« La décision de déconventionner le lycée Averroès, à Lille, est inéquitable et disproportionnée » [sauf à déconventionner Stanislas à Paris, et bon nombre d’autres lycées privés]
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Dans une tribune au « Monde », Pierre Mathiot, directeur de Sciences Po Lille, s’étonne de la décision de l’Etat de mettre fin à son contrat avec le lycée musulman lillois, alors que son excellence académique est reconnue et que les reproches pouvant être faits à l’établissement sont mineurs.
16 décembre 2023
Par un courrier dont la presse a eu la primeur, le préfet du Nord a notifié à l’association Averroès la fin du contrat du lycée du même nom avec l’Etat. C’est par là même son existence qui est mise en cause avec la fin des financements publics et des moyens qui l’accompagnent.
Le lycée Averroès est le premier établissement musulman à avoir bénéficié d’une contractualisation avec l’Etat en 2008. La démarche alors engagée par ses fondateurs visait justement à placer l’établissement sous le contrôle de la puissance publique.
Installé à Lille-Sud, dans un quartier prioritaire de la politique de la ville, il accueille plus de 50 % d’élèves boursiers : un record pour un établissement privé. Il a été classé en diverses occasions depuis 2013 parmi les tout premiers lycées en France pour sa performance scolaire. Son excellence académique et sa capacité à faire réussir des élèves issus de milieu modeste, au bac puis dans leurs études supérieures, sont reconnues et saluées par l’ensemble du monde éducatif.
En octobre 2017, Xavier Bertrand et Gérald Darmanin, lors d’une séance du conseil régional, avaient défendu avec force le #lycée après une prise de parole d’un élu du Front national. Ils avaient expliqué qu’il était normal de compter des établissements musulmans sous contrat, comme il existait des établissements catholiques, protestants ou juifs. Pourtant, à l’époque, le président de l’association [Amar Lasfar] était en même temps le président national de l’Union des organisations islamiques en France (UOIF) et, en 2015, une polémique avait eu lieu autour de propos critiques sur l’établissement scolaire portés par deux anciens enseignants…
Equité, nuance et respect du droit
Si la décision préfectorale est confirmée par la justice administrative, qui sera saisie par l’association Averroès, ce sont 470 élèves qui resteront sur le carreau à la fin de l’année scolaire. Dans l’histoire désormais ancienne des contrats d’association entre l’enseignement privé et l’Etat, une telle décision est rarissime. On imagine donc que les motivations qui l’accompagnent sont fortes, attestées, indiscutables, et qu’il n’existe aucune autre option possible que la plus radicale d’entre elles : le #déconventionnement.
Si je m’exprime ici, c’est au nom de principes pour moi centraux : l’équité, la nuance et le respect du droit. Des principes qui devraient constituer en toutes circonstances la matrice de notre société. Disons-le, ce sont ces principes qui sont en jeu dans le cas présent, quoi que l’on pense, par ailleurs, de la place de l’islam ou de l’#enseignement_privé dans notre pays.
On ne peut, me semble-t-il, se permettre de donner un avis que si l’on prend le temps de lire et de tout lire. Une analyse posée et nuancée implique de prendre connaissance des dossiers. Avant donc de parler, nous avons regardé – avec Jean-René Lecerf, ancien sénateur (UMP) et ancien président du département du Nord, et Roger Vicot, député socialiste de Lille – l’ensemble des pièces, tant les éléments produits par la préfecture, le ministère de l’éducation nationale, la chambre régionale des comptes, que les réponses apportées par l’association.
Au total, et sauf bien entendu à ignorer des informations « sensibles » qui ne seraient pas présentes dans le dossier, il nous apparaît en conscience que la décision est tout simplement inéquitable et disproportionnée.
Un rapport extrêmement favorable
Inéquitable, car « l’instruction » (comment ne pas utiliser ce terme) conduite contre l’association a majoré les reproches en mélangeant à l’envi les dossiers, les dates et des sources d’origine et de « qualité » très diverses, tout en minorant, voire en ignorant, les appréciations positives. On ne citera ici qu’un exemple : en 2020, le ministre de l’éducation nationale Jean-Michel Blanquer a commandé un rapport sur le lycée qui a été mené conjointement par l’inspection générale de l’éducation nationale et la direction régionale des finances publiques.
Ce rapport est resté longtemps confidentiel [une manie dès qu’il s’agit d’établissement financés publiquement ?] et n’a été communiqué à l’association Averroès que quelques jours avant son audition à la préfecture, le 27 novembre. Ce sont les avocats de l’établissement qui ont dû demander en urgence à la justice administrative d’en imposer l’ accès contre l’avis de la préfecture. On comprend assez bien pourquoi : ce rapport est extrêmement favorable, tant sur les aspects pédagogiques que sur la gestion financière. Il revient même de façon claire, transparente et, disons-le, rassurante sur le dossier du financement qatari du lycée.
Disproportionnée, car le retrait du contrat avec l’Etat, sans d’ailleurs que le ministère de l’#éducation_nationale ne s’exprime, revient à utiliser une arme ultime qui met en péril l’existence même de l’établissement et le cursus de ses élèves. Pourtant, les reproches qu’il est effectivement possible de faire à l’association et qu’elle reconnaît – comme les délais trop longs dans la transmission des comptes à la tutelle – sont amendables dans le cadre de la contractualisation.
Un questionnement plus général
Nous avons d’ailleurs proposé avec mes deux collègues, sans succès, de mettre en place un comité de suivi chargé de s’assurer que les quelques éléments problématiques du fonctionnement de l’association – que l’on retrouve dans de très nombreux autres cas – puissent être pris en compte et réglés.
On peut comprendre d’une autre manière l’importance que je veux donner ici aux notions d’équité et de proportionnalité : que n’entendrait-on demain si l’Etat portait autant d’attention à tous les établissements privés sous contrat qu’il n’en porte au lycée Averroès depuis sa création, et si des préfets prenaient des décisions identiques à niveau comparable de « problème » ?
Enfin, on ne peut pas isoler cette décision d’un questionnement plus général sur la manière dont on considère les #musulmans de France et dont on respecte leurs droits. Ils sont pour l’immense majorité d’entre eux français et ne se posent même pas la question de leur appartenance à une République dont ils sont, comme moi, les enfants.
On ne peut pas sérieusement laisser entendre que les musulmans, ou l’islam, défendent une vision du monde qui n’est pas compatible avec la République, et mettre fin sans aucune mesure ni médiation au contrat d’un établissement qui, justement, a demandé à être placé sous le contrôle de l’Etat. Faire cela serait justement accréditer aux yeux de la société que les musulmans se situent sur le côté de la République.
Il est plus que temps de revenir à la raison, au droit, aux faits et à la nuance. Sur ce dossier comme sur beaucoup d’autres.
Pierre Mathiot est professeur de science politique, directeur de Sciences Po Lille. Il s’exprime ici à titre personnel.