l’immigration à un niveau record, malgré le Brexit

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  • Royaume-Uni : l’immigration à un niveau record, malgré le Brexit
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    Royaume-Uni : l’immigration à un niveau record, malgré le Brexit
    Contrairement aux promesses des partisans d’une sortie de l’Union européenne, le nombre d’arrivées nettes a doublé depuis 2016. Un constat qui met en difficulté le gouvernement conservateur de Rishi Sunak.
    Par Cécile Ducourtieux(Londres, correspondante)
    Publié aujourd’hui à 05h30, modifié à 07h31
    Il s’agissait d’une des principales promesses du Brexit : le divorce d’avec l’Union européenne allait permettre de « reprendre le contrôle » sur l’immigration au Royaume-Uni, assuraient les partisans du « Leave », pendant la campagne référendaire de 2016. Et pourtant, sept ans plus tard, le solde migratoire – la différence entre immigration et émigration sur les douze mois de l’année – a pratiquement doublé. Alors qu’il se situait à 335 000 en 2016, il a atteint en 2022 le niveau historique de 606 000, avec 118 000 arrivées nettes de plus qu’en 2021. Des chiffres publiés jeudi 25 mai par l’Office national britannique des statistiques (ONS). Ce record pose un sérieux problème au gouvernement conservateur de Rishi Sunak, incapable de réconcilier son discours anti-migrants avec une réalité économique et sociale complexe.
    L’accueil humanitaire des Ukrainiens fuyant l’agression russe (environ 114 000) et des Hongkongais refusant la reprise en main autoritaire de la Chine (environ 52 000) a tiré les chiffres à la hausse. Tout comme les délivrances de visas étudiants et de travail. L’ONS suggère que cette nette tendance à la hausse pourrait ralentir, le nombre d’arrivées humanitaires ayant diminué ces derniers mois. Les chiffres de la migration nette « sont trop élevés », a reconnu Rishi Sunak jeudi sur la chaîne ITV, ajoutant qu’il voulait « les faire baisser », sans cependant indiquer de combien. Et pour cause : cela fait treize ans que les gouvernements conservateurs successifs manquent leurs objectifs migratoires. En 2011, David Cameron promettait de ramener la migration nette « à quelques dizaines de milliers par an », alors que les arrivées annuelles dépassaient déjà les 200 000. Il avait réitéré cet engagement dans le programme de la campagne tory pour les élections générales de 2015. Idem pour Theresa May lors du scrutin anticipé de 2017, alors que les arrivées nettes dépassaient les 300 000 par an. Boris Johnson s’est montré plus prudent, en amont des élections parlementaires de 2019, abandonnant les objectifs chiffrés, se contentant de promettre « moins de migrants peu qualifiés » et moins d’arrivées nettes qu’en 2018.
    Depuis début 2021, le Brexit « dur » choisi par Londres a pourtant mis fin à la liberté de circulation des Européens et le gouvernement a introduit un système de visas lui permettant de contrôler le nombre d’arrivées. Cette politique de migration choisie, avec une volonté assumée d’attirer des personnes qualifiées disposant de salaires élevés (les visas de travail sont pour la plupart délivrés sous conditions de ressources) s’est traduite par un solde migratoire négatif pour les Européens en 2022 (– 51 000) mais par un rebond de la migration nette non-européenne (662 000 arrivées en 2022). Les visas de travail délivrés aux Non-Européens et à leurs familles ont atteint des niveaux record (235 000), tout comme les visas étudiants (276 000), attribués majoritairement à des Indiens et des Chinois.
    Lire aussi (2021) : Article réservé à nos abonnés Brexit : les Européens confrontés au durcissement des règles migratoires britanniques
    Il faut dire que l’économie britannique est structurellement en manque de main-d’œuvre : plus d’un million d’emplois ne sont pas pourvus. Les Européens ont déserté les postes mal rémunérés de l’hôtellerie-restauration et les Britanniques manquent à l’appel pour les remplacer ou pour aller s’employer comme saisonniers dans les champs et les vergers. Le ministère de l’agriculture a confirmé fin mai la délivrance de 45 000 visas de saisonniers en 2024. Le système de santé public (le NHS), lui non plus, ne peut pas fonctionner sans un recours massif à la main-d’œuvre étrangère (16 % de ses effectifs en 2022), les autorités ayant négligé d’investir dans la formation d’infirmiers et de médecins britanniques et refusant de revaloriser leurs rémunérations (les internes en médecine appellent à nouveau à trois jours d’arrêt de travail mi-juin). « Il n’y a pas de raisons que le Royaume-Uni ne soit pas capable de former des chauffeurs routiers, des bouchers ou des saisonniers ! », s’est emportée Suella Braverman, la très radicale ministre de l’intérieur britannique, mi-mai. Rishi Sunak s’est gardé de tenir le même type de propos simplistes, mais son gouvernement refuse d’assumer des chiffres trahissant un manque de cohérence des politiques conservatrices. « Les autorités sont hypocrites : elles reprochent aux entreprises de ne pas augmenter leurs salaires pour attirer les Britanniques, sans donner l’exemple puisqu’elles continuent d’employer des personnels étrangers peu coûteux dans le secteur public hospitalier et de l’aide à la personne », soulignait jeudi Jonathan Portes, économiste au King’s College de Londres, lors d’une conférence organisée par le centre de recherche UK in a changing Europe. Pris au piège de son soutien au Brexit, Downing Street évite aussi de souligner les aspects positifs de la migration. Il y a pourtant matière, le succès des visas étudiants confirmant l’attractivité des universités britanniques et permettant, grâce aux coûteux frais de scolarité des étudiants étrangers, de subventionner l’enseignement supérieur britannique.
    Les travaillistes, qui disposent d’une confortable avance dans les sondages (environ 15 % d’intentions de vote), ont dénoncé la « perte de contrôle » de l’immigration par les Tories. Il faut dire que le gouvernement n’a pas non plus réussi à stopper les arrivées en « small boat » : environ 40 000 personnes ont traversé la Manche en bateaux pneumatiques, en 2022. Et l’exécutif est toujours incapable de mettre en œuvre son accord de déportation des demandeurs d’asile vers le Rwanda, censé décourager les traversées. Le projet est gelé dans l’attente d’une décision de la Cour suprême britannique, qui doit statuer sur sa légalité. La gauche britannique défend cependant elle aussi une « diminution » de la migration nette, pour éviter de contrarier un électorat populaire et Brexiteur qui lui a fait défaut lors des élections de 2019. Pourtant, suggère Robert Ford, politiste à l’université de Manchester, qui s’appuie sur les études du cabinet Ipsos, « les partis politiques semblent en retard sur l’opinion publique dont l’attitude sur la question migratoire a évolué depuis le Brexit. Elle reconnaît par exemple l’apport positif des étrangers dans les secteurs de la santé et de l’aide aux personnes ».

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