avril 2021, avaient déposé un recours contre Mme Vidal, l’accusant d’« abus de pouvoir ».
Dans ce document, et en vue de démontrer, à son sens, l’irrecevabilité de la démarche des requérants, la direction des affaires juridiques du ministère explique tout simplement que « les propos de la ministre, qui nécessitaient d’être concrétisés par une décision ultérieure adressée à un service afin de le saisir de la réalisation d’une enquête, n’ont été suivis d’aucune demande adressée en ce sens au Centre national de la recherche scientifique, ni à tout autre établissement sous tutelle du ministère de l’enseignement supérieur et de la recherche, regroupement d’organismes de recherche ou service d’inspection ».
Le ministère en conclut que « dans ces conditions, la demande d’enquête se réduisant à une déclaration d’intention et n’ayant pas été formalisée, et par suite aucune enquête n’ayant été diligentée ni aucun rapport d’enquête rédigé, les conclusions à fin d’annulation de la “décision” du 14 février 2021 ne sont pas dirigées contre un acte faisant grief et sont, par suite, irrecevables ». Contactée mercredi 29 mars, Frédérique Vidal n’a pas souhaité apporter de commentaires.
« Totale irresponsabilité politique »
Pour William Bourdon et Vincent Brengarth, avocats des six enseignants-chercheurs, « l’aveu obtenu du gouvernement quant à l’absence d’enquête révèle une totale irresponsabilité politique et juridique ». Ils rappellent combien cette annonce a entretenu « un climat d’intimidation au sein du monde universitaire et dissuadé des études ». « Elle a aussi légitimité intentionnellement le terme d’“islamo-gauchisme” et amplifié les discours de haine », soulignent-ils.
Si, formellement, l’affaire est close, l’onde de choc qui a traversé le monde universitaire est toujours présente. Dans une tribune au Monde, mercredi 29 mars, les requérants auxquels s’est adjoint le sociologue Eric Fassin, affirment que « plus que jamais, les femmes et les minorités sexuelles et raciales doivent montrer patte blanche » depuis lors. Car « c’est sur elles que pèsent au premier chef le soupçon idéologique et donc l’injonction de neutralité ».
En résultent sur le terrain universitaire « des orientations de la recherche abandonnées, des vocations découragées, des thèses qui ne verront pas le jour, des articles et des livres qui ne seront pas publiés, des financements pas attribués, des postes pas créés », détaillent-ils.
Ce dénouement révèle une « parole politique irresponsable ». S’il a fallu un recours devant le Conseil d’Etat et deux ans d’attente pour que le ministère de l’enseignement supérieur fournisse cette réponse – sans la rendre publique –, « c’est qu’il s’agit d’une politique d’intimidation visant à décourager l’exercice des savoirs critiques en encourageant leurs adversaires, dans et hors du monde académique », estiment les auteurs.
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