« Madame, si on était racistes, on aurait pas choisi ce travail »

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  • Qu’aurait- on dit si la femme avait été blanche, indo-européenne ? Et Dieu sait à quelle point les vrais victimes de discrimination, restent les blanc(he)s. A lire, si vous avez du temps à tuer.

    « Madame, si on était racistes, on aurait pas choisi ce travail » | Le Club
    https://blogs.mediapart.fr/bernardetbianca/blog/110423/madame-si-etait-racistes-aurait-pas-choisi-ce-travail

  • « Madame, si on était racistes, on aurait pas choisi ce travail » | Le Club
    https://blogs.mediapart.fr/bernardetbianca/blog/110423/madame-si-etait-racistes-aurait-pas-choisi-ce-travail

    Ce texte date de 2020, je l’ai écrit en plein confinement, lorsque je travaillais en accueil de jour dans une banlieue de Seine-Saint-Denis. Il est suivi d’une partie 2.

    Aujourd’hui, nous sommes en pleine crise de coronavirus. Une dame vient chercher une aide d’urgence pour ses enfants. C’est la direction qui s’occupe de la distribution des couches et du lait, les femmes qui se présentent doivent expliquer pourquoi elles ont besoin de cette aide, décrire leurs situations, avant la distribution.

    D’habitude, cette dame va aux restos du cœur, mais là ils ont fermé. Elle nous explique qu’elle fréquentait notre lieu d’accueil avant, qu’elle est en grande difficulté financière, qu’elle voulait s’inscrire au programme d’aide d’urgence pour enfants mais que la professionnelle en charge du programme lui a demandé d’aller voir ailleurs, lui demandant si elle ne voulait pas aussi qu’elle aille “elle-même à la pharmacie avec son argent lui acheter ces couches et ce lait”. Une chose à savoir sur cet endroit : les personnes doivent prouver qu’elles méritent l’aide. 

    Cette dame nous raconte cette histoire, avec de la colère et de la tristesse oui, mais sans agressivité aucune, comme un poids qu’elle a sur le cœur depuis longtemps, une histoire de domination vécue, pas digérée et jamais racontée. Elle avait simplement arrêté de venir. Et là, catastrophe, elle prononce le mot interdit, le mot qui fait frémir les professionnels ici, elle parle de racisme. Elle dit qu’elle pense avoir été victime de racisme. La réponse que lui donne la direction ? “Madame, si nous étions racistes, nous n’aurions pas choisi ce travail”, d’ailleurs, c’est “trop facile de dire que c’est du racisme”. Une fois la dame partie, on dira que décidément “c’est toujours compliqué avec les maghrébins”. La personne ayant prononcé cette phrase s’adressait à un collègue maghrébin.

    Nous travaillons dans un accueil de jour, dans le département de la Seine-Saint-Denis, le département le plus pauvre de France, et le plus touché par l’épidémie. D’ordinaire, nous recevons les personnes sous forme collective, proposons des services de première nécessité et activités diverses, et sous forme individuelle, avec des entretiens de suivi social.

    Durant cette crise, nous ne proposons qu’une aide au compte-goutte, distribution de nourriture à l’extérieur, quelques douches, quelques machines à laver, des cafés et des couches.
    Pour la peine, pour avoir osé partager son ressenti, dénoncer cette situation, pour avoir parlé de racisme, cette femme est repartie avec la moitié de ce qu’elle aurait dû recevoir. L’autre partie de l’aide d’urgence est restée par terre, cachée. On ne lui a pas dit qu’on ne lui donnait que la moitié, on ne lui a juste pas donné, elle ne l’avait pas mérité après tout. 

    Bénéficier d’une aide d’urgence et oser parler de racisme ? Quel affront madame ! 

    La collègue accusée de racisme avait lâché un jour, pensant que la phrase résonnerait dans le vide, ou que ça ferait rire, que ce serait juste une blague (oh-ca-va-on-peut-plus-rien-dire), “de toute façon moi je déteste les africains”. Les africains et africaines constituent très majoritairement le public que nous recevons, la plupart étant en situation de migration, hébergées au 115, sans papier, sans ressource. Mais c’est bon, c’est ok, on a le droit de dire ça, on est forcément quelqu’un de bien vu qu’on travaille dans le social, non ?

    #arbitraire #pauvres #travail_social #racisme