« La régularisation des sans-papiers n’induit pas d’appel d’air »

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  • « La régularisation des sans-papiers n’induit pas d’appel d’air »

    Alors que le gouvernement envisage de faciliter la régularisation de certains travailleurs sans-papiers, l’économiste espagnol détaille les diverses conséquences d’une telle mesure

    Dans une étude publiée en février 2018 et actualisée en 2022 (https://www.dropbox.com/s/izdbk59busoja78/Spanish_regularization_Rev_v1.pdf?dl=0), les économistes Joan Monras (Réserve fédérale de San Francisco), Elias Ferran (université de Valence) et Javier Vazquez-Grenno (université de Barcelone) ont analysé les conséquences d’une vaste régularisation de 600 000 migrants extra-européens décidée par le gouvernement socialiste espagnol en 2005.

    Vous êtes coauteur d’une étude sur les conséquences de la régularisation de 600 000 personnes en Espagne en 2005. Un des principaux enseignements de ces travaux est qu’une régularisation massive n’induit pas d’appel d’air…

    En 2004, on estimait qu’il y avait presque un million de sans-papiers en Espagne. La mesure de régularisation a bénéficié à environ 600 000 personnes. Mais elle n’a provoqué aucun appel d’air en Espagne. Pour s’en rendre compte, nous nous sommes intéressés aux chiffres des ressortissants extra-européens vivant en Espagne. Et on a constaté que ces chiffres n’avaient pas bougé.

    Par exemple, si on regarde les Equatoriens, il n’y a pas eu de changement, puisque leur nombre total s’établit autour de 400 000, en 2004 comme en 2008. Dans le même intervalle de temps, le nombre de Marocains a augmenté de 150 000, mais sans aucune rupture perceptible dans la tendance après l’adoption de la mesure de régularisation, ce qui laisse penser que d’autres facteurs, indépendants de cette mesure, ont joué.

    On peut expliquer cette absence d’appel d’air notamment par le fait que la mesure de régularisation visait les personnes déjà présentes en Espagne puisque, pour en bénéficier, il fallait remplir des conditions comme être présent depuis déjà au moins six mois dans le pays et avoir un contrat pour au moins les six prochains mois.

    Nous pensons même que la régularisation a pu jouer en défaveur de flux nouveaux, puisqu’elle a été accompagnée d’un renforcement des contrôles de l’inspection du travail visant à combattre le travail au noir, ce qui a pu rendre plus difficile l’embauche de travailleurs sans papiers. Nous restons toutefois prudents sur les effets à long terme de la mesure car, dès 2008, l’Espagne a été touchée par la crise économique, ce qui a pu avoir pour effet de diminuer la demande de travail.

    Des constats similaires ont-ils été faits dans d’autres pays ?

    En 1986, les Etats-Unis ont adopté l’Immigration Reform and Control Act (IRCA), une amnistie qui a permis à quelque trois millions d’immigrés de régulariser leur situation. Des articles de recherche ont regardé si cette loi avait provoqué une augmentation de l’immigration et ils trouvent que non. Ce n’est pas une vérité absolue, cela dépend certainement des contours de la politique mise en œuvre et du contexte économique, mais on a des exemples variés, en Espagne et aux Etats-Unis, qui trouvent que la régularisation n’induit pas d’appel d’air.

    Comment la régularisation peut-elle être un frein au travail au noir ?

    Si la régularisation est accompagnée d’un renforcement des contrôles de l’inspection du travail, cela a pour effet d’augmenter le coût du travail au noir. En outre, en exigeant des personnes un contrat de travail d’au moins six mois pour être régularisées, la mesure décidée par le gouvernement espagnol a incité des travailleurs à sortir du travail au noir. Cela est particulièrement visible dans le secteur du ménage à domicile.

    Beaucoup des personnes qui ont été régularisées étaient des femmes de ménage d’origine extra-européenne qui travaillaient de façon non déclarée au domicile de particuliers. La régularisation a provoqué une hausse très importante du nombre d’entre elles qui étaient déclarées, passé de 60 000 à 160 000.

    Toutefois, à moyen terme, le chiffre dans ce secteur est retombé autour de 110 000. Nous pensons que, une fois régularisées, ces travailleuses ont saisi des opportunités dans d’autres secteurs, notamment dans les hôtels-restaurants ou le nettoyage en entreprise. Mais il est également possible qu’une fraction de ces travailleurs soit retournée sur le marché informel.

    Vous battez aussi en brèche l’idée répandue selon laquelle le recours à la main-d’œuvre immigrée tire les salaires vers le bas…

    La régularisation de travailleurs peut exercer, dans un premier temps, une pression à la baisse sur les salaires puisque l’offre de travail se trouve augmentée mais, dans le même temps, en régularisant leur situation, les immigrés ont accès à plus d’opportunités de travail et cela augmente leur pouvoir de négociation avec les entreprises. Nous estimons que cette capacité de négociation peut leur permettre d’obtenir des niveaux de salaire plus élevés d’environ 20 % en moyenne. A long terme, ces deux effets se conjuguent et il n’y a pas de changement substantiel sur le niveau des salaires. Cela fait écho aux résultats de l’économiste et Prix Nobel d’économie David Card qui s’était intéressé à l’exode depuis le port cubain de Mariel dans les années 1980, lorsque quelque 1 250 000 Cubains avaient rejoint Miami.

    En revanche, vous montrez que les bénéfices sont manifestes pour les finances publiques…

    Nous avons calculé que, pour chaque migrant régularisé, les cotisations patronales ont augmenté de 4 000 euros en moyenne par an. Toutefois, nous avons aussi constaté que le travail au noir n’a pas disparu. Passé une première période au cours de laquelle le travail au noir a reculé, celui-ci reprend car des entreprises cherchent toujours à échapper aux cotisations sociales, et des travailleurs peuvent être intéressés par des salaires plus élevés car non soumis à l’impôt sur le revenu.

    Mais cette réalité dépasse la question des travailleurs migrants. En Espagne, le marché informel est très important et concerne les travailleurs espagnols eux-mêmes, dans des secteurs comme le bâtiment ou le tourisme. En cela, les migrants n’ont pas une attitude différente de celle des natifs.

    https://www.lemonde.fr/idees/article/2023/04/07/la-regularisation-des-sans-papiers-n-induit-pas-d-appel-d-air_6168644_3232.h
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