• Vouloir perdre, vouloir gagner
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    Quand un pouvoir en est à redouter des casseroles, des bouts de papier rouges et des sifflets, c’est qu’il est au bord de tomber. Est-on fondé à se dire. Et pourtant il tient. Il tient parce que des institutions totalement vicieuses le lui permettent. Parce que toute moralité politique, tout ethos démocratique, l’ont abandonné. Parce qu’il est aux mains de forcenés qui n’ont plus aucune idée de limite.

    Il tient aussi parce que les conducteurs du mouvement – pour parler clair, l’Intersyndicale – n’ont pas eu le début du commencement d’une analyse de l’adversaire, et persistent dans une stratégie désormais avérée perdante – on n’avait d’ailleurs nul besoin de passer quatre mois à le vérifier : on pouvait le leur dire dès le premier jour. Les stratégies de la décence démocratique, par la seule manifestation paisible du nombre, échouent là où, en face, il n’y a plus que de l’indécence démocratique.

    • ... Or, l’Intersyndicale aura été la fabrique de l’impuissance. Elle a certes produit le nombre, mais du nombre vain, du nombre inutile — du nombre qui perd.

      Et pourtant, le nombre ne se résigne pas à perdre. Les casserolades sont devenues le symbole admirable de cette combativité qui ne désarme pas. Paradoxe (ça n’en est pas un) : on y retrouve bon nombre de syndiqués, de la CGT, de Sud, en cherchant bien on y dégoterait même un peu de CFDT. Les casserolades c’est la vraie Intersyndicale : l’Intersyndicale par le bas. En mieux même : ouverte au monde extra-syndical, activistes d’organisations variées (c’est tout de même Attac qui a lancé le mouvement), citoyens ordinaires. Un laboratoire. Qui illustre cette vérité ambivalente que l’auto-organisation n’a besoin de personne… et cependant qu’elle a aussi besoin d’un pôle.

      Pour peu qu’on les regarde avec deux sous de lucidité, en effet, les casserolades, si merveilleuses soient-elles, sont vouées à l’extinction. Pour une raison simple, toujours la même : on « n’y va pas », ou on « n’ira plus », si on se sent seuls à y aller, et surtout s’il n’existe aucun débouché, aucune perspective stratégique de victoire pour soutenir la mobilisation dans le temps. Alors, logiquement, l’effort s’étiole, et les casserolades séparées s’éteignent les unes après les autres.

      La faute la plus impardonnable de l’Intersyndicale, c’est de n’avoir à ce point rien fait d’une telle abondance d’énergie politique — c’est d’avoir failli comme pôle de la mise en forme stratégique. La nécessité d’un pôle est une nécessité logique. Sauf à croire aux miracles de la coordination spontanée à grande échelle, seul un pôle peut agréger les multiples puissances locales, autrement vouées à demeurer éparses, en une puissance globale, et ceci en leur proposant une direction stratégique. Une direction que tout le monde regarde et à partir de laquelle, la regardant, tout le monde se coalise réellement, dans une action puissante.

    • On pouvait accorder du bien-fondé à la stratégie de l’Intersyndicale, à la condition qu’elle-même la considérât comme phasée : un premier temps de pure construction du nombre et du capital symbolique était utile. Mais ceci supposait que l’Intersyndicale serait capable de se transcender elle-même et, passé le premier temps de construction, d’entrer dans une deuxième phase, de pivoter, de faire quelque chose du nombre construit. C’était trop demander.

      Le moment pourtant lui a été désigné : 16 mars, 49.3. Pour son malheur, l’Histoire, dont on, dit usuellement qu’elle ne repasse pas les plats, pourrait bien rouvrir une fenêtre. Voici la proposition de loi d’abrogation LIOT. Et surtout son devenir probable : votée à l’Assemblée, elle sera rejetée au Sénat, mais avec interruption violente du processus parlementaire par refus de convoquer une commission mixte paritaire. À supposer d’ailleurs qu’elle ne soit pas d’emblée escamotée au prétexte de l’article 40. Dans tous les cas, ce sera un nouveau coup de force, semblable en niveau d’outrage à celui du 49.3. La colère est encore rougeoyante, bienvenue au litre d’alcool à brûler.


      Cette loi LIOT, quel fléau pour l’Intersyndicale — qui l’oblige à faire quelque chose là où elle n’a envie de rien faire, qui lui tend des opportunités qu’elle n’a aucun désir de saisir. Car nous savons qu’en l’état, l’Intersyndicale ne fera rien de plus de cette deuxième fenêtre miraculeuse. Sauf à ce qu’elle mute : en se séparant de la CFDT, et en se resserrant comme bloc enfin combatif. Évidemment, pour en trouver les voies, il faudrait rompre avec le fétichisme de « l’unité », c’est-à-dire être capable de ne pas se laisser impressionner par les larmes de crocodile médiatiques, qui ne manqueraient pas de prononcer la fin de tout sitôt le départ de Berger, le doudou de la défaite avec les honneurs. L’« unité », ce talisman mensonger. Il n’y avait pas d’« unité » en 1995. Et 1995 a gagné – pour cette raison même : il a toujours mieux valu des unités moindres mais combatives que des unités larges mais désireuses de perdre, en tout cas de ne rien faire de ce qui était requis pour vaincre (comme d’élargir la revendication à l’indexation des salaires, cet embrayeur irrésistible). L’unité intransitive, l’unité pour l’unité, est un mirage. On comprend que les médias mettent tant d’efforts à nous la rendre si précieuse.

      Ce mouvement imperdable, mais dont les conducteurs ont tout fait pour qu’il perde, n’a donc pas encore perdu. Pour peu que le pôle démissionnaire se restructure en pôle résolu — à remettre la grève à l’ordre du jour. On reste songeur que cette solution ait été aussi obstinément évacuée. N’était-elle pas la seule stratégie de puissance, d’ailleurs doublement préférable puisque son efficacité est établie et qu’elle minimise l’engagement violent — à cet égard, elle est vraiment la dernière station avant l’autoroute insurrectionnelle. Car tous ceux qui ont vu leur énergie absorbée par le vortex de l’impuissance en tireront, ont déjà commencé à en tirer, des conclusions. L’Intersyndicale Berger qui a de la « condamnation de toutes les violences » plein la bouche aurait dû « logiquement » faire un effort non seulement pour considérer la grève dure, mais pour la promouvoir ardemment. Au lieu de répéter bras ballants que « les gens sont très en colère ». Et de les y abandonner sans solution.

      On peut supposer que la profondeur des organisations syndicales ne manque pas de militants déterminés, qui observent consternés l’impasse où leurs dirigeants les ont conduits. De la liste, qu’on croyait enfin terminable, des défaites syndicales enfilées comme des perles depuis 2010 (les retraites, déjà), celle de 2023 restera comme une sorte de joyau de la couronne. Le scandale des institutions, c’est le gaspillage qu’elles font du dévouement de leurs membres : tous ces piquets à l’aube, tous ces salaires abandonnés, tous ces coups reçus dans les déblocages, toutes ces intimidations judiciaires. Pour rien ?

      Il n’est nullement fatal qu’il en soit ainsi, même encore aujourd’hui. Pendant quatre mois, il faut se souvenir que ce pouvoir a été d’une certaine manière un allié objectif, aussi puissant qu’inattendu, des mobilisations : par le spectacle continu de son infamie et le sentiment de scandale qu’il n’a cessé de nourrir. Ce « naturel » là n’est pas près de faire défaut.

      La voie de la grande grève n’est pas fermée pour peu qu’un nouveau pôle vienne à se former, quitte d’ailleurs à ce que ce soit à partir de l’ancien. Un pôle qui soit capable d’analyse. Analyse stratégique de ce qu’il est permis d’espérer comme compromis significatif dans le jeu policé (et frelaté) du « dialogue social » — rien —, et de ce que ce « rien » détermine comme seule issue conséquente : une ligne d’affrontement autre que « symbolique ». Et puis analyse tactique de ce qu’une conjoncture à la fois fluide et inflammatoire peut réserver d’opportunités. Pour que, si venait à s’ouvrir une nouvelle fenêtre, cette fois elle soit prise.

    • Et maintenant , la bagarre politique commence...

      « Il faudra quand même m’expliquer cette logique qui veut que le bureau de l’assemblée présidé par Yael Braun-Pivet valide cette PPL y compris au titre de l’article 40 (art 89-1 du règlement) mais ensuite estime de façon aussi certaine qu’il me reviendrait de l’invalider. »

      https://video.twimg.com/amplify_video/1661624612369620993/vid/1280x720/kuaN9AC1h-zzY1m9.mp4?tag=16


      « La proposition de loi du Groupe LIOT est contraire à l’article 40. Il appartient maintenant au président de la Commission des Finances, Eric Coquerel, de prononcer l’irrecevabilité. C’est sa mission, j’espère qu’il la remplira » #ReformeDesRetraites

      https://twitter.com/ericcoquerel/status/1661626026672156674?cxt=HHwWhMCz1amEpI8uAAAA

      « Yaël Braun-Pivet qui a validé la proposition de loi de LIOT sur la réforme des retraites veut que Coquerel la juge irrecevable parce qu’elle a découvert entre temps l’article 40
      Fiers d’être des magouilleurs amateurs
      … »