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  • Vous connaissez Charline Avenel ? Mathieu Billière
    (@mathieubil sur l’oiseau mort)
    https://threadreaderapp.com/thread/1703124612811210937.html

    Vous connaissez Charline Avenel ? Non ? Laissez-moi vous la présenter. Elle a été rectrice de l’Académie de Versailles de 2018 à juillet 2023. C’est donc elle qui a géré les alertes lancées par Samuel Paty 1/7
    C’est elle qui avait déclenché le recrutement par #job_dating et donc balancé dans le grand bain des gens qui n’avaient aucune expérience, et dont près de 70% ont très vite quitté le poste. 2/7
    Et c’est donc elle qui dirigeait les bureaux qui ont envoyé la lettre menaçant les parents d’un élève harcelé de poursuites judiciaires. C’est déjà pas mal non ? Attendez. 3/7

    https://fr.m.wikipedia.org/wiki/Charline_Avenel

    #éducation_nationale #école #enseignants #recrutement #élèves #harcèlement_scolaire #menaces_de_poursuites_judiciaires #abus_de_pouvoir #enseignement_supérieur_privé #Ionis #népotisme

    • Harcèlement scolaire : l’association La Voix de l’enfant assure avoir reçu « le même type de courrier » que celui envoyé par le rectorat de Versailles à des parents
      https://www.francetvinfo.fr/societe/education/harcelement-a-l-ecole/harcelement-scolaire-l-association-la-voix-de-l-enfant-assure-avoir-rec

      La présidente de l’association La Voix de l’enfant, Martine Brousse, observe que les associations contre le harcèlement scolaire sont « rappelées à l’ordre parce qu’elles font trop de signalement après des interventions en classe ».

    • Éditorial du « Monde » : Harcèlement scolaire : la nécessité d’un sursaut
      https://www.lemonde.fr/idees/article/2023/06/12/harcelement-scolaire-la-necessite-d-un-sursaut_6177285_3232.html

      cannibalisme à visage humain, de nouvelles avancées :

      Suicide de Nicolas : la révélation d’un courrier menaçant du rectorat met au jour les « manquements » de l’éducation nationale

      Dans ce courrier, révélé par BFM-TV, le rectorat de Versailles dit « réprouver » l’attitude des parents de Nicolas. Ces derniers avaient informé le proviseur, près de deux mois plus tôt, du lancement d’une procédure judiciaire à la suite du harcèlement subi par leur fils.
      Par Violaine Morin

      « Ce courrier est une honte ». Ainsi réagissait Gabriel Attal, samedi 16 septembre, lors d’un point presse organisé dans la foulée des révélations de BFM-TV, qui a diffusé à l’antenne un courrier adressé par le rectorat de Versailles aux parents de Nicolas. Le lycéen de 15 ans, victime de harcèlement scolaire s’est suicidé, le 5 septembre à Poissy (Yvelines).
      Dans ce courrier adressé le 4 mai 2023 par le « pôle Versailles » du service interacadémique des affaires juridiques aux parents de Nicolas, l’administration s’étonne du ton employé par la famille, au sujet du « supposé harcèlement » subi par leur fils, à l’égard du proviseur du lycée Adrienne-Bolland de Poissy, où il était scolarisé en troisième prépa professionnelle.
      « Les propos que vous avez tenus et le comportement que vous avez eu envers des personnels de l’éducation nationale, dont le professionnalisme et l’intégrité n’avaient pas à être remis en cause de la sorte, sont inacceptables. Je les réprouve de la façon la plus vive », peut-on y lire. Le rectorat rappelle ensuite aux parents de Nicolas l’article 226-10 du code pénal, qui réprouve la dénonciation calomnieuse et prévoit, pour ce délit, une peine de cinq ans d’emprisonnement et 45 000 euros d’amende. Contacté par Le Monde, le rectorat de Versailles n’a pas souhaité réagir.

      Des enquêtes administrative et judiciaire
      « Mettez-vous à la place des parents de Nicolas qui ont écrit à l’institution – dont le rôle absolu est de protéger les élèves – pour les informer de la détresse vécue par leur enfant, et qui ont reçu ce type de réponse ! », s’indignait M. Attal, samedi devant les journalistes. Le ministre de l’éducation nationale a rappelé qu’il avait lancé, « dès le lendemain du drame », une enquête administrative en plus de l’enquête judiciaire ouverte par le parquet de Versailles en recherche des causes de la mort. Il a précisé qu’il en tirerait « toutes les conclusions, y compris en matière de sanctions ». Le ministre a également indiqué qu’il réunirait « dès lundi » les recteurs, pour lancer un audit dans l’ensemble des rectorats sur toutes les situations de harcèlement signalées en 2022.

      Le courrier du rectorat faisait référence à une autre lettre datée de la mi-avril, également révélée par BFM-TV, dans laquelle les parents de Nicolas s’inquiétaient auprès du proviseur du lycée de ne pas voir évoluer la situation de leur fils, après un premier rendez-vous avec la direction de l’établissement à la mi-mars. Ils reprochaient au proviseur de les avoir mal reçus, et de leur avoir signifié qu’ils ne disposaient pas de preuves tangibles du harcèlement subi par leur fils. « Il est incompréhensible que vous puissiez laisser un adolescent subir une telle violence verbale et psychologique dans votre établissement sans réagir d’une quelconque manière », écrivaient-ils. « Aussi allons-nous déposer plainte et vous considérer comme responsable si une catastrophe devait arriver à notre fils. » Une main courante a été déposée au commissariat de Conflans-Sainte-Honorine (Yvelines) le 4 mai, selon Le Parisien.

      Quelques jours plus tard, dans une réponse à cette lettre, le proviseur de l’établissement aurait évoqué les mesures prises pour suivre la situation du lycéen : des entretiens avec les élèves concernés auraient été organisés et la conseillère principale d’éducation ainsi que l’assistante sociale du lycée aurait été missionnée sur le sujet. C’est donc dans un courrier séparé, reçu une quinzaine de jours plus tard par les parents du jeune homme, que le rectorat de Versailles adopte le ton menaçant qui a heurté jusqu’à Matignon. « Il y a eu manifestement défaillance sur le type de réponse adressé à des parents qui étaient extrêmement inquiets », a réagi la première ministre, Elisabeth Borne, interrogée sur ce sujet lors des journées du patrimoine à Matignon, le 16 septembre.

      La mère du jeune homme s’est exprimée, dimanche, dans les colonnes du Jounal du dimanche, pour dénoncer la situation. Elle explique avoir lu la lettre du rectorat en présence de son fils. « Nous passions désormais pour des coupables. A partir de ce moment, Nicolas n’a plus été le même, raconte-t-elle. C’était tellement grossier et surtout injuste. »
      La mère de la victime raconte ensuite la visite de Gabriel Attal et Brigitte Macron, organisée le lendemain du drame à la mairie de Poissy, et salue le soutien des élus et de la première ministre dont une lettre manuscrite lui a été remise « en main propre » par le député de sa circonscription, Karl Olive. Le jour des obsèques de son fils, vendredi 15 septembre, Gabriel Attal lui a dit : « Nous n’avons pas été à la hauteur, il y a eu des manquements. »
      Ces développements surviennent alors qu’un grand plan interministériel de lutte contre le harcèlement scolaire est en préparation, sous l’égide de Matignon. Au cours d’une soirée spéciale consacrée au harcèlement scolaire, le 12 septembre sur M6, M. Attal a donné quelques pistes de mesures qui seront dans ce plan. Il s’agirait notamment de mettre en place un questionnaire d’autoévaluation pour que les élèves eux-mêmes repèrent et signalent les situations de harcèlement. Il a également promis une réaction plus rapide et des sanctions plus claires. Un déplacement ministériel est prévu, à la fin de la semaine du 25 septembre au Danemark, un pays qui a mis en place de « bonnes pratiques » dans l’éducation au « respect de l’autre », indique-t-on rue de Grenelle.

      Une campagne de communication à destination des adultes est également prévue, ainsi que l’élargissement du programme de lutte contre le harcèlement pHARe aux parents d’élèves. « Ce sont les adultes qui, régulièrement, sont défaillants, et ne déploient pas les moyens nécessaires de prise en charge, réagit Hugo Martinez, de l’association de lutte contre le harcèlement Hugo !. On le constate avec les derniers drames connus du grand public où les enfants ont parlé mais les adultes n’ont, à chaque fois, pas pris la pleine mesure de la situation. Demander aux enfants de s’auto-évaluer dans leur situation pour confirmer ou non le harcèlement est un non-sens. Les adultes ne sont-ils pas capables d’évaluer cela, de déployer une prise en charge ? » Le plan interministériel de lutte contre le harcèlement devrait être annoncé fin septembre.

      https://www.lemonde.fr/societe/article/2023/09/17/suicide-de-nicolas-la-revelation-d-un-courrier-menacant-du-rectorat-met-au-j

      la lettre du rectorat

    • « trop de signalements », 𝑺𝒖𝒓 𝒍𝒂 𝒔𝒐𝒊𝒆 𝒅𝒆𝒔 𝒎𝒆𝒓𝒔 ★𒈝 @Acrimonia1
      https://twitter.com/Acrimonia1/status/1703824359788335537

      « trop de #signalements »... ça m’est arrivé aussi qu’une assistante sociale me reproche d’avoir trop d’élèves en situation de #maltraitance familiale dans mes classes. No comment.
      Citation

      Mediavenir @Mediavenir
      🇫🇷 FLASH - L’association contre le #HarcèlementScolaire « La Voix de l’enfant » affirme avoir été menacée par l’administration scolaire de perdre son agrément pour avoir émis « trop de signalements » pour des faits de harcèlement. (BFMTV)

      UnaDonna @JustUnaDonna
      « ce n’est pas sain, madame, cette façon de prendre si à coeur le fait que S***** ingère des objets en classe, vous devriez vous demander pquoi ça vous atteint autant »

      exactement, et aussi demandez vous pourquoi les élèves se confient à vous et vous racontent comment ils ont passé la nuit à se faire exorciser jusqu’à s’évanouir et entendre que leur famille s’en va et les laisse poru morte (véridique) ou comment ils se font humilier, frapper etc
      et puis vous n’avez pas à être tenue au courant des suites éventuelles une fois que c’est dit, d’ailleurs le plus souvent il n’y en a pas, et ça ne vous regarde pas.

  • « La Déferlante » : l’inceste commis par des mineurs, un impensé majeur
    https://www.lemonde.fr/idees/article/2023/06/30/la-deferlante-l-inceste-commis-par-des-mineurs-un-impense-majeur_6179880_323

    Bien qu’il n’existe pas de statistiques fiables, la journaliste estime, en croisant les rares données disponibles, que les violences commises par des mineurs (à 92 % des garçons, estime la sociologue Marie Romero) représenteraient entre un quart et un tiers des cas d’inceste, soit environ deux millions de personnes en France. Or, « l’indifférence, la minimisation et le déni conduisent à une silenciation écrasante de ce phénomène », estime Sarah Boucault, qui s’attache à démontrer qu’il s’agit là d’un « fait social majeur ».

    Tabou massif

    Elle dépeint la manière dont le voile du déni recouvre tout ou presque et les formes qu’il emprunte. En particulier dans l’imaginaire collectif, au travers de formules telles que « jeux d’enfants », « touche-pipi » ou la notion d’« inceste heureux », qui permettent d’esquiver la violence et, avec elle, la question du consentement. Au sein des familles incestueuses, l’inceste se propage par la « contamination du silence sur la pratique », comme l’explique l’anthropologue Dorothée Dussy : « Les enfants viennent au monde avec des parents, des oncles, des tantes socialisés avec l’inceste. » Cette « contamination » touche aussi la littérature scientifique, peu bavarde sur ce sujet, et la justice, quasi muette : « La loi ne dit rien ou presque des agressions sexuelles commises par des mineurs, constate Sarah Boucault. Encore moins lorsqu’elles sont intrafamiliales. »

    #femmes #enfance #inceste #agressions_sexuelles #viols #violences_intrafamiliales

  • Tribune « violations du droit des migrants » | LDH@piaille | 30.06.23

    via https://piaille.fr/@LDH_Fr/110632697980288254

    Tribune | Avec plus d’une quarantaine d’organisations, nous dénonçons les violations répétées du droit international sur les routes migratoires, et demandons l’ouverture de voies d’accès légales sur le territoire de l’Union européenne.

    https://www.lemonde.fr/idees/article/2023/06/27/naufrage-en-grece-la-commission-europeenne-doit-adopter-des-mesures-pour-met

    ping @cdb_77

  • « Considérer les migrations indépendamment des soubresauts du monde et des relations diplomatiques revient à se condamner à l’impuissance »
    https://www.lemonde.fr/idees/article/2023/06/25/considerer-les-migrations-independamment-des-soubresauts-du-monde-et-des-rel

    « Considérer les migrations indépendamment des soubresauts du monde et des relations diplomatiques revient à se condamner à l’impuissance »
    Chronique
    auteur
    Philippe Bernard
    Alors que la droite, notamment Edouard Philippe, veut remettre en cause l’accord de 1968 avec l’Algérie sur les questions migratoires, Philippe Bernard, éditorialiste au « Monde », rappelle dans sa chronique que la maîtrise des flux passe aussi par les relations avec les pays d’origine.
    Publié le 25 juin 2023 à 05h00,
    L’immigration est une question bien trop sérieuse – et complexe – pour être laissée aux seuls politiques quand ils en caricaturent les réalités et les enjeux pour tenter de se hisser au pouvoir en bernant l’opinion. Le succès, à droite et jusqu’auprès d’Edouard Philippe, de l’idée de dénoncer l’accord de 1968 sur l’entrée, le séjour et l’emploi des Algériens en France, en est le dernier exemple en date. L’idée est tout sauf neuve – le texte a déjà été renégocié trois fois, avec trois avenants en 1985, en 1994 et en 2001, et sa remise en cause est un serpent de mer. Mais elle présente toutes les caractéristiques de la bombe à fragmentation politique, en plein forcing de la droite et l’extrême droite pour durcir le projet de loi sur l’immigration finalement relancé par le gouvernement.
    Détaché de sa – longue – histoire, l’accord en question apparaît comme une anomalie : il a pour conséquence de faire échapper les immigrés algériens au droit commun des lois françaises sur les étrangers pour les soumettre à des dispositions négociées par les deux Etats. Des Algériens « privilégiés » ! S’agissant de la première communauté étrangère vivant en France (887 000 personnes), la formule tient de la provocation, alors que la rancœur à l’égard de l’ancienne colonie continue, plus de soixante ans après l’indépendance, à alimenter les discours hostiles à l’immigration. Au moment aussi où l’Algérie use de l’arme migratoire, en refusant de réadmettre ses ressortissants visés par une obligation de quitter le territoire français.
    Pour les besoins de sa cause, Xavier Driencourt, l’ancien ambassadeur de France en Algérie qui a relancé le débat sur l’accord de 1968, commet un double contresens, historique et juridique. Contrairement à ce qu’il prétend, le texte, loin d’avoir été conçu pour favoriser les Algériens, a été négocié au contraire par Paris pour en limiter l’afflux – un quota de 35 000 par an était fixé – à un moment où la France désirait diversifier les origines de sa main-d’œuvre immigrée. Surtout, il s’agit de rééquilibrer un tant soit peu les accords d’Evian de 1962 dont l’une des clauses essentielles – le maintien de la libre circulation entre les deux pays – a été doublement balayée par l’histoire : tandis que les Français d’Algérie ont été expulsés, les Algériens, sitôt l’indépendance acquise, ont afflué massivement – paradoxe, lourd de sens et rarement souligné – chez leur ancien colonisateur.
    En 1968, la France a donc obtenu la fin de la libre circulation en échange du maintien d’un statut spécifique pour les Algériens. Mais les avantages de ce dernier ont été élagués au fil des trois avenants et lorsque Jacques Chirac, au moment des attentats terroristes de 1986, a généralisé l’obligation du visa. Ceux qui subsistent aujourd’hui – comme la libre installation des commerçants, qui permet, de fait, à des étudiants algériens de pérenniser leur séjour en France – sont difficiles à justifier.
    Le maintien de ce régime particulier ne constitue pas une brèche majeure dans la législation migratoire française. Mais sa dénonciation permet à la droite de mettre en cause les supposées faiblesses d’Emmanuel Macron sur l’immigration, mais aussi à l’égard du régime algérien – ses concessions mémorielles non payées de retour –, au moment où le président, Abdelmadjid Tebboune, rétablit un couplet antifrançais de l’hymne national algérien et célèbre à Moscou la « coopération algéro-russe ».Alors qu’une énième réforme des lois françaises sur l’immigration est présentée comme le moyen de contrôler le flux des arrivées, la campagne de la droite sur l’Algérie met en lumière le fait que cette maîtrise passe aussi par les relations avec les pays d’origine et l’action sur les causes économiques et politiques des émigrations. Le dossier devrait ressortir au moins autant du Quai d’Orsay que de la Place Beauvau.
    L’équation franco-algérienne est, de ce point de vue, emblématique. Depuis 1962, la question de l’émigration algérienne – on parlait de « main-d’œuvre » jusqu’aux années 1980 – n’a jamais cessé de figurer, aux côtés du vin, du gaz et du pétrole ou des innombrables sujets de transaction diplomatique, comme une monnaie d’échange entre les deux pays, faisant l’objet de discours hypocrites cachés sous les proclamations d’amitié.
    La France a souvent cherché à restreindre l’arrivée des Algériens. De son côté, le pouvoir algérien, sous couvert de discours nationalistes et d’une rhétorique outragée sur le mépris de l’ancien colonisateur, n’a cessé d’encourager les départs, commode soupape sociale et politique et source non négligeable de transferts financiers. Aujourd’hui, en amenant la France à remettre en liberté au bout de quatre-vingt-dix jours (le maximum légal) les délinquants algériens placés dans les centres de rétention qu’elle refuse de reprendre, et en fermant les yeux sur la grosse ardoise de soins impayés dans les hôpitaux parisiens, les généraux au pouvoir à Alger mettent en pratique les propos tenus au Figaro par M. Tebboune en décembre 2022 : « Les Algériens devraient avoir des visas [pour la France] d’une durée de cent trente-deux ans [la durée de la colonisation]. »
    Le cas d’école algérien le rappelle clairement : considérer les migrations indépendamment des soubresauts du monde, oublier qu’elles constituent une arme diplomatique redoutable entre les mains des pays du Sud, faire fi, le cas échéant, de l’histoire commune, revient à se condamner à l’impuissance. Alors que Giorgia Meloni promettait un « blocus maritime » pour stopper les migrants, la présidente du conseil italien fait aujourd’hui assaut de diplomatie et de financement envers la Tunisie. Les 61 % de Français qui estiment, selon le récent sondage IFOP-Fiducial pour Le Journal du dimanche et Sud Radio, que l’élection de Marine Le Pen « nuirait à l’image de la France à l’étranger », ont bien compris qu’un tel isolement n’aurait rien de bon. C’est vrai, y compris en matière d’immigration.

    #Covid-19#migration#migrant#france#algerie#immigration#emigration#politiquemigratoire#economie#paysdorigine#OQTF#sante#travailleurmigrant#tunisie#diplomatie

    • En réalité @sombre il s’agit d’un tweet de jlm
      https://twitter.com/JLMelenchon/status/1673315729104330755?cxt=HHwWhoCz5cfy57guAAAA
      sans doute issu de :
      https://www.lemonde.fr/idees/article/2023/06/22/andreas-malm-auteur-de-comment-saboter-un-pipeline-mon-propos-est-d-ouvrir-u

      Mis en cause par le ministre de l’intérieur, Gérald Darmanin, dans le décret de dissolution des Soulèvements de la Terre, le théoricien et activiste suédois fait part, dans une tribune au « Monde », de sa stupeur face aux accusations de « terrorisme intellectuel » dont il est l’objet.

      Honnêtement, je ne sais pas si je dois rire ou pleurer, ou les deux en même temps.
      Il apparaît qu’au milieu d’une vague de répression instiguée par l’Etat français à l’encontre des militants écologistes (qui s’inscrit dans une escalade autoritaire beaucoup plus vaste menée par le président Macron et ses alliés), mon livre Comment saboter un pipeline (La Fabrique, 2020) a été cité dans un décret de dissolution : il serait à l’origine de tous les « désordres » attribués aux luttes environnementales dans la période récente.

      Le gouvernement français veut dissoudre Les Soulèvements de la Terre, qui ont joué un rôle déterminant dans plusieurs grandes mobilisations écologistes ces dernières années, et tout dernièrement contre le projet insensé et funeste de mégabassines à Sainte-Soline (Deux-Sèvres), dans l’ouest de la France. Pour donner l’impression que ce réseau militant est en réalité un groupement de dangereux terroristes, l’Etat français a dû inventer un gourou, un maître à penser qui aurait par avance théorisé leur passage à l’acte. De façon flatteuse mais grotesque, il semblerait que le pouvoir ait jeté son dévolu sur un universitaire suédois qui, contrairement à Ted Kaczynski, ne vit pas dans une cabane isolée pour fabriquer des bombes artisanales. Voilà qui manque cruellement d’imagination…

      Tactique plus ambitieuse

      Tout observateur raisonnable pourra juger combien cette démarche est maladroite et grossière. Tout d’abord, mon livre a été publié en France il y a trois ans. Il a été traduit en dix langues et a récemment inspiré un thriller hollywoodien (Sabotage, par Daniel Goldhaber). Je suis venu à plusieurs reprises discuter du livre en France autour d’événements de lancement, d’interviews, etc. Dans cette période, ni moi ni mon éditeur n’avons été soupçonnés ou accusés de quoi que ce soit d’illégal. Si le livre était si provocateur et dangereux que le décret le laisse entendre, les services de police auraient donc mis trois ans pour lire et assimiler ses quelque 200 pages (en petit format) ?

      Par ailleurs, si je respecte et admire Les Soulèvements de la Terre – comme je respecte, par exemple, les militants allemands d’Ende Gelände –, nous ne sommes pas particulièrement liés et nous ne sommes même pas d’accord sur de nombreux points d’analyse ou de perspectives. Ces camarades seraient les premiers à dire qu’ils rejettent mon orientation trotskiste old school, mon étatisme, mon hostilité à l’anarchisme, et ainsi de suite. L’idée que mon livre serait une bible pour eux est donc, pour être très honnête, une annerie...

  • « L’annulation de l’agrément d’Anticor intervient dans un contexte de recul inouï des libertés publiques », Paul Cassia, professeur de droit public à l’université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, membre du conseil d’administration de l’association Anticor
    https://www.lemonde.fr/idees/article/2023/06/24/l-annulation-de-l-agrement-d-anticor-intervient-dans-un-contexte-de-recul-in

    Vendredi 23 juin 2023, un contre-pouvoir citoyen est tombé. Le tribunal administratif de Paris a fait disparaître avec effet rétroactif l’arrêté du 2 avril 2021 par lequel l’ancien premier ministre Jean Castex avait renouvelé l’agrément que l’association Anticor possédait depuis 2015 pour saisir un juge indépendant lorsque le procureur de la République, placé sous l’autorité du ministre de la justice, classe sans suite un dossier en matière de probité publique.
    Il faut dire que Jean Castex avait mal motivé son arrêté : il délivra l’agrément tout en faisant savoir, de manière pour le moins curieuse et non étayée, qu’Anticor ne remplissait pas les conditions d’indépendance et de bonne information de ses membres.
    Mais de là à ce qu’un tribunal administratif considère d’abord qu’un ex-adhérent a intérêt à agir contre une décision favorable à son association [l’arrêté qui avait renouvelé l’agrément d’Anticor pour trois ans était contesté par deux dissidents de l’association, mais seul l’un d’eux avait vu sa démarche être jugée recevable en justice], puis reprenne sans la vérifier l’affirmation gouvernementale selon laquelle des conditions de délivrance de l’agrément n’étaient pas remplies, et enfin accepte que les dizaines de procédures pénales initiées par Anticor depuis 2021 puissent être remises en cause, il y avait un pas considérable que les juges administratifs parisiens ont franchi.

    L’action en justice formée par l’ex-adhérent n’était pas formellement dirigée contre Anticor, mais contre un acte administratif du premier ministre. C’était donc à Matignon de défendre cet acte, ce qui n’a été fait que mollement sans même que les services du premier ministre plaident au cours des audiences publiques devant le tribunal administratif, comme si la probabilité d’une défaite en justice ne déplaisait pas à l’exécutif.
    D’autant que ce dernier, au demeurant, avait la possibilité de rectifier l’agrément tout au long des deux années de procédure devant le tribunal administratif. De fait, au-delà des enjeux juridiques, l’annulation de l’agrément d’Anticor met en lumière un problème politique, un conflit d’intérêts largement dénoncé : pour faire respecter l’état de droit, une association doit obtenir du gouvernement l’autorisation d’agir, alors même que ses actions peuvent agacer le pouvoir.

    Défi à la première ministre

    La décision du tribunal administratif doit donc être interprétée comme un défi à la première ministre. Désormais saisie d’une nouvelle demande d’agrément par Anticor, il lui suffit de constater toutes affaires cessantes que l’association, farouchement attachée à son indépendance à l’égard de toutes les autorités publiques ou privées, possède l’ensemble des conditions prévues pour obtenir cet agrément. Et plus elle laissera le temps s’écouler, plus le soupçon d’une corruption tolérée par le pouvoir augmentera. Car le jugement du 23 juin 2023 a une portée symbolique et pratique dramatique, sauf évidemment pour les personnes physiques ou morales pénalement mises en cause par Anticor, pour lesquelles il constitue une excellente nouvelle.
    Cette décision peut aussi être analysée comme un défi lancé au législateur, qui serait avisé de confier le renouvellement de l’agrément à une autorité indépendante de l’exécutif, en conflit d’intérêts s’agissant d’un acte susceptible de concerner des membres ou des proches du gouvernement. Le projet de réforme de la justice en cours d’examen pourrait accueillir une telle disposition.

    Or, la position de Matignon et celle du législateur sont loin d’être acquises. C’est que l’annulation de l’agrément d’Anticor intervient dans un contexte de recul inouï des libertés publiques, pour lequel l’expression souvent employée de « dérive illibérale » ne rend pas compte de la réalité des choses, tant il apparaît que ce mouvement régressif n’est pas subi mais délibérément organisé par l’exécutif touche après touche.

    Construction illibérale

    Cette construction illibérale s’est illustrée, dans les jours précédant le jugement du 23 juin, par la dissolution en conseil des ministres du groupement écologiste Les Soulèvements de la Terre. Il y a quelques semaines, c’est la Ligue des droits de l’homme qui était dans le viseur du ministère de l’intérieur, tandis que « l’affaire Marlène Schiappa » dans le cadre du fonds Marianne interroge sur un éventuel détournement du procédé associatif sous couvert de lutte pour « promouvoir les valeurs républicaines » et « combattre les discours séparatistes ».
    Plus largement, les contre-pouvoirs institutionnels à l’exécutif sont corsetés comme jamais, ainsi que l’ont montré par exemple le soin mis à choisir des personnalités « amies » en qualité de membres du Conseil constitutionnel, la paupérisation organisée du service public de la justice ou encore la tentative heureusement inaboutie de restreindre le droit syndical dans la magistrature.
    Dans ce contexte inquiétant, la probité publique n’a pas été une priorité sous les deux quinquennats d’Emmanuel Macron. Or, nous sommes tous et toutes victimes de la corruption, en payant plus d’impôts, en bénéficiant de services publics dégradés, en subissant des abus de pouvoir : une étude du Parlement européen évalue le coût de la corruption en France à un montant qui pourrait atteindre 120 milliards d’euros par an.
    Priver des citoyens désintéressés de lutter contre la corruption avec les armes du droit, c’est accentuer une tendance mortifère pour le rétablissement de la confiance dans le politique, et partant la démocratie.

    En 1789, les rédacteurs de la Déclaration des droits de l’homme proclamaient que « l’ignorance, l’oubli ou le mépris des droits de l’homme sont les seules causes des malheurs publics et de la corruption des gouvernements ».
    Les droits garantis et la garantie des droits étaient considérés comme autant de moyens de lutter contre les abus de pouvoir. L’issue du combat qu’Anticor mène désormais pour récupérer son agrément de 2021 et en obtenir un nouveau à très bref délai permettra de dire si l’héritage de 1789 a encore un minimum de sens aujourd’hui, ou si ceux qui détiennent le pouvoir veulent paraître grands en mettant les citoyens à genoux.

  • Russie : le chef du Groupe Wagner, Evgueni Prigojine, annonce une rébellion armée

    https://www.lemonde.fr/international/article/2023/06/24/situation-confuse-en-russie-ou-les-services-de-securite-accusent-le-patron-d

    Le patron de la société de mercenaires a affirmé, dans la nuit de vendredi à samedi, avoir franchi la frontière avec l’Ukraine, accompagné de 25 000 hommes, pour « libérer le peuple russe ». Des « activités antiterroristes » sont en cours à Moscou.

    Le parquet russe a pour sa part annoncé une enquête pour « mutinerie armée » contre M. Prigojine, entré en rébellion après avoir accusé l’armée régulière russe d’avoir bombardé ses hommes. Les autorités ont renforcé les mesures de sécurité à Moscou et dans plusieurs autres régions du pays.

    • Dans plusieurs messages audio tout au long de la journée, Evgueni Prigojine avait auparavant affirmé que des attaques russes avaient fait un « très grand nombre de victimes » dans ses rangs. « Ils ont mené des frappes, des frappes de missiles, sur nos camps à l’arrière. Un très grand nombre de nos combattants ont été tués », a dit le patron du Groupe Wagner, accusant le ministre russe de la défense, Sergueï Choïgou, d’avoir ordonné ces attaques. Ces accusations « ne correspondent pas à la réalité et sont une provocation », a rétorqué le ministère de la défense dans un communiqué.

      Un influent général russe, Sergueï Sourovikine, a appelé les combattants de Wagner à rentrer dans leurs casernes. « Je [vous] demande de vous arrêter. (…) Avant qu’il ne soit trop tard, il faut obéir à la volonté et à l’ordre du président élu de la Russie », a-t-il dit dans une vidéo sur Telegram. Le service de sécurité russe (FSB) a, par ailleurs, appelé les combattants de Wagner à arrêter leur chef. Selon la loi russe, Evgueni Prigojine risque entre douze et vingt ans d’emprisonnement s’il est arrêté.

    • Dimitri Minic, spécialiste de l’armée russe : « La crédibilité du Kremlin est ébranlée »
      https://www.lemonde.fr/international/article/2023/06/24/dimitri-minic-la-credibilite-du-kremlin-est-ebranlee_6179091_3210.html

      Pour ce chercheur spécialiste de l’armée russe, un ralliement d’une partie des forces armées au fondateur du Groupe Wagner, Evgueni Prigojine, n’est plus à exclure.

      [...]

      Mais au soir du 23 juin, les intentions de Prigojine ont paru claires, après l’annonce du lancement d’une opération contre le ministère de la défense : le Kremlin s’est vivement opposé aux actions factieuses de Wagner. Pourtant, Prigojine a persisté et s’est donc opposé, par les moyens de la force armée, à la volonté du dirigeant du pays. L’allocution de Poutine, le 24 au matin, et les réponses des Wagner ont levé le doute : « Nous aurons bientôt un nouveau président », a affirmé un compte relais de Wagner sur les réseaux sociaux.

      Quelle peut être l’attitude des forces régulières russes face à cette action d’une milice privée ?

      Si l’on en croit le déroulement de la première phase de l’opération de Wagner en Russie, durant la nuit, les forces dépêchées par le Kremlin (FSB, les services de sécurité, et Rosgvardia, la garde nationale) n’ont pas opposé de vraie résistance aux Wagner, même s’il semble qu’il y ait eu des affrontements à Voronej, impliquant notamment les forces aérospatiales russes.

      Est-ce un manque de volonté, un manque de moyens, ou une impréparation de ces forces de sécurité ? C’est difficile à dire. On a déjà vu les faibles capacités des réserves russes à Belgorod [à la frontière avec l’Ukraine], quand des unités irrégulières soutenues par l’armée ukrainienne se sont introduites sur le territoire russe. Aujourd’hui, l’image et la crédibilité du Kremlin ont une fois de plus été ébranlées sur le thème central du contrôle et du maintien de la sécurité.
      Enfin, il faut prendre en compte qu’une partie des forces armées a combattu aux côtés de Wagner pendant un an, et que Wagner a cultivé une image d’armée efficace qui séduit, impressionne autant qu’elle effraie probablement les mobilisés et les jeunes recrues. A ce stade (samedi 16 heures, en France), on ne remarque pas d’obstacles majeurs à l’approche de Moscou, même si la ville s’est apparemment préparée à la défense.

      Il y a donc un risque réel que l’armée russe bascule dans le camp de Prigojine ?

      Le risque existe, y compris chez les forces de sécurité. L’armée est restée fidèle au régime poutinien jusqu’ici, même si, dans les années 1990, les relations civilo-militaires ont été très tendues. Mais le cas présent est tout à fait différent : la majeure partie des meilleures troupes professionnelles des forces armées a disparu en Ukraine ; l’armée actuelle doit tenir la ligne de front là-bas ; et il y a une armée factieuse, Wagner, d’environ 25 000 hommes, dont le chef est suivi et décidé à en découdre.

      #Russie #Poutine #Wagner

    • « Cinq leçons des vingt-quatre heures de la rébellion Wagner »
      https://www.lemonde.fr/idees/article/2023/06/25/russie-cinq-lecons-des-vingt-quatre-heures-de-la-rebellion-wagner_6179159_32

      Tout d’abord, le chef de guerre Evgueni Prigojine n’a pas su rassembler à temps les soutiens politiques nécessaires. A lui seul, Prigojine ne pouvait renverser le pouvoir. Il lui fallait le soutien d’une coalition suffisamment large et puissante pour retourner le triptyque « structures de force – oligarchie – représentation politique » qui maintient jusqu’à présent Vladimir Poutine au pouvoir. Au fur et à mesure de sa « marche sur la troisième Rome », Prigojine s’est trouvé pris à son propre piège de l’effet de surprise, aucun des affidés de Poutine ne profitant de son sillage pour transformer politiquement l’avantage militaire qu’il s’était arrogé. Parvenu à 200 kilomètres de Moscou, il a dû reconnaître qu’il n’était pas possible d’aller plus loin sans risquer un désastre définitif. L’échec de Prigojine est donc avant tout politique.

      https://justpaste.it/de2m7

    • « Le contrôle formel aura beau être rétabli sur les mercenaires de Wagner et les territoires qu’ils ont traversés, cette affaire ne restera pas sans suites », Anna Colin Lebedev
      https://www.lemonde.fr/idees/article/2023/06/25/anna-colin-lebedev-le-controle-formel-aura-beau-etre-retabli-sur-les-mercena

      Pour la spécialiste des sociétés post-soviétiques Anna Colin Lebedev, l’épopée du groupe armé Wagner vers Moscou constitue « à la fois un symptôme et une nouvelle étape de l’évolution rapide du régime politique russe, qui n’a cessé de se transformer, dans et par la guerre » depuis février 2022, comme elle l’explique dans une tribune au « Monde ».

      La rocambolesque affaire du groupe armé Wagner et de son fondateur s’opposant au commandement militaire, quels que soient ses développements à venir, est à la fois un symptôme et une nouvelle étape de l’évolution rapide du régime politique russe. Depuis février 2022 et la décision d’envahir l’Ukraine, le système politique russe n’a cessé de se transformer, dans et par la guerre.
      Pendant les deux décennies précédant l’invasion de l’Ukraine, le Kremlin avait œuvré à construire un régime autoritaire personnaliste jouant sur trois ressorts.
      Le premier est la disponibilité de ressources abondantes tirées de l’exploitation des matières premières, dont les produits étaient – inégalement – distribués aux élites comme à la population en échange de leur loyauté.

      Le deuxième ressort tenait à la nature personnelle et verticale des liens d’allégeance à travers lesquels s’organisait la distribution de ces ressources, y compris des places de pouvoir. Si l’on a parlé de « poutinisme », c’est parce que la personne de Vladimir Poutine a joué un rôle-clé au sommet de cette pyramide d’allégeance. Chaque acteur du système devait toutefois sa place à un bienfaiteur à l’étage supérieur et était lui-même pourvoyeur de ressources. Dans ce contexte, la corruption n’a pas été une dérive, mais une modalité routinière d’accès et de gestion des ressources.

      Système politique ébranlé

      Troisième pilier, les promesses de prospérité et de stabilité étaient les valeurs sur lesquelles le pouvoir fondait sa légitimité auprès des élites et de la population : aux élites l’enrichissement, aux Russes ordinaires la prévisibilité du lendemain. Cette sorte de contrat social entre le pouvoir russe et la société a pu être décrite comme un « laisser-faire mutuel ». A partir de 2014 et de l’annexion de la Crimée, la rhétorique de la Russie « forteresse assiégée » par l’Occident a donné une teneur plus sombre et idéologique au discours du pouvoir, sans que jamais l’on ne demande cependant à la société de se mettre en action contre un ennemi : laisser faire les autorités restait le mot d’ordre central.

      En premier lieu, la dimension personnelle et verticale du pouvoir et de la loyauté s’est considérablement accentuée au sommet de l’Etat. Les débuts de la guerre ont aussi vu un déplacement du centre de gravité de la décision politique. Les ministères et institutions civils ont dû se soumettre aux priorités des institutions militaires et aux objectifs de guerre. Si les administrations, les autorités financières ou encore les gouverneurs de régions ont continué à faire tourner le pays, les intérêts de leur secteur étaient désormais considérés comme secondaires par rapport à l’effort de guerre.

      Deuxième transformation importante, les ressources et les rétributions qui permettaient au pouvoir d’asseoir sa légitimité ont été fragilisées par les nouvelles sanctions, la rupture d’une partie des relations commerciales avec les pays occidentaux, et l’augmentation des dépenses de guerre. Conscient de cela, le Kremlin s’est attaché à promettre à ses élites de nouvelles ressources : de beaux postes à prendre dans les territoires fraîchement occupés, des contrats juteux offerts dans le cadre de commandes publiques liées à la guerre ou encore des bénéfices à tirer du départ des entreprises occidentales. Cependant, les évolutions sur le front ont rendu nettement moins attractifs les postes dans les territoires occupés, et la guerre a de plus en plus grevé le budget de l’Etat qui demande désormais aux élites et aux citoyens de mettre la main à la poche pour soutenir l’effort patriotique.
      La promesse de stabilité a été, elle aussi et plus encore, mise à mal depuis le début de la guerre. La mobilisation militaire, conduite comme une rafle indiscriminée, a été pour la population russe un choc énorme, dont nous ne mesurons pas encore tous les effets. Le pouvoir en a tiré les leçons, et le système de convocation électronique qu’il est en train de mettre en place a pour objectif de rationaliser et d’invisibiliser la mobilisation pour amortir la réaction de la société. La perte de stabilité résulte également de la situation sur le front, car l’issue de la guerre semble incertaine.

      Dernier facteur majeur de transformation du système politique, la guerre a conduit à une dilution du monopole de la violence légitime au sein de l’Etat russe, avec un rôle central joué par le groupe armé Wagner. Création du pouvoir politique russe, mais irrégulier au regard du droit, Wagner a été placé sur le front au côté de l’armée russe dès le début de l’invasion. On peut s’interroger sur l’effet que la présence d’un groupe armé non étatique, bénéficiant de ressources publiques et de passe-droits, se mettant abondamment en scène et utilisant sa liberté de parole pour critiquer la conduite des opérations a eu sur l’institution militaire à ses différents échelons. On peut se demander également ce que le Service fédéral d’exécution des peines a pu penser de l’irruption des recruteurs de Wagner dans le pré carré de ses colonies pénitentiaires.

      Contraste saisissant

      L’initiative de Prigojine de « marcher sur Moscou », sa facilité à entrer dans Rostov-sur-le-Don et à continuer au-delà, est venue s’ajouter à une série d’événements de ces dernières semaines où l’Etat central a semblé absent, ou pas à la hauteur des enjeux. L’incursion des groupes armés en provenance d’Ukraine dans la région de Belgorod, l’attaque de drones à Moscou et l’avancée de Wagner sur plusieurs centaines de kilomètres ont posé la question de la capacité de l’Etat russe à défendre son territoire. Une blague circule désormais sur les réseaux sociaux : « “Prendre en trois jours”, on vient de le comprendre, ce n’était pas de Kiev mais de Moscou qu’il s’agissait. »

      Le ton adopté par Vladimir Poutine lors de son allocution, samedi 24 juin, dans laquelle il a dénoncé la trahison de Wagner, témoigne du degré de fragilisation du régime. Le parallèle avec les événements de 1917 en Russie, le renversement du régime tsariste et la guerre civile qui a suivi, pour caractériser la menace Prigojine, ont singulièrement tranché avec ses nombreuses prises de parole précédentes. Le président russe s’était en effet toujours attaché à convaincre que rien n’avait changé, que tout était sous contrôle, que les promesses du contrat social continuaient d’être honorées. Des risques importants de défections ont-ils été soufflés à l’oreille du président ? Lui a-t-on fait comprendre que bien des élites seraient sensibles aux critiques de Prigojine ? En tout cas, le contraste est saisissant avec le Poutine qui balayait d’un revers de la main la question des drones armés dans le ciel de Moscou.

      Le contrôle formel aura beau être rétabli sur les mercenaires Wagner et les territoires qu’ils ont traversés, cette affaire ne restera pas sans suites. La guerre transforme les fondamentaux du système politique russe, en dépit de l’attachement farouche de Moscou à affirmer le contraire. Le pouvoir peut tenter de colmater les brèches, mais le doute s’insinue, se diffuse et peut altérer l’allégeance au régime, notamment chez ces élites qui observent avec attention ses moindres frémissements.

  • Andreas Malm, auteur de « Comment saboter un pipeline » : « Pour donner l’impression que Les Soulèvements de la Terre est en réalité un groupement de dangereux terroristes, l’Etat français a dû inventer un gourou »
    https://www.lemonde.fr/idees/article/2023/06/22/andreas-malm-auteur-de-comment-saboter-un-pipeline-mon-propos-est-d-ouvrir-u

    Le gouvernement français veut dissoudre Les Soulèvements de la Terre, qui ont joué un rôle déterminant dans plusieurs grandes mobilisations écologistes ces dernières années, et tout dernièrement contre le projet insensé et funeste de mégabassines à Sainte-Soline (Deux-Sèvres), dans l’ouest de la France. Pour donner l’impression que ce réseau militant est en réalité un groupement de dangereux terroristes, l’Etat français a dû inventer un gourou, un maître à penser qui aurait par avance théorisé leur passage à l’acte. De façon flatteuse mais grotesque, il semblerait que le pouvoir ait jeté son dévolu sur un universitaire suédois qui, contrairement à Ted Kaczynski, ne vit pas dans une cabane isolée pour fabriquer des bombes artisanales. Voilà qui manque cruellement d’imagination…
    Tactique plus ambitieuse

    Tout observateur raisonnable pourra juger combien cette démarche est maladroite et grossière. Tout d’abord, mon livre a été publié en France il y a trois ans. Il a été traduit en dix langues et a récemment inspiré un thriller hollywoodien (Sabotage, par Daniel Goldhaber). Je suis venu à plusieurs reprises discuter du livre en France autour d’événements de lancement, d’interviews, etc. Dans cette période, ni moi ni mon éditeur n’avons été soupçonnés ou accusés de quoi que ce soit d’illégal. Si le livre était si provocateur et dangereux que le décret le laisse entendre, les services de police auraient donc mis trois ans pour lire et assimiler ses quelque 200 pages (en petit format) ?

    • […]
      Par ailleurs, si je respecte et admire Les Soulèvements de la Terre – comme je respecte, par exemple, les militants allemands d’Ende Gelände –, nous ne sommes pas particulièrement liés et nous ne sommes même pas d’accord sur de nombreux points d’analyse ou de perspectives. Ces camarades seraient les premiers à dire qu’ils rejettent mon orientation trotskiste old school, mon étatisme, mon hostilité à l’anarchisme, et ainsi de suite. L’idée que mon livre serait une bible pour eux est donc, pour être très honnête, une ânerie et une marque de mépris.

      #paywall

  • Dissolution des Soulèvements de la Terre : « Une instrumentalisation de l’antiterrorisme pour museler la contestation écologiste »
    https://www.liberation.fr/idees-et-debats/vincent-brengarth-on-assiste-a-une-instrumentalisation-de-lantiterrorisme

    L’utilisation abusive de législations antiterroristes est, en effet, une ressource idéale permettant aux autorités d’assouvir leurs ambitions : collecte de #renseignement, mesures préventives, cadre dérogatoire servant à étouffer et à criminaliser la contestation… En 2015, les militants de la COP21 avaient été victimes de l’état d’urgence. Huit ans plus tard, l’« #écoterrorisme » est brandi par Gérald Darmanin pour justifier arrestations et investigations toujours plus intrusives. La banalisation du droit antiterroriste décomplexe son usage, en lui ôtant toute forme de sacralité ou de caractère exceptionnel. C’est un même dévoiement qui est à l’œuvre, dans une logique verticale du pouvoir, qui définit arbitrairement ce qui est terroriste et ce qui ne l’est pas.

    Pour moi, nous sommes tout simplement devant un tournant démocratique. Mardi 20 juin, n’est-ce pas la Sous-direction antiterroriste de la PJ (Sdat) qui a été envoyée en Loire-Atlantique pour interpeller des militants écologistes, proches du mouvement Soulèvements de la Terre (SLT), que les autorités viennent de dissoudre ? L’urgence environnementale durcit l’action militante et entraîne dans son sillage une instrumentalisation de l’antiterrorisme pour museler la contestation. Or, ces services, spécialisés, et qui disposent de moyens d’enquête considérables, ont moins de dossiers à traiter. On assiste, dès lors, à un dévoiement grave de leurs méthodes d’investigation.

    Maintenant que ces textes existent, il suffirait en fait au politique de criminaliser une action militante pour en justifier l’application. Dès lors, est-ce étonnant de voir Gérald Darmanin employer soudain le terme « écoterrorisme » après les événements de Sainte-Soline ?

    Il y a un double bénéfice pour les autorités, à savoir celui des moyens dérogatoires auxquels elles ont recours et, d’autre part, celui de la terminologie. Les termes employés par un ministre incarnant une parole d’Etat, même si elle est de plus en plus dégradée, participent à un conditionnement de la population. Les militants écologistes doivent être perçus avant tout comme des menaces, qui plus est alors qu’ils s’opposent à un ordre libéral et politique, avec lequel la conciliation est impossible. Cela rejoint également l’idée que la définition de l’#ordre_public devient [?] de plus en plus politique, au risque de dénaturer les concepts, dont celui du #terrorisme.

    Il est essentiel de ne pas négliger l’effet que peut produire une telle terminologie au sein de la partie de la population peu sensibilisée à ces questions, et refusant par principe de remettre en cause la parole gouvernementale. Pour moi, cela traduit aussi une incapacité de l’Etat à revoir son logiciel de pensée dans la lutte contre le réchauffement climatique, ce qui ne peut qu’amener une réponse violente de sa part, tant le fossé est grand. Nous n’en sommes malheureusement qu’aux prémices.

    Durant longtemps, le juge judiciaire apparaissait comme un garde-fou face au renforcement des pouvoirs de la justice administrative. L’est-il encore ?

    Le juge judiciaire a été aspiré par une vision préventive de son office, qui a dégradé son contrôle. Il est aussi poreux à l’opinion et à la pression politico-médiatique. Nous étions un certain nombre à croire que son action, notamment pour contrôler les « visites domiciliaires » prévue par la loi Silt – en fait des #perquisitions_administratives –, serait un rempart. Il n’en a rien été. De trop nombreux juges considèrent que le ministère de l’Intérieur est par nature de bonne foi, et que les informations qu’il détient sont nécessairement fiables et documentées. Or, des informations peuvent être le fait d’une simple délation, d’autres le fruit de manipulations ou… d’emballements.

    [...]

    J’ai eu par exemple à déposer plainte contre un juge d’instruction pour détention arbitraire parce que la durée légale et possible de la détention provisoire de mon client avait été dépassée. Le juge, qui ne pouvait faire autrement, avait dû le remettre en liberté sous contrôle judiciaire, mais l’administration a, le même jour, décidé de fouiller sa cellule et a découvert opportunément un téléphone conduisant à sa comparution immédiate. Une trouvaille à tout le moins surprenante puisque mon client occupait cette cellule uniquement depuis le matin…

    Notre plainte visait précisément à sanctionner ce comportement et ses suites. J’ai aussi en souvenir cette audience où le juge aux assises avait refusé à une avocate de prévenir son client, qui refusait de comparaître depuis plusieurs jours, que son fils, qu’il n’avait pas vu depuis plusieurs années, était présent dans la salle, en prétextant que l’enfant ne devait pas être instrumentalisé. Or, tout le monde savait l’aggravation de la peine inévitable, et la Cour aurait pu permettre a minima à un père de revoir son fils un bref instant. Enfin, il y a ce mineur que j’assiste, poursuivi pour apologie du terrorisme, que l’enquêteur intimide en garde à vue : « Nous allons voir ce qu’on fait de monsieur, si on l’envoie à Guantánamo ou pas » ou encore « On est dans une affaire de terrorisme, même le ministre est au courant… »

    https://justpaste.it/5si4q

    #écologie #militantisme #justice #anti-terrorisme

  • « Pour donner l’impression que Les Soulèvements de la Terre est en réalité un groupement de dangereux terroristes, l’Etat français a dû inventer un gourou », Andreas Malm, activiste et théoricien
    https://www.lemonde.fr/idees/article/2023/06/22/andreas-malm-auteur-de-comment-saboter-un-pipeline-mon-propos-est-d-ouvrir-u

    Honnêtement, je ne sais pas si je dois rire ou pleurer, ou les deux en même temps.
    Il apparaît qu’au milieu d’une vague de répression instiguée par l’Etat français à l’encontre des militants écologistes (qui s’inscrit dans une escalade autoritaire beaucoup plus vaste menée par le président Macron et ses alliés), mon livre Comment saboter un pipeline (La Fabrique, 2020) a été cité dans un décret de dissolution : il serait à l’origine de tous les « désordres » attribués aux luttes environnementales dans la période récente.

    Le gouvernement français veut dissoudre Les Soulèvements de la Terre, qui ont joué un rôle déterminant dans plusieurs grandes mobilisations écologistes ces dernières années, et tout dernièrement contre le projet insensé et funeste de mégabassines à Sainte-Soline (Deux-Sèvres), dans l’ouest de la France. Pour donner l’impression que ce réseau militant est en réalité un groupement de dangereux terroristes, l’Etat français a dû inventer un gourou, un maître à penser qui aurait par avance théorisé leur passage à l’acte. De façon flatteuse mais grotesque, il semblerait que le pouvoir ait jeté son dévolu sur un universitaire suédois qui, contrairement à Ted Kaczynski, ne vit pas dans une cabane isolée pour fabriquer des bombes artisanales. Voilà qui manque cruellement d’imagination…

    Tactique plus ambitieuse

    Tout observateur raisonnable pourra juger combien cette démarche est maladroite et grossière. Tout d’abord, mon livre a été publié en France il y a trois ans. Il a été traduit en dix langues et a récemment inspiré un thriller hollywoodien (Sabotage, par Daniel Goldhaber). Je suis venu à plusieurs reprises discuter du livre en France autour d’événements de lancement, d’interviews, etc. Dans cette période, ni moi ni mon éditeur n’avons été soupçonnés ou accusés de quoi que ce soit d’illégal. Si le livre était si provocateur et dangereux que le décret le laisse entendre, les services de police auraient donc mis trois ans pour lire et assimiler ses quelque 200 pages (en petit format) ?

    Par ailleurs, si je respecte et admire Les Soulèvements de la Terre – comme je respecte, par exemple, les militants allemands d’Ende Gelände –, nous ne sommes pas particulièrement liés et nous ne sommes même pas d’accord sur de nombreux points d’analyse ou de perspectives. Ces camarades seraient les premiers à dire qu’ils rejettent mon orientation trotskiste old school, mon étatisme, mon hostilité à l’anarchisme, et ainsi de suite. L’idée que mon livre serait une bible pour eux est donc, pour être très honnête, une ânerie et une marque de mépris.
    Comment saboter un pipeline est une contribution à un débat plus large au sein du mouvement écologiste, qui a été amené à se poser des questions difficiles sur ce qu’il est urgent de faire dans une situation où les effets du changement climatique s’intensifient et s’accélèrent, mais où les Etats hégémoniques sont déterminés à agir de façon minimale ou à ne pas agir du tout. Je fais valoir que tous les mouvements ayant provoqué des changements sociaux de grande ampleur – des suffragettes et des mouvements anticoloniaux jusqu’au mouvement des droits civiques dans les années 1960 et au-delà – ont, dans certaines circonstances, eu à mettre en place des tactiques plus ambitieuses, et que cela a souvent été couronné de succès.

    « Désarmer » le capitalisme fossile

    Mon propos est simplement d’ouvrir un débat exigeant sur la légitimité d’actions de désobéissance, notamment sur des sites-clés de l’infrastructure et de la logisitique du capitalisme fossile. Et soyons clairs ici, je parle de propriété, d’objets matériels, pas de personnes – je n’ai jamais prôné la violence contre des individus ou des groupes. On peut rejeter ou critiquer les raisonnements du livre, mais il est proprement stupéfiant que ces propositions relativement modestes soient maintenant qualifiées de « terrorisme intellectuel » ou d’« actions extrêmes allant jusqu’à la confrontation avec les forces de l’ordre » par le ministre français de l’intérieur, Gérald Darmanin.

    En réalité, le livre n’est pas très original : il existe aujourd’hui de très nombreux ouvrages qui analysent les catastrophes à venir liées au changement climatique et au désastre écologique. Dans ce contexte, je suis loin d’être le seul auteur à soutenir que nous devons désactiver rapidement et de manière décisive l’infrastructure des combustibles fossiles. Mais il est vrai que Comment saboter un pipeline met en évidence quelque chose qui glace le sang des tenants de l’ordre existant : s’ils entendent laisser intact le système en place, il y a toutes les raisons d’imaginer que les mouvements de masse prendront eux-mêmes en charge le « désarmement » du capitalisme fossile – ce qui n’est rien d’autre qu’un geste d’autopréservation de grande ampleur.

    Le capitalisme fossile nous conduit à toute vitesse vers le précipice. Quelqu’un doit tirer le frein d’urgence. Si les gouvernements ne le font pas, le reste d’entre nous le fera.

    Andreas Malm est maître de conférences en géographie humaine en Suède. Il est l’auteur, aux éditions La Fabrique, de L’Anthropocène contre l’histoire (2017), Comment saboter un pipeline (2020), La Chauve-Souris et le Capital (2020), Fascisme fossile (avec le Zetkin Collective, 2020) et Avis de tempête (à paraître en octobre).

  • #Dérèglement_climatique : « Le soutien financier aux #pays_en_développement est un enjeu essentiel »
    https://www.lemonde.fr/idees/article/2023/06/21/dereglement-climatique-le-soutien-financier-aux-pays-en-developpement-est-un

    Dérèglement climatique : « Le soutien financier aux pays en développement est un enjeu essentiel »
    #Tribune
    #Collectif

    Un collectif de 350 #scientifiques, parmi lesquels Xavier Capet, océanographe, et Jean Jouzel, ancien vice-président du groupe de travail sur les bases physiques du changement climatique du GIEC, réclame, dans une tribune au « Monde », la création au plus vite, par l’Europe, d’une taxe sur les transactions financières pour soutenir les politiques climatiques au Nord et au Sud.

    #Feux_de_forêts à répétition, #inondations meurtrières au Pakistan, #sécheresses extrêmes en Afrique et même en Europe… Nous observons partout dans le monde les effets dévastateurs du dérèglement climatique, alors que le réchauffement est seulement de + 1,1 °C en moyenne à l’échelle globale, par rapport à l’ère préindustrielle. Le sixième rapport du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC), dont la synthèse a été publiée en mars, est, hélas, très clair : si nous n’agissons pas de manière ambitieuse contre le changement climatique, nous pourrions nous diriger vers un réchauffement de + 4 °C d’ici à la fin du siècle, avec de très graves répercussions sur les sociétés humaines et les écosystèmes.
    Lire aussi la tribune : Article réservé à nos abonnés Fiscalité : « Une taxe sur les transactions financières pour générer des investissements publics d’urgence »

    Pour éviter ce scénario catastrophe, le GIEC insiste sur les besoins de financements nouveaux, que ce soit pour réduire les émissions de gaz à effet de serre ou pour mettre en œuvre des politiques d’adaptation permettant de limiter les effets du dérèglement climatique. Il insiste également sur l’importance de mécanismes de redistribution entre pays du Nord et pays du Sud, pour tenir compte de leurs responsabilités différenciées vis-à-vis du réchauffement climatique, ainsi que de leurs capacités respectives à y faire face.

    Le soutien financier aux pays en développement est un enjeu essentiel, présent au cœur du processus des COP climat et de l’accord de Paris lui-même. Mais, à ce jour, et malgré des promesses réitérées depuis plus de dix ans par les pays industrialisés, le financement des besoins des pays du Sud pour la lutte contre le changement climatique est largement insuffisant. Et c’est également le cas de la part fournie par les pays de l’Union européenne (UE), qui est constituée, de manière disproportionnée, de prêts plutôt que de subventions.

    Une taxe de 0,1 %

    En novembre 2022, la COP27 a acté la création d’un nouveau fonds consacré aux pertes et dommages, Loss and Damage Fund, pour aider les pays du Sud à faire face aux inévitables conséquences du dérèglement climatique. Cette décision importante restera totalement virtuelle si des sources de financement massives et pérennes ne sont pas rapidement trouvées pour abonder ce nouveau fonds.

    C’est l’un des enjeux-clés de la prochaine COP28, mais aussi du sommet pour un nouveau pacte financier mondial, qui doit se tenir, en France, les 22 et 23 juin, à l’initiative d’Emmanuel Macron et de Mia Mottley, première ministre de la Barbade.

    Dans un rapport voté fin 2020, le Parlement européen rappelait qu’une taxe de 0,1 % prélevée sur l’ensemble des transactions financières (TTF) rapporterait 57 milliards d’euros par an. Le 16 février 2023, dans un nouveau rapport, le Parlement européen demandait instamment aux chefs d’Etat et de gouvernement de parvenir à un accord pour créer effectivement cette taxe « avant la fin juin 2023 ».

    Coopération renforcée

    A Bruxelles et à Strasbourg, cette solution fait consensus : l’amendement demandant l’instauration de cette petite taxe, déposé par les sociaux-démocrates, a été voté par 80 % des députés de droite, et même 92 % des députés de la droite allemande.

    De plus, il n’y a pas besoin de l’unanimité des vingt-sept Etats membres de l’UE pour avancer sur cette question : dix pays membres travaillent déjà à la création de cette TTF dans le cadre d’une coopération renforcée. Hélas, la France, qui en fait partie, défend une approche minimale, qui exempte de taxe l’immense majorité des mouvements financiers.
    Lire aussi la tribune : Article réservé à nos abonnés « Le Sud n’est pas seulement une victime du réchauffement climatique, il est aussi un acteur majeur de l’adaptation »

    Face à l’ampleur des dangers encourus et l’absence de réaction à la hauteur des enjeux, nous, scientifiques experts des questions climatiques, soutenons pleinement le calendrier et la demande du Parlement européen de créer une « vraie » taxe sur les transactions financières.

    Nous demandons à Emmanuel Macron et au gouvernement français de faire le nécessaire pour qu’une version ambitieuse de cette taxe soit créée au plus vite dans l’UE. Le produit de cette taxe doit bénéficier largement à la lutte contre le dérèglement climatique et ses conséquences, en soutien aux populations les plus fragiles, notamment dans les pays en développement.

    Premiers signataires : Jean Jouzel, paléoclimatologue, ancien vice-président du groupe de travail sur les bases physiques du changement climatique du GIEC ; Wolfgang Cramer, auteur principal du groupe de travail 2 du GIEC ; Magali Reghezza, membre du Haut Conseil pour le climat, géographe ; Jean-Baptiste Sallée, auteur du GIEC, océanographe ; Christophe Cassou, coauteur du 6e rapport du GIEC, climatologue ; Yamina Saheb, autrice principale du groupe n°3 du GIEC, docteure en énergétique, experte des politiques d’atténuation du changement climatique ; Agnès Ducharne, hydroclimatologue ; Jean-Louis Dufresne, coauteur du 5e et 6e rapport du GIEC, climatologue ; Michael Ghil, climatologue, physicien et mathématicien ; Heidi Sevestre, glaciologue, membre du programme de surveillance et d’évaluation de l’Arctique ; Xavier Capet, directeur de recherche CNRS, océanographe.

    Liste complète des signataires.

    https://taxonslaspeculation.com/tribune-scientifiques-politiques-climat-europe-taxe-transaction

    Collectif

  • « Attachés aux libertés fondamentales dans l’espace numérique, nous défendons le droit au chiffrement de nos communications »
    https://www.lemonde.fr/idees/article/2023/06/14/attaches-aux-libertes-fondamentales-dans-l-espace-numerique-nous-defendons-l

    Le chiffrement des communications est un droit indissociable de la protection de la vie privée. Un collectif de cent vingt signataires, à l’initiative de l’association La Quadrature du Net, s’insurge, dans une tribune au « Monde », contre la criminalisation de cette pratique, que ce soit par la police française ou au niveau européen et international.

    Chiffrer ses communications est une pratique banale qui permet qu’une correspondance ne soit lue par personne d’autre que son destinataire légitime. Le droit au chiffrement est le prolongement de notre droit à la vie privée, protégé par l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme, qui garantit à chacun le « droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance ».
    Toute personne qui souhaite protéger sa vie privée peut chiffrer ses communications. Cela concerne aussi bien des militants, des défenseurs des droits humains, des journalistes, des avocats, des médecins… que de simples parents ou amis. Dans le monde entier, le chiffrement est utilisé pour enquêter sur la corruption, s’organiser contre des régimes autoritaires ou participer à des transformations sociales historiques. Le chiffrement des communications a été popularisé par des applications comme WhatsApp ou Signal.
    En 2022, ce sont ainsi plus de deux milliards de personnes qui chiffrent quotidiennement leurs communications pour une raison simple : protéger sa vie privée nous renforce toutes et tous. Pourtant, le droit au chiffrement est actuellement attaqué par les pouvoirs policiers, judiciaires et législatifs en France, mais aussi dans l’Union européenne, au Royaume-Uni et aux Etats-Unis. En tant que société, nous devons choisir. Acceptons-nous un futur dans lequel nos communications privées peuvent être interceptées à tout moment et chaque personne considérée comme suspecte ?

    Criminaliser les technologies de protection de la vie privée

    La Quadrature du Net a récemment révélé des informations relatives à l’affaire dite du « 8 décembre » (2020) dans laquelle neuf personnes de l’« ultragauche » – dont l’une avait précédemment rejoint la lutte contre l’organisation Etat islamique aux côtés des combattants kurdes des Unités de protection du peuple (YPG) – ont été arrêtées par la DGSI et le RAID. Sept ont été mises en examen pour « association de malfaiteurs terroristes », et leur procès est prévu pour octobre 2023. Ces éléments démontrent, de la part de la police française, une volonté sans précédent de criminaliser l’usage des technologies de protection de la vie privée.

    Le chiffrement des communications est alors utilisé comme « preuve » d’un comportement clandestin… donc terroriste ! Des pratiques de sécurité numérique parfaitement légales et responsables – dont le chiffrement des communications qui est pourtant soutenu, et recommandé, par de nombreuses institutions, comme les Nations unies, la Commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL), l’Agence nationale de la sécurité des systèmes d’information (Anssi), l’Agence européenne pour la cybersécurité (Enisa) ou la Commission européenne – sont criminalisées à des fins de mise en scène d’un « groupuscule clandestin » vivant dans « le culte du secret ».

    Outre l’usage de messageries chiffrées sont aussi incriminées des pratiques telles que le recours à des services comme Proton Mail pour chiffrer ses e-mails, l’utilisation d’outils permettant de protéger la confidentialité de sa navigation sur Internet (VPN, Tor, Tails), de se protéger contre la surveillance des Gafam, le simple chiffrement d’ordinateurs personnels ou encore l’organisation de formations à la protection numérique (chiffro-fêtes).
    Rejet de l’amalgame entre protection des données et terrorisme
    Par la criminalisation du chiffrement et de pratiques répandues de sécurité informatique, la police française vise à construire un récit selon lequel les sept personnes mises en examen vivraient « dans la clandestinité ». En l’absence d’un projet terroriste prouvé et avéré, cette prétendue « clandestinité » devient une preuve de l’existence cachée d’un projet inconnu.
    Nous, journalistes, activistes, fournisseurs de services tech ou simples citoyens attentifs à la protection des données à l’ère numérique, sommes profondément révoltés de voir qu’un tel amalgame entre la protection basique des données et le terrorisme puisse être alimenté par les services de renseignement et la justice antiterroriste française.

    Nous sommes scandalisés que des mesures nécessaires à la protection des données personnelles et de la vie privée soient désignées comme des « actions conspiratives » de personnes vivant supposément dans le « culte du secret ».
    Nous dénonçons le fait qu’une formation classique et bienveillante au numérique, portant sur Tails, un système d’exploitation grand public développé pour la protection de la vie privée et la lutte contre la censure, puisse constituer un des « faits matériels » caractérisant « la participation à un groupement formé (…) en vue de la préparation d’actes de terrorisme ».

    Sous prétexte de terrorisme, le système judiciaire français incrimine des pratiques basiques de sécurité. Mais l’exemple français ne représente malheureusement pas l’unique tentative d’affaiblir le droit au chiffrement. A Bruxelles, la Commission européenne a proposé en 2022 le règlement Child Sexual Abuse Regulation (CSAR). Au nom de la lutte contre la pédopornographie, ce texte veut obliger les fournisseurs de messageries chiffrées à donner accès à chacun de nos messages pour les vérifier.

    Pour un numérique émancipateur, libre et décentralisé

    De nombreuses voix se sont élevées contre cette proposition, parmi lesquelles celles de cent trente organisations internationales. Elles dénoncent notamment l’absence de considération pour la mise en place d’autres moyens qui permettraient de lutter contre ces graves infractions de manière moins liberticide. De récentes fuites ont d’autre part révélé que des pays comme l’Espagne veulent purement et simplement interdire le chiffrement de bout en bout.

    En Grande-Bretagne, le projet de loi Online Safety Bill et, aux Etat-Unis, le projet EARN IT s’ajoutent à cette inquiétante guerre contre le chiffrement. Attachés à promouvoir et défendre les libertés fondamentales dans l’espace numérique, nous défendons le droit au chiffrement et continuerons à utiliser et à créer des outils protégeant la vie privée.

    Nous refusons que les services de #renseignement, les juges ou les fonctionnaires de #police puissent criminaliser nos activités au motif qu’elles seraient « suspectes ». Nous continuerons de nous battre pour un numérique émancipateur, libre et décentralisé afin de bâtir une société plus digne pour toutes et tous. Le combat pour le #chiffrement est un combat pour un futur juste et équitable.

    Parmi les signataires : Vincent Brengarth, avocat au barreau de Paris ; Vanessa Codaccioni, maître de conférences, université Paris-VIII ; Isabela Dias Fernandes, directrice exécutive de Tor ; Emmanuel Poupard, premier secrétaire général du Syndicat national des journalistes ; Dominique Pradalié, présidente de la Fédération internationale des journalistes ; Raquel Radaut, porte-parole de La Quadrature du Net ; Vanina Rochiccioli, coprésidente du Gisti ; Serge Slama, professeur de droit public, université Grenoble-Alpes ; Emmanuel Thomé, chercheur à l’Inria ; Meredith Whittaker, présidente de Signal.

  • « Elon Musk laisse ceux qui partagent ses tendances à l’autoritarisme déverser leur propagande sur Twitter »
    https://www.lemonde.fr/idees/article/2023/06/14/elon-musk-laisse-ceux-qui-partagent-ses-tendances-a-l-autoritarisme-deverser

    Alors qu’Elon Musk sera à Paris pour participer à VivaTech, un salon sur les nouvelles technologies, qui se déroule du 14 au 17 juin, Fred Turner, spécialiste de l’histoire d’Internet, revient sur l’évolution de Twitter depuis son rachat par le milliardaire américain.

    Propos recueillis par Marc-Olivier Bherer

    Fred Turner est professeur de communication à l’université Stanford (Californie). Ses travaux portent sur l’histoire des nouvelles technologies depuis la fin de la seconde guerre mondiale. Son livre Aux sources de l’utopie numérique (C & F, 2012) l’installe comme l’un des plus fins connaisseurs de l’histoire du Web et de la culture propre à la Silicon Valley. Le 16 juin, il prononcera une conférence à Sciences Po Paris.

    Elon Musk a racheté Twitter, en octobre 2022. Ce réseau social a-t-il profondément changé depuis ?

    Au moment de cette transaction, Twitter occupait une position enviable sur le marché. Certes, ses revenus étaient limités et cette société avait de profonds problèmes financiers. Mais elle occupait une position dominante. D’autres avaient tenté de lancer des plates-formes concurrentes, sans parvenir à faire jeu égal. De sorte que Twitter, avant Elon Musk, était le lieu du débat en ligne. Des garde-fous avaient été mis en place pour tenter de contenir les discours haineux et la désinformation. Mais, dès son arrivée, Musk s’est débarrassé de tout cela.

    Désormais, la publicité est davantage présente, tout comme les contenus portant sur des célébrités ou générés par elles. La droite en général occupe également un espace beaucoup plus important. Certains contenus sont mis en avant, alors même qu’ils font pratiquement appel à la violence en défense de l’ancien président américain Donald Trump.

    Les internautes ne retrouvent plus cette diversité de points de vue à laquelle ils avaient accès auparavant. Dans le débat tel qu’il existe aujourd’hui sur Twitter, il est plus difficile de distinguer le bruit d’un signal, d’une information pertinente et significative. Le réseau social occupe toujours une place dominante, mais il a perdu en influence.
    Lors d’un échange avec Elon Musk retransmis en direct sur Twitter, le gouverneur ultraconservateur de Floride, Ron DeSantis, a annoncé, fin mai, qu’il se portait candidat à la primaire républicaine. L’ancien animateur de Fox News Tucker Carlson, figure de l’extrême droite américaine, vient, lui, de relancer son émission sur Twitter. Ce réseau social fait-il le jeu de la droite la plus dure ?

    Deux forces sont à l’œuvre, ici : la droite américaine et la Silicon Valley. Aux Etats-Unis, un combat pour l’avenir de la démocratie est engagé. Le Parti républicain a pris un virage autoritaire, avec un durcissement de ses positions sans précédent dans l’histoire récente. Cette droite souhaite pouvoir s’appuyer sur ceux qui contrôlent une grande partie du système médiatique américain, les acteurs de la Silicon Valley.

    Elon Musk est le propriétaire de Twitter, il décide ce qui peut être dit. Il laisse ceux qui partagent ses tendances à l’autoritarisme déverser leur propagande. La trop faible intervention de l’Etat américain pour encadrer ce secteur est un grave échec, c’est l’une des raisons pour lesquelles notre démocratie est aujourd’hui en crise.

    L’autoritarisme de Musk ne s’inspire cependant pas d’une logique totalitaire, selon laquelle l’Etat contrôlerait les individus. Il incarne plutôt un autoritarisme individualiste, qui s’en remet au marché pour étouffer la voix des plus faibles. L’égalité en matière de liberté d’expression n’existe pas. Les individus fortunés, qui détiennent des médias comme Twitter, peuvent s’assurer de contrôler le débat public. L’autoritarisme individualiste permet aux détenteurs de systèmes aussi influents que Twitter de garder le pouvoir.
    Qu’est-ce qui explique que nous en soyons arrivés là ?

    Un malentendu s’est installé sur ce qu’est véritablement Twitter. Elon Musk veut nous faire croire que ce réseau social est un espace de discussion, ce qui laisse entendre que ce qui s’y passe relève uniquement de la liberté d’expression. Pour l’entrepreneur, si tout le monde peut s’exprimer de façon égale, l’ordre va émerger naturellement.

    Mais, en fait, Twitter ressemble davantage à une plate-forme de diffusion comparable à la télévision ou à la radio, qui sont encadrées par un système étendu de lois et de régulations. Une chaîne de télé est, par exemple, responsable des propos qu’elle diffuse, ce n’est pas le cas des réseaux sociaux. Twitter a, par ailleurs, cette particularité qu’il permet à ses utilisateurs de diffuser massivement leurs idées, tous les autres internautes peuvent y avoir accès. Sur Facebook, les choses se passent autrement, ce n’est pas une plate-forme aussi ouverte : avant de pouvoir consulter le contenu d’un utilisateur, il faut faire partie de son cercle d’amis.
    Dès le 25 août, de nouvelles règles européennes encadreront les plates-formes numériques, entre autres pour lutter contre la désinformation. Elon Musk ne semble pas pressé de s’y conformer, au point que le ministre de la transition numérique, Jean-Noël Barrot, a déclaré, le 29 mai, que « Twitter sera banni de l’Union européenne, s’il ne se conforme pas à [leurs] règles ». N’est-ce pas aller trop loin ?

    Si Twitter n’applique pas ces règles, je crois que l’Europe aura raison de prendre une telle décision. Je ne suis pas particulièrement favorable à l’intervention de l’Etat sur le marché, mais dans ce cas précis, je suis convaincu que ce sera la bonne chose à faire. L’Etat américain reste en position de faiblesse face au secteur technologique. Avec sa nouvelle réglementation, l’Union européenne défend l’intérêt public bien au-delà de ses frontières.
    Lire aussi la chronique : Article réservé à nos abonnés Sur Twitter, « Elon Musk fait le rude apprentissage de la modération des contenus »
    Fin mars, Elon Musk a signé, avec plus de 1 000 spécialistes et entrepreneurs des nouvelles technologies, une tribune appelant à ce que l’on encadre le développement de l’intelligence artificielle. Le patron de Twitter a lancé, en avril, une start-up dans ce domaine. Que vous inspirent ces récents développements ?

    Commençons par arrêter de parler d’intelligence artificielle, cette expression anthropomorphique est trompeuse, les ordinateurs ne sont pas en train de s’humaniser. Ce n’est que du marketing et il n’y a rien que la Silicon Valley n’aime davantage que de vendre du rêve, l’idée qu’elle s’apprête à changer le monde. Il n’y a pas si longtemps, c’était les cryptomonnaies…

    Pour le moment, ce que l’on appelle « intelligence artificielle » n’est rien de plus que des machines d’analyse à grande échelle. De sorte que l’image la plus appropriée pour parler de ces technologies emprunte plutôt au vocabulaire minier, car elles fouillent d’énormes quantités de données, du texte, des images, des enregistrements audio trouvés sur Internet, pour en extraire une réponse à la question formulée par l’utilisateur. C’est ce que fait ChatGPT.

    Laissons tomber les effets de manche de la Silicon Valley et concentrons-nous sur les dangers dont cette technologie est porteuse. Les créateurs de ces machines ne les maîtrisent pas parfaitement, elles peuvent prendre des décisions inattendues, imprévisibles. Cette technologie peut disposer d’une forme d’autonomie qui nous dépasse.

    Je crois qu’il faut donc faire comme pour le secteur minier et encadrer l’accès au sous-sol. Des lois doivent être mises en place pour encadrer l’accès aux données et ce qu’il est possible de faire avec ces données. Requérir que le fonctionnement de ces algorithmes soit accessible au régulateur me semble également une bonne chose.

    Marc-Olivier Bherer

    #Fred_Turner #Elon_Musk #Intelligence_artificielle

  • Philippe Descola et Baptiste Morizot : « Face aux bouleversements écologiques, il est temps de bifurquer et d’aménager le monde pour la vie »
    https://www.lemonde.fr/idees/article/2023/06/09/philippe-descola-et-baptiste-morizot-face-aux-bouleversements-ecologiques-il

    Tous deux, qui participent à l’ouvrage collectif On ne dissout pas un soulèvement. Quarante voix pour Les Soulèvements de la Terre (Seuil, 192 pages, 11,50 euros), ont conscience que nous avons changé d’ère et qu’il convient de « bifurquer » afin de maintenir les conditions d’habitabilité de la planète. Philippe Descola, qui a récemment consacré un séminaire, à l’université de Berkeley (Californie), à l’élaboration d’une nouvelle « cosmopolitique », et Baptiste Morizot, qui vient de publier L’Inexploré (Wildproject, 432 pages, 26 euros), s’entretiennent ici, dans un dialogue philosophique, sur les enjeux écologiques.
    https://justpaste.it/agypl

    #écologie

    • Il faut pouvoir accommoder dans notre vocabulaire conceptuel d’autres façons de faire monde. C’est pourquoi, par exemple, je plaide pour remplacer « société » par « collectif », le second terme ne préjugeant pas de ce qui est assemblé – des humains, des autres qu’humains, une combinaison des deux –, tandis que le premier réduit l’assemblage aux seuls humains. (Descola)

      Les 4 vérités avec Marine Tondelier, Secrétaire nationale EELV
      https://www.youtube.com/watch?v=8OHJzZVqzmE

      « La terre menace de devenir inhabitable (...) On est dans les derniers instants à l’échelle de l’humanité où l’on peut réagir. Quand on fracture le pays sur une histoire de retraites, deux ans de plus ou de moins, mais nous on n’arrivera jamais à l’âge de retraite (...), sur des histoires de libertés publiques, à quoi ça rime ? On ne devait penser qu’à ça, ne parler que de ça et ne se préoccuper que de ça (...) On devrait tout arrêter, tout ce qui n’est pas essentiel à la survie de l’humanité. On devrait peut-être laisser tomber certains combats qui n’en valent pas la peine »

      les déclarations sur "le social" (#retraites, fin du mois) cherchant la "convergence des luttes", comme ils disent, et l’adhésion électorale, pèsent-ils moins lourd que ce centrement sur le "collectif" (Descola) étendu aux non-humains. on tache d’avoir un mot pour les pauvres que cette "alterpolitique" (Morizot) met potentiellement de côté (ces combats qui n’en valent pas la peine, puisqu’on va tous mourir).

    • Des types qui pensent que le problème relève de « l’édifice intellectuel et institutionnel que la pensée des Lumières nous a légué » ne peuvent guère produire, en guise de solution, que des considérations moralisantes qui ne valant guère plus que des bullshits.

      Il n’y a donc pas à s’étonner que, pour ces types, la solution ne puisse relever (sans rire) que :
      – de concepts dimensionnés et adaptés où « les assemblages anciens montrent leurs limites et les assemblages nouveaux n’existent qu’en puissance »,
      – d’une nouvelle « interprétation philosophique pour penser notre conjoncture », pour « penser le monde vivant comme ce qu’il est vraiment », pour « repenser autrement nos relations au monde vivant », voire pour « repenser leur nature même »
      – de la nominalisation de nouvelles « relations avec les milieux vivants, les animaux, les végétaux », de nouvelles manières discursives d’« accommoder dans notre vocabulaire conceptuel d’autres façons de faire monde » (« C’est pourquoi, par exemple, je plaide pour remplacer « société » par « collectif » : la blague du jour)
      – de « structures institutionnelles – territoires alternatifs, mobilisations contre l’accaparement des terres et de l’eau, luttes contre des projets écocidaires – sur lesquelles appuyer un projet local de faire monde »
      – d’un « programme de relocalisation de nos attachements au vivant et d’aiguisement de notre attention à ce qu’il porte de joie et de plénitude »
      – de blablabla...

      C’est le langage du nouveau réformisme, nouvel avatar du vieille idéalisme. Tout aussi inutile et insupportable que l’ancien, mais sans doute plus adapté aux enjeux contemporains.

      Donc pas un mot, naturellement, pour expliquer que :
      – pour obtenir une agriculture qui « laisse respirer et prospérer la terre, agricole et sauvage, contre sa bétonisation outrancière »,
      – pour rendre possible un "tissage de solidarités entre des agents humains et autres qu’humains", où les humains pourront « entretenir avec l’espace qui les accueille une relation d’équité »
      ... il faudra libérer l’humanité entière de la jungle capitaliste.

      Pas un mot pour expliquer que, pour cela, il faudra bien plus que des « territoires alternatifs, des mobilisations contre l’accaparement des terres et de l’eau, des luttes contre des projets écocidaires », mais que les travailleurs (les producteurs de tout en ce monde) soient au pouvoir, et organisent la société en fonction de leurs intérêts de classe, et, partant, de ceux la majorité de la population.

      Les travailleurs produisent toutes les richesses de façon collective et sociale et n’ont rien à gagner au maintien de la propriété privée des moyens de production, à commencer par les travailleurs du secteur agroalimentaire.

      Pour «  sauver la planète  », comme l’exige avec raison la jeunesse qui se mobilise, il n’y a pas d’autre solution que de placer les industriels sous le contrôle direct des travailleurs et de la population. Il faut supprimer le secret des affaires et le secret industriel. Chaque travailleur, quel que soit son poste ou ses responsabilités, doit pouvoir rendre public, sans risquer son emploi, tous les agissements dangereux dont il a connaissance. Cela ne peut être qu’une première étape avant de collectiviser l’ensemble des groupes capitalistes pour les soumettre à un plan commun de production répondant aux besoins de la population sans détruire la planète et, en économisant au maximum les ressources.

      Oui, il y a urgence à enrayer la catastrophe écologique tout comme il y a urgence à arrêter la catastrophe sociale. Les deux ne s’opposent pas. Les deux sont liées et les deux nécessitent la même intervention consciente des travailleurs, qui produisent tout.

      La catastrophe écologique et ceux qui s’en servent
      https://mensuel.lutte-ouvriere.org/2021/10/24/la-catastrophe-ecologique-et-ceux-qui-sen-servent_183740.htm

    • ça reste absolument désolant la manière dont LO et ses militants refusent de raisonner au-delà de ce qu’ils savent déjà expliquer et expliquer encore (pauvres pédagogie). Trotsky n’avait pas pas besoin de se caparaçonner dans je ne sais quel marxisme pour porter attention au travaux de Freud (oh mon dieu, ça se passe dans la tête ! quel idéalisme !) ou au surréalisme. excuse @recriweb mais même pour cette énième variante d’intellectuels bourgeois, qui eux au moins travaillent sur des problèmes à la fois concrets, décisifs et urgents qui n’ont pas été déjà arpentés, tu fait pitié.

      #sectarisme (puisque le commentaire général s’applique ici)

    • Je me demande ce que tu as pu comprendre de mon post.

      Morizot est un auteur que je lis souvent avec intérêt — je ne nie nullement la pertinence de bien de ses constats et déplorations ; ce que je déplore, en revanche, c’est que cette écologie ignore la lutte des classes et, partant, borne ses espoirs à des vœux pieux en direction de l’État bourgeois et de ses institutions.

      Pourtant, il ne se passera rien d’historiquement determinant (de « concret ») tant que l’humanité dans sa globalité n’aura pas liquidé le pouvoir du capital sur la production et les échanges.

      Ceux qui, à la suite du stalinisme, ont rompu avec la révolution puis se sont engouffrés dans les chimères du réformisme, et ceux qui, plus jeunes, ignorent désormais tout des acquis théoriques du mouvement ouvrier et s’emploient aujourd’hui à répandre l’idée d’un monde meilleur sans révolution sociale, se mentent et font perdre un temps précieux à l’humanité.

    • sur le réformisme intenable de Morizot, je suis bien d’accord. en revanche, renvoyer sans cesse les représentations au rang de dérivées secondaires du rapport social, ou à l’idéalisme, ça n’éclaire rien. si il y a une philosophie à réaliser, ce n’est plus celle qu’invoquait Marx, « la » philosophie ayant été soumise à bien des épreuves depuis son époque.

    • Marx et Engels ont pris pour cible l’idéalisme en montrant que la question scientifique de la vérité, dans les sciences relatives aux phénomènes sociaux (y compris environnementaux), était fondamentalement une question pratique. Une question résolue, non pas à part, dans une pratique communicationnelle ou une praxis d’ordre intellectuel ou artistique, mais sur le terrain des luttes sociales. A mes yeux, cette approche est à suivre coûte que coûte – hier contre les efforts du structuralisme pour en liquider le principe, et aujourd’hui contre ceux des constructivismes dominants.

      Je veux bien m’accorder avec tous ceux qui démontrent que les connaissances ont évolué en bien des domaines depuis Marx et Engels (qui pourrait le nier ?), et donc que, sur bien des aspects, Marx et Engels étaient des hommes de leur temps. Mais je maintiens que les "représentations" qui ont renoncé au matérialisme et à la dialectique, que les approches théoriques contemporaines qui proposent de borner les rapports sociaux à des rapports de sens, que les philosophies qui placent leur seuls espoirs dans les « changements des mentalités », ne nous éclairent pas autant que l’exigerait l’ampleur de la tâche à accomplir.

  • « Les pays industriels ont “choisi” la croissance et le réchauffement climatique, et s’en sont remis à l’adaptation »
    https://www.lemonde.fr/idees/article/2023/06/07/les-pays-industriels-ont-choisi-la-croissance-et-le-rechauffement-climatique

    Dès la fin des années 1970, les gouvernements des pays industriels, constatant l’inéluctabilité du réchauffement, ont délibérément poursuivi leurs activités polluantes quitte à s’adapter à leurs effets sur le climat, rappelle Jean-Baptiste Fressoz dans sa chronique.

    L’émoi provoqué par la sortie du ministre de la transition écologique, Christophe Béchu, qui a annoncé « commencer à construire une trajectoire [de réchauffement] à 4°C » en vue de la fin du siècle, est assez hypocrite. Que l’objectif des 2°C, et a fortiori celui de 1,5°C, soit pour ainsi dire inatteignable est un secret de polichinelle. Il suffit de considérer les diminutions extraordinairement rapides des émissions qu’il faudrait obtenir pendant les années 2020 pour comprendre le problème.
    Mais feindre la surprise donne l’impression d’avoir essayé : l’adaptation serait donc le résultat d’un échec, celui de nos efforts de transition. Or, ce récit moralement réconfortant est une fable. En réalité, l’adaptation a été très tôt choisie comme la stratégie optimale.
    Dès novembre 1976, la Mitre Corporation, un groupe de réflexion d’origine militaire proche de la Maison Blanche, organisait un congrès intitulé « Living with Climate Change : Phase II ». Dans son préambule, le rapport passait rapidement sur le réchauffement, considéré comme inexorable. Restait à en évaluer les conséquences sur l’économie américaine. Mitre souhaitait ouvrir « un dialogue avec les leaders de l’industrie, de la science et du gouvernement ». Le résultat est impressionnant de prescience, et de désinvolture.

    Prescience quand il aborde par exemple le problème de la contraction des sols argileux et de ses effets sur la solidité des bâtiments, une conséquence effectivement coûteuse du réchauffement ; désinvolture, quand rien n’est dit de l’assèchement du Colorado, des incendies de forêt ou des tempêtes en Louisiane. L’agriculture était bien identifiée comme vulnérable mais, à l’échelle des Etats-Unis, ce secteur aurait toujours le moyen de déplacer les zones de production.

    Une bataille perdue d’avance
    En 1983, le rapport « Changing Climate » de l’Académie des sciences américaine – le titre est révélateur – reprenait cette vision rassurante. Le dernier chapitre reconnaissait l’impact du réchauffement sur l’agriculture, mais comme son poids dans l’économie nationale était faible, cela n’avait pas grande importance. Concernant les « zones affectées de manière catastrophique », leur sacrifice était nécessaire pour ne pas entraver la croissance du reste du pays, même s’il faudra probablement les dédommager.

    Au Royaume-Uni, un séminaire gouvernemental d’avril 1989 exprimait également bien ce point de vue. La première ministre Margaret Thatcher (1979-1990) avait demandé à son gouvernement d’identifier les moyens de réduire les émissions. Les réponses vont toutes dans le même sens : inutile de se lancer dans une bataille perdue d’avance. On pourrait certes améliorer l’efficacité des véhicules, mais les gains seraient probablement annihilés par ce que les économistes définissent comme les « effets rebonds ». Selon le ministre de l’agriculture, « pour avoir un effet, les mesures à prendre devraient être si sévères qu’elles auraient des conséquences catastrophiques sur notre compétitivité ».
    Le ministre de l’énergie rappelait que le Royaume-Uni ne représentait que 3 % des émissions et que cette part allait rapidement diminuer avec l’émergence de la Chine et de l’Inde. Des efforts, même héroïques, n’auraient aucun effet perceptible sur le climat. La conclusion s’imposait : « On ne peut pas faire grand-chose à l’échelle nationale, et même internationale, pour empêcher le réchauffement global. On peut seulement espérer en atténuer les effets et nous y adapter. »

    C’est à cette époque que le Royaume-Uni se prononce contre le projet d’écotaxe européenne. La France, sous l’égide de Michel Rocard, avait d’abord promu ce dispositif – qui avantageait son industrie alimentée au nucléaire – avant de faire volte-face juste avant la conférence sur l’environnement de Rio de 1992. C’est aussi à cette époque que l’économiste William Nordhaus démontrait « mathématiquement » le caractère optimal d’un réchauffement de 3,5°C en 2100… Il obtiendra le « prix Nobel d’économie » en 2018 pour ces travaux.
    Sans le dire, sans en débattre, les pays industriels ont « choisi » la croissance et le réchauffement, et s’en sont remis à l’adaptation. Cette résignation n’a jamais été explicitée, les populations n’ont pas été consultées, surtout celles qui en seront et en sont déjà les victimes.

  • RSA : « Vivre avec 600 euros n’étant pas une contrainte suffisante, il faudra désormais être stagiaire d’Etat pour les percevoir »
    https://www.lemonde.fr/idees/article/2023/06/03/rsa-vivre-avec-600-euros-n-etant-pas-une-contrainte-suffisante-il-faudra-des

    Raphaël Amselem, chargé d’études pour GenerationLibre, spécialiste des finances publiques, et Lucien Guyon, journaliste chez « Blast », dénoncent, dans une tribune au « Monde », la notion de devoir que le gouvernement veut associer au RSA, qui constitue un droit à la dignité humaine et ne saurait par conséquent souffrir de contrepartie.

    Le revenu de solidarité active (RSA) porte un nom bien administratif pour désigner une aide essentielle, allouée aux personnes sans moyens, afin qu’elles puissent se vêtir, un peu, se nourrir, comme elles peuvent, et se loger, difficilement. Autrement dit, il reconnaît par une maigre compensation financière que le corps social doit s’assurer de la dignité de chacun de ses membres.

    Le gouvernement discute actuellement d’un projet de loi qui devrait conditionner le versement du RSA à un « accompagnement intensif » de quinze à vingt heures par semaine composé, pour le dire simplement, de réunions et d’observations en entreprise. Partant du principe que la dignité se mesure au mérite, le gouvernement choisit, dans le cas d’une telle loi, d’ indexer le droit de survivre à une activité factice, non rémunérée et déléguant toujours davantage le destin des pauvres aux mécanismes iniques de l’administration.

    Vivre avec 600 euros n’étant pas une contrainte suffisante, il faudra désormais être stagiaire d’Etat pour les percevoir. Le droit à la dignité consacre, sans dérogations, que l’être humain, au moment où il est, ne peut être privé de subsistance. L’acquisition du savoir, la vie intime, l’éducation, le travail, la famille, la santé, autrement dit tout rapport au monde, se constituent à travers la reconnaissance de l’Autre. L’homme est social d’emblée. La dignité, conçue dans ce cadre, institue un réseau de respect dont il convient de garantir les conditions d’existence.

    Chaque membre du corps social doit voir sa subsistance garantie

    Paul Ricœur (1913-2005) a écrit dans l’introduction aux Fondements philosophiques des droits de l’homme (1988) : « A toute époque et dans toute culture, une plainte, un cri, un proverbe, une chanson, un conte, un traité de sagesse ont dit le message : si le concept de droits de l’homme n’est pas universel, il n’y en a pas moins, chez tous les hommes, dans toutes les cultures, le besoin, l’attente, le sens de ces droits. L’exigence a toujours été que “quelque chose est dû à l’être humain du seul fait qu’il est humain”. »

    Le droit à la dignité prend ainsi sa source dans l’impératif du soin de l’altérité. L’individualité, en ce sens, n’est rendue possible que par l’obligation de reconnaître à l’autre ce que lui-même me reconnaît. Cette correspondance, au fondement de toute civilité, passe par l’observation et la pratique d’un principe simple : chaque membre du corps social doit voir sa subsistance garantie.

    Le RSA coûte 15 milliards d’euros, 6 % du budget de la Sécurité sociale. Ce poste de dépenses, c’est 600 euros par personne. Et si tant est que l’argument financier soit central dans ce débat, l’économiste Marc de Basquiat notait qu’une telle réforme pourrait induire la création de 50 000 postes, soit un coût supplémentaire de 1 milliard d’euros. La jargonnante prosodie qui accompagne ce projet, traversée par les « dispositifs personnalisés », les « parcours de réinsertion », la « socialisation par le travail », noie sa violence dans un langage technique informe.

    Un régime individuel réglementé à outrance

    Le ministre du travail, Olivier Dussopt, disait, le 23 mai 2023, sur Franceinfo, que les allocataires déclinant les offres d’accompagnement seraient « suspendus ». Ce qui signifie, pour le dire sans politesse lexicale, que des humains se verront retirer leur unique ressource à la discrétion d’une instance administrative. Le reste de ce programme punitif prend les allures d’un régime individuel – encore un – réglementé à outrance.

    Miracle d’inventivité, le gouvernement a inventé le service national universel (SNU) du pauvre ! Qui touchera le RSA sera désormais administré comme un irresponsable a priori, incapable de s’émanciper d’une situation de dénuement sans l’aide éclairée d’un corps technocratique soi-disant à sa mesure, à sa portée, et capable de qualifier le bon, le juste et le souhaitable pour lui.

    Puis, nous la connaissons déjà bien, l’administration française ! Il faut imaginer l’ordinaire allocataire du RSA – 600 euros, pour le redire – à qui on demande de se déplacer à 10 kilomètres de chez lui, pour s’immerger dans une « journée entreprise » censée modifier le cours de son existence ! Il y verra ce qu’est le vrai monde, où des gens missionnent d’autres gens, où des personnes écrivent des notes, où des comptables comptent, où des patrons patronnent, où des livreurs livrent : une révolution !

    La violence sociale va de pair avec la violence administrative

    Des perspectives à venir pour celui qui pensait qu’être comptable, ça n’était pas compter, qu’être patron, ça n’était pas diriger, et qu’être livreur, ça n’était pas livrer. Ce déboussolement organisé aura sans doute une influence vivifiante dans son « parcours de réinsertion », de sorte qu’il se lèvera, le lendemain, en se disant : « C’est donc ça, une épiphanie ! »

    C’est ce manque éclatant de confiance dans la part de la société civile la plus démunie, au point d’en faire l’objet d’un contrôle bureaucratique, qui scandalise, alors que les plus pauvres sont souvent les « premiers de cordée » devant les retors de l’administration, ses impondérables lourdeurs, ses voies labyrinthiques (parfois impénétrables) et son formalisme excessif. Un tiers des bénéficiaires potentiels du RSA renoncent ainsi à le réclamer.

    La violence sociale va de pair avec la violence administrative. L’assurance du droit à la dignité est consubstantielle à la philosophie libérale. De John Locke (1632-1704) à Raymond Aron (1905-1983), de Cesare Beccaria (1738-1794) à John Rawls (1921-2002), les principes du libéralisme politique ont été exposés en ces termes : l’Etat n’a pas un droit sur les individus équivalent aux droits qu’il assure.

    Ce mythe qui prétend que tout droit serait la conversion d’un devoir amène de graves fautes politiques. La garantie des droits fondamentaux doit être gratuite, spontanée, pour elle-même, par elle-même, et au fondement de l’action publique. Nul ne saurait être redevable en dignité. Une mesure qui conditionne la survie est une mesure qui oublie que des gens survivent.

    Rafaël Amselem (chargé d’études au sein du club de réflexions libéral GenerationLibre) et Lucien Guyon(journaliste pour le site de presse en ligne et la Web-TV « Blast »)

    #guerre_aux_pauvres #droits_fondamentaux #RSA #travail #accompagnement_intensif #mérite #contrepartie #contrainte #sanction #droit_au_revenu #revenu_minimum #contrôle #violence_sociale #violence_administrative

    • RSA : « Et si le gouvernement prenait vraiment les choses au sérieux ? », Jean-Claude Barbier
      https://www.lemonde.fr/idees/article/2023/06/01/rsa-et-si-le-gouvernement-prenait-vraiment-les-choses-au-serieux_6175733_323
      La querelle sur l’activité obligatoire des allocataires des minima sociaux date d’avant le RMI de 1988, ancêtre du RSA, rappelle dans une tribune au « Monde » le sociologue Jean-Claude Barbier.

      Quelles sont les différentes options qui pourraient tracer les pistes d’une possible réforme du revenu de solidarité active (RSA), voulue par le gouvernement ? Elles sont au nombre de quatre et sont bien antérieures à la réforme envisagée aujourd’hui. Il y a d’abord ce que l’on peut qualifier de « méthode Raymond Barre ». Elle remonte à l’époque où l’ancien premier ministre de Valéry Giscard d’Estaing et candidat à l’élection présidentielle de 1988 demandait l’assistance « absolue » uniquement pour les vieillards et les personnes handicapées ne pouvant pas du tout travailler.

      Puis il y a la « méthode Nixon », étendue par Clinton en 1996 : obliger pour une allocation de misère – pas même un emploi – à travailler dans les parcs publics. Elle a été surnommée « workfare ». Ensuite, l’insertion, originalité française, la « méthode Jean-Michel Belorgey » (du nom du député socialiste auteur et pilote de la loi revenu minimum d’insertion (RMI) promulguée le 1er décembre 1988), qui combine allocation et accompagnement effectif des personnes par les travailleurs sociaux.

      Laissons de côté l’actuelle tentation démagogique qui agite aujourd’hui les députés Renaissance et LR comme elle agita Clinton, et intéressons-nous à la quatrième solution, celle de la « dignité humaine » (Menschenwürde), principe constitutionnel allemand. La Cour de Karlsruhe a en effet exigé en 2019 du gouvernement fédéral qu’il respecte le minimum d’existence (digne) fixé par la Constitution en euros, applicable même après d’éventuelles diminutions pour sanctions.

      Rompre avec « l’esprit de radinerie »

      Si un gouvernement français prenait vraiment les choses au sérieux, il devrait d’abord rompre avec « l’esprit de radinerie » qui marque l’assistance aux pauvres depuis son invention en Angleterre élisabéthaine au XVIe siècle. Jamais depuis cette époque les gouvernements n’ont accordé un financement suffisant pour aider les personnes pauvres à sortir de la misère.

      Si en effet les sommes dépensées paraissent énormes, elles ne représentent, y compris l’indemnisation du chômage, que 8 % des dépenses de protection sociale, contre 80 % pour la santé et les retraites. Près des deux tiers de ceux et celles qui perçoivent les minima sociaux sont en dessous du seuil de pauvreté en France (y compris les enfants).
      Une réponse sérieuse devrait donc être celle d’un financement décent mais conséquent, et d’une action d’accompagnement elle aussi conséquente, comme elle existe par exemple au Danemark (à l’exception des immigrants désormais discriminés dans ce pays). Le RMI n’a jamais bien fonctionné en termes de suivi efficace pour le retour ou l’accès à un emploi.

      Renforcer les sanctions reste une mesure marginale

      En 2022, la Cour des comptes a noté que les dépenses des départements ne sont compensées en longue durée qu’à près de 60 %, ce qui veut dire qu’ils n’ont tout simplement pas les moyens de financer l’insertion. Au Danemark, les collectivités territoriales lèvent leurs propres impôts, et sont au contraire suffisamment dotées.
      Mieux, elles sont engagées à gérer efficacement leurs dépenses par des contrats avec l’Etat central qui les incitent à bien le faire. Il est tout à fait possible de dépenser à la fois à bon escient et avec rigueur. Et cela serait une belle réforme à entreprendre pour le ministre français des finances…

      Car renforcer les sanctions reste une mesure marginale ou inopérante. Les économistes savent que les sanctions sont d’une efficacité toute relative : elles motivent à la recherche d’emploi quand approche la fin du droit à l’indemnisation, mais elles incitent à prendre des emplois médiocres.

      Trouver des emplois de qualité et non des ombres d’emploi

      En outre, elles peuvent aussi inciter au non-recours (« Droits et devoirs du RSA : l’impact des contrôles sur la participation des bénéficiaires », Sylvain Chareyron, Rémi Le Gall, Yannick L’Horty, Revue économique n °5/73, 2022). Or, le non-recours au RSA est évalué à un tiers des personnes éligibles. Le problème à résoudre est par conséquent de placer en emploi ou en formation pendant plusieurs mois des centaines de milliers de personnes en difficulté.

      Il s’agit de trouver des emplois de qualité et non des ombres d’emploi, comme le redoute l’ancien commissaire au RSA Martin Hirsch. Les personnes pauvres craignent en effet des emplois de seconde zone, selon l’avis du Conseil national des politiques de lutte contre la pauvreté et l’exclusion sociale https://www.cnle.gouv.fr/l-avis-accompagnement-vers-l-1672.html (CNLE) sur l’accompagnement et l’insertion.

      Dans le rapport qui envisage la réforme du RSA, l’administration annonce l’objectif d’un conseiller Pôle emploi et d’un travailleur social pour 50 personnes, afin d’obtenir un « accompagnement global » adéquat pour des candidats très éloignés de l’emploi. Or, le régime normal, dit « de suivi », à Pôle emploi est de un pour 363, le régime « guidé » de un pour 211) et régime « renforcé » de un pour 97, selon les chiffres de la Cour des comptes. Un pas immense reste à franchir.

      Le service de l’emploi et de l’insertion est en outre confronté à trois populations hétérogènes : les jeunes ayant de grosses difficultés (à qui Le RSA est refusé, jusqu’à l’âge arbitraire de 25 ans), les chômeurs et les titulaires des minima sociaux, et parmi eux ceux qui ont des problèmes de santé (et ils sont nombreux). Chacun de ces groupes a besoin de services adaptés, qui ne peuvent être automatisés.

      L’essence de l’esprit de solidarité

      Par exemple, il faut des allocations aux jeunes sans emploi ni formation : ils sont plus d’un million, mais moins de 300 000 ont droit au soutien d’un contrat engagement jeune. L’idée d’un accompagnement renforcé accordé à un million de titulaires du RSA (avec un conseiller pour 50 allocataires) coûterait annuellement de 1,4 milliard d’euros, affirme l’IFRAP, un groupe de réflexion ultra-libéral.

      Or, la qualité de l’accompagnement conditionne la réussite : c’est précisément son absence qui explique les mauvais résultats de l’insertion, comme l’affirme la Cour des comptes à juste titre. Selon l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), le Danemark dépense trois fois plus proportionnellement que la France pour les « mesures actives » de l’emploi (c’est-à-dire les mesures de formation, d’accompagnement, d’insertion…. hors allocations), ce qui explique leur succès relatif dans notre pays.

      Or le Danemark est, comme la France, critiqué comme champion européen des dépenses sociales. Mais il n’y a rien sans rien ! Et de toute façon, l’insertion sociale et professionnelle est sans cesse à remettre sur l’ouvrage, avec des taux d’accès à l’emploi souvent décevants. Il ne faut pourtant pas renoncer, car il s’agit ici de l’essence de l’esprit de solidarité.

      Jean-Claude Barbier(sociologue CNRS au Centre d’économie de la Sorbonne /Paris 1 Panthéon Sorbonne)*

    • La réforme du RSA suscite inquiétudes et scepticisme
      https://www.lemonde.fr/politique/article/2023/05/04/la-reforme-du-rsa-suscite-inquietudes-et-scepticisme_6172003_823448.html

      Le gouvernement s’inspire notamment du contrat d’engagement jeune (#CEJ), mis en place en mars 2022. Un dispositif réservé aux 16-25 ans et aux moins de 30 ans en situation de handicap qui ne sont ni en études, ni en activité, ni en formation, et qui peinent à accéder à un emploi durable. Ces derniers s’inscrivent dans un parcours d’accompagnement de quinze à vingt heures hebdomadaires en échange d’une #allocation de 530 euros.

      Voilà le tarif : 530e par mois
      Toujours aussi drôle de voir les articles de gauche, et les critiques libérales (comme ci-dessus) qui disent 600 euros pour le RSA individuel alors que dans les faits c’est 534,82 (dans plus de 90% des cas, et ce depuis 1988, un « forfait logement » de 12% est retranché du montant maximum théorique).

      edit trouvé le reste dont

      (...)Des mesures coercitives qui suscitent, là encore, le scepticisme. « Les sanctions annoncées posent une vraie question opérationnelle, considère Antoine Foucher, du cabinet Quintet. Comment va-t-on, même partiellement, même provisoirement, diminuer le RSA des allocataires récalcitrants ? » Ces derniers « sont déjà très contrôlés, avec pas mal de sanctions », ajoute Michaël Zemmour, qui cite notamment « la mise sous surveillance » de leurs comptes en banque.

      Discours « démagogiques »
      Si les collectivités locales expriment ces craintes c’est aussi parce qu’elles pensent qu’une sorte de double discours existe au sein du gouvernement. « Nous sommes rassurés sur les conditions de l’expérimentation, mais inquiets concernant le contenu de la loi », lance Bruno Bernard. Le président écologiste de la métropole de Lyon dénonce les discours « démagogiques » du président de la République et du ministre des comptes publics, Gabriel Attal. Lors d’un déplacement dans l’Hérault, le 25 avril, ce dernier a opposé « les classes moyennes », « ceux qui comptent pour l’essentiel sur leur travail pour vivre, pas sur les aides sociales ni sur un gros patrimoine », aux opposants à la réforme des retraites qui accueillent les déplacements de ministres avec des casseroles.

      Cette opposition entre les actifs et ceux qui bénéficient des minima sociaux avait déjà utilisée par Emmanuel Macron, lors de son entretien télévisé, le 22 mars. « Beaucoup de travailleurs disent “vous nous demandez des efforts mais il y a des gens qui ne travaillent jamais” », avait déclaré le locataire de l’Elysée pour justifier le conditionnement du RSA. (...)

      Une rhétorique qui trouve un écho dans la population et qui peut en partie expliquer la difficulté que peuvent avoir les opposants à mobiliser largement. « L’idée s’est imposée dans l’opinion publique [que nous fabriquons] qu’il y a trop de gens qui vivent de la solidarité nationale, analyse le directeur général délégué d’Ipsos, Brice Teinturier. Une forme de consensus sur le sujet s’est installé, donc une telle réforme du RSA ne sera pas vraiment contestée par les Français. » Un climat politique issu de vingt ans de discours sur le supposé « assistanat » auquel vient s’ajouter un contexte économique favorable.
      Compte tenu des difficultés de recrutements rencontrées par les employeurs dans de très nombreux secteurs, ceux qui ne travaillent pas sont considérés comme profitant du système. Plusieurs études montrent qu’il y a surtout beaucoup de personnes qui peuvent prétendre au RSA et qui n’en bénéficient pas. « En 2018, un tiers (34 %) des foyers éligibles au RSA serait non recourant chaque trimestre, et un sur cinq (20 %) le serait de façon pérenne trois trimestres consécutifs », rappelle la direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques.
      Dans son entretien avec les lecteurs du Parisien, le 23 avril, Emmanuel Macron s’appuie pourtant sur ceux qui « abusent » du RSA pour défendre la réforme. Un sentiment renforcé par la sensation qu’ont les actifs, et surtout les travailleurs dit de première et deuxième lignes, que leur travail est dévalorisé et ne paie pas assez. « La précarisation du monde du travail renforce le ressentiment de ceux qui ont l’impression de se lever tôt pour un travail difficile et mal payé envers ceux qui bénéficient des minima sociaux sans travailler », signale Brice Teinturier.

      https://justpaste.it/5oq7c

    • Cela me fait penser à ce passage du Capital de Marx, chapitre 27 – L’expropriation de la population campagnarde – évoquant « la loi sur les pauvres » au XVIe siècle.

      Le protestantisme est essentiellement une religion bourgeoise. Pour en faite ressortir « l’esprit » un seul exemple suffira. C’était encore au temps d’Élisabeth : quelques propriétaires fonciers et quelques riches fermiers de l’Angleterre méridionale se réunirent en conciliabule pour approfondir la loi sur les pauvres récemment promulguée. Puis ils résumèrent le résultat de leurs études communes dans un écrit,contenant dix questions raisonnées, qu’ils soumirent ensuite à l’avis d’un célèbre jurisconsulte d’alors, le sergent Snigge, élevé au rang de juge sous le règne de Jacques-Ier. En voici un extrait :

      « Neuvième question : Quelques-uns des riches fermiers de la paroisse ont projeté un plan fort sage au moyen duquel on peut éviter toute espèce de trouble dans l’exécution de la loi. Ils proposent de faire bâtir dans la paroisse une prison. Tout pauvre qui ne voudra pas s’y laisser enfermer se verra refuser l’assistance. On fera ensuite savoir dans les environs que, si quelque individu désire louer les pauvres de cette paroisse, il aura à remettre, à un terme fixé d’avance, des propositions cachetées indiquant le plus bas prix auquel il voudra nous en débarrasser. Les auteurs de ce plan supposent qu’il y a dans les comtés voisins des gens qui n’ont aucune envie de travailler, et qui sont sans fortune ou sans crédit pour se procurer soit ferme, soit vaisseau, afin de pouvoir vivre sans travail. Ces gens-là seraient tout disposés à faire à la paroisse des propositions très-avantageuses. Si çà et là des pauvres venaient à mourir sous la garde du contractant, la faute en retomberait sur lui, la paroisse ayant rempli à l’égard de ces pauvres tous ses devoirs. Nous craignons pourtant que la loi dont il s’agit ne permette pas des mesures de prudence de ce genre. Mais il vous faut savoir que le reste des freeholders (francs tenanciers) de ce comté et des comtés voisins se joindra à nous pour engager leurs représentants à la chambre des communes à proposer une loi qui permette d’emprisonner les pauvres et de les contraindre au travail, afin que tout individu qui se refuse à l’emprisonnement perde son droit à l’assistance. Ceci, nous l’espérons, va empêcher les misérables d ’avoir besoin d’être assistés . (a) »

      (a) R. Blakey : The History of political, literature from the earliest times. Lond., 1855, vol. II, p. 83, 84

    • oui, si ce n’est qu’on est passé des #workhouse à la « société de travail » (comme Jospin l’a excellemment formulé en 1998) sur un soubassement matériel et social tout autre que les dimensions communautaires détruites par la dynamique du capital : le salaire et le salaire social (j’entends par là autre chose que Friot ; toutes les formes de salaire socialisé, hors emploi, dont le RSA). là l’enjeu du contrôle, c’est de déterminer par la loi, la jurisprudence, les pratiques de guichet, les gesticulations agressives, etc., l’étiage de la disponibilité à l’emploi (la conditionnalité de fait), quitte à multiplier les simulacres (plutôt que les murs) où s’épuise le temps des prolos (la disponibilité à l’emploi avec ses jeux imposés, du théâtre)

      des éléments sur ce théâtre, d’il y a 12 ans (...)
      https://seenthis.net/messages/46203

    • là l’enjeu du contrôle, c’est de déterminer par la loi, la jurisprudence, les pratiques de guichet, les gesticulations agressives, etc., l’étiage de la disponibilité à l’emploi (la conditionnalité de fait), quitte à multiplier les simulacres (plutôt que les murs) où s’épuise le temps des prolos (la disponibilité à l’emploi avec ses jeux imposés, du théâtre)

      Effectivement, « de l’autre côté » des allocataires du RSA on trouve des personnes qui occupent des emplois d’insertion, qui ne correspondent à guère autre chose que des missions de contrôle social et de gestion administrative de la précarité (dont un certain nombre sont d’ailleurs d’anciens « bénéficiaires » du RSA).

      C’est à ce genre d’aberration auquel conduit la défense aveugle des emplois pour les emplois, au lieu de celle des ressources. J’utilise à dessein le mot « ressources » pour évoquer - indépendamment des différentes formes qu’elles peuvent prendre (salaire, minima, pension de retraite, revenu, apprentis, stage, emplois aidés, etc.) - l’accès inconditionnel à des moyens d’existence qui ne soient jamais inférieurs au SMIC (même si le SMIC est un salaire bas, ce sera toujours mieux que ce que donne la liste des emplois bilboques).

      Quand à savoir s’il s’agit ou d’un « salaire socialisé » ou d’un « revenu garanti », à la limite, cela ne me semble pas vraiment déterminant (ce genre de questions aurait même plutôt tendance à me gonfler). Si on trouve un autre mot que « ressources » qui exprime le même sens que celui que je viens de proposer, je suis preneur.

      L’autre raison pour laquelle, de façon plus générale, je pense qu’il est essentiel de déconnecter la question des emplois et d’insister sur celle des ressources dans la lutte sociale (notamment dans la lutte syndicale - ce qui n’est vraiment pas gagné) c’est qu’à cause de la « défenses de l’emploi » on en vient à justifier le développement des pires aberrations industrielles qui nous conduisent droit dans le mur sur le plan social, politique et écologique.

      Il faut arrêter de justifier les choix politiques et sociaux sur les emplois mais, par contre, la défense des fondamentaux de la justice économique doit rester une priorité afin qu’aucune décision économique ou politique (plan sociaux, taxe carbone, etc.) se fasse au détriment des conditions d’existence matérielles de la classe ouvrière (pour faire simple).

      Et puis, après, vient la question du travail, mais là, de mon point de vue, c’est encore une autre problématique.

    • RSA : « La règle des 15 à 20 heures d’activité obligatoires est irréalisable, et le pouvoir le sait très bien », Yves Faucoup, Ancien directeur d’un centre de formation de travailleurs sociaux à Toulouse
      https://www.lemonde.fr/idees/article/2023/06/26/rsa-la-regle-des-15-a-20-heures-d-activite-obligatoires-est-irrealisable-et-

      Ancien cadre dans le travail social, Yves Faucoup dénonce, dans une tribune au « Monde », la réforme du revenu de solidarité active projetée par le gouvernement au nom d’une « mise au travail » dont il ne donne pas les moyens.

      France Travail, remplaçant de Pôle emploi, aura entre autres pour mission de veiller à ce que les attributaires du revenu de solidarité active (RSA) soient inscrits au chômage et établissent un contrat d’engagement.
      A terme, il s’agirait officiellement d’imposer quinze à vingt heures hebdomadaires d’activité à celles et ceux qui perçoivent le RSA. Certains commentateurs considèrent que le président de la République et la première ministre se seraient partagé les rôles : à lui la version dure, de droite, à la Sarkozy (« droits et devoirs »), à elle la version plus humaine, de gauche (« accompagnement et insertion »).
      Depuis bientôt trente-cinq ans (loi sur le revenu minimum d’insertion, décembre 1988), le principe du revenu minimum consiste en France à garantir à une personne sans ressources une allocation différentielle de faible niveau. Elle est fixée en effet à la moitié du seuil de pauvreté pour une personne seule, soit 534 euros mensuels (et non pas 608 euros comme si souvent colporté, en oubliant de déduire le forfait logement).

      Un accompagnement social et professionnel
      Il s’agit de lui permettre de survivre, bien loin des « moyens convenables d’existence » prévus par la Constitution ! Il n’a jamais été non plus expliqué clairement pourquoi le RSA est fixé à 60 % de l’allocation aux adultes handicapés (AAH) ou de l’allocation de solidarité aux personnes âgées (ASPA ou minimum vieillesse), autres minima sociaux.
      En contrepartie de cette allocation, un engagement d’activité (emploi, bénévolat, formation, création d’entreprise, soins) est signé par la personne en fonction de sa situation (car elle n’est pas toujours en capacité physique ou psychique d’assumer un travail). Cet engagement suppose un accompagnement social et professionnel. C’est du moins ce qu’indiquent les textes en vigueur depuis trente-cinq ans, sauf que les sommes qui y sont consacrées sont passées de 20 % du montant des allocations dans les années 1990 à 7 % aujourd’hui.

      Le RSA mis en avant par Nicolas Sarkozy avait pour but, tout comme la réforme annoncée par Emmanuel Macron, de « mettre les gens au travail », un discours autoritaire destiné à siphonner des voix à droite. Mais cela a été un fiasco, à part le renforcement de l’implication de Pôle emploi. En réalité, la mise en œuvre du RSA a entraîné des pertes majeures pour l’efficacité des accompagnements.
      L’intéressement à une reprise d’activité existait déjà, il aurait suffi de l’améliorer. Le RSA activité a été une erreur : les ayants droit ne l’ont pas ou peu demandé, redoutant la stigmatisation du minimum social entretenue par les idéologues de la droite dure, à l’instar de Laurent Wauquiez. Il a d’ailleurs été remplacé plus efficacement par la prime d’activité, ce que de nombreux spécialistes de la question réclamaient depuis longtemps.

      Le risque de l’affichage
      Le débat public sur le RSA est simpliste, parce qu’il entend régler le problème selon le principe des vases communicants : il y a des emplois non pourvus, donc ils peuvent être attribués à des gens au RSA. Alors que tous les professionnels du secteur savent que si l’on veut être efficace, il faut des moyens en matière d’accompagnement.
      Si le chef de l’Etat en était persuadé, il n’aurait pas attendu six ans pour se préoccuper de l’efficacité du dispositif – ce qui ne laisse d’ailleurs rien augurer de bon sur la mise en œuvre effective de la réforme. Car le risque est de rester dans l’affichage : non seulement pour passer le plus vite possible à autre chose après la promulgation de la loi sur les retraites, mais aussi pour faire de la communication politique à destination d’une classe moyenne prétendument excédée en se servant de la précarité. Comme Nicolas Sarkozy lors de la campagne présidentielle de 2012 dans sa lettre aux Français : « Nous avons consacré des milliards à maintenir des gens dans l’assistanat (…), nous l’avons payé d’une défaite financière. »
      En coulisse, les professionnels de l’accompagnement social suivent vaguement ces débats avec un triste sourire : ils savent que le rapport du haut-commissaire à l’emploi et à l’engagement des entreprises, Thibaut Guilluy, n’a pas fait l’objet d’une véritable concertation (une seule réunion pour toute l’Occitanie) ; et si beaucoup de ses propositions sont intéressantes, elles sont présentées à tort comme des innovations alors qu’elles n’inventent rien. Les nombreuses pistes existent déjà, elles sont appliquées, tentées ou explorées sur les territoires où les autorités départementales ont mis le paquet, et bien moins là où les moyens manquent.
      Négocié et non imposé
      Elisabeth Borne, en déplacement sur l’île de La Réunion, a parlé de « sanctions » si les attributaires du RSA ne respectent pas l’engagement. Juste pour montrer ses muscles, car la suspension du revenu minimum existe depuis toujours, si la personne ne prend pas contact avec le service d’accompagnement ou ne respecte pas l’engagement qu’elle a pris.

      Sauf que la première ministre a ajouté que dans la mesure où « on aura accompli, de notre côté, notre part de responsabilité », la sanction tombera si le bénéficiaire du RSA, lui, ne suit pas « le parcours qu’on lui a proposé ». Or jusqu’à ce jour, il est entendu, et d’ailleurs bien plus efficace, que le parcours soit négocié avec l’intéressé et non imposé. Il y a là un risque énorme d’un dispositif autoritaire voué à l’échec, car les professionnels de l’accompagnement résisteront et les allocataires aussi.

      1,8 million de foyers perçoivent le RSA : la règle des quinze à vingt heures d’activité obligatoires est irréalisable, et le pouvoir le sait très bien. S’il l’agite comme un hochet dans l’espoir d’en tirer profit auprès de « ceux qui travaillent », il ne semble pas qu’il ait l’intention de l’inscrire précisément dans la loi.
      Ce recul est plutôt une bonne chose, mais qu’en sera-t-il des promesses qu’il a faites sur les moyens d’accompagnement social et professionnel et de formation, indispensables pour aider vraiment les citoyens qui galèrent à tenter d’accéder à une véritable insertion ?

  • Le RN, « héritier de Pétain » : Macron recadre Borne en Conseil des ministres
    https://www.leparisien.fr/politique/le-rn-heritier-de-petain-macron-recadre-borne-en-conseil-des-ministres-30

    « Il lui a mis un scud », lance un membre du gouvernement, en sortant ce mardi midi du Conseil des ministres. Deux jours après les propos d’Élisabeth Borne sur Radio J, quand elle a parlé du Rassemblement national comme d’une « idéologie dangereuse », allant jusqu’à qualifier le parti de Marine Le Pen d’un « héritier de Pétain », Emmanuel Macron a indirectement fait la leçon à sa Première ministre devant les siens. Une mise au point pour rappeler ce que doit être, selon lui, la bonne stratégie pour cogner contre sa principale rivale à la dernière présidentielle, à savoir l’attaquer « par le concret », le « réel », et non pas en utilisant des « mots des années 90 qui ne fonctionnent plus ». Selon un participant, la Première ministre n’a pas réagi.

    […]

    Ce recadrage en plein Conseil des ministres est plus globalement intervenu au moment de commenter les résultats des dernières législatives en Espagne, où l’extrême droite est devenue la troisième force politique du pays. Et Macron de poursuivre son allusion aux propos de Borne, sans jamais en faire distinctement référence, pour reprocher les « postures morales » qui ne prennent plus dans l’opinion : « Le combat contre l’extrême droite ne passe plus par des arguments moraux. On n’arrivera pas à faire croire à des millions de Français qui ont voté pour elle que ce sont des fascistes. »

    • En terme de changement des mentalités, il est plutôt factuellement vrai qu’on arrivera jamais à faire changer l’avis de millions gens en disant « t’es un fasciste bouuuh spas bien, vazy change ». Le principe du « faire honte » ça marchait peut-être quand ils étaient vraiment minoritaires (et encore, est-ce que ça a vraiment marché ? les postures morales de SOS racisme etc des années 80 ça n’a jamais servi non plus) mais maintenant que c’est un si gros paquet, ça peut juste rien faire… surtout quand dans le même temps 90% des autres politiques proposent et font la même chose…

      Comment tu changes un pays où t’as un tiers ou plus des gens qui sont fascistes ?

      Évidemment comme souvent Macron dit un mot vrai pour en vomir du faux, puisque son concret c’est de faire littéralement des actions autoritaires (violence, surveillance, anti démocratisme, etc), alors qu’avec le même constat on pourrait dire qu’il faut faire des actions plus démocratiques, plus d’égalité, plus de solidarité, etc, une vie meilleure, aboutissant à moins de fachos mais ça ça prend des années à changer et voir le résultat…

    • @Nolwenn_Guellec
      https://twitter.com/Nolwenn_Guellec/status/1663551488277483520

      Macron ne peut pas ignorer l’histoire familiale d’Élisabeth Borne.
      « Recadrer » la fille d’un survivant d’Auschwitz sur la façon dont il convient de parler des complices de ceux qui voulaient l’exterminer.
      Ce type est vraiment immonde.
      Et en plus il me fait éprouver une immense sympathie pour Élisabeth Borne ça je peux pas le pardonner.
      Enfin après je comprends pas qu’elle lui ai pas immédiatement envoyé une lettre de démission dans la gueule (peut être c’est pour ça que je serai jamais ministre aussi)

      edit l’histoire est un mot des années 90

    • @rastapopoulos Je ne suis pas tout à fait d’accord. Certes ce que tu décris, c’est ce qu’ont fait les gouvernements jusqu’à présent : d’un côté jouer le jugement moral contre l’extrême-droite, et de l’autre, de manière généralement extrêmement violente et anti-démocratique, imposer la destruction des solidarités, protections sociales, services publics, etc., ce qui évidemment fait monter l’extrême-droite. Évidemment que ça ne peut pas fonctionner.

      En revanche, ça ne veut pas dire que la carte morale est une mauvaise chose en soi. Borne a bien le droit de rappeler que l’extrême-droite actuelle s’inscrit dans la lignée politique de l’extrême-droite d’antan, je ne vois pas ce que ça a de faux, ni de particulièrement contre-productif. Que ce ne soit pas « efficace » en soi, certainement, mais d’où ça lui vaut un « skud » du président ?

      Sauf à faire le calcul qu’il va sauver son quinquennat grâce à l’union avec l’extrême-droite qui va de Ciotti à Le Pen, et donc faudrait voir à pas trop insulter ses alliés de fait ? Perso c’est ça que je lis ici : pas que Borne a raison ou tord (si ces gens avaient la moindre dignité, ils ne seraient pas dans ce gouvernement, n’y seraient pas entrés, et à tout le moins auraient balancé leur démission depuis belle lurette), mais qu’elle se fait « recadrer » pour avoir dit une banalité sur le Front national. Et que cette simple banalité, qui plus est énoncée sur la première radio juive du pays, c’est encore too much…

    • Sinon, croire qu’il n’y a pas non plus un glissement moral, et que c’est juste l’économie-stupid (« le réel »), c’est un demi-mensonge.

      Certains publics ne votaient pas facho : les catholiques ne votaient pas facho, les classes aisées ne votaient pas facho, les gays ne votaient pas facho, les juifs ne votaient pas facho. Maintenant si. Donc il y a bien un glissement moral qui s’opère, « une digue qui lâche », c’est visible dans ces cas-là, parce que la seule économie n’explique pas le basculement. Et je pense que c’est le cas ailleurs. On peut regretter le cantonnement à la moraline, mais d’un autre côté on a des phénomènes de glissement moral à l’œuvre qu’on ne peut pas occulter.

      Par ailleurs, on sait que l’extrême-droite mène des culture-wars en permanence, et on passe notre temps à constater qu’elle arrive à imposer ses thèmes et à envahir l’espace médiatique et pseudo-intellectuel. Alors nier l’importance du discours et prétendre que c’est juste un problème de « réel », ça n’est pas cohérent.

    • Bah c’est très conjoncturel, suivant l’ordre dominant (ou qui s’approche de dominer) à chaque époque. Lors de la montée des fascismes, aussi bien en Italie qu’en Allemagne qu’ensuite en France, les cathos (riches) ou le « bloc bourgeois » ont massivement pris fait et cause pour les fachos, tout de même. Donc « ça dépend ». Et du coup la morale va (un peu souvent) de pair avec se retrouver dans le camp qui domine ou qui en est pas trop loin, et donc au final un choix pas si « intellectuel » que ça, mais bien du matériel derrière. :)

    • Au RN « certains y voient une forme d’aboutissement de la stratégie de dédiabolisation. »
      https://www.francetvinfo.fr/politique/gouvernement-d-elisabeth-borne/propos-d-elisabeth-borne-sur-le-rn-le-recadrage-d-emmanuel-macron-divis

      Guillaume Kasbarian [ :] "Les gens aujourd’hui attendent non pas des rappels historiques, mais appellent un combat d’idées, un combat idéologique et un combat sur les propositions concrètes, affirme le député Renaissance. Et concrètement, ils attendent qu’on leur dise en quoi les propositions du RN ne sont pas bonnes et en quoi les nôtres sont meilleures."

      "Je suis ravi de voir qu’Emmanuel Macron a enfin compris qu’il fallait parler des vraies idées", se félicite le député RN de l’Eure Kévin Mauvieux."Que tout le monde se mette au travail pour les Français et qu’on mette fin aux task forces anti-RN qui, au lieu de travailler pour les Français, travaillent pour la politique", poursuit-il.

      edit la proposition de renforcer le contrôle des dépenses de santé et des allocs parmi les étrangers et la décision d’embaucher pour ce faire 1000 agents de contrôle permet à ceux qui ne sont rien de l’oublier un peu en constatant que cette fois (encore) les moins que rien vont trinquer. (pour ce qui est de la gauche, comme pour AdamaTraoré, les Ruffins auront foot)

      #français_d'abord #racisme

    • Sous pression de LR, Macron achève sa clarification par la droite
      https://www.mediapart.fr/journal/politique/300523/sous-pression-de-lr-macron-acheve-sa-clarification-par-la-droite

      Déterminé à faire passer sa loi sur l’immigration, Gérald Darmanin veut durcir son texte pour convaincre la droite d’opposition. Entre son ministre de l’intérieur et sa première ministre, réticente à cette idée, le président de la République doit désormais faire un choix qui dira beaucoup de la suite du quinquennat.

      pour devenir « majoritaires », espérer survivre aux 4 ans qui leur reste, sur le papier, ils n’ont de choix que sur les méthodes à employer. le « scud » contre Borne qui allie la falsification historique à l’atteinte existentielle (elle est la fille d’un juif résistant survivant des camps nazis) montre que rien ne sera trop trash à leurs yeux.

      edit on se zemmourise d’autant plus opportunément que la candidature d’icelui a montré qu’il était enfin possible pour des bourgeois de voter fasciste (cf. les scores Paris VIIe, VIIIe, XVIe), ce que ni le FN ni le RN ne leur avait permis

      #droitisation

    • Sinon encore, l’idée selon laquelle on aurait eu constamment un discours moralisateur anti-Le Pen, et que ça aurait échoué, ça revient à oublier que tous les partis politiques de gouvernement se sont alignés sur les saloperies du FN (tout en proclamant l’étanchéité d’avec ses idées). À gauche on a une belle ligne droite de Chevènement à Valls, à droite du Bruit et l’odeur, Marie-France Garaud, Pasqua-Pandraud à Darmanin en passant par la racaille sarkozyste, les bonnes questions mais les mauvaises réponses, le printemps républicain, Charlie, Fourest, Finkie, Houellebecq… Alors les gentils jeunes des années 80 qui emmerdaient le Front national, c’est assez injuste de leur imputer le fait que leurs discours anti-FN c’est pas un échec mais ça n’a pas marché, alors que l’ensemble des partis de gouvernement sont allés à la soupe raciste et qu’on mangeait de la merde anxiogène tous les midi à 13 heures et tous les soirs à 20 heures.

    • Tu mélanges plusieurs époques il me semble, car à ce moment là des années 80, Touche pas à mon pote, SOS Racisme e tutti, c’était massivement une réponse organisée/impulsée par la gauche politicienne, par l’équipe Jack Lang, etc, à la suite (contre) la marche pour l’égalité et contre le racisme qui l’était par les dominés (83). C’est multi-documenté à la fois côté militants (plusieurs référence sur seenthis), et par les historiens, universitaires (un chapitre entier sur ça dans François Cusset, La décennie, Le grand cauchemar des années 80, je suis en plein dedans).

      Tout ce que tu décris c’est la suite, la montée en parallèle du FN et des autres politiques qui les suivent à chaque fois, dans les années 90 puis 2000. Mais la « création » de la posture seulement morale (péjorativement) et « apolitique », c’est bien les années 80. Et ça n’a strictement en rien endigué la montée des fachos. Notamment, en bonne partie, sans même encore copier le FN, mais parce que ce même gouvernement qui a poussé cette moraline est celui a détruit les rêves d’égalité et de vie meilleure pile au même moment (ceci expliquant cela), et donc une immense partie des prolos voulaient plus entendre parler de la gauche, et que tout ce qu’elle disait et dirait ensuite c’était un mirage. Forcément ça augmente grandement la probabilité de montée du FN dans les catégories pauvres et classes moyennes dans les années qui suivent. Avant Chirac, avant Pasqua, avant Sarko, etc.

    • Touche-pas-mon-pote, c’est juin 1985. Pasqua-Pandraud c’est mars 1986, Malik Oussekine c’est décembre 1986, la grotte d’Ouvéa c’est 1988, le Bruit et l’odeur 1991. On n’a pas attendu les années 90 et la montée du FN pour jouer la carte du gros racistes couillu et fier de l’être. Encore une fois, je suis assez d’accord sur le fait que se contenter d’un discours moraliste tout en faisant une politique de destruction des solidarités, c’est un élément important.

      Mais dans le même temps, on ne peut pas prétendre qu’il y aurait réellement eu une période avec un discours moraliste anti-faf omniprésent (et que donc « ça ne marche pas ») : le discours dominant dans les médias et en politique, en dehors d’une très courte période (je sais pas : 84-86 ? quand la gôche c’est Michel Berger, France Gall et Balavoine…), c’est largement la reprise des thèmes de l’extrême-droite, d’abord par la droite traditionnelle, et assez rapidement par la gauche de gouvernement. De ce que je m’en souviens, c’est en continu et sans interruption depuis 1986.

    • création des CRA, 1983 ; instauration du RMI avec une durée de séjour légal antérieur de 2 ans comme condition d’accès (le PS avait prévu 3 ans), 1988.
      la raréfaction des cartes de séjour de 10 ans qui avait été longue à être attribué l’argement, je ne me souviens plus quand ça a commencé mais c’est les années 80 (va te faire renouveler du 1 an, et tombe dans un trou si pas les bonnes conditions), ce qui était une remise en cause des droit et de la légitimité à être là, et à circuler, des étrangers tout à fait perceptible.

      par ailleurs SOS race fournissant la (fausse) démonstration que l’organisation autonome des premiers concernés ne paye pas, le réflexe de s’en remettre à des chefs (Tontoooon ! le RN) des grands personnages, des orgas qui vont gérer a été martelée en même temps que la centralité de l’entreprise dans la vie sociale (merci PS). une fois bien déboussolé, on s’accroche aux bouées que l’on trouve. et si le RN était un parti de contremaîtres et de petits coms, il a pu surfer sur la désindustrialisation (sans salaire) pour gagner des voix parmi ceux à qui on a assuré que c’est plus bas (coloré et étranger) qu’eux que les coups les plus violents étaient justifiés.

      la gauche chauvine (OCI, d’où venait une bonne part de la couche dirigeante sociliste ; PCF : après le « produisons français » des ’70, bulldozer de Vitry, « chasse aux dealers » et à leurs familles dans les municipalités) n’est pas pour rien dans le succès d’une gauche morale qui avait d’ailleurs dénoncé dès 1983 les grévistes arabes de l’automobile comme sabotant la production nationale.

      outre l’aspect pulsionnel (...) la droitisation/fascisation de masse, ou la tolérance pour ses thèmes, rappelle ces cochons qui deviennent cannibales une fois enfermés sans espace de vie.

    • "Sébastien Chenu (RN) n’est pas un bon mais un très bon vice-président de l’Assemblée.", Yaël Braun-Pivet

      Marine Le Pen est « trop molle », Gérald Darmanin

      MLP a été « plus républicaine » que d’autres, Olivier Dussopt

      Devant les députés LRM, Macron invoque Maurras pour parler du régalien

      https://www.lemonde.fr/politique/article/2020/02/12/devant-les-deputes-lrm-macron-invoque-maurras-pour-parler-du-regalien_602929

      En septembre 2019, Emmanuel Macron réclamait aux députés de sa majorité de « regarder en face » le sujet de l’#immigration. Mardi 11 février, il leur a demandé d’ajouter à leur panier les sujets de l’#insécurité et du « séparatisme ». Des questions que l’Elysée estime prioritaires afin que le chef de l’Etat ne se retrouve pas submergé par le Rassemblement national (#RN) en 2022. Pour convaincre ses troupes de l’urgence, le président de la République a usé d’une rhétorique pour le moins surprenante de la part du héraut revendiqué du progressisme.

      « Le problème qu’on a politiquement, c’est qu’on a pu donner le sentiment à nos concitoyens qu’il y avait un pays légal et un pays réel, et que, nous, on savait s’occuper du pays légal – moi le premier –, et que le pays réel ne bougeait pas. Sur le sujet de la sécurité, en [sic] premier chef, il faut faire bouger le pays réel, a estimé Emmanuel Macron devant les députés de sa majorité, réunis à l’Elysée. L’insécurité, c’est le sentiment d’insécurité. Il faut y aller, s’investir sur le terrain, faire bouger les choses, faire aboutir ce Livre blanc [sur lequel travaille le ministère de l’intérieur]. Après, sur certains points, il faut faire bouger le droit. Sur le sujet immigration, sécurité du quotidien, lutte contre les séparatismes, je souhaite qu’on puisse [les] réinvestir, avec des initiatives parlementaires et avec une stratégie d’ensemble. »

      « Plan de reconquête républicaine »

      Charles Maurras, penseur nationaliste et dirigeant de l’Action française, avait théorisé durant la première moitié du XXe siècle cette distinction entre « pays légal » et « pays réel ». Une manière d’opposer des élites nécessairement déconnectées à un peuple en prise avec le « réel ». Aujourd’hui encore, cette notion de « pays réel » est régulièrement convoquée à l’extrême droite. En reprenant à son compte ce vocable, Emmanuel Macron entend montrer qu’il serait à l’écoute des catégories populaires – en partie séduites par le RN –, contrairement à l’image qui lui est accolée depuis le début du quinquennat. En septembre 2019, M. Macron avait utilisé le même argument pour justifier sa volonté de se saisir du sujet migratoire. « Les bourgeois n’ont pas de problème avec ce phénomène parce qu’ils ne les croisent pas. Les classes populaires vivent avec ça », avait-il justifié devant les parlementaires de la majorité.

      « Mais le kwassa-kwassa pêche peu, il amène du Comorien, c’est différent », E.M. , Juin 2017

    • Malaise au sommet de l’Etat face à l’héritage historique du Rassemblement national

      https://www.lemonde.fr/politique/article/2023/06/01/malaise-au-sommet-de-l-etat-face-a-l-heritage-historique-du-rassemblement-na

      [...]

      Lors d’un « colloque » commémorant les 50 ans du parti de la préférence nationale, en octobre 2022, le RN avait distribué un fascicule rappelant que « des profils très différents [avaient] pris part » au mouvement. On y lisait le nom de résistants aux rôles mineurs dans l’histoire de l’ex-FN. Le favori des cadres du RN demeure Georges Bidault, président du Conseil national de la Résistance à la suite de Jean Moulin, et présenté comme un membre fondateur. Dans les faits, rappelle Nicolas Lebourg, historien spécialiste de l’extrême droite, « Georges Bidault ne va même pas jusqu’au bout du processus de création du parti. C’est un ancien résistant, qui est là car partisan de l’Algérie française, mais il ne reste pas. C’est celui qui est passé dix minutes chez vous et que vous présentez plus tard comme votre meilleur ami. »

      A l’inverse, les historiens spécialistes du FN sont unanimes quant au rôle décisif joué par d’anciens collaborationnistes dans la création du parti, ainsi que sur la filiation idéologique avec le régime de Vichy. Selon Laurent Joly, historien spécialiste de la période vichyste et de l’extrême droite, Elisabeth Borne a raison au plan historique, puisque « Marine Le Pen est l’héritière d’un mouvement politique fondé par un ancien pétainiste militant » – étudiant, Jean-Marie Le Pen distribuait le premier journal pétainiste de l’après-guerre, puis dirigeait la campagne néopétainiste de Jacques Isorni, avocat de l’ancien chef du régime de Vichy, élu à Paris.

      En 1972, l’ancien milicien François Brigneau est pressenti pour prendre la présidence du tout nouveau Front national. La déclaration d’intention du parti, qu’il rédige, « contient quatre points, rappelle M. Lebourg : travail, école, famille et nation. L’inspiration est claire. » Pierre Bousquet, qui en a déposé les statuts, avait intégré la Waffen-SS en 1943, au sein de la division Charlemagne. Quant à Pierre Gérard, qui fut durant la guerre directeur de l’aryanisation économique au Commissariat général aux questions juives, il fut secrétaire général du FN et maître d’œuvre de son programme économique libéral en 1984. « Toutes ces figures sont mortes », évacue l’un des conseillers du chef de l’Etat.
      Mortes, mais jamais reniées. « Nous n’avons pas à rougir de notre histoire », répétait encore Marine Le Pen en octobre 2022, à l’occasion des 50 ans de son parti. A l’époque, dit-elle, le FN est « le point de ralliement de tous ceux qui ont la France au cœur ». Poursuivant par là la constante exprimée par son père : peu importe le comportement durant la guerre, pourvu qu’il ait répondu à une forme de nationalisme. « Depuis l’affaire Dreyfus, deux lignes coexistent dans le nationalisme français : une ligne populiste dont Marine Le Pen est l’héritière et une ligne doctrinaire reprise par Eric Zemmour, rappelle Laurent Joly. D’un côté, les Déroulède et La Rocque ; de l’autre, les Drumont, Maurras, Bruno Mégret ou Marion Maréchal. »
      L’idéologie du « marinisme » s’éloigne de l’héritage pétainiste et creuse le sillon populiste en évacuant les scories antisémites et négationnistes. Sans jamais, pour autant, rompre le fil reliant son parti à certains fidèles ayant pu tenir des propos révisionnistes ou s’amuser de références au IIIe Reich. Sans jamais non plus rompre avec le récit tenu sous de Gaulle et Mitterrand d’une irresponsabilité de la France dans les crimes commis sous l’Occupation – « Je considère que la France était à Londres en 1940 aux côtés du général de Gaulle », a encore répété Jordan Bardella sur RTL.
      Marine Le Pen refuse encore d’imiter Jacques Chirac et ses successeurs en reconnaissant la responsabilité de l’Etat français dans la rafle du Vél’ d’Hiv. En 2017, lorsqu’elle avait rappelé qu’à son sens, « la France n’était pas responsable du Vél’ d’Hiv », Emmanuel Macron avait sauté sur l’occasion à quelques jours du scrutin présidentiel : « D’aucuns avaient oublié que Marine Le Pen est la fille de Jean-Marie Le Pen. »

      Désormais, le chef de l’Etat se veut « en surplomb, président de tous les Français, qui pense pouvoir réintégrer Pétain dans la mémoire nationale », analysent d’anciens proches passés par l’Elysée. L’épisode en évoque un autre : en novembre 2018, le chef de l’Etat avait accepté de rendre hommage aux huit maréchaux de la guerre de 1914-18, dont Philippe Pétain, avant de se rétracter. « Le maréchal Pétain a été (…) un grand soldat », avait-il déclaré, à Charleville-Mézières (Ardennes), provoquant un vif émoi. Une manière, selon son entourage, de garder le contact avec une partie du pays tentée par le vote Le Pen.
      L’historien Laurent Joly souligne un « décalage avec la réalité : l’idée selon laquelle il faut lutter contre le FN non pas sur la morale mais seulement sur la crédibilité, programme contre programme, est un argument vieux de quarante ans. Cette méthode a-t-elle fonctionné sous Macron ? Jamais l’extrême droite n’a été aussi haute qu’à la présidentielle de 2022. »

      « Cette manière de recadrer Elisabeth Borne, volontaire ou non, n’a que des inconvénients, y compris pour Emmanuel Macron »
      https://www.lemonde.fr/politique/article/2023/06/01/cette-maniere-de-recadrer-elisabeth-borne-volontaire-ou-non-n-a-que-des-inco

      [...] A un visiteur, qui lui demandait un jour s’il redoutait de voir arriver Marine Le Pen au pouvoir, le président avait répondu ceci : « Moi, je l’ai battue deux fois. Aux autres de la battre aussi. » Ce visiteur était reparti le cœur troublé, avec le sentiment diffus que M. Macron – qui a mis en scène depuis six ans son affrontement avec le RN, meilleur moyen de conserver le pouvoir – s’en lavait désormais les mains.

      La lutte contre le RN ne peut pas être banalisée
      ÉDITORIAL
      https://www.lemonde.fr/idees/article/2023/06/01/la-lutte-contre-le-rn-ne-peut-pas-etre-banalisee_6175689_3232.html

      Si Emmanuel Macron a quelque légitimité à dire qu’il faut combattre le Rassemblement national par « le fond » et « le concret », Elisabeth Borne est tout aussi fondée à rappeler que le parti d’extrême droite est porteur d’une « idéologie dangereuse ». Adepte du « en même temps », le chef de l’Etat aurait été bien inspiré, sur ce sujet, d’y rester fidèle.

    • plaidoyer pour les « bons sentiments
      https://lmsi.net/Plaidoyer-pour-les-bons-sentiments

      De la vient aussi l’aberrante opposition entre « gauche morale » et « gauche sociale », qui a émergé à la fin des années 1990, alors que se développaient d’importantes mobilisations de sans-papiers, à la suite de l’épisode « Saint-Bernard ». Les principaux partis de gouvernement, secondés par toute l’éditocratie, de gauche comme de droite, serraient alors les rangs derrière des ministres de l’Intérieur qui se nommaient Jean-Louis Debré puis Jean-Pierre Chevènement, en dénonçant « l’angélisme » des militants qui soutenaient les sans-papiers [5]. Une tribune favorable aux lois Chevènement, publiée par Libération en octobre 1997 et signée notamment Alain Finkielkraut, Danièle Sallenave, Pierre-André Taguieff et Emmanuel Todd, donnait le ton en enchaînant, en lieu et place d’une argumentation en positif sur le « réalisme » et la « responsabilité » desdites lois, un flot de punchlines plus acerbes les unes que les autres contre le « pieux rituel des lamentations indignées », l’« irénisme moral » des sans-papiers et de leurs soutiens, leur « auto-complaisance dans la bonne conscience et la bien-pensance », leur « indignation morale plus ou moins théâtralisée », leur « déni de réalité » bien entendu, leur « fuite en avant dans des exigences irréalisables », bref : une politique « fondée sur les élans du cœur ».

      Le summum de l’absurde fut atteint lorsque, dans toute la presse mainstream, on décida de résumer le contentieux, en toute « objectivité », comme un conflit entre une « gauche morale », soutenant les sans-papiers au nom de bons sentiments, et une « gauche sociale », plus raisonnable, soutenant le gouvernement. Par la magie des mots, la lutte sociale menée par ces précaires parmi les précaires que sont les sans-papiers perdait toute dignité « politique » et toute épaisseur « sociale », tandis que, de son côté, la soumission cynique aux « attentes » des franges les plus racistes et xénophobes de l’électorat devenait la marque d’une intelligence politique aiguisée (dont on peut mesurer aujourd’hui les bienfaits, en termes notamment de lutte contre l’extrême droite), mais aussi et surtout d’une authentique « fibre sociale ». Que ladite « gauche sociale » fut celle qui, au pouvoir durant les années 1980 et 1990, avait mené une politique économique libérale et laissé les inégalités se creuser, et que ses tenants soient pour l’essentiel les mêmes qui avaient un an auparavant soutenu le Plan Juppé démantelant le système des retraites et la sécurité sociale, voilà qui importait peu : il suffisait alors, pour être « social », de ne pas signer la pétition initiée par des cinéastes en février 1997, de ne pas manifester, bref : de ne pas soutenir les sans-papiers [6].

      C’est pour ma part depuis ce jour que la formulation « antiracisme politique » versus « antiracisme moral » me parait problématique, ou en tout cas inappropriée. D’abord parce que l’antiracisme superficiel et tendancieux de nos gouvernants n’est en réalité pas plus « moral » qu’il n’est « politique », et que c’est faire trop d’honneur à ces gouvernants que de leur concéder une perspective « morale » qu’ils ne revendiquent même plus, ou plus tellement. Ensuite parce qu’on contribue, en associant la notion de morale à des politiques odieuses, à disqualifier une dimension de l’existence humaine qui n’a pas à l’être. Enfin parce qu’on efface du même coup le caractère indissociablement moral, social et politique de notre antiracisme, celui qu’on est amené à opposer à ces gouvernants : moral, donc impliqué dans le réel social et soucieux d’égalité sociale, et donc engagé dans des luttes politiques.