• « Toni Negri aura été un lecteur et continuateur de Karl Marx, dans une étonnante combinaison de littéralité et de liberté », Etienne Balibar
    https://www.lemonde.fr/idees/article/2023/12/19/l-hommage-d-etienne-balibar-a-toni-negri-il-aura-ete-un-lecteur-et-continuat

    Ce qui d’abord frappait chez lui, en plus de sa silhouette incroyablement juvénile à tout âge, c’était un sourire unique, tantôt carnassier, tantôt ironique ou plein d’affection. Il m’avait saisi dès notre première rencontre, à la sortie d’un séminaire du Collège international de philosophie. Lui, échappé d’Italie à la faveur d’une élection qui le tirait momentanément de prison. Nous, abattus par l’essor du reaganisme et du thatchérisme, qui fracassait les illusions nées de la victoire socialiste de 1981. Que faire dans cette débâcle ? Mais la révolution !, nous expliqua Toni, rayonnant d’optimisme : elle s’avance à travers d’innombrables mouvements sociaux plus inventifs les uns que les autres. Je ne suis pas sûr de l’avoir vraiment cru, mais j’en suis sorti, débarrassé de mes humeurs noires et conquis pour toujours.

    Je n’avais pas suivi le fameux séminaire sur les Grundrisse de Karl Marx [manuscrits de 1857-1858, considérés comme un sommet de son œuvre économique avant Le Capital], organisé en 1978 à l’Ecole normale supérieure par Yann Moulier-Boutang, qu’on m’avait dit fascinant autant qu’ésotérique. Et j’ignorais presque tout de « l’operaismo », [d’« operaio » , « ouvrier » en italien] dont il était l’une des têtes pensantes.

    Pour moi, Negri était ce théoricien et praticien de « l’autonomie ouvrière », dont l’Etat italien, gangrené par la collusion de l’armée et des services secrets américains, avait essayé de faire le cerveau du terrorisme d’extrême gauche ; une accusation qui s’effondra comme château de cartes, mais qui l’envoya pour des années derrière les barreaux. Avant et après ce séjour, entouré de camarades aux vies assagies et aux passions intactes, il fut le pilier de cette Italie française, image inversée de la France italienne que nous avions rêvé d’instaurer avant 1968. Prises ensemble, autour de quelques revues et séminaires, elles allaient lancer une nouvelle saison philosophique et politique. Par ses provocations et ses études, Negri en serait l’inspirateur.

    Liberté et émancipation du travail

    Je ne donnerai que quelques repères elliptiques, en choisissant les références selon mes affinités. Spinoza, évidemment. Après le coup de tonnerre de L’Anomalie sauvage (PUF, 1982 pour l’édition française, précédée des préfaces de Gilles Deleuze, Pierre Macherey et Alexandre Matheron) viendront encore d’autres essais, inspirés par ces mots : « Le reste manque », inscrits par l’éditeur sur la page blanche du Traité politique (Le Livre de Poche, 2002) qu’avait interrompu la mort en 1677 du solitaire de La Haye.

    Ce reste, contrairement à d’autres, Negri n’a pas cherché à le reconstituer, mais à l’inventer, suivant le fil d’une théorie de la puissance de la multitude, qui fusionne la métaphysique du désir et la politique démocratique, contre toute conception transcendantale du pouvoir, issue de la collusion entre le droit et l’Etat. Spinoza, l’anti-Hobbes, l’anti-Rousseau, l’anti-Hegel. Le frère des insurgés napolitains dont il avait un jour emprunté la figure. On n’a plus cessé de discuter pour et contre ce « Spinoza subversif », qui marque de son empreinte la grande « Spinoza-Renaissance » contemporaine.

    Passons alors à la problématique de la liberté et de l’émancipation du travail, qui repart de Spinoza pour converger avec Foucault, mais aussi Deleuze, en raison du profond vitalisme à l’œuvre dans l’opposition de la « biopolitique » des individus et du « biopouvoir » des institutions. Elle réinscrit au sein même de l’idée de pouvoir l’opposition naguère établie entre celui-ci et la puissance, et autorise à reprendre, comme l’essence même du processus révolutionnaire, la vieille thématique léniniste du « double pouvoir », mais en la déplaçant d’une opposition Etat-parti à une opposition Etat-mouvement.

    Or les fondements en sont déjà dans son livre de 1992 Le Pouvoir constituant. Essai sur les alternatives de la modernité (traduction française au PUF, 1997). C’est pour moi l’un des grands essais de philosophie politique du dernier demi-siècle, dialoguant avec Schmitt, Arendt, les juristes républicains, sur la base d’une généalogie qui remonte à Machiavel et à Harrington. Tout « pouvoir constitué » procède d’une insurrection qu’il cherche à terminer pour domestiquer la multitude et se trouve corrélativement en butte à l’excès du pouvoir constituant sur les formes d’organisation même révolutionnaires qu’il se donne.

    Un communisme de l’amour

    Revenons donc à Marx pour conclure. D’un bout à l’autre, Negri aura été son lecteur et son continuateur, dans une étonnante combinaison de littéralité et de liberté. Marx au-delà de Marx (Bourgois, 1979), cela veut dire : emmener Marx au-delà de lui-même, et non pas le « réfuter ». C’était déjà le sens des analyses de la « forme-Etat », aux temps de l’opéraïsme militant. C’est celui de la géniale extrapolation des analyses des Grundrisse sur le machinisme industriel (le « general intellect »), qui prennent toute leur signification à l’époque de la révolution informatique et du « capitalisme cognitif », dont elles permettent de saisir l’ambivalence au point de vue des mutations du travail social. Combat permanent entre « travail mort » et « travail vivant ».

    Et c’est, bien sûr, le sens de la grande trilogie coécrite avec Michael Hardt : Empire (Exils, 2000), Multitude (La Découverte, 2004), Commonwealth (Stock, 2012), plus tard suivis par Assembly (Oxford University Press, 2017, non traduit), dans laquelle, contre la tradition du socialisme « scientifique » et sa problématique de la transition, se construit la thèse aux accents franciscains et lucrétiens d’un communisme de l’amour. Celui-ci est déjà là, non pas dans les « pores » de la société capitaliste, comme l’avait écrit Marx repris par Althusser, mais dans les résistances créatrices à la propriété exclusive et à l’état de guerre généralisé du capitalisme mondialisé. Il s’incarne dans des révoltes et des expérimentations toujours renaissantes, avec les nouveaux « communs » qu’elles font exister.

    Toujours, donc, ce fameux optimisme de l’intelligence, dont on comprend maintenant qu’il n’a rien à voir avec l’illusion d’un sens garanti de l’histoire, mais conditionne l’articulation productive entre connaissance et imagination, les « deux sources » de la politique. Toni Negri nous lègue aujourd’hui la force de son désir et de ses concepts. Sans oublier son sourire.

    Merci, Étienne Balibar

    (et du coup, #toctoc @rezo )

    d’autres fragments d’un tombeau pour Toni Negri
    https://seenthis.net/messages/1032212

    #Toni_Negri #Étienne_Balibar #opéraïsme #forme_État #révolution #autonomie #double_pouvoir #État #mouvement #general_intellect #travail_vivant #communisme

    • Antonio Negri, lecteur de Spinoza Pour une « désutopie », Christian Descamps, 28 janvier 1983
      https://www.lemonde.fr/archives/article/1983/01/28/antonio-negri-lecteur-de-spinoza-pour-une-desutopie_3078936_1819218.html

      Parlons aujourd’hui de l’homme, « la plus calamiteuse et frêle de toutes les créatures », disait Montaigne, et aussi « la plus orgueilleuse ».D’un livre de Francis Jacques, Christian Delacampagne retient cette idée fondamentale que la personne ne peut se constituer que par le dialogue avec l’Autre. Déjà Spinoza, comme le montre Christian Descamps à propos d’un ouvrage d’Antonio Negri, ne concevait le bonheur que s’articulant à celui des autres. Tandis que Patrice Leclercq résume le cheminement de l’attitude inverse : cet orgueil que le Christ a voulu abolir et qui continue d’exercer partout ses ravages.

      « SPINOZA est tellement crucial pour la philosophie moderne qu’on peut dire qu’on a le choix entre le spinozisme ou pas de philosophie du tout. » Que Hegel, qui ne l’aime guère, soit amené à ce constat, bouleverse Toni Negri. Ce professeur de Padoue, théoricien de l’autonomie ouvrière, avait écrit un Descartes politique. Le présent ouvrage est d’une autre nature. Il fut conçu en prison d’où - depuis 1979 - son auteur attend d’être jugé en compagnie des inculpés du « procès du 7 avril ». Mais ce grand livre érudit n’est aucunement une œuvre de circonstance, même si on peut supposer que la force, la joie spinozistes ont réconforté le prisonnier.

      La Hollande du dix-septième siècle, cette Italie du Nord, est un pays en rupture qui perpétue les expériences révolutionnaires de la Renaissance. Là, #Spinoza, l’exclu de sa communauté, réalise un véritable coup de force ontologique : il joue la puissance contre le pouvoir. S’invente alors une philosophie de la plénitude, de la multiplicité, de la liberté qui, sans partir de la réduction des appétits, parie sur l’épanouissement. Le penseur artisan - qui refuse les pensions - réfléchit dans un temps de crise. La Maison d’Orange prône une politique guerrière, un État centralisé ; le parti républicain, qu’anime Jean De Witt, préférerait une politique de paix, une organisation libérale. Pourtant l’intolérance, le bellicisme, l’amour de la servitude, sont vivaces ; et quand notre philosophe hautain et solitaire clame, au nom de la raison, son entreprise de démystification, le tollé est général. Jamais - sauf peut-être contre les Épicuriens - la hargne ne fut aussi forte. Le front est au complet : orthodoxes juifs, protestants, catholiques, cartésiens, tous participent au concours d’anathème.

      Negri interroge cette unanimité. Savante et tranchée, la métaphysique spinoziste avait osé articuler -comme le souligne Deleuze à qui l’auteur doit beaucoup (1), - une libération concrète, une politique de la multitude, une pensée sans ordre antérieur à l’agir. Spinoza proposait de rompre avec la vieille idée de l’appropriation liée à la médiation d’un pouvoir. Dans ses ateliers nomades, le philosophe du « Dieu ou la Nature » élabore une conception de la puissance de l’Être.Mine de rien, ses bombes douces font exploser la transcendance, la hiérarchie. A un horizon de pensée centré sur le marché, aux philosophies politiques du pouvoir et de la suggestion, l’auteur de l’Éthique oppose, méticuleusement, des concepts qui rendent possible une existence consciente du collectif. Mon bonheur, mon entendement, mes désirs, peuvent - si j’ai de la nature une connaissance suffisante - s’articuler à ceux des autres. La guerre de tous contre tous n’est pas inéluctable, j’ai mieux à faire qu’à devenir un loup...

      De fait si l’Être est puissance, je suis capable d’y puiser la force d’échapper à la médiation politique de ceux qui parlent à ma place, à la conscience malheureuse des arrière-mondes, aux sanglots du négatif. Partir de la puissance de la vie, réconcilier passion et raison, c’est militer contre la haine et le remords. Pratique, cette métaphysique se fait aussi politique. Le Tractatus theologico-politicus insiste sur l’activité.

      Certes - et honnêtement Negri le souligne, - il arrive que Spinoza se replie. Devant les coups de boutoir de l’histoire concrète il accepte - un moment - des positions oligarchiques... Ici l’auteur reprend l’hypothèse de deux Spinoza dont il fait les axes de notre univers. Le premier, baigné de la lumière de Rembrandt, se meut au sein de la révolution scientifique, de la Renaissance, du génie de son temps. L’autre propose une philosophie de notre avenir, de notre crise. Car de « démon » qui ferraille contre le fanatisme et la superstition, contre les asiles d’ignorance, s’appuie sur le désir, cet « appétit conscient de lui-même ». Avec des lunettes d’analyste aussi bien rangées que ses instruments, il enseigne la désutopie. Pas de programme, de glande pinéale : un projet de déplacement mille fois plus fort. Sortir de l’ignorance, jouer l’Être contre le moralisme de devoir être, ce n’est pas rêver d’âge d’or. Il s’agit, au contraire, de s’appuyer effectivement sur les désirs, les appétits. Difficile 7 Oui, car « nous ne pouvons reconnaître aucune différence entre les désirs qui proviennent de la raison et ceux que d’autres causes engendrent en nous ».

      Pourtant la violence immédiate peut s’éclairer d’un ordre, fait de degrés successifs de perfection, tissé dans l’Être. Une liberté joyeuse est possible qui tire sa force du droit et non pas de la loi, de la puissance et non pas du pouvoir. Aux figures de l’antagonisme, aux réconciliations molles de la dialectique, on peut opposer l’autonomie, la constitution de l’être ensemble. La puissance est possibilité de liberté, d’expansion des corps, recherche de la meilleure constitution. Question d’aujourd’hui, d’un dix-septième siècle encore vivant. Negri souligne : « Spinoza n’annonce pas la philosophie des Lumières, il la vit et la déploie intégralement. »

      –------------------------
      (1) L’Anomalie sauvage est précédée de préfaces de Gilles Deleuze, Pierre Macherey et Alexandre Matheron.

      * L’Anomalie sauvage, d’Antonio Negri. PUF, 350 pages, 145 F.

      [cette typo sans relief est celle du journal]

      #philosophie #politique #passion #raison #puissance #pouvoir #droit #loi

  • Guerre Israël-Hamas : « Le gouvernement israélien poursuit résolument son projet nationaliste et annexionniste »
    https://www.lemonde.fr/idees/article/2023/12/19/guerre-israel-hamas-le-gouvernement-israelien-poursuit-resolument-son-projet

    Beaucoup l’ignorent, mais il y a quelques mois, le Parlement en offrait la possibilité juridique. Le 21 mars, les députés ont voté une loi mettant fin au plan de désengagement, ouvrant ainsi la voie à la reconstruction des colonies dans les zones concernées : la bande de Gaza et les quatre colonies en Cisjordanie. Alors que l’autorisation de « retourner à Gaza » paraissait purement symbolique, Orit Strock, ministre des missions nationales, déclara le même jour à un média de la droite radicale : « Le retour dans la bande de Gaza impliquera de nombreuses victimes, malheureusement (…), mais il ne fait aucun doute qu’en fin de compte elle fait partie de la terre d’Israël et qu’un jour viendra où nous y reviendrons. » Ses propos semblent plus que jamais d’actualité.

    L’expansion de la colonisation ne se limite pas à la bande de Gaza, mais concerne également la Cisjordanie. Bezalel Smotrich, ministre des finances, a appelé à « tirer des leçons des événements du 7 octobre » et à les appliquer en Cisjordanie en créant des « zones de sécurité dépourvues d’Arabes » autour de chaque colonie. Autrement dit, à étendre leur territoire. Bien que sa demande ne soit pas encore mise en œuvre, les colons et l’armée l’appliquent en menaçant les Palestiniens avec des armes, en les contraignent à quitter leurs foyers, causant la mort de 243 personnes selon l’OCHA.
    Lire aussi : Article réservé à nos abonnés Bezalel Smotrich, agent du chaos au sein du gouvernement israélien

    D’après l’organisation israélienne des droits de l’homme B’Tselem, entre le 7 octobre et le 30 novembre, 1 009 Palestiniens ont été expulsés de leurs maisons en Cisjordanie, affectant seize communautés. Rappelons que le gouvernement de Benyamin Nétanyahou a battu des records en matière d’autorisation de construction dans les colonies, avec 13 000 accordées en sept mois (le record précédent étant de 12 000 pour toute l’année 2020), ainsi que la légalisation de 22 avant-postes, selon l’organisation La Paix maintenant.
    L’oppression s’accroît

    A l’intérieur du territoire israélien, d’autres processus importants se déroulent depuis le 7 octobre. Le ministre de la sécurité nationale, Itamar Ben Gvir, tire parti de l’anxiété ressentie par les Israéliens pour concrétiser plusieurs projets, notamment la distribution massive d’armes aux citoyens israéliens. Lorsqu’il a pris ses fonctions, il promettait d’introduire 30 000 nouvelles armes dans les rues.

    Depuis le 7 octobre, cet objectif a été largement dépassé avec 255 000 nouvelles demandes d’acquisition d’armes en seulement cinq semaines, selon le quotidien Haaretz. Pour cela, Ben Gvir a modifié les critères d’obtention, de sorte que les nouveaux demandeurs ne sont plus tenus de passer un entretien et que, pour certains, notamment ceux ayant effectué le service militaire obligatoire, aucun entretien n’est nécessaire (50 % selon le journal Calcalist). De plus, il organise chaque semaine des distributions d’armes dans de nombreuses villes du pays, encourageant les gens à faire de nouvelles demandes de permis.

    Outre ces distributions, Ben Gvir prévoit la création de 700 « unités prêtes », composées de citoyens possédant des armes et prêts à réagir en cas d’urgence. Cette initiative suscite de vives inquiétudes auprès de certains membres de la police, qui trouvent les citoyens recrutés « trop motivés » ou sont préoccupés par leurs positions politiques, en particulier de leur tendance raciste envers les Palestiniens citoyens de l’Etat israélien.
    Lire aussi : Article réservé à nos abonnés Les Israéliens de plus en plus nombreux à vouloir détenir une arme

    Ici, il faut préciser que depuis le 7 octobre, cette même police surveille de près les réseaux sociaux des Palestiniens citoyens d’Israël et procède à un grand nombre d’arrestations pour chaque partage, publication ou même un simple like exprimant sa solidarité avec les Gazaouis ou sa critique envers la politique du gouvernement. Dans ce contexte, l’oppression envers eux ne cesse de s’accroître, alors que toute expression de solidarité avec les Gazaouis est considérée comme une trahison contre l’Etat.

    Les actions entreprises par le gouvernement depuis le 7 octobre, en plus de l’attaque à Gaza, nécessitent une analyse minutieuse. Il semble presque cynique que ce dernier cherche à tirer profit du chaos et de la peur pour faire avancer des projets planifiés de longue date. Ils méritent d’être mis en lumière, car ils auront des conséquences majeures sur l’avenir, de plus en plus incertain, de la question israélo-palestinienne.

    Nitzan Perelman est doctorante en sociologie à l’université Paris Cité. Ses travaux portent notamment sur la société israélienne.

    • L’introduction

      Alors que les regards sont tournés vers Gaza où, après la libération épuisante des otages, l’attaque israélienne a repris, occasionnant plus de 19 400 morts selon l’OCHA (Coordination des affaires humanitaires des Nations unies), le gouvernement poursuit résolument son projet nationaliste et annexionniste. Depuis sa nomination en décembre 2022, son gouvernement, le plus à droite et le plus #suprémaciste qu’#Israël n’ait jamais connu, a mis en place d’importantes réformes concernant la fonction publique, le pouvoir judiciaire et la #colonisation.
      Au lendemain de l’attaque du #Hamas le 7 octobre, il a cherché à « saisir l’opportunité » pour faire progresser ses objectifs d’expansion territoriale et d’élargissement de la présence juive « de la mer au Jourdain » [de la mer Méditerranée au fleuve Jourdain].
      Dans ce contexte, le discours sur le « retour à #Gaza » revêt une légitimité sans précédent. En 2005, sous le gouvernement d’Ariel Sharon, est mis en place un plan controversé de « désengagement ». Bien qu’il ait été un des principaux alliés du mouvement des #colons, Sharon ordonne la destruction du bloc de colonies Gush Katif dans la bande de Gaza ainsi que quatre autres colonies dans le nord de la Cisjordanie. Le « désengagement » constitue un profond traumatisme au sein du camp nationaliste israélien. Il est perçu comme une grande trahison du premier ministre et une erreur à corriger.

      Depuis le 26 octobre, l’opération terrestre israélienne à Gaza paraît en offrir l’opportunité. Alors que plusieurs ministres du gouvernement appellent à « profiter de l’occasion » pour conquérir et occuper la zone, tout en y érigeant de nouvelles #colonies, une grande partie de la société israélienne semble également encline à cette idée : selon un sondage de la chaîne Canal 12, 44 % des Israéliens sont favorables à la reconstruction des colonies à Gaza après la guerre, tandis que 39 % y sont opposés.

      #expansionnisme #Grand_Israël #Cisjordanie #militarisation #milices #racisme #Palestiniens

  • « Loin de créer un “choc des savoirs”, Gabriel Attal va produire un choc d’ignorance », Pierre Merle, spécialiste des questions scolaires
    https://www.lemonde.fr/idees/article/2023/12/19/pierre-merle-specialiste-des-questions-scolaires-loin-de-creer-un-choc-des-s

    La réforme souhaitée par le ministre de l’éducation nationale, Gabriel Attal, sous l’appellation « choc des savoirs », est fondée sur des diagnostics erronés. Première contrevérité, le collège français n’est nullement « uniforme ». En 2022, les collèges publics scolarisent près de 40 % d’élèves défavorisés. Les collèges privés en scolarisent moins de 16 %. Encore ne s’agit-il que de moyenne ! Dans les réseaux d’éducation prioritaire (REP et REP+), la proportion d’élèves d’origine populaire dépasse parfois 70 % alors qu’elle est souvent inférieure à 10 % dans les collèges privés du centre-ville des capitales régionales.

    A cette #ségrégation_sociale interétablissement, à laquelle correspondent des différences considérables de compétences des élèves, s’ajoute, énonce notamment une étude publiée en 2016 par le Conseil national d’évaluation du système scolaire (Cnesco), une ségrégation intraétablissement d’une importance équivalente en raison de la multiplication des #sections bilangues et européennes, des classes à horaires aménagés, des langues rares, etc.

    Vouloir créer des groupes de niveau (faible, moyen, fort) dans des classes déjà homogènes est une triple erreur. D’abord, l’idée (en elle-même bienvenue) de réduire à 15 le nombre de collégiens dans les groupes de niveau d’élèves faibles profitera à des élèves moyens, voire bons, scolarisés dans les collèges très favorisés, au détriment des élèves réellement faibles scolarisés en REP.

    Ensuite, en 2019, une synthèse des recherches publiée par Sciences Po Paris a montré un effet bénéfique de la mixité sociale et scolaire sur les progressions des élèves faibles, sans effet négatif sur les meilleurs. Séparer encore davantage les élèves faibles des élèves moyens et forts ne fera qu’accentuer leurs difficultés d’apprentissage.

    Mixité sociale bénéfique à tous

    Enfin, l’évaluation des expériences de mixité sociale réalisées en France, souligne une note publiée en avril par le Conseil scientifique de l’éducation nationale, se traduit par un accroissement du bien-être de l’ensemble des élèves, y compris celui des élèves favorisés. La mixité sociale favorise aussi le développement des capacités socioémotionnelles, réduit la prévalence des #stéréotypes raciaux et sociaux et, pour les élèves socialement défavorisés, améliore leur insertion professionnelle (note de l’Institut des politiques publiques, publiée en novembre). Autant d’effets bénéfiques à tous les élèves. L’établissement scolaire et la classe sont des petites sociétés. Il faut créer de l’unité, non des groupes de niveau.

    La seconde contrevérité du projet ministériel est d’accréditer l’idée d’un redoublement favorable aux élèves en difficulté. Un large consensus scientifique a montré que cette politique débouche sur un résultat inverse. Le redoublement produit des effets négatifs en termes d’estime de soi, de motivation et d’apprentissages ultérieurs. Les seules exceptions concernent, outre la classe de terminale, les classes de 3e et de 2de dans lesquelles les élèves faibles, en cas de redoublement, sont motivés pour éviter une orientation non choisie.

    Tout comme la création des groupes de niveau, des redoublements plus fréquents pénaliseront les élèves faibles, majoritairement d’origine défavorisée. Alors même que, pour l’école française, le constat principal de l’édition 2022 du Programme international pour le suivi des acquis des élèves (PISA) est l’écart considérable entre le niveau des élèves d’origine défavorisée et favorisée, le ministre Gabriel Attal, loin de créer un choc des savoirs, va produire un choc d’ignorance fondé sur une mise à l’écart encore plus accentuée des élèves les plus faibles.

    Le projet ministériel contient d’autres contradictions. Par exemple, Gabriel Attal souhaite une réforme des programmes et une labellisation des manuels scolaires, non pas en référence avec les cycles actuels de trois ans, mais avec des « objectifs annuels », voire « semi-annuels ». Finalement, après avoir dénoncé une uniformité fantasmée du collège, le ministre veut imposer un rythme de progression identique à tous les élèves alors même que, dès l’âge de 2 ans, les inégalités socio-économiques différencient sensiblement leurs compétences langagières.

    De surcroît, la décision de réformer au plus vite le « socle commun » [de connaissances, de compétences et de culture] signifie que l’expérience des #professeurs, les plus avertis des difficultés des élèves, ne sera pas prise en compte. Gabriel Attal veut renforcer leur autorité et, dans le même temps, a déjà décidé d’une modification des programmes sans même les consulter. Un bel exemple de déni de leurs compétences. Pourquoi, aussi, faut-il changer d’urgence des #programmes déjà réécrits par Jean-Michel Blanquer ? Sont-ils à ce point médiocres ? Et pourquoi la nouvelle équipe ministérielle ferait-elle mieux que l’ancienne ?

    Effets délétères

    Dernier exemple, bien que les résultats de #PISA 2022 montrent une baisse des compétences des élèves en #mathématiques, le ministre a décidé la création, à la fin des classes de premières générales et technologiques, d’une nouvelle épreuve anticipée du bac consacrée aux mathématiques et à la culture scientifique. Le ministre se targue de provoquer un choc des savoirs tout en supprimant une année entière d’enseignement scientifique ! Un projet paradoxal dont la genèse tient à l’absence d’une réelle réflexion sur un problème incontournable : la #crise_de_recrutement des professeurs, particulièrement en mathématiques.

    La réforme Blanquer, en reportant le concours d’accès au professorat de la fin du master 1 à celle du master 2, a réduit l’attractivité déjà insuffisante du métier d’enseignant. Certes, Gabriel Attal souhaite revenir sur cette réforme désastreuse, mais son projet est controversé. Au mieux, une réforme ne s’appliquera qu’à la rentrée 2025. En attendant, le ministre se contente d’expédients tels que le recrutement de #contractuels non formés, choix incompatible avec l’élévation du niveau scolaire des élèves.

    L’analyse du projet ministériel montre les effets délétères des mesures envisagées. Groupes de niveau, #redoublement, fin du collège « uniforme », énième réforme des programmes, renforcement de l’autorité du professeur… ne sont que les poncifs éculés de la pensée conservatrice. Ils ne répondent en rien à la crise de l’école française. En revanche, électoralistes et populistes, ces mesures sont susceptibles de servir l’ambition présidentielle de l’actuel ministre de l’éducation.

    Pierre Merle est sociologue, spécialiste des questions scolaires et des politiques éducatives, et il a notamment publié « Parlons école en 30 questions » (La Documentation française, 2021).

    https://seenthis.net/messages/1031680

    #élitisme #obscurantisme #autorité #école #éducation_nationale #élèves #éducation #groupes_de_niveau #ségrégation #Gabriel_Attal #hétérogénéité #coopération