La persistance de l’inflation relance le débat sur les gagnants de la hausse des prix
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Le débat sur les gagnants et les perdants d’une inflation attendue à 5 % en 2023 (4,9 % en août, selon les chiffres publiés vendredi 15 septembre) apparaît d’autant plus légitime que le fossé entre une France en forme et l’autre qui peine s’élargit continûment.
Côté pile, l’indice CAC 40, en hausse de près de 15 % sur un an, tutoie les sommets, et les dividendes versés au second trimestre (environ 50 milliards d’euros) sont au plus haut.
Côté face, de plus en plus de Français se serrent la ceinture. En 2022, les salaires ont augmenté de 3,8 %, quand l’inflation atteignait 5,9 %, selon la Banque de France. Cette baisse du pouvoir d’achat s’est traduite par un recul de la consommation, notamment de produits alimentaires. Une étude de l’Insee publiée le 20 juillet révèle que 9 millions de personnes sur le territoire métropolitain étaient en « privation matérielle et sociale » en 2022, « soit le plus haut niveau depuis 2013, première année où elle a été mesurée ». D’où l’appel au secours lancé par les Restos du cœur : entre 2022 et 2023, l’association a distribué 170 millions de repas, soit 30 millions de plus que l’année précédente.
Face à cela, la question fondamentale n’est plus seulement de savoir qui bénéficie de la crise, mais de déterminer qui l’aggrave. Ces derniers mois, des institutions françaises et internationales ont blâmé les entreprises, et notamment européennes, pour avoir augmenté leurs prix au-delà de la hausse des coûts qu’elles subissaient en amont. Avant d’accuser toutefois les LVMH, L’Oréal, TotalEnergies et autres multinationales de faire leur pelote sur le dos des Français, il faut préciser que les sociétés du CAC 40 ont réalisé en moyenne en 2022 moins de 22 % de leur chiffre d’affaires en France, et probablement un pourcentage bien moindre de leurs bénéfices.
L’Insee, elle, donne des indications sur les secteurs où des effets d’aubaine ont pu être observés dans l’Hexagone. « Si l’on regarde sur la durée, entre le second trimestre 2019 et le second trimestre 2023, il y a bien une hausse des marges brutes unitaires dans l’industrie (+ 7,11 %) supérieure à celle des salaires (+ 2,37 %). C’est vrai surtout dans les secteurs de l’énergie et de l’agroalimentaire, mais ce n’est pas le cas dans les services », souligne Eric Dor, directeur des études économiques à l’IESEG School of Management.
« Certains de nos tarifs ont augmenté de plus de 20 % mais, non, on ne s’en met pas plein les poches », réagit Gérald de Nanteuil, président des Boulangers bretons, une PME d’une quarantaine de personnes située dans le Finistère, qui fabrique petits pains frais et viennoiseries pour les écoles ou les Ehpad. « Quand les prix des emballages ou du blé ont flambé, à partir de 2021, nous avons mis du temps à répercuter ces hausses sur nos tarifs, et cela nous a coûté très cher, en rentabilité et en trésorerie », raconte-t-il.
Rapports de force trop déséquilibrés
« A présent que les prix des matières premières refluent, nous essayons de reconstituer notre trésorerie, pour revenir à peu près au niveau d’avant-crise, explique-t-il. Mais nous sommes liés par des contrats sur l’énergie ou sur la farine qui créent une latence avant que nous puissions bénéficier des baisses. Et dans le même temps, nous augmentons nos grilles salariales tous les six mois ». Et d’insister : « Nous ne sommes pas seuls. Si nos prix ne sont pas bons, des concurrents vont chercher à reprendre nos clients. De même, nous demandons à nos fournisseurs de nous traiter décemment. Bruno Le Maire a beau réclamer des baisses, les prix, ce n’est pas de la politique, c’est le marché. »
Parfois, cependant, les rapports de force semblent trop déséquilibrés. « La décennie qui précède cette crise a été marquée par deux phénomènes : la concentration des entreprises et la baisse du pouvoir de négociation des salariés, liée à la fois à l’affaiblissement des syndicats et à la disparition des grandes usines, qui étaient des lieux importants de négociation », analyse Sarah Guillou, directrice du département de recherche innovation et concurrence à l’Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE Sciences Po), qui ajoute : « Cela crée des inégalités au sein même de la chaîne de valeur. »
Le consommateur final n’est pas le seul à souffrir. « Une surenchère persiste sur les tarifs de certains matériaux, comme le verre ou le métal, qui n’est pas justifiée. On se demande même si certaines pénuries ne sont pas organisées ici et là pour créer du stress. J’ai dû batailler avec un fournisseur de sanitaires qui exigeait une hausse de près de 15 % par rapport au prix que j’avais sécurisé. Entre la baisse des prix de l’énergie et celle des matières premières intervenues depuis, comment voulez-vous comprendre une telle augmentation ? », s’indigne Serge Wermelinger, un promoteur immobilier du Haut-Rhin, qui dénonce les « surmarges d’industriels très puissants » : « Ils sont en train de scier la branche sur laquelle nous sommes tous assis », prévient-il, rappelant que l’inflation des coûts de construction se conjugue à la montée des taxes et à l’inflation liée aux objectifs de zéro artificialisation nette.
A ce stade, le gouvernement cherche à peser pour assurer un meilleur partage de la valeur en faveur des salariés. Jeudi 7 septembre, Emmanuel Macron a confirmé la tenue d’une « conférence sociale » sur les bas salaires. Le projet de loi qui vise à élargir l’intéressement et la participation aux entreprises employant jusqu’à 50 collaborateurs sera examiné au Sénat en octobre.
« L’inflation marque la confrontation entre des salariés qui veulent protéger leur pouvoir d’achat et des entreprises qui tiennent à préserver leurs marges. En France, le partage des revenus est d’autant plus sensible que la baisse inquiétante de la productivité constitue un appauvrissement collectif », déplore Patrick Artus, conseiller économique de Natixis. Avant de prévenir : « Au regard des investissements colossaux nécessaires pour la transition énergétique, il demeure préférable de privilégier l’investissement par rapport à la consommation des ménages. Sous réserve que les plus modestes soient protégés et que les marges de manœuvre dégagées par les entreprises ne se retrouvent pas dans les rachats d’actions et les dividendes. »
Isabelle Chaperon