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  • Sanctions contre les bénéficiaires du RSA : « Alors qu’en 1988, le problème public était la grande pauvreté, aujourd’hui le problème public est l’assistance »
    https://www.lemonde.fr/idees/article/2025/04/23/sanctions-contre-les-beneficiaires-du-rsa-alors-qu-en-1988-le-probleme-publi


    Astrid Panosyan-Bouvet (ministre du travail et de l’emploi), Laurent Marcangeli (ministre de l’action publique, de la fonction publique et de la simplification), Clara Chappaz (ministre déléguée chargée de l’intelligence artificielle et du numérique), Thibaut Guilluy (directeur général de France Travail) et Arthur Mensch (Arthur Mensch, son cofondateur et directeur général de Mistral AI), de gauche à droite, durant une visite dans une agence France Travail à Paris, France Travail le 4 février. LUDOVIC MARIN / AFP

    (...) l’existence même de bénéficiaires de l’assistance publique est perçue comme un problème public.

    Thibaut Guilluy [directeur général de France Travail] dévoile ce ressort lorsqu’il affirme en commission des affaires sociales du Sénat que la #paupérisation c’est d’abord et avant tout parce qu’on est passé de « zéro à 2 millions » de bénéficiaires du #RSA. Le problème apparaît donc avec l’allocation, puisqu’il n’y avait zéro bénéficiaire qu’avant la mise en place du revenu d’assistance, le revenu minimum d’insertion (RMI), en 1989. Autrement dit, alors qu’en 1988, le problème public était la grande pauvreté, aujourd’hui le problème public est l’#assistance. Il faut faire quelque chose ; faute de moyens ne restent plus que les sanctions.

    Guillaume Allègre est économiste à l’Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE), auteur de « Comment verser de l’argent aux pauvres ? Dépasser les dilemmes de la justice sociale » (PUF, 2024).

    https://archive.ph/UfsSK

    #guerre_aux_pauvres

    • RSA : « La spirale de la pauvreté est alimentée par une technocratie qui ne cherche que la fraude et pas le non-recours », Guillaume Allègre, Economiste
      https://www.lemonde.fr/idees/article/2024/03/05/rsa-la-spirale-de-la-pauvrete-est-alimentee-par-une-technocratie-qui-ne-cher

      L’économiste Guillaume Allègre propose, dans une tribune au « Monde », de modifier les règles de versement du revenu de solidarité active afin d’éviter les pièges qui aggravent la situation des plus vulnérables.Publié le 05 mars 2024

      Il a été démontré que l’#algorithme de la caisse d’allocations familiales pénalise les plus vulnérables parmi les allocataires d’aides sociales (« Dans la vie de Juliette, mère isolée, précaire et cible de l’algorithme des #CAF », Le Monde du 4 décembre 2023). Mais ce constat ne se limite pas à la question algorithmique.

      Le problème soulevé est plus profond, comme le montre le cas de Juliette, décrit par l’enquête du Monde. #Mère_isolée, allocataire du revenu de solidarité active (RSA), elle doit, après contrôle, rembourser les « revenus d’origine indéterminée », a priori les aides familiales reçues de ses frères et sœurs « pour qu’elle puisse rendre visite à leur père, tombé malade », un virement reçu pour son anniversaire, et les revenus de quelques heures de ménage non déclarées.

      Le RSA est en effet une prestation dite « différentielle » : l’intégralité des revenus doit être déclarée et est alors déduite de la prime versée aux allocataires. Les ressources prises en compte comprennent les revenus d’activité, de remplacement, mais aussi les pensions alimentaires, les prestations sociales et familiales, les héritages et les dons, les gains aux jeux, les loyers d’un logement loué, la valeur locative d’un logement non loué, les revenus des capitaux, et les revenus fictifs des biens non productifs comme les contrats d’assurance-vie, imputés à hauteur de 3 % de leur valeur marchande.

      Remarquons au passage que ces #revenus_fictifs ne rentrent en revanche pas en compte dans l’assiette des revenus au titre de l’impôt sur le revenu ou du plafonnement de l’impôt sur la fortune immobilière (IFI), alors même que ces ménages ont a priori moins de problèmes de liquidité que les allocataires du RSA…

      Première victime

      Le RSA est aussi une prestation dite « subsidiaire » : le demandeur doit faire valoir les droits aux autres prestations sociales et créances alimentaires avant de faire valoir ses droits au RSA. Cela crée des situations impossibles pour les allocataires, même sincères : s’ils reçoivent une aide familiale dans une situation d’urgence, une chaudière qui tombe en panne ou un parent malade, ils doivent déclarer cette aide… qui sera entièrement déduite de l’allocation versée !

      Pas besoin d’intelligence artificielle pour comprendre que, dans ce contexte, il y aura plus de fraudes détectées chez les personnes les plus vulnérables. La situation décrite est celle d’une spirale de la pauvreté alimentée par une technocratie rigoureusement asymétrique, qui ne cherche que la fraude et pas le non-recours.

      De plus, si les revenus d’activité de Juliette avaient été déclarés, elle aurait eu droit à la prime d’activité. Elle est ici pénalisée d’une situation dont elle est la première victime. La prime d’activité permet en effet de cumuler revenus d’activité professionnelle et prestations sociales afin d’inciter les travailleurs aux ressources modestes à reprendre une activité… et à la déclarer. Le cumul de la prime d’activité se limite aux revenus d’activité, hors allocations-chômage − les chômeurs ne sont donc pas considérés comme actifs au titre de cette prime.

      Tous les autres revenus sont déductibles à 100 % du RSA et de la prime d’activité. On vous fait un don 100 euros ? Il est déduit du RSA. Vous avez une chambre à Saint-Denis (Seine-Saint-Denis) que vous voulez louer pendant les Jeux olympiques ? Les revenus sont déduits à 100 % du RSA. Vous avez un logement non loué ? Les revenus fictifs sont (théoriquement) déduits. Vous avez un peu d’épargne dans un contrat d’assurance-vie ? Les revenus fictifs sont déduits. En tant qu’allocataire, vous n’avez que deux ressources disponibles : le RSA et le travail, augmenté de la prime d’activité.

      Peur de se tromper

      Cette situation poserait un moins gros problème si le travail était accessible à tous et si le RSA était d’un montant satisfaisant, permettant des conditions de vie dignes tout en répondant aux impondérables. La rigueur du calcul technocratique du moindre euro fictif pourrait se comprendre si elle était la contrepartie d’une prestation généreuse et que la même rigueur s’imposait aux plus aisés. Mais la prestation est manifestement insuffisante (607 euros par mois aujourd’hui, auxquels peuvent s’ajouter en partie des allocations logement) et son montant décroît régulièrement relativement aux salaires.

      Une solution au problème souligné ici serait d’augmenter la prestation d’assistance. Une autre solution serait de rendre le calcul de la prestation plus bienveillant en mettant en place un abattement sur l’ensemble des petits revenus : par exemple, les 600 premiers euros par trimestre (200 euros par mois) ne seraient pas pris en compte dans le calcul de la prestation, quelle que soit leur origine. Un autre avantage de cette solution est que le demandeur de l’allocation ayant des petits revenus n’aurait pas à détailler leur origine lors de la demande, il cocherait simplement la case « ressources inférieures à 600 euros ».

      Un tel système réduirait la peur de se tromper, la peur des indus à rembourser, et donc le non-recours au droit au RSA. Les premiers revenus d’activité seraient gardés à 100 % par les travailleurs, ce qui répond aussi à la problématique des coûts fixes à la reprise d’emploi. Au-delà de l’abattement, le taux de cumul des revenus d’activité et de la prime d’activité pourrait être abaissé pour garder les gains à la reprise d’emploi à plein temps constants par rapport à la situation actuelle.

      Si l’objectif est que les allocataires des minima sociaux en sortent par le haut, il faut évidemment éviter que les #contrôles ne ciblent les plus vulnérables, mais il faut aussi éviter d’annuler le moindre coup de pouce ou coup de chance.

    • Cher : le nombre d’allocataires du RSA en baisse significative
      https://www.francebleu.fr/infos/economie-social/cher-le-nombre-d-allocataires-du-rsa-en-baisse-significative-5127832

      Le RSA doit être un dispositif transitoire pour les allocataires, rappelle Bénédicte de Choulot, vice-présidente du conseil départemental du Cher à l’insertion : _" Le mot inemployable, ce n’est pas vraiment un mot qu’on aime au conseil départemental. Certaines personnes, en cours d’accompagnement se révéleront peut-être inemployables parce qu’elles ont des problèmes de santé auxquels on ne peut pas apporter de réponse. Ce qu’on essaie au maximum, c’est d’apporter une solution. Quelqu’un qui doit par exemple être réorienté du RSA vers le handicap doit l’être rapidement pour ne pas rester au RSA. Le RSA est un revenu qui n’est pas pérenne. Il n’a jamais été conçu pour l’être. C’est un minimum qui doit être apporté à une personne dans une période transitoire et c’est à nous d’apporter les meilleures réponses possible et les plus pérennes."_ En cas de non respect des engagements, la personne au RSA pourra se voir suspendre ses indemnités versées par la Caisse d’allocations familiales.

      Les passages graissés par la rédac rappellent l’idéal proclamé de l’instauration du RMI : en sortir. Ça colle pas trop avec un réel fait de jobs précaires qui donnent pas droit au chômage, ou pas longtemps, et avec les pénibles problèmes de « cumul » lorsque les ayants droits relèvent de plusieurs caisses, dont celles de leurs patrons momentanés, de plusieurs « statuts ». Tant pis, on saque.

    • « Il est temps d’arrêter l’assistanat » : Laurent Wauquiez veut limiter l’accès au RSA à deux ans
      https://www.lepoint.fr/politique/il-est-temps-d-arreter-l-assistanat-laurent-wauquiez-veut-limiter-l-acces-au

      « Le vrai social, c’est le travail. » (...) il est impératif que le Premier ministre s’attaque à la question du « gaspillage de l’argent public »[des gueuletons de notables plutôt que des universités !].
      (...) « Aujourd’hui, près de 40 % des bénéficiaires du RSA ont moins de 35 ans. Qui peut croire qu’ils sont tous dans l’impossibilité de travailler ? »
      (...) « on ne peut pas continuer à payer des gens à rester chez eux, alors que nous avons 500 000 emplois vacants dans les services à la personne, l’hôtellerie-restauration, l’aide à domicile… »

      Le député de droite propose aussi d’autres mesures pour accompagner la limite d’accès au RSA à deux ans : « La généralisation de vraies heures de travail en contrepartie » du revenu de solidarité active, et « la fusion de toutes les aides sociales en une seule aide plafonnée à 70 % du smic » [soit 1000 balles, et pas de Mars]. « Aujourd’hui, une personne qui travaille pour 3 000 euros brut, aura 2 200 euros pour faire vivre sa famille ; tandis qu’un couple au RSA avec 3 enfants touchera 2 300 euros », déplore Laurent Wauquiez, affirmant que cela est « injuste ».

      Résumé d’un entretien accordé au Parisien titré Laurent Wauquiez : « Je propose que l’on sorte du RSA à vie », avec manip du montant du RSA (tout en omettant les allocations familiales du foyer qui vit sur le salaire du bread winner). Le RSA pour 5 personnes c’est 1639€ avant retranchement du forfait logement de 12%, soit 1447e.

      Ces privilégiés du RSA sont de dangereux abuseurs qui mettent en cause la cohésion sociale que c’est le travail.

      Mais quand même, avec un poids électoral moins nul que celui du PCF, on s’autorise pas, sur ce thème, à être aussi droitier que Roussel. Surtout après le coup de Saint-Pierre-Et-Miquelon.

      #crevure #assistanat

    • Le décret sur les sanctions aux demandeurs d’emploi, et les sanctions plus spécifiques touchant les allocataires du RSA, est paru : https://www.legifrance.gouv.fr/jorf/id/JORFTEXT000051672648

      Le CNLE avait prononcé un avis sur le projet de décret : https://solidarites.gouv.fr/avis-du-cnle-sur-le-projet-de-decret-du-regime-renove-des-droits-et

      Un résumé utile sur ce blog : https://dubasque.org/rsa-le-conseil-national-des-politiques-de-lutte-contre-la-pauvrete-et-lexc

      edit La suspension du RSA remet-elle en cause la présomption d’innocence ?
      https://blogs.alternatives-economiques.fr/abherve/2025/05/29/la-suspension-du-rsa-remet-elle-en-cause-la-presompti

      La loi renforçant la lutte contre les fraudes aux aides publiques, adoptée par le Parlement fait l’objet de la part des députés LFI d’un recours devant le Conseil Constitutionnel.

      #contrôle #société_punitive

  • « La presse libre ne peut céder à la Maison Blanche le droit de décider des mots qu’elle emploie pour décrire la réalité » - Tribune, Jameel Jaffer, Avocat (15 mars 2025)

    https://www.lemonde.fr/idees/article/2025/03/15/la-presse-libre-ne-peut-ceder-a-la-maison-blanche-le-droit-de-decider-des-mo

    L’exclusion d’Associated Press du cercle restreint de journalistes ayant accès aux événements présidentiels est un signe de la « croisade contre la liberté de la presse » menée par l’administration Trump, dénonce l’avocat Jameel Jaffer, dans une tribune au « Monde ».

    • Un tribunal de Washington est en train de se poser cette question : Donald Trump viole-t-il la Constitution américaine en excluant Associated Press [AP] du bureau Ovale ? Les enjeux excèdent largement les droits de cette agence de presse [qui a intenté, le 21 février, un procès contre trois responsables de l’administration Trump pour avoir bloqué l’accès de ses journalistes aux événements présidentiels]. Trump entend en effet contrôler les informations diffusées sur son gouvernement, un projet qui passe avant tout par l’assujettissement de la presse.

      Le « press pool » de la Maison Blanche est un groupe restreint de journalistes qui couvrent les activités présidentielles pour l’ensemble des médias, et en définitive pour le public. Depuis plus d’un siècle, ce pool de journalistes constitue les yeux et les oreilles de la population dans toutes les situations auxquelles elle ne peut assister, que le président s’adresse à la presse dans le bureau Ovale ou qu’il effectue un déplacement à l’étranger. Ce sont ces journalistes qui avaient couvert la mort du président Franklin D. Roosevelt [le 12 avril 1945]. Ce sont eux qui étaient là lorsque le président John F. Kennedy a été assassiné [le 22 novembre 1963] et que le président Ronald Reagan a été la cible d’une tentative d’assassinat [le 30 mars 1981]. Ce sont eux, également, qui se trouvaient aux côtés du président George W. Bush lorsqu’il a été informé des attentats du 11 septembre 2001.

      Depuis les années 1980 au moins, par le biais de la White House Correspondents’ Association, la presse américaine décide elle-même des correspondants qui peuvent ou non faire partie de ce pool. Or, mi-février, la porte-parole de la Maison Blanche [Karoline Leavitt] a annoncé qu’AP serait bannie du bureau Ovale tant qu’elle n’accepterait pas d’appeler le golfe du Mexique « golfe d’Amérique ». La Maison Blanche a ensuite exclu AP de l’Air Force One, l’avion présidentiel, puis d’autres espaces, au motif que l’agence « instrumentalisait » son guide de style éditorial – cet ensemble de règles concernant notamment les noms géographiques – pour refuser d’adopter la dénomination présidentielle.

      Prise de contrôle

      Naturellement, la véritable question n’est pas de savoir comment les choses doivent être nommées, mais de savoir qui décide. En l’occurrence : qui décide des mots que la presse emploie pour décrire le monde ? La réponse de Trump est simple : Trump. Elle est aussi simple qu’absurde et inacceptable. Aujourd’hui, Trump demande à AP de renommer le golfe du Mexique, demain il exigera que l’on appelle l’Ukraine la Russie et les migrants des terroristes, ou encore que l’on qualifie l’élection présidentielle de 2020 de frauduleuse. La presse libre ne peut céder à la Maison Blanche le droit de décider des mots qu’elle emploie pour décrire la réalité. Une presse qui céderait ce droit ne serait plus libre, elle ne servirait plus le public, elle ne mériterait plus d’être défendue.

      Si les tribunaux appliquent correctement la loi, AP aura gain de cause. L’organisation que je dirige, le Knight First Amendment Institute, a déposé début mars un « mémoire en amicus curiae » [document par lequel un tiers à un litige peut fournir des informations au tribunal] qui souligne que le premier amendement de la Constitution américaine [lequel garantit la liberté d’expression et de la presse] interdit le genre de mesures de représailles auxquelles se livre la Maison Blanche. Selon le premier amendement, exclure AP du pool de journalistes de la Maison Blanche constitue une discrimination inadmissible sur la base d’une opinion.

      Mais le bras de fer actuel n’est qu’une facette d’une grande campagne de la Maison Blanche visant à prendre le contrôle des informations diffusées aux Américains sur leur gouvernement. Depuis des années, Trump multiplie les procédures judiciaires pour mettre au pas les médias qui ne lui plaisent pas. Il a poursuivi la chaîne ABC News en diffamation pour avoir affirmé qu’il avait été jugé coupable de « viol » et non d’« agression sexuelle », comme c’est en réalité le cas. Il a intenté un procès à la chaîne CBS News pour avoir apporté des modifications anodines à un entretien de Kamala Harris [pour la rendre selon lui plus flatteuse]. Il a attaqué en justice le quotidien Des Moines Register pour avoir publié un sondage le donnant perdant aux élections.

      Le directeur de la Federal Communications Commission [l’autorité de régulation de l’audiovisuel américaine, Brendan Carr], nommé par Trump, vient d’ouvrir une salve d’enquêtes [sur les finances de la radio et de la télévision publiques notamment] pour donner au président un moyen de pression supplémentaire dans ses litiges avec la presse. Par ailleurs, un des principaux donateurs de Trump [l’homme d’affaires Steve Wynn] a saisi en février la Cour suprême pour élargir les circonstances dans lesquelles un plaignant peut obtenir gain de cause dans une action en diffamation contre un média.
      Attaqué en son cœur

      Cette croisade contre la liberté de la presse s’accompagne d’une campagne de répression brutale contre les dissidents de tout poil. Trump a émis deux décrets sanctionnant des cabinets d’avocats qu’il considère comme des ennemis politiques. Son administration arrête et menace d’expulser des étudiants pour leur participation à des manifestations. Début mars, le département d’Etat a annoncé qu’il allait utiliser de nouveaux outils d’intelligence artificielle pour révoquer le visa de migrants jugés « pro-Hamas ». L’expression est utilisée par l’administration Trump notamment pour qualifier le mouvement de protestation très majoritairement pacifique de 2024 contre les bombardements israéliens à Gaza.

      Ces dernières années, les tribunaux américains ont parfois été critiqués pour avoir sans discernement étendu le premier amendement – qui protège férocement la liberté – aux discours d’entreprise, au transfert de données et aux dons aux partis politiques. Aujourd’hui, certaines mesures de l’administration Trump attaquent le premier amendement en son cœur en prenant pour cible le droit des citoyens de s’associer librement et de critiquer les fonctionnaires, ainsi que le droit de la presse de transmettre des informations.

      L’affaire d’Associated Press offre aux tribunaux américains une occasion de montrer qu’ils défendent sans équivoque ces droits politiques fondamentaux. Hélas, il ne suffira pas que la justice défende le premier amendement contre cette volée de coups portée contre la presse pour que la démocratie américaine survive à Trump. Mais si elle ne le fait pas, nous sommes perdus.

      Traduit de l’anglais par Valentine Morizot

      Jameel Jaffer est un avocat canadien spécialisé dans les droits de l’homme et les libertés civiles. Il dirige le Knight First Amendment Institute à l’université Columbia, à New York.

      Jameel Jaffer (Avocat)


    • La Maison Blanche sommée par un juge fédéral de rétablir l’accès de l’agence Associated Press au bureau Ovale et à « Air Force One »
      (8 avril 2025)

      https://www.lemonde.fr/international/article/2025/04/08/aux-etats-unis-la-justice-somme-la-maison-blanche-de-retablir-l-acces-de-l-a

      Le jugement se base sur le premier amendement de la Constitution américaine, qui protège la liberté de la presse et d’expression. AP avait été exclue en février pour son refus de se conformer à la nouvelle appellation du golfe du Mexique, rebaptisé « golfe d’Amérique » par Donald Trump.

    • « Aux Etats-Unis, la liberté d’expression est devenue l’ennemie du pluralisme et un danger pour la démocratie » — Tribune, Anne Deysine, Professeure émérite à l’université Paris-Nanterre (5 mars 2024)

      https://www.lemonde.fr/idees/article/2024/03/05/aux-etats-unis-la-liberte-d-expression-est-devenue-l-ennemie-du-pluralisme-e

      La campagne en vue de la présidentielle de novembre aux Etats-Unis révèle un paradoxe, note la juriste et américaniste Anne Deysine, dans une tribune au « Monde ». La liberté d’expression, lorsqu’elle autorise le mensonge, comme c’est aujourd’hui le cas en Amérique, risque de faire vaciller la démocratie.

  • Mis en cause par François Bayrou, les agents de l’#Office_français_de_la_biodiversité appelés à faire la grève des contrôles
    https://www.lemonde.fr/planete/article/2025/01/17/mis-en-cause-par-francois-bayrou-les-agents-de-l-office-francais-de-la-biodi

    Mis en cause par François Bayrou, les agents de l’Office français de la biodiversité appelés à faire la grève des contrôles
    Trois jours après l’attaque frontale du premier ministre contre le travail des agents de l’#OFB, les syndicats de l’établissement public demandent des excuses publiques.

    Par Perrine Mouterde

    Publié le 17 janvier 2025 à 16h39

    Ne plus effectuer aucune mission de police, ne plus réaliser aucune opération en lien avec le monde agricole, ne plus transmettre aucun avis technique… tant que le premier ministre n’aura pas formulé des excuses publiques. Trois jours après que François Bayrou a attaqué frontalement le travail des agents de l’Office français de la biodiversité (OFB), les syndicats de l’établissement public appellent, vendredi 17 janvier, à une grève partielle et à un vaste mouvement de contestation. « En réponse à la remise en cause incessante de nos missions et afin d’éviter de commettre des “fautes”, l’intersyndicale demande à l’ensemble des personnels de rester au bureau », résument dans un communiqué cinq organisations (#Syndicat_national_de_l’environnement, FSU, FO, CGT, Unsa, EFA-CGC).

    Quasiment muet sur les #sujets_climatiques_et_environnementaux lors de sa déclaration de politique générale, mardi 14 janvier, #François_Bayrou a en revanche lancé un acte d’accusation sévère à l’encontre de l’instance chargée de veiller à la préservation de la biodiversité et au respect du droit de l’environnement. « Quand les #inspecteurs de la #biodiversité viennent contrôler le fossé ou le point d’eau avec une arme à la ceinture, dans une ferme déjà mise à cran, c’est une humiliation, et c’est donc une faute », a-t-il affirmé.

    Cette déclaration ne pouvait que remettre de l’huile sur le feu après dix-huit mois de vives tensions entre l’établissement et certains syndicats agricoles. La #FNSEA et la Coordination rurale, notamment, assurent que les agriculteurs sont contrôlés de manière excessive et intimidante par les inspecteurs de l’environnement et réclament leur désarmement. Fin 2023 et début 2024, des personnels et des agences de l’OFB avaient été pris pour cibles lors de manifestations. Fin 2024, lors d’un nouveau mouvement de protestation agricole, une cinquantaine d’agressions et d’attaques ont été recensées.

    « Le premier ministre, qui a outrepassé ses fonctions en se faisant le porte-parole de syndicats agricoles, doit se reprendre et réparer sa faute, affirme aujourd’hui #Sylvain_Michel, représentant #CGT à l’OFB. Il est intolérable que le deuxième plus haut représentant de l’Etat attaque directement un établissement public dont les missions sont dictées par la loi et qui consistent à faire respecter le code de l’environnement. »

    Expression « mal comprise »
    La présidente du conseil d’administration de l’OFB, Sylvie Gustave-dit-Duflo, a également fait part de sa colère après les propos de François Bayrou. « Lorsque le premier ministre prend directement à partie l’OFB sans avoir pris la peine de s’intéresser à nos missions, à ses enjeux, c’est inconcevable, c’est une faute », a déclaré vendredi Me Gustave-dit-Duflo, qui est aussi vice-présidente de la région Guadeloupe. « La probabilité pour qu’une exploitation agricole soit contrôlée par les 1 700 inspecteurs de l’environnement, c’est une fois tous les cent-vingt ans », a-t-elle ajouté.

    Les propos du #premier_ministre avaient déjà fait réagir ces derniers jours. Dès mercredi, un membre du Syndicat national des personnels de l’environnement (SNAPE)-FO, Benoît Pradal, a décrit sur France Inter « l’humiliation » ressentie depuis des mois par les agents de l’OFB et assuré n’avoir aucun problème avec « la majorité » des agriculteurs. « On a le sentiment que ce que veulent [une minorité d’agriculteurs], c’est ne plus nous voir dans leurs exploitations. C’est du même ordre que si les dealers demandaient aux policiers de ne plus venir dans les cités », a-t-il ajouté. La FNSEA et les Jeunes agriculteurs ont aussitôt dénoncé « une comparaison honteuse » et réclamé la suspension des contrôles. Le patron des LR à l’Assemblée, Laurent Wauquiez, a lui réclamé que l’OFB soit « purement et simplement supprimé ».

    L’ancien député Modem Bruno Millienne, conseiller de Matignon, juge que l’expression de François Bayrou a été « mal comprise » et prône « le bon sens et le respect mutuel de part et d’autre ». De son côté, la ministre de la transition écologique, Agnès Pannier-Runacher, a appelé vendredi à l’apaisement, en rappelant que les agents de l’OFB « font le travail que nous leur demandons ». « Si la loi doit évoluer, c’est aux parlementaires de la faire évoluer. Ce n’est pas aux agents de l’OFB de ne pas respecter la loi », a-t-elle ajouté.

    Etuis de port d’armes discrets
    Outre la suspension d’un certain nombre de missions, l’intersyndicale de l’établissement public invite les quelque 3 000 agents (dont les 1 700 inspecteurs de l’environnement) à cesser toute participation aux réunions organisées en préfecture sur des sujets agricoles ainsi que tout appui technique aux services de l’Etat, aux établissements publics et aux collectivités territoriales. Elle suggère aussi, dans le cadre d’une action symbolique, d’aller remettre en mains propres aux préfets les étuis de port d’armes discrets, censés permettre de dissimuler l’arme sous les vêtements.

    Une circulaire du 3 décembre 2024 prévoit la mise en place immédiate de ce port d’armes discret. Pour Sylvain Michel, cet outil est « de la poudre aux yeux », qui ne réglera en aucun cas les difficultés. « Ceux qui attaquent les armes violemment ne veulent pas de droit de l’environnement, et donc pas de police de l’environnement », a jugé récemment le directeur général de l’établissement, Olivier Thibault. La police de l’environnement est celle qui contrôle le plus de personnes armées chaque année.

    #Perrine_Mouterde

    • « L’Office français de la biodiversité, l’un des principaux remparts contre l’effondrement du vivant, est victime d’attaques intolérables »

      https://www.lemonde.fr/idees/article/2025/01/07/l-office-francais-de-la-biodiversite-l-un-des-principaux-remparts-contre-l-e

      TRIBUNE
      Collectif

      Amputer les missions de l’#OFB, en réduire les moyens ou revenir sur ses dotations sacrifierait des ressources indispensables pour sa capacité à protéger la biodiversité et à la défendre face aux pratiques illégales qui la dégradent, explique, dans une tribune au « Monde », un collectif de personnalités d’horizons divers, parmi lesquelles Allain Bougrain-Dubourg, Marylise Léon, Christophe Béchu et Valérie Masson-Delmotte.

      ’Office français de la biodiversité (OFB) a récemment déposé une cinquantaine de plaintes au niveau national pour dégradations et menaces.

      Début octobre, la voiture d’un chef de service du Tarn-et-Garonne a été visée par un acte de sabotage. Le 26 janvier 2024, sur fonds de colère agricole, des manifestants ont tenté de mettre le feu au siège de Trèbes (Aude), tandis que l’enquête ouverte après l’incendie de celui de Brest (Finistère), à l’occasion d’une manifestation de marins pêcheurs mécontents, le 30 mars 2023, vient d’être classée sans suite.

      A Guéret (Creuse), les locaux de l’établissement public ont été saccagés, et des documents volés, pour la première fois ; à Beauvais, un service a été muré, et plusieurs services ont reçu un mail d’insultes et de menaces. D’autres établissements publics – tels que l’Institut national de recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement ou l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail – et certains agents ont été victimes d’attaques intolérables.

      3 000 agents répartis à travers la France
      L’OFB incarne pourtant l’un des principaux remparts contre l’érosion de la biodiversité. Cet établissement public, créé par le législateur, en 2019, lors de la fusion de l’Agence française pour la biodiversité et de l’Office national de la chasse et de la faune sauvage, rassemble plus de 3 000 agents répartis à travers la France métropolitaine et les outre-mer. Inspecteurs de l’environnement, ingénieurs, experts thématiques, vétérinaires, techniciens, personnel administratif, œuvrent ensemble pour accompagner les collectivités et les divers acteurs économiques vers des pratiques respectueuses de la nature.

      L’OFB réunit des compétences uniques pour mesurer, analyser et anticiper l’effondrement du vivant. Que savons-nous de la fragilité des espèces ou des écosystèmes déjà affectés ? Quel est l’état de santé des zones humides, des milieux forestiers et marins ? Affaiblir l’OFB, c’est saper les fondations mêmes de notre connaissance et de nos capacités d’action. Le défendre, c’est affirmer que la science est un levier crucial de la résilience de nos sociétés.

      Protéger la biodiversité, c’est aussi la défendre face aux pratiques illégales qui la dégradent. L’une des missions centrales de l’OFB vise à assurer l’application des lois environnementales. Avec ses 1 700 inspecteurs, cette police de l’environnement lutte contre le braconnage, les pollutions et autres atteintes aux milieux naturels et aux espèces protégées. Ses équipes aident également les usagers à mieux comprendre et à respecter les réglementations, en proposant des solutions concrètes et constructives.

      L’OFB n’agit pas seul. Il constitue le cœur d’un réseau d’acteurs qui tissent ensemble des initiatives locales et nationales : Etat, collectivités, citoyennes et citoyens engagés, en particulier dans les associations, entreprises, scientifiques. De la ruralité au cœur des villes, cette force agit pour la préservation de la biodiversité et de l’équilibre de nos territoires.

      La base de notre existence
      Loin de faire cavalier seul, comme certains l’affirment, les agents de l’OFB participent à la résilience des activités économiques, établissent des ponts entre des intérêts parfois divergents, en facilitant le dialogue avec les agriculteurs, pêcheurs, chasseurs, pratiquants des sports de nature ou encore les acteurs de l’énergie. Qu’il s’agisse de la restauration d’un marais, de la survie d’une espèce endémique ultramarine ou de l’éducation des plus jeunes, chaque avancée repose sur cette synergie avec la même ambition : léguer un futur viable aux prochaines générations.

      La biodiversité n’est pas un luxe, elle est la base même de notre existence : l’eau que nous buvons, l’air que nous respirons, les sols qui nous nourrissent. Ses interactions et interdépendances ont permis, au cours de l’évolution, de créer les conditions d’émergence de l’ensemble du vivant. Ce fil fragile menace bientôt de rompre. Quand les océans s’élèvent, que les habitats naturels se dégradent, que les cours d’eau s’assèchent ou débordent, que les espèces sauvages disparaissent à un rythme sans précédent, nous devons faire front et nous unir derrière un unique objectif : protéger la vie.

      Dans ce contexte, amputer les missions de l’#OFB, réduire ses moyens budgétaires et humains ou revenir sur les dotations décidées il y a à peine un an pour les politiques publiques de biodiversité, sacrifierait des ressources indispensables pour notre capacité à agir efficacement pour préserver l’#avenir.

      C’est pourquoi, aujourd’hui, nous appelons élus, #associations, #scientifiques, #citoyennes_et_citoyens à faire front pour soutenir cet #opérateur_public, aujourd’hui sous le feu de #critiques_injustifiées. Celles-ci visent en réalité, à travers l’OFB ainsi qu’à travers l’ensemble de ses agents, des politiques publiques et des #réglementations qui ont mis des années à progresser et à commencer à faire leurs preuves.

      Premiers signataires : Allain Bougrain-Dubourg, président de la Ligue pour la protection des oiseaux ; Antoine Gatet, président de France Nature Environnement ; Erwan Balanant, député (#MoDem) du Finistère ; Sandrine Le Feur, députée (Renaissance) du Finistère ; Marie Pochon, députée (#EELV) de la Drôme ; Dominique Potier, député (divers gauche) de Meurthe-et-Moselle ; Loïc Prud’homme, député (LFI) de Gironde ; Richard Ramos, député (MoDem) du Loiret ; Marylise Léon, secrétaire nationale de la CFDT ; Christophe Béchu, maire d’Angers et ancien ministre ; Valérie Masson-Delmotte, paléoclimatologue, directrice de recherches au CEA ; Claude Roustan, président de la Fédération nationale de la pêche. Liste complète des signataires ici.

      Collectif

    • Jean-Baptiste Fressoz, historien : « Les #polices_environnementales subissent de nombreuses entraves »
      https://www.lemonde.fr/idees/article/2024/02/28/jean-baptiste-fressoz-historien-les-polices-environnementales-subissent-de-n

      Jean-Baptiste Fressoz, historien : « Les polices environnementales subissent de nombreuses entraves »
      CHRONIQUE

      Jean-Baptiste Fressoz

      Historien, chercheur au CNRS

      La mise en cause de l’Office français de la biodiversité à l’occasion des manifestations d’agriculteurs s’inscrit dans l’histoire des entraves à la protection de l’environnement, observe l’historien dans sa chronique.Publié le 28 février 2024 à 06h00, modifié le 28 février 2024 à 08h15 Temps deLecture 2 min.

      Les locaux de l’Office français de la biodiversité (OFB) ont été plusieurs fois visés par les manifestations d’agriculteurs, par exemple à Mende, le 2 février, et à Carcassonne, le 27 janvier. Le 26 janvier, le premier ministre, Gabriel Attal, avait annoncé le placement de l’établissement public sous la tutelle des préfets. L’OFB fait partie des « polices environnementales », vocable regroupant différentes institutions qui vont des anciens gardes-chasse, gardes forestiers, gardes-pêche – devenus agents de l’OFB – aux inspecteurs des établissements classés (Polices environnementales sous contraintes, de Léo Magnin, Rémi Rouméas et Robin Basier, Rue d’Ulm, 90 pages, 12 euros).

      Le mot « police » a cela d’intéressant qu’il renvoie à l’origine de ces institutions. Sous l’Ancien Régime, la police méritait en effet pleinement son nom, car elle s’occupait de tout ce qui avait trait à l’espace urbain, à la fois l’ordre public, bien sûr, mais aussi l’ordre environnemental, la propreté des rues, l’organisation des marchés, les fumées des artisans…

      Le succès administratif des termes « environnement », dans les années 1970, puis « biodiversité », dans les années 2000, cache la profonde continuité des pratiques et des institutions qui encadrent les usages de la nature. A l’instar de la police d’Ancien Régime, la police environnementale recourt surtout à la pédagogie et aux rappels aux règlements bien plus qu’aux sanctions. Une police qui repose davantage sur les bonnes pratiques que sur des normes strictes et des instruments de mesure.

      On retrouve aussi une même rivalité entre administration et justice tout au long de son histoire. Au début du XIXe siècle, la mise en place du système administratif (préfets et Conseil d’Etat) avait conduit à marginaliser les cours judiciaires dans la gestion de l’environnement : d’un côté, une administration qui pense « production et compétitivité nationale », de l’autre, des cours qui constatent des dommages, des responsabilités et attribuent des réparations.

      Gestion de contradictions
      Les polices environnementales subissent également de nombreuses entraves. Tout d’abord celle liée au manque de personnel : pour surveiller l’ensemble de ses cours d’eau, la France ne dispose que de 250 agents, soit moins d’un agent pour 1 000 kilomètres de rivière. Quant aux établissements classés, on en compte plus de 500 000 en France, pour 3 100 inspecteurs. On est bien loin des 30 000 gardes champêtres qui quadrillaient les campagnes françaises au XIXe siècle !

      Entraves qui tiennent ensuite à la faible prise en charge judiciaire de ces affaires : les atteintes à l’environnement représentent ainsi une part infime des affaires correctionnelles. Entraves liées enfin à l’état du monde agricole français : moins de 2 % de la population exploite plus de la moitié du territoire métropolitain ; logiquement, les agriculteurs concentrent la majorité des contrôles. Et la peur de la violence d’un monde agricole en détresse économique taraude les inspecteurs : un contrôle de trop peut enclencher la faillite…

      Robert Poujade, tout premier ministre de l’écologie de 1971 à 1974, avait conté son expérience au Ministère de l’impossible (Calmann-Lévy, 1975). La police de l’environnement est une « police de l’impossible », davantage caractérisée par ses contraintes que par ses pouvoirs, une police « d’avant-garde » par certains aspects, mais qui tente de faire respecter des règles souvent anciennes, une police enfin qui n’est soutenue par aucune campagne de sensibilisation massive, contrairement à ce qui a été fait, par exemple, pour la sécurité routière, et qui se trouve devoir gérer les contradictions entre système productif et politique. Selon la formule des auteurs de Polices environnementales sous contraintes, « l’écologisation de nos sociétés n’a rien d’automatique et demeure un processus hautement contingent, sinon un objectif essentiellement discursif ». Les reculades de Gabriel Attal face aux revendications de la Fédération nationale des syndicats d’exploitants agricoles confirment cette sombre appréciation.

      #Jean-Baptiste_Fressoz (Historien, chercheur au #CNRS)

    • « Il appartient aux autorités politiques de #défendre l’#existence de l’Office français de la #biodiversité, chargé d’appliquer les #réglementations_environnementales »
      https://www.lemonde.fr/idees/article/2024/03/02/il-appartient-aux-autorites-politiques-de-defendre-l-existence-de-l-office-f

      « Il appartient aux autorités politiques de défendre l’existence de l’Office français de la biodiversité, chargé d’appliquer les réglementations environnementales »
      TRIBUNE
      Collectif

      L’OFB est devenu le bouc émissaire de la crise agricole, déplorent dans une tribune au « Monde » les représentants des organisations siégeant au conseil d’administration de cet établissement national. Pour eux, la coopération entre agriculture et biodiversité est une évidente nécessité.Publié le 02 mars 2024 à 06h30 Temps deLecture 4 min.

      Le #déclin_de_la_biodiversité à une vitesse et à une intensité jamais égalées est #scientifiquement_établi depuis des années, et particulièrement dans les rapports de la Plate-Forme intergouvernementale scientifique et politique sur la biodiversité et les services écosystémiques (#IPBES). Les menaces sur l’eau et la biodiversité sont toutes d’origine humaine et s’exacerbent mutuellement.

      Cet #effondrement_de_la_biodiversité, conjugué au changement climatique, remet en question l’habitabilité de notre planète et interroge l’avenir du vivant, humain et non humain.

      Face à ce constat, l’Etat a créé en 2020 un établissement national spécialisé, l’Office français de la biodiversité (#OFB), consacré à la protection et à la restauration de la biodiversité en métropole et dans les outre-mer. Le législateur et le gouvernement lui ont assigné des missions essentielles, en particulier :

      – la connaissance et l’expertise : mieux connaître les espèces, les milieux naturels, les services rendus par la biodiversité et les menaces qu’elle subit est essentiel pour protéger le vivant ;

      – un appui aux politiques publiques : à tous niveaux, les équipes de l’OFB appuient les politiques publiques pour répondre aux enjeux de préservation de la biodiversité ;

      – la gestion et restauration des espaces protégés : parcs naturels marins, réserves, appui aux parcs nationaux, travail en réseau… ;

      – la contribution à la police de l’environnement, qu’elle soit administrative ou judiciaire, relative à l’eau, aux espaces naturels, à la flore et la faune sauvages, à la chasse et à la pêche ; à la lutte contre le trafic des espèces sauvages menacées d’extinction.

      Manque de moyens
      Quatre ans après sa création, l’OFB continue de consolider son identité et sa place dans le paysage institutionnel. En manque d’un véritable portage politique, ce « fer de lance de la biodiversité » a vu ses missions s’étoffer et se complexifier considérablement, tandis que ses effectifs n’ont augmenté qu’à la marge.

      Le manque de moyens humains reste une entrave à l’action, à tous niveaux.

      Par exemple, sur les seules missions de police judiciaire, à l’échelle du territoire national, l’OFB ne compte que 1 700 inspecteurs pour prévenir et réprimer les atteintes à l’environnement (surveillance du territoire, recherche et constat des infractions, interventions contre le braconnage, …), qui doivent également contribuer à la connaissance, apporter leur expertise technique, sensibiliser les usagers, réaliser des contrôles administratifs sous l’autorité du préfet, etc. Mais d’autres agents et métiers de l’OFB sont également en tension.

      Durant les manifestations de colère agricole, l’OFB se voit conspué, ses implantations locales dégradées, ses agents vilipendés. L’OFB est devenu le bouc émissaire de la crise agricole, en l’absence de réponses concrètes sur le revenu des paysans.

      La santé des agriculteurs en premier lieu
      Ces attaques réitérées contre l’OFB sont inacceptables, car elles visent, au travers de l’établissement et de ses agents, à affaiblir les politiques publiques de protection et de sauvegarde de la nature, de l’eau et de la biodiversité.

      Parce que l’eau et la biodiversité renvoient à la complexité du vivant, le bon sens, qu’il soit populaire ou paysan, ne peut suffire à protéger ou à restaurer un fonctionnement équilibré des milieux naturels. L’OFB est un outil précieux de connaissance et d’expertise pour accompagner et garantir la mise en œuvre des politiques publiques (collectivités, habitants, filières professionnelles, etc.). La remise en cause de certaines de ses missions et de sa capacité d’agir générerait des reculs concrets et dommageables pour l’intérêt général et nos modes de vie.

      Elle ne constituerait aucunement un gain pour le monde agricole, dont une grande partie a déjà intégré les enjeux de préservation des milieux et des cycles naturels. Rappelons que, en faisant appliquer les réglementations environnementales, l’OFB et les autres opérateurs publics de l’environnement protègent aussi la santé de tous les citoyens, celle des agriculteurs en premier lieu.

      A l’inverse de la tendance à opposer agriculture et protection de la nature, la coopération entre agriculture et biodiversité est une nécessité évidente : le système agroalimentaire intensif aujourd’hui dominant constitue l’une des principales pressions sur la biodiversité, dont l’érosion continue provoque, en retour, une fragilisation de tous les modèles agricoles.

      Rappeler les lois, voire sanctionner
      Les politiques publiques, comptables vis-à-vis des générations futures, ne doivent pas renoncer à la transition agroécologique ; elles doivent au contraire l’accompagner, la guider et la soutenir, au bénéfice de la biodiversité, de l’atténuation et de l’adaptation du changement climatique, de la santé des humains (et en premier lieu des producteurs), des autres êtres vivants et de l’agriculture elle-même.

      Nous soutenons sans réserve tous les paysans qui s’engagent dans cette transition agroécologique, dans un modèle à la fois vertueux pour l’environnement et où les femmes et les hommes qui nous nourrissent vivent dignement de leur travail, sans mettre en jeu leur santé et celle des citoyens.

      Lire aussi la tribune : Article réservé à nos abonnés « Face au changement climatique, l’agriculture biologique doit être soutenue »

      L’OFB a sa place au côté d’une agriculture en pleine mutation, pour accompagner les paysans de bonne volonté, engagés dans la transition, mais aussi pour rappeler les lois et règlements en vigueur, voire sanctionner ceux qui ne respectent pas la loi, qu’ils soient des entreprises, des agriculteurs, des collectivités ou des individus.

      L’Etat doit lui en donner véritablement les moyens, avec des effectifs à la hauteur de ces enjeux et des agents reconnus qui vivent, eux aussi, dignement de leur travail. Comme pour d’autres établissements publics pris pour cible par des groupes d’intérêts économiques, il appartient aux autorités politiques de défendre l’existence de cet organisme dont les missions sont définies dans le cadre légitime de l’action publique de l’Etat

      Les signataires de cette tribune proviennent tous d’organisations siégeant au conseil d’administration de l’Office français de la biodiversité : Véronique Caraco-Giordano, secrétaire générale du #SNE-FSU, Syndicat national de l’environnement ; Antoine Gatet, président de France Nature Environnement ; Bernard #Chevassus-au-Louis, président d’Humanité et biodiversité ; Allain Bougrain-Dubourg, président de la Ligue pour la protection des oiseaux ; Claude Roustan, président de la #Fédération_nationale_de_la_pêche en France ; Vincent Vauclin, secrétaire général #CGT_environnement (domaine OFB et #parcs_nationaux).

    • À #Poitiers, l’immense désarroi de la police de l’environnement | Mediapart
      https://www.mediapart.fr/journal/ecologie/150225/poitiers-limmense-desarroi-de-la-police-de-l-environnement

      À Poitiers, l’immense désarroi de la police de l’environnement
      Harcelés par les syndicats agricoles, les agents de l’Office français de la biodiversité se sentent abandonnés et constatent une perte de sens de leur travail. D’autant que François Bayrou les a jetés en pâture dès son arrivée à Matignon, les accusant d’« humilier les agriculteurs ».

      Lucie Delaporte

      15 février 2025 à 10h28

      PoitiersPoitiers (Vienne).– Sur la porte vitrée du local subsistent encore les traces laissées par la Coordination rurale (CR). Des graines mélangées à une substance visqueuse et, çà et là, quelques autocollants du syndicat : « Stop à l’agricide », « OFB stop contrôle ».

      Dans la nuit du dimanche 2 février, les locaux de l’agence départementale de l’Office français de la biodiversité (#OFB) à Poitiers ont été pris pour cible par des militants du syndicat agricole proche de l’extrême droite. Des #graffitis ont été tracés sur le bâtiment, des sacs de légumes pourris déversés devant les locaux. « Un camion entier », précise Alain*, le premier agent à être arrivé sur les lieux.

      C’est la sixième fois en un an et demi que cette antenne de l’OFB de la Vienne est attaquée. Le procureur de la République a ouvert une enquête en flagrance pour les dégradations matérielles mais aussi pour harcèlement, au regard de la répétition de ces actes de malveillance.

      Dans cette âpre campagne où le syndicat disputait son leadership à la FNSEA, l’OFB aura été sa cible répétée. « On leur a servi de bouc émissaire idéal », résume un agent que nous rencontrons dans la salle de repos où sont collées des affichettes montrant des agents couverts de déchets avec le slogan « Nous ne sommes pas des punching-balls ».

      Après le témoignage sur France Inter d’un responsable syndical de l’OFB qui avait comparé à des « dealers » les agriculteurs hors la loi, le climat s’est enflammé. « Une voiture de l’OFB qui entre dans une exploitation sera brûlée sur place », a déclaré peu après dans un meeting le secrétaire général de la CR, Christian Convers.

      Grève du zèle
      Né en 2020 de la fusion de l’Agence française pour la biodiversité et de l’Office français de la chasse et de la faune sauvage, l’OFB, qui compte 2 800 agents, est encore mal connu du grand public. Il exerce des missions de police administrative et de police judiciaire relatives à l’eau, aux espaces naturels, aux espèces, à la chasse et à la pêche.

      À Poitiers, quelques jours après cette sixième attaque contre ses locaux, l’antenne tourne au ralenti. « On fait une grève larvée. Globalement, on ne fait pas de police pénale, pas de contrôle administratif. On essaie de solder les procédures en cours et on va surtout voir des espèces sur le terrain », résume un agent qui, comme tous les autres, requiert l’anonymat.

      On se dit qu’un agriculteur va peut-être franchir la ligne rouge, avec le sentiment que, s’il le fait, il sera soutenu par les syndicats agricoles et par le premier ministre.

      Gilles, agent à l’OFB
      Après une manifestation le 31 janvier devant la préfecture, les agents poursuivent le mouvement par cette grève du zèle, en écho à une année étrange où leurs tutelles – le ministère de l’agriculture et celui de la transition écologique – leur ont demandé de lever le pied sur les contrôles face à l’ampleur de la contestation agricole.

      « C’est notre quotidien : se faire insulter ou agresser par des gens qui viennent déverser des détritus juste parce qu’on essaie de faire respecter des lois votées au Parlement », indique Alain, qui fait visiter les lieux.

      Un mètre de lisier dans la voiture
      Le lâchage en règle des agents de l’OFB par deux premiers ministres, sous la pression du mouvement agricole, a été très douloureusement ressenti. Lors de son discours de politique générale, François Bayrou a évoqué l’« humiliation » infligée, à ses yeux, au monde agricole par les agents de l’OFB, qui arborent une arme lors de leurs interventions. 

      « On s’était déjà fait crucifier en janvier sur place par Attal sur sa botte de foin, qui avait repris au mot près le slogan de la FNSEA : “Faut-il être armé pour contrôler une haie ?” », s’étrangle Alain, qui rappelle les agressions continuelles que subissent les agents. 

      Depuis fin 2023, l’OFB a recensé 90 actions contre ses locaux mais aussi des actes malveillants visant directement ses agents. En octobre, le chef de l’OFB du Tarn-et-Garonne, juste après une réunion sur les contrôles à la chambre d’agriculture, a constaté qu’une des roues de son véhicule avait été démontée. « Un collègue s’est retrouvé avec un mètre de lisier dans sa voiture », raconte Max en buvant sa chicorée, parce qu’il s’est rendu compte que le café portait trop sur ses nerfs déjà assez malmenés.

      « Il y a une violence qu’on ressent de plus en plus. Ce climat-là multiplie le risque d’avoir un contrôle qui se passe mal. On se dit qu’un agriculteur va peut-être franchir la ligne rouge, avec finalement le sentiment que, s’il le fait, il sera soutenu par les syndicats agricoles et par le premier ministre », poursuit-il.

      Travailler à l’OFB a un coût, surtout quand on habite dans un village. « Là où j’habite, je suis blacklisté. C’est un village très agricole. Je l’ai senti quand on est arrivés. Ma femme ne comprenait pas. Je lui ai dit : “Cherche pas : tout le monde se connaît, ils savent le métier que je fais” », explique l’agent.

      Un autre raconte avoir fait l’erreur d’aller regarder ce qui se disait sur les réseaux sociaux à propos de l’OFB. Insultes, menaces, dénigrement… « C’est désastreux. On est les emmerdeurs, payés par vos impôts, pour protéger les papillons, les amphibiens. Et à partir du moment où l’État qui m’emploie me désavoue, quelle légitimité j’ai à continuer à faire ce travail-là ? »

      Depuis 2023, du fait des dérogations de la préfecture, l’eau d’une grande partie de la Vienne n’est officiellement plus « potable », à cause de ces pollutions, mais « consommable ».

      L’accusation de « harceler » le monde agricole provoque ici l’agacement. « D’abord, on focalise sur le monde agricole, mais ce n’est qu’une petite partie de notre travail. On contrôle les collectivités, les entreprises, les particuliers aussi », souligne Max, la trentaine. À raison de 3 000 contrôles par an pour 400 000 exploitations, une exploitation a une chance de se faire contrôler tous les cent vingt ans. « Ici, on a verbalisé vingt exploitations sur les phytos [produits phytosanitaires – ndlr] l’an dernier sur les 3 500 du département. La vérité, c’est qu’on devrait faire beaucoup plus de contrôles. On est treize agents, ici, on devrait plutôt être quarante pour bien faire notre métier », assure-t-il.

      Car ce qu’ils racontent sur l’ampleur des atteintes à l’environnement qu’ils constatent au quotidien fait froid dans le dos. « Sur la qualité de l’eau, c’est une catastrophe ! À certains endroits, on en est venus à interconnecter des points de captage pour diluer la pollution », rapporte un policier. Un cache-misère pour rendre moins visibles des niveaux de pollution inédits.

      Julien est ici le spécialiste de l’utilisation des produits phytosanitaires. Il décrit les conséquences désastreuses de ces produits utilisés trop souvent hors des clous et qui restent parfois plusieurs décennies à l’état de métabolites dans les sols et les nappes phréatiques.

      Interdit depuis 2013, le chlorothalonil, un fongicide, continue de faire des ravages. « Il y a certaines zones dans le département où on était à quasiment 70 fois la norme ! » Pour lui, de telles concentrations indiquent que le produit a sans doute été utilisé récemment : « Les agriculteurs peuvent se fournir à l’étranger, sur Internet. »

      Depuis 2023, du fait des dérogations de la préfecture, l’eau du robinet d’une grande partie du département n’est officiellement plus « potable », à cause de ces pollutions, mais « consommable », c’est-à-dire les seuils très précis de pollution qui régissent les normes de potabilité sont dépassés mais dans des proportions qui n’impactent pas immédiatement la santé humaine. Dans ce cas, les préfectures peuvent, temporairement, publier des décrets dérogatoires. Sur le long terme, qui vivra verra… Une situation dénoncée par les associations environnementalistes dans l’indifférence générale. 

      Yves s’agace de l’aveuglement des pouvoirs publics sur le sujet : « La conscience des élus de la gravité de la situation de l’eau, elle est... faible, euphémise-t-il dans un demi-sourire. Ils ne se rendent pas du tout compte ou alors ils disent : “On va trouver des solutions curatives, on va traiter l’eau.” Mais, même dans les récentes usines de filtration à 15 millions d’euros qui ont été construites ici, on continue de trouver ces métabolites. » Il faut des filtres de plus en plus performants, plus chers et finalement payés par les contribuables.

      Moi, je n’ose même plus parler de biodiversité puisqu’on regarde toutes les populations se casser la gueule…

      Un policier de l’environnement
      Faire appliquer la loi serait, au minimum, un bon début. Mais c’est précisément ce qu’on les empêche de faire en leur imposant des procédures longues et complexes, avec très peu de moyens.

      Pour ces agents, observer au quotidien l’effondrement de la biodiversité dans l’indifférence générale est un crève-cœur. « On est un peu comme des urgentistes qui voient passer des cadavres toute la journée. Moi, je n’ose même plus parler de biodiversité puisqu’on regarde toutes les populations se casser la gueule… J’en suis juste à me dire : essayons d’avoir encore de l’eau potable demain », affirme Alain.

      Le droit de l’environnement est-il trop complexe ? Un argument qui est beaucoup revenu pendant le mouvement des agriculteurs. Alain reconnaît que certains aspects sont très techniques, y compris pour lui, mais souligne que cette complexité est souvent le fruit d’un intense travail de lobbying des industriels et des groupes de pression.

      « Le #lobbying a tendance à complexifier encore plus la loi, avec une multitude de sous-amendements parfois difficilement interprétables… On se dit que c’est exprès pour que ce soit inapplicable ! Ce serait bien de simplifier la loi mais que cette simplification ne se fasse pas au détriment de l’environnement, comme c’est la plupart du temps le cas », juge-t-il.

      Agrandir l’image : Illustration 3
      Une saisie d’un bidon de glyphosate. © Lucie Delaporte
      Julien assure que concernant les « phytos », grand sujet de crispation avec les agriculteurs, la « complexité » a bon dos : « Les exploitants ont quand même une formation pour obtenir un certificat individuel d’utilisation des produits phytosanitaires, et sur chaque bidon de phytosanitaire, la règle d’utilisation est écrite : “À ne pas appliquer à moins de 5 mètres ou 20 mètres d’un cours d’eau”, etc. »

      Dans une profession agricole qui a été encouragée à utiliser massivement des pesticides pendant des décennies, engendrant une dépendance de plus en plus grande à la chimie, certains agriculteurs préfèrent simplement ignorer des réglementations qui les contraignent.

      « On a fait des formations justement pour expliquer la réglementation. Comme sur le terrain on entend toujours que c’est très compliqué, on s’attendait à avoir des salles pleines. Sur les 3 500 exploitations dans la Vienne, une cinquantaine d’agriculteurs sont venus », soupire un agent chevronné.

      Avec des formules qu’ils veulent diplomatiques, ils décrivent tous un monde agricole qui s’est globalement affranchi des règles sur le respect de l’environnement, avec la bénédiction des pouvoirs publics qui ont décidé de fermer les yeux. « Il faudrait faire une étude sociologique : pourquoi les exploitants agricoles ne se sentent-ils jamais en infraction ? Ils nous disent : “Mais nous on gère en bons pères de famille, intéressez-vous plutôt aux délinquants, aux dealers dans les cités.” C’est quelque chose qui a été entretenu parce qu’il y a très peu de contrôles en agriculture. Et forcément, dès qu’il y en a un petit peu, tout de suite, la pression monte », analyse Julien.

      Si, de fait, les contrôles sont rares, les sanctions ne sont pas non plus très dissuasives. Dans le département, un agriculteur qui se fait contrôler pour non-respect de la loi sur l’utilisation des pesticides est condamné à faire un stage payant de 300 euros. « Ce n’est pas très cher payé quand on voit les dégâts pour les écosystèmes », soupire Alain.

      La faiblesse des contrôles pourrait d’ailleurs coûter cher à la France concernant les aides de la politique agricole commune (PAC). « Il y aurait 9 milliards d’aides et pas de contrôles ? Ça ne marche pas comme ça », relève un agent. L’Union européenne conditionne en effet ses aides au respect d’un certain nombre de règles environnementales garanties par un bon niveau de contrôle et pourrait condamner la France. 

      Ma hantise, c’est qu’un agriculteur se #suicide.

      Gilles, agent de l’OFB
      Malgré leurs vives critiques, tous les agents rencontrés insistent sur leur attachement à un monde agricole qu’ils connaissent bien et qu’ils savent effectivement en détresse. « Mon père était exploitant agricole. Je viens de ce milieu, prévient d’emblée Julien. Avec le Mercosur, l’année dernière était pourrie par le climat avec une baisse de la production… Ils ont l’impression de perdre sur tout. On est le coupable idéal parce que c’est facile de taper sur nous. »

      Essentielle à leurs yeux, leur mission de police n’est pas toujours facile à endosser. « Ma hantise, c’est qu’un agriculteur se suicide, raconte Gilles. C’est arrivé à un collègue après un contrôle. On prend le maximum de précautions, on appelle la DDT [direction départementale des territoires – ndlr] pour savoir s’il y a des risques psychosociaux avant d’intervenir chez un exploitant par exemple. »

      Faire respecter le droit de l’environnement, notamment sur les « phytos », est aussi dans l’intérêt des agriculteurs, plaident-ils. « Certains agriculteurs sont dans le déni. Moi, j’essaie de leur parler des impacts sur leur santé, celle de leur famille », explique Max. Il se souvient d’un agriculteur qui avait passé quinze jours à l’hôpital après s’être pris des pesticides en retour d’air dans la cabine de son semoir : « Il crachait du sang. Mais de là à changer… Ils sont convaincus qu’il n’y a pas d’autres solutions, alors que rien qu’en modifiant certaines pratiques, ils peuvent baisser drastiquement le recours aux phytos. »

      Il y a aussi désormais des points de non-retour. Yves se souvient de la prise de conscience d’un agriculteur qui a un jour fait venir un pédologue pour comprendre ce qui se passait sur son exploitation : « Il lui a dit que les sols de ses 600 hectares étaient morts ; ça lui a mis une claque. » Beaucoup d’agents interrogés voudraient voir leur travail à l’OFB en partie comme un accompagnement de ces agriculteurs aujourd’hui englués dans la dépendance aux produits chimiques.

      L’éclatante victoire dans le département de la Coordination rurale, qui veut supprimer le maximum de normes environnementales, ne va pas vraiment en ce sens.

      Au sein de l’antenne de Poitiers, le découragement gagne les agents. Beaucoup nous font part de leur envie d’aller voir ailleurs si l’herbe est plus verte. « Je regarde les offres d’emploi, c’est vrai », reconnaît l’un d’eux. « Je n’ai pas envie de servir de caution verte au gouvernement. Si on nous dit demain : le monde agricole, vous ne le contrôlez plus, vous faites les particuliers, les entreprises et les collectivités…, là, j’arrêterai. J’aurai l’impression de clairement voler les contribuables en prenant un salaire pour quelque chose de totalement inutile : il faut remettre les enjeux à leur place », poursuit ce jeune agent, que ses collègues décrivent comme un « monstre dans son domaine ».

      Gilles se remet mal d’une discussion récente avec une collègue. « Elle a fait vingt-quatre ans de service. Une fille hyperperformante dans plein de domaines, mais là, elle n’en peut plus. Elle a craqué nerveusement. Elle fait une rupture conventionnelle. Elle ne veut même plus entendre parler d’environnement, c’est devenu insupportable pour elle. »

  • Migrants : la coopération franco-britannique trans-Manche en question
    https://www.lemonde.fr/idees/article/2024/03/30/migrants-la-cooperation-franco-britannique-trans-manche-en-question_6225111_

    Migrants : la coopération franco-britannique trans-Manche en question
    Des drames récurrents entachent l’image de la France et du Royaume-Uni, deux pays porteurs des plus hautes valeurs des droits humains, ceux vécus par les migrants qui, chaque jour, au départ des côtes françaises, tentent de franchir la Manche et parfois s’y noient. Au cours des seuls trois premiers mois de 2024, au moins dix d’entre eux ont trouvé la mort, selon la préfecture du Nord. Les traversées maritimes clandestines ont commencé en 2018, succédant aux tentatives via le tunnel, après des années de « sécurisation » de plus en plus drastiques des abords de ce dernier.
    Le gouvernement conservateur britannique a fait du franchissement du channel par small boats, ces canots pneumatiques loués à prix d’or par des trafiquants, un tel enjeu à l’approche des élections législatives qu’il n’a cessé d’accroître sa pression sur les autorités françaises. Depuis 2000, celles-ci ont accepté de se faire les gardiennes de la frontière du Royaume-Uni.
    Les terribles conséquences de cette situation sont décrites dans l’enquête menée en commun par Le Monde et le média Lighthouse Reports. Des policiers ont été vus par des témoins à plusieurs dizaines de mètres de la côte française en train de crever des bateaux bondés ; d’autres créant des vagues pour dissuader les départs. Un exilé syrien est mort après une intervention policière. Quant à la noyade de 27 personnes dans la Manche, le 24 novembre 2021, elle serait à rapprocher de l’absence de réponse à leurs appels de détresse du centre de secours français. Un soupçon d’entrave à l’enquête judiciaire ouverte après cette tragédie pèse sur les autorités militaires.
    Cette hécatombe à bas bruit dans une mer séparant deux des pays les plus riches du monde a une cause : le cynisme révoltant des passeurs, profitant de la détresse de migrants fuyant la pauvreté et la répression. Mais elle se développe dans un cadre juridique spécifique : les accords qui, depuis ceux de Sangatte (2000), du Touquet (2003) et de Sandhurst (2018), délèguent aux forces de l’ordre françaises la surveillance de la frontière britannique.
    En mars 2023, Londres a promis le versement sur trois ans de 543 millions d’euros à la France pour « stopper davantage de bateaux », et 700 policiers et gendarmes français sont affectés à cette tâche. Les officiers britanniques qui participent aux réunions des forces de l’ordre françaises sont devenus « extrêmement intrusifs », selon un cadre de la gendarmerie. Ces pressions expliquent sans aucunement les justifier des pratiques de plus en plus violentes.
    De fait, la France, en empêchant les migrants de gagner la côte anglaise, joue un rôle analogue à celui, contestable, qu’acceptent la Turquie ou la Libye s’agissant des migrations vers l’Europe, en échange d’un financement de l’Union européenne. Ce rôle de la France comme « bras policier de la politique migratoire britannique », dénoncé dès 2015 par la Commission nationale consultative des droits de l’homme (CNCDH), doit être questionné. Emmanuel Macron, qui le remettait en cause avant 2017, n’a fait que le conforter depuis qu’il est à l’Elysée.
    Faire cesser les tragédies récurrentes dans la Manche suppose une lutte implacable contre les trafiquants et l’absolu respect des droits humains par les forces de l’ordre. Mais la situation exige aussi que soient rediscutées les conditions de la coopération franco-britannique, actuellement à sens unique, et définies des alternatives à un état de tension sur tout le littoral du nord de la France, qui ne fait qu’envenimer le débat sur l’immigration.

    #Covid-19#migrant#migration#france#royaumeuni#politiquemigratoire#frontiere#CNCDH#traversee#manche#smallboat#sante#mortalite#droit

  • « Il n’existe aucun scénario de transition qui n’implique des changements profonds dans notre relation aux animaux »

    Dans la seconde moitié du mois de mars, quelque part sur la côte qui s’étire entre Kerpape et Larmor-Plage, dans le Morbihan, une laie a pris la mer. Elle s’est jetée dans les flots, sans doute poussée vers l’océan par une battue organisée sur le territoire des deux communes. Mue par une force mystérieuse dont nul ne saura jamais rien, elle a affronté le large. Elle a nagé près de dix kilomètres avant d’accoster sur les rivages de l’île de Groix, au terme d’une épreuve d’autant plus rude qu’elle s’apprêtait à mettre bas.

    L’étrangeté de cette prouesse, son incongruité radicale nous portent à des questions non moins inhabituelles. A quoi pense un sanglier seul, perdu en pleine mer, bousculé par la houle ? Par quelles émotions est-il traversé ? A-t-il peur, et comment ? Hésite-t-il, après un moment, à faire demi-tour ? Quelque chose qui ressemble à de la joie lui passe-t-il par l’esprit lorsqu’il aperçoit enfin une terre à l’horizon ?

    L’épopée de cette laie nous renvoie à ce que nous pourrions projeter de plus humain sur l’animal : la singularité des individus, l’audace exploratrice, la confrontation avec l’inconnu, l’âpreté avec laquelle on lutte pour sa vie et, plus encore, pour celle qu’on s’apprête à donner. Sitôt arrivée à Groix, la laie s’est cachée dans un roncier et y a mis au monde trois petits. Lundi 25 mars, à peine le quotidien Ouest-France avait-il eu le temps de raconter l’histoire que des membres de l’amicale des chasseurs du coin sont tranquillement venus tuer tout ce petit monde – la mère et ses trois marcassins.

    Faits politiques majeurs

    Nul besoin d’être encarté au Parti animaliste pour ressentir un trouble à la lecture de ce fait divers. D’ailleurs, Ouest-France n’a pu l’évacuer en une brève, mais y a consacré pas moins de trois articles. Ce qui trouble, bien sûr, c’est le profond hiatus entre l’énergie déployée par la laie pour survivre et sauver ses petits – et par laquelle elle s’humanise en quelque sorte aux yeux de certains d’entre nous – et la brutalité désinvolte, irréfléchie, avec laquelle la mort, en définitive, lui est administrée.

    Ce n’est pas une histoire pour faire pleurnicher dans les chaumières. Derrière la manière dont nous traitons les #animaux, derrière les motifs et les modalités de leur mort, se cachent souvent des faits politiques majeurs. Et d’autant plus majeurs que nous savons désormais avec certitude qu’il n’existe aucun scénario de transition qui n’implique des changements profonds dans notre relation aux animaux.
    C’est vrai, on le sait, pour ce qui est du #bétail. Outre les questions éthiques qu’elles posent, l’intensification et l’industrialisation de la « production animale » ont des effets catastrophiques sur l’ensemble des #écosystèmes et sur la #santé humaine. La pression sur les #terres_agricoles, dont les deux tiers en Europe sont consacrés à nourrir porcs, bovins et volailles, la disponibilité de la ressource en #eau, la #pollution par les nitrates des cours d’eau, des aquifères et des écosystèmes côtiers, la #déforestation forcenée pour faire place aux monocultures de soja… à des degrés divers, la surconsommation de viande génère ou aggrave tous les grands périls environnementaux et sanitaires.
    Tout cela est directement indexé sur le nombre d’animaux que nous nous permettons de tuer chaque jour : d’une certaine manière, nous payons, et paierons toujours plus, le pouvoir sans limite ni partage que nous nous sommes donné sur leur vie.

    Pour saisir le lien avec notre laie groisillonne, il faut lire un bref et remarquable ouvrage des écologues et géographes Raphaël Mathevet et Roméo Bondon (Sangliers. Géographies d’un animal politique, Actes Sud, 2022). Ils y expliquent comment, et pourquoi, en l’espace d’un demi-siècle, le sanglier est passé du statut d’animal forestier discret à celui d’espèce proliférante et invasive, colonisant tous les milieux. Au début des années 1970, on tuait 35 000 sangliers par an en France. Aujourd’hui, ils sont environ 800 000 par an à être tués, sans que cela semble entamer sérieusement la magnitude des dégâts de toutes sortes qu’ils causent à l’environnement et aux activités humaines.

    Prolifération des sangliers

    Avec le remembrement agricole, l’arrachage des haies et la mise à l’équerre des paysages de nos campagnes, la raréfaction du petit gibier a peu à peu laissé les chasseurs orphelins de leurs proies. Pour perpétuer la chasse et le plaisir de tenir une vie au bout de son fusil, la prolifération des sangliers a été organisée par l’agrainage (nourrissage hivernal), l’#élevage et l’hybridation avec des cochons domestiques plus fertiles, des méthodes de #chasse sélectives, etc. « Alors que, par le passé, le chasseur exerçait un droit de souveraineté qui reposait sur l’alternative “faire mourir ou laisser vivre” le gibier, écrivent les deux auteurs, la chasse du XXe siècle se saisit d’un droit inverse, qui est double : celui de “pouvoir faire vivre et laisser mourir” le gibier. » Ce redoublement du pouvoir que nous nous octroyons sur la vie du gibier vient, là encore, avec un fardeau : subir sa pullulation.

    Mais est-il bien sérieux, alors que le monde traverse tant de drames, et que la famine est redevenue une arme de guerre, de s’appesantir sur le sort des bêtes ? L’indifférence à leur égard, répondent en général les militants de la cause animale, est l’antichambre de celle envers le malheur qui frappe nos semblables les plus fragiles.

    « Des cruautés que l’on voit dans les campagnes commettre sur les animaux, de l’aspect horrible de leur condition, date avec ma pitié pour eux la compréhension des crimes de la force, écrivait Louise Michel dans ses Mémoires, en 1886. C’est ainsi que ceux qui tiennent les peuples agissent envers eux ! »

    Stéphane Foucart
    https://www.lemonde.fr/idees/article/2024/03/31/ecologie-il-n-existe-aucun-scenario-de-transition-qui-n-implique-des-changem

    #indifférence #écologie

  • Le lourd tribut imposé aux #chômeurs (édito LM)
    https://www.lemonde.fr/idees/article/2024/03/29/le-lourd-tribut-impose-aux-chomeurs_6224853_3232.html

    Le premier ministre, Gabriel Attal, a annoncé, mercredi 27 mars, une nouvelle réforme de l’assurance-chômage, la troisième en trois ans. La précipitation du gouvernement est d’autant plus contestable qu’il n’a pas évalué l’impact des deux précédentes réformes, et sera ressentie d’autant plus durement que la conjoncture n’est pas bonne.

    avec des niaiseries

    les déficits publics s’emballent sous l’effet du ralentissement de la conjoncture

    qui occultent les décisions politiques qui ont squeezé les recettes, mais un terme utilisé dans le titre plutôt violent pour cet organe
    https://www.cnrtl.fr/definition/tribut

    #revenu #droits_sociaux #extorsion #soumission #féodalité

  • « L’Union européenne doit impérativement améliorer le dispositif de secours des migrants naufragés en Méditerranée »
    https://www.lemonde.fr/idees/article/2024/03/28/l-union-europeenne-doit-imperativement-ameliorer-le-dispositif-de-secours-de

    « L’Union européenne doit impérativement améliorer le dispositif de secours des migrants naufragés en Méditerranée »
    Tribune Pierre Micheletti Membre de la Commission nationale consultative des droits de l’homme/CNCDH
    François Thomas Président de SOS Méditerranée
    La perspective des élections du nouveau Parlement européen en juin 2024 donne à la question du sauvetage un relief et des enjeux cruciaux, car les futures orientations de l’Union européenne (UE) seront bien sûr influencées par le résultat de ces élections.
    Le Forum humanitaire européen qui se tenait à Bruxelles les 18 et 19 mars aurait pu constituer un espace légitime pour inscrire les secours en mer à l’agenda politique de l’UE. Ce sujet a pourtant été totalement occulté. Or l’Union doit impérativement améliorer le dispositif de secours des migrants naufragés en Méditerranée.
    Les drames récurrents – pas toujours documentés, car certains naufrages se font sans témoin – des noyades en Méditerranée sont aujourd’hui l’une des expressions les plus pathétiques de la fuite de personnes acceptant tous les risques dans leur aspiration à plus de sécurités fondamentales. Ainsi, c’est en Méditerranée que l’on dénombre désormais le plus de décès sur le chemin de la migration. De 2014 à janvier 2024, le nombre de morts est estimé à près de 29 000 personnes.
    Il est un aspect des questions migratoires qui ne se prête pourtant pas à de rudes, et parfois manichéennes, controverses politiques : c’est la question du devoir de recherche et d’assistance aux naufragés. Car cette question relève d’un cadre juridique qui ne fait pas débat. Ni au regard du droit de la mer, ni en référence au droit international humanitaire. Le naufrage survenu le 3 octobre 2013 à Lampedusa, coûtant la vie à 368 migrants, provoqua une profonde émotion en Italie, et Enrico Letta, alors président du Conseil, déclencha une opération militaro-humanitaire destinée à la fois à secourir les immigrants naufragés et à dissuader les passeurs.
    Ce dispositif de sauvetage, « Mare nostrum » [lancé en octobre 2013], souvent salué pour son efficacité et son humanité, a eu une durée de vie éphémère. Le coût de ce déploiement militaire était important, estimé à environ 9 millions d’euros par mois. Il fut presque entièrement supporté par l’Italie, l’Europe n’ayant accordé qu’une aide minime, dont Rome demandait avec constance l’augmentation.
    Ce repli dans l’implication de l’UE au service du sauvetage est d’autant plus incompréhensible que l’Union est par ailleurs l’un des contributeurs majeurs à l’enveloppe annuelle consacrée à l’aide internationale d’urgence.On assiste donc en Méditerranée à la mise en place d’une stratégie de « défaussement » de l’entité qui se revendique comme la plus grande démocratie mondiale, au profit d’autorités libyennes et tunisiennes aux comportements obscurs et violents, et, par transfert de mandat, à des ONG. Ces organisations sont pourtant soumises à des stratégies délibérées de harassement et d’empêchement à agir. Sans aucune volonté de contribution financière de la part de l’UE aux profits des actions qu’elles déploient.
    Certaines agences des Nations unies se sont, elles aussi, exprimées publiquement en 2023 pour dénoncer la situation qui prévaut en Méditerranée. Dans une prise de parole commune, l’Organisation internationale pour les migrations, le Haut-Commissariat pour les réfugiés et le Fonds des Nations unies pour l’enfance ont publiquement appelé les Etats à « prendre leurs responsabilités ».
    Primum non nocere ! La formule [locution latine qui signifie « d’abord, ne pas nuire »], familière pour les professionnels de santé, semble ne pas inspirer la politique européenne, bien au contraire.
    Lire aussi la tribune : Article réservé à nos abonnés Immigration : « Il est temps de cesser d’être complice des pulsions les plus ouvertement xénophobes en Europe »
    Malgré les besoins et les drames récurrents, on assiste, de la part de certains pays de l’UE, au déploiement de stratégies délibérées d’épuisement des ONG de secours. Elles sont développées sciemment pour contrer les opérations de secours en mer, situation inacceptable au regard du droit. Stupéfiante stratégie européenne : ne pas aider, et laisser les Etats riverains entraver ceux qui aident…
    Une photographie de la situation globale des navires de sauvetage à l’approche de l’été 2021 rend compte des paralysies répétées des moyens de secours qui existaient déjà à cette date. La quasi-totalité des navires étaient ainsi immobilisés à la mi-juin 2021. Le Geo-Barents, affrété par l’ONG Médecins sans frontières depuis le 26 mai 2021, était alors le seul bateau d’ONG opérationnel en Méditerranée centrale, avec l’Aita-Mari du collectif espagnol Maydayterraneo.
    Immobilisation forcée
    Tout récemment, SOS Méditerranée s’est trouvée confrontée à de tels blocages trois fois en quelques semaines, en novembre et décembre 2023, puis en février 2024. Le 2 mars, alors que l’équipage de l’ONG allemande Humanity 1 procédait au sauvetage de personnes en détresse en mer, les gardes-côtes libyens ont ouvert le feu. Plusieurs migrants se sont alors jetés à l’eau et l’un d’eux s’est noyé.
    La législation italienne a alors intégré les effets du décret-loi « Piantedosi », qui limite la capacité des navires des ONG de recherche et de sauvetage à effectuer plusieurs opérations de secours d’affilée. Tout écart, pour des motifs parfois aussi futiles que pernicieux, peut désormais conduire le navire et son équipage à une immobilisation forcée.L’interpellation du ministre italien à l’origine du décret par la commissaire aux droits de l’homme de Conseil de l’Europe, Dunja Mijatovic, pour demander le retrait du décret est pourtant restée sans effet.Sur l’ensemble de l’année 2023, seize détentions administratives ont ainsi été prononcées en Italie sur la base du nouveau décret, immobilisant les différents navires durant 320 jours cumulés. En désignant des ports distants pour débarquer les rescapés, les autorités italiennes ont, de plus, imposé aux bateaux l’équivalent d’une année de navigation inutile, pénalisant lourdement les dépenses en combustible des navires de sauvetage des ONG.
    Le dispositif « Mare nostrum » continue de servir de référence intéressante pour restaurer de la sécurité. Les organisations humanitaires doivent plaider pour le réinvestissement solidaire et concret des Etats européens dans les sauvetages en Méditerranée. Elles ne peuvent se satisfaire de la seule délégation de responsabilité qu’elles ont héritée par défaut des politiques publiques de l’UE, comme antidote à la violence incontrôlée en vigueur dans les pays de la rive sud de la Méditerranée.
    L’agence Frontex, comme les autorités grecques, a été pointée du doigt récemment encore par la médiatrice européenne dans son rapport relatif au drame ayant coûté la vie à 650 personnes lors du naufrage de l’Adriana, en juin 2023. Pour Hans Leijtens, son directeur, « [Frontex n’est] pas l’Agence européenne de recherche et de sauvetage. [Elle est] l’Agence européenne de gardes-frontières et de gardes-côtes ».Créée en 2004 avec un mandat limité, Frontex a progressivement gagné en puissance, en ressources, jusqu’à devenir l’un des organismes les plus importants de l’Union européenne. L’agence devrait compter environ 10 000 agents et disposer d’un budget de 1 milliard d’euros d’ici à 2027. Mais alors, de qui les sauvetages en Méditerranée sont-ils l’affaire ?
    En 2023, une partie des migrants en Méditerranée venait de Syrie, d’Afghanistan, des territoires palestiniens, du Bangladesh, de Somalie… Autant de terrains de crise où sont actives de vitales organisations humanitaires.
    Dès lors, l’attention portée aux naufragés aux portes de l’Europe relève pour ces mêmes acteurs humanitaires d’une forme de cohérence et de continuité entre le proche et le lointain.
    Le sauvetage des naufragés ne peut être délégué, sans autre forme d’appui et de soutien, à quelques ONG de secours en mer qui affrontent, souvent seules, les enjeux politiques, juridiques, sécuritaires et financiers qui vont de pair avec leur implication opérationnelle.Quelques grandes ONG internationales, et la Fédération internationale de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge, sont déjà engagées dans de salutaires actions, alliances et synergies auprès des navires de sauvetage.Il faut aller plus fort, plus loin, plus nombreux pour que la Méditerranée soit reconnue comme un espace d’intervention humanitaire, et que l’Europe ne fasse plus semblant d’ignorer cette réalité.

    #Covid-19#migrant#migration#UE#mediterranee#traversee#naufrage#mortalite#ONG#humanitaire#sante#droit#frontex

  • « Il faut prendre en compte les réalités de l’économie de la culture fondée sur la contribution des artistes-auteurs faiblement rémunérés »
    https://www.lemonde.fr/idees/article/2024/03/25/il-faut-prendre-en-compte-les-realites-de-l-economie-de-la-culture-fondee-su

    Un collectif rassemblant plusieurs milliers de personnalités du monde culturel, dont la réalisatrice Agnès Jaoui, l’écrivain Nicolas Mathieu et la dessinatrice de bandes dessinées Pénélope Bagieu, demande, dans une tribune au « Monde », l’adoption d’une proposition de loi visant à intégrer les #artistes-auteurs dans la caisse commune de l’#assurance-chômage.

    Aucun livre, film, spectacle vivant, aucune création visuelle, plastique, graphique ou sonore ne peut exister sans le #travail initial d’un ou d’une artiste, ou d’un auteur ou d’une autrice. Nous, les artistes-auteurs, sommes à l’origine de toute œuvre. Nous sommes la condition sine qua non de la création contemporaine, l’élément moteur de la vie culturelle et intellectuelle de notre pays. Notre travail génère une activité économique qui fait vivre les secteurs de la musique, de l’art contemporain, de l’édition, du design ou du cinéma.

    Environ 720 700 emplois dépendaient directement de nos créations en 2019, selon l’analyse conjoncturelle du chiffre d’affaires de la culture au quatrième trimestre 2022. En 2022, les secteurs de l’art et de la #culture représentaient plus de 90 milliards d’euros de chiffre d’affaires. Un montant colossal, mais sans rapport avec nos conditions de vie.
    En 2021, nous étions plus de 300 000 à avoir déclaré des revenus au régime des artistes-auteurs. Parmi nous, des écrivains, des compositeurs, des réalisateurs, des scénaristes, des photographes, des graphistes, des peintres, des sculpteurs, des illustrateurs, des designers ou encore des traducteurs.

    Une précarité structurelle

    Malgré la diversité de nos professions, nous partageons un statut offrant une faible protection sociale. Contrairement aux artistes-interprètes, nous ne bénéficions pas des #droits_sociaux fondamentaux que sont la reconnaissance des accidents du travail ou des maladies professionnelles. Nous n’avons pas non plus accès à l’assurance-chômage, en dépit de nos #emplois_précaires et discontinus.

    Pourtant, nous sommes aussi des travailleurs et prétendons à une couverture sociale digne de ce nom. La situation sociale des métiers de la création est bien documentée : en 2017, 53 % des artistes graphiques et plastiques ont perçu moins de 8 703 euros de revenus artistiques annuels, selon le rapport d’activité 2018 de la Maison des artistes. Si toutes nos professions ne sont pas égales face à la #pauvreté, tous les artistes-auteurs partagent une précarité structurelle qui les empêche de se projeter et d’envisager l’avenir sereinement.

    La situation est également bien connue du Parlement européen, qui, dans sa résolution du 21 novembre 2023, alerte sur les droits des artistes-auteurs, soulignant qu’ils devraient, comme tous les travailleurs, bénéficier « du droit à un salaire minimum, à la négociation collective, à une protection en ce qui concerne le temps de travail et la santé, à des congés payés et à un accès amélioré à la protection contre les accidents du travail, aux prestations de chômage et de maladie, ainsi qu’aux pensions de vieillesse contributives ».

    Intégrer la caisse commune de l’assurance-chômage

    Il est temps de prendre en compte les réalités d’une économie fondée sur la contribution de travailleurs faiblement rémunérés, soumis à une concurrence féroce et relégués dans des dispositifs inadaptés comme le RSA [revenu de solidarité active] et l’ASS [allocation de solidarité spécifique]. Les réformes en cours menacent d’ailleurs d’en priver nombre d’artistes-auteurs, qui risquent alors de devoir renoncer à leur métier.

    C’est pourquoi, avec Pierre Dharréville, député (Gauche démocrate et républicaine) des Hauts-de-Seine, et la commission culture du Parti communiste français, des syndicats et associations (SNAP CGT, STAA CNT-SO, La Buse, la SRF, l’AFD) ont rédigé, sous l’œil attentif de la majorité des organisations professionnelles, une proposition de loi visant à intégrer les artistes-auteurs dans la caisse commune de l’assurance-chômage.

    Son adoption serait une avancée historique s’inscrivant dans la continuité des dispositifs en place. Car, depuis le milieu des années 1970, nous sommes adossés au régime général de la Sécurité sociale et bénéficions des droits de salariés en ce qui concerne la retraite, la maladie et la famille. Il s’agira ici d’étendre ces prestations au chômage, conformément aux recommandations du Parlement européen.

    Une usure physique et psychique

    Ce progrès social majeur serait financé par une augmentation des cotisations payées par les diffuseurs, qui passeraient de 1,1 % à 5,15 % – les artistes-auteurs s’acquittant déjà d’une part salariale de la contribution chômage via la CSG [contribution sociale généralisée].

    La liberté, au cœur de la création, ne peut exister qu’à l’abri de logiques ultra-concurrentielles qui favorisent les violences systémiques. Contre l’incertitude des règles du marché, qui conduisent à obéir plutôt qu’à inventer, nous devons construire des droits qui changent la donne. S’il est émancipateur, le travail de création génère aussi du stress, des angoisses, amplifiés par l’absence de protection sociale. Cette précarité provoque de l’usure physique et psychique.

    Une rémunération archaïque héritée du XIXe siècle

    L’effet immédiat de ce dispositif de continuité du revenu sera de sortir de la #précarité économique nombre d’entre nous, qui pourront ainsi se maintenir en activité. Nous aurons plus d’aisance pour négocier nos contrats, et serons en meilleure position dans les rapports de force, forcément inégaux, instaurés par les diffuseurs et les commanditaires.
    Moins #précaires, nous n’aurons plus à choisir entre une vie de famille et la poursuite de notre carrière. Nous pourrons envisager plus sereinement des situations de vie extrêmement banales qui sont particulièrement complexes pour nombre d’entre nous (location, emprunts bancaires, etc.).

    La sécurisation des conditions de travail des artistes-auteurs est essentielle pour que continuent d’éclore des talents qui font l’attractivité de la France et contribuent à son rayonnement. Nous demandons aux parlementaires, députés et sénateurs, de défendre et de voter ce texte qui mettrait fin à un mode de rémunération archaïque hérité du XIXe siècle.

    Les premiers signataires de cette tribune : Pénélope Bagieu (dessinatrice de bandes dessinées), Lucas Belvaux (réalisateur), Philippe Faucon (réalisateur et producteur), Gisèle Vienne (chorégraphe et metteuse en scène), Arthur Harari (cinéaste), Agnès Jaoui (actrice et cinéaste), Ange Leccia (artiste plasticien), Nicolas Mathieu (écrivain), Catherine Meurisse (illustratrice et dessinatrice), Usul (vidéaste) et Jean-Luc Verna (artiste plasticien).

    Liste complète des signataires https://continuite-revenus.fr/tribune

  • « Main invisible du marché », croissance… dernières croyances de l’Occident ?, Stéphane Foucart

    Institution-clé du fonctionnement de nos sociétés, élément central de l’analyse économique, le marché n’est plus seulement, selon le théologien américain, le lieu de la rencontre entre l’offre et la demande, le mécanisme qui forme les prix et distribue la richesse produite dans la société. Il devient une entité transcendante que l’on redoute, dont on étudie les lois et dont on cherche à comprendre et anticiper les humeurs.

    « Autrefois, les prophètes entraient en transe et informaient la populace inquiète de l’humeur des dieux, de l’opportunité d’entreprendre un voyage, de se marier ou de faire la guerre, écrit Harvey Cox. Aujourd’hui, les désirs versatiles du marché sont élucidés par les bulletins quotidiens de Wall Street et des autres organes sensoriels de la finance. Ainsi, nous pouvons savoir au jour le jour si le marché est “inquiet”, “soulagé”, “nerveux” ou parfois “exubérant”. »

    A la fin des années 1990, la mondialisation de l’économie est déjà une réalité, qui se donne notamment à voir à travers ses crises. En juillet 1997, le gouvernement thaïlandais tente de contrer des attaques spéculatives en dévaluant sa monnaie, et enclenche une crise économique qui se propage à tout le Sud-Est asiatique. Le Fonds monétaire international débloque plusieurs dizaines de milliards de dollars en échange de mesures de libéralisation des économies. Les pages économiques des journaux s’emplissent de débats ésotériques sur les déterminants de la croissance, les politiques monétaires et les vertus autorégulatrices du marché. Harvey Cox n’est alors pas le seul théologien à percevoir dans ce dernier le principe central d’une croyance qui irrigue les milieux d’affaires et les élites politiques occidentales. Un de ses pairs, David Loy, alors professeur à l’université Bunkyo de Chigasaki (Japon), publie en 1997 un essai dans le Journal of the American Academy of Religion, l’une des principales revues de la discipline, sobrement intitulé : « La religion du Marché ».
    https://www.lemonde.fr/idees/article/2024/03/22/main-invisible-du-marche-croissance-dernieres-croyances-de-l-occident_622359

    On l’on voit, entre autres choses, que la notion de "main invisible du marché", attribuée à Smith, contredit ses écrits.

    https://justpaste.it/errsj

    #économie #marché #religion #religion_du_marché

  • Boeing : « Il peut paraître étonnant que la législation américaine demande aux constructeurs de s’autocontrôler »
    https://www.lemonde.fr/idees/article/2024/03/21/boeing-il-peut-paraitre-etonnant-que-la-legislation-americaine-demande-aux-c

    Avant même que tous les accidents récents survenus sur les avions fabriqués par Boeing ne soient apparus, et que le récent suicide d’un lanceur d’alerte n’y ait ajouté une touche dramatique, la Federal Aviation Administration (FAA), l’agence fédérale de contrôle de l’aviation aux Etats-Unis, avait envoyé en 2023 chez Boeing une équipe pour vérifier son aptitude à exercer des fonctions de régulateur.

    C’est un petit peu l’exemple à suivre, par chez nous. D’ailleurs, après la fusion des organismes de contrôle du nucléaire, il est envisagé de laisser EDF s’autocrontrôler sur les prochains travaux d’entretien des centrales en fin de vie. Après tout, qui mieux que celui qui les entretient depuis 50 ans pour réaliser ces contrôles ? Un peu de bon sens ne nuit jamais. (je précise que je n’en sais rien si l’autocontrôle va devenir la norme chez nous, mais Ils sont tellement convaincus de détenir Les Solutions...)

  • Transition écologique : « D’où vient cette idée que, pour sauver le climat, il faut absolument ouvrir des mines ? », Jean-Baptiste Fressoz
    https://www.lemonde.fr/idees/article/2024/03/20/transition-ecologique-d-ou-vient-cette-idee-que-pour-sauver-le-climat-il-fau

    La multinationale Imerys projette d’ouvrir à #Echassières, dans l’Allier, une des plus grandes mines de #lithium d’Europe. Le « dossier du maître d’ouvrage » remis par l’entreprise à l’occasion du débat public est un document qu’il faut lire pour comprendre les enjeux que soulève l’électrification du parc automobile. Les chiffres impressionnent : avec des réserves estimées à 375 000 tonnes, Echassières est l’un des plus importants gisements de lithium en Europe. Tréguennec, dans le Finistère, deuxième sur le podium français, serait cinq fois moins riche. L’exploitant annonce une extraction de 34 000 tonnes d’hydroxyde de lithium par an.
    Etant donné la teneur du minerai, son exploitation implique de retirer du sous-sol plus de 2 millions de tonnes de granit, de les concasser, de les broyer et de les soumettre à divers traitements chimiques. Tout cela consomme énormément d’#eau – sans doute plus de 1 million de mètres cubes – et d’énergie : un four à calcination brûlera 50 millions de mètres cubes de gaz par an et l’ensemble du projet consommera 446 gigawattheures d’#électricité par an, soit un millième de la production électrique française tout de même.

    Le plus surprenant est que, malgré ce gigantisme, le site d’Echassières ne représente qu’une toute petite partie de l’#industrie_minière nécessaire pour électrifier le parc automobile français. De cette #mine, Imerys prévoit de sortir suffisamment de lithium pour fabriquer 17 millions de #voitures, soit seulement un tiers du parc actuel. Bien d’autres Echassières en France, et surtout ailleurs, sont donc à prévoir. Cerise sur le gâteau, le lithium ne représente que 4 % du poids des batteries des véhicules électriques, les 96 autres – graphite, aluminium, cobalt, manganèse, nickel et cuivre – posant aussi des problèmes environnementaux.

    Redorer le blason de la mine

    L’argument principal à l’appui du dossier est évidemment l’impératif de la transition énergétique. « Le projet, peut-on lire, pourrait représenter une solution de décarbonation permettant de contribuer à l’objectif fixé par l’Union européenne de zéro émission nette d’ici à 2050. » La formulation, alambiquée, se comprend quand on voit le graphique qui suit : à l’échelle européenne, la voiture électrique ne réduit que de 60 % les émissions de CO2 par rapport à un véhicule thermique. Un progrès donc, mais qui nous laisse assez loin de l’objectif de la #neutralité_carbone. Il est probable que l’électrification en cours du parc automobile ne fasse que reporter à un peu plus tard le franchissement des + 2 °C par rapport à l’époque préindustrielle.
    D’où vient alors cette idée que, pour sauver le climat, il faut absolument ouvrir des mines ? Dans un livre récent, La Ruée minière au XXIe siècle. Enquête sur les métaux à l’ère de la transition (Seuil, 352 pages, 23 euros), la journaliste Celia Izoard a retracé l’histoire de cette association. Au début des années 2000, face la montée en puissance de l’industrie chinoise, l’Europe et les Etats-Unis se préoccupent de leur souveraineté minérale, car il leur faut sécuriser des approvisionnements en métaux « critiques » pour l’aéronautique, l’automobile, l’électronique, l’armement… Dans les rapports sur ce sujet, la question du #climat est alors absente. En 2012, Arnaud Montebourg, le ministre chargé de l’industrie, lance, par exemple, la « stratégie du renouveau minier » : il n’est pas question de transition, mais de souveraineté et de « redressement industriel ».

    Naturellement, les ONG considèrent ces initiatives d’un mauvais œil, tant les mines sont, par la nature même de leur activité, polluantes. Le lobby du secteur, Euromines, se plaint de l’hostilité ambiante auprès de la Commission européenne. Arrive 2015 et l’accord de Paris : l’occasion rêvée pour redorer le blason de la mine. En 2017, la Banque mondiale, en collaboration avec les géants miniers, calcule les besoins en métaux pour décarboner l’infrastructure énergétique mondiale. Après cette date, les mêmes rapports, portant sur les mêmes problèmes d’approvisionnement, se placent dorénavant sous la bannière du climat. Le lobby minier parle maintenant « des métaux pour la transition », alors qu’il s’agit souvent de métaux pour l’électronique et l’industrie en général. En quelques années, le climat est ainsi parvenu à réenchanter la mine.

    #voiture_électrique #écologie

    • 5.5 Transports : une consommation au plus bas depuis la fin des années 1980 | Bilan énergétique de la France pour 2020
      https://www.statistiques.developpement-durable.gouv.fr/edition-numerique/bilan-energetique-2020/29-55-transports--une-consommation-au-plus-bas-depuis-la-fin-des-annees-1980.php

      En 2020, l’usage des transports représente 30 % de la consommation énergétique finale, soit 445 TWh, dont 244 TWh sont liés aux déplacements des ménages (cf. 5.2) et 201 TWh relèvent des entreprises et administrations. Par convention statistique internationale, cette consommation exclut les soutes internationales aériennes (31 TWh) et maritimes (11 TWh).

      Il est à peu près impossible de se rendre compte de la quantité de carburant qui part en fumée chaque jour, du fait de nos véhicules thermiques. Du carburant qui disparaît pour toujours. Quand la batterie a une certaine durée de vie... Il faut la remplir, mais elle ne disparaît pas en fumée. Et il y a moyen d’utiliser des sources d’énergies dites renouvelables. De toute façon, un jour, on n’aura plus le choix, l’extraction ne fonctionnera plus, y-aura plus rien dans le sol.

      Qu’il s’agisse de véhicules électriques ou thermiques, le souci premier, c’est le nombre délirant. On rouspète parce qu’on a un smartphone par personne. Mais un smartphone, c’est 100 à 200g de matières. On est dans un monde où l’on prétend que pour vivre il faut un véhicule par personne. Et un véhicule, ce sont 1 à 2 tonnes de matières.

      Donc, batterie ou pas, il faudrait résoudre ce souci du véhicule individuel. Trouver une solution intermédiaire.

      Quant à l’extraction de 2 millions de tonnes de granit, c’est là aussi particulièrement difficile à se figurer. Une sorte d’érosion naturelle en accéléré x1000. Ce n’est pas nocif comme du plomb ou du mercure, mais c’est une forme de révolution de l’habitat, habitat dans lequel il y a des habitants qui vont devoir s’y adapter, au même titre qu’une désertification ou d’un trait de côte qui se déplace. Une parfaite illustration de ce que l’on nomme l’anthropocène.

    • Alors, comme solution, il y avait l’idée de faire de plus grandes voitures, de les attacher l’une derrière l’autre et de les mettre sur des routes spéciales en fer… ça avait l’air très efficace pour transporter plein des gens, partout et à pas cher.

  • Affaire Judith Godrèche : « Les attaques contre le cinéma d’auteur et les “Cahiers du cinéma” sont infondées et déplacées »
    https://www.lemonde.fr/idees/article/2024/03/16/affaire-judith-godreche-les-attaques-contre-le-cinema-d-auteur-et-les-cahier

    Les accusations de Judith Godrèche contre Benoît Jacquot et Jacques Doillon, ses reproches et les questions adressés au milieu du cinéma ont eu pour effet secondaire de virulentes attaques contre le cinéma d’auteur, la politique qui l’a promu, la Nouvelle Vague et les Cahiers du cinéma. Ces attaques surabondent dans les journaux, sur les réseaux sociaux, dans diverses revues en ligne, à la radio et à la télévision. L’expression la plus concise en a été donnée par Laure Murat dans une tribune au Monde, le 17 février, au demeurant précise et mesurée, avec une formule reprise comme accroche par le journal : « A travers Jacquot et Doillon, c’est symboliquement le cinéma d’auteur, consacrant la toute-puissance du metteur en scène, qui se trouve visé. »

    Je tiens à dire qu’il s’agit là d’un contresens, ancien mais aujourd’hui partout repris, sur ce que signifient le cinéma d’auteur et la mise en scène qui en est inséparable. La notion d’auteur de cinéma, dont on peut trouver les prémices chez Louis Delluc, a été promue comme politique par les Cahiers du cinéma en 1955, et la première mention du terme se trouve sous la plume de François Truffaut dans le numéro de février.
    Or, contrairement à ce qui se dit ou s’écrit ici ou là, cette politique n’a jamais consisté à promouvoir la toute-puissance d’un auteur majusculé (ou masculin : elle valait aussi bien pour Agnès Varda, Marguerite Duras, Vera Chytilova ou Shirley Clarke…), mais bien celle de la mise en scène. Pour le dire plus clairement, elle affirmait que le véritable auteur d’un film n’était ni le scénariste, ni l’actrice ou l’acteur principal, ni le directeur de la photographie ou le producteur, mais le metteur en scène. La mise en scène étant entendue non comme simple mise en image ornementale d’une histoire préexistante, mais comme construction spatio-temporelle d’un monde d’images et de sons peuplé de corps parlant, agissant, subissant, regardant ou rêvant. Et dans sa manifestation la plus haute, l’invention – pour reprendre Merleau-Ponty parlant de Cézanne – d’une forme qui pense.

    Intimidation et terreur

    Dans l’expression « politique des auteurs », c’est au terme toujours oublié de « politique » qu’il faut imputer les excès, les injustices et les provocations qui ont marqué ce moment de l’histoire du cinéma. Croit-on vraiment les tenants de cette politique assez stupides pour ignorer que la réalisation d’un film résulte d’un travail collectif et que certains doivent une grande partie de leur beauté à l’excellence de l’interprétation (celle par exemple de James Dean, sur qui François Truffaut a écrit un long panégyrique) ou à la griffe d’un producteur, Val Lewton, David Selznick ou Irving Thalberg ? Fallait-il les prendre au sérieux, le faisaient-ils eux-mêmes quand ils proclamaient que le meilleur film de l’année à venir serait celui de Jean Renoir, dont le tournage allait commencer huit jours plus tard ?

    Cette intimidation et même cette terreur que les tenants de la politique des auteurs faisaient régner au sein de la profession étaient inséparables d’un combat, parfois très dur, que le terme « politique » résumait, pour imposer certains noms : Howard Hawks plutôt que Fred Zinnemann ou George Stevens ; Nicholas Ray, souvent tenu par ses confrères comme un piètre technicien aux mises en scène bâclées ; Samuel Fuller, vilipendé par la critique communiste comme cinéaste fasciste et à qui il fallait rendre justice.

    Et c’est, paradoxalement, appliquée au cinéma hollywoodien que la politique des auteurs a été la plus féconde, là où les beautés, les grâces et les charmes d’un film devaient être arrachés de haute lutte à un système de production souvent écrasant par des cinéastes servants de ce système : tenus de filmer un scénario parfois médiocre, obligés de composer avec des acteurs qui ne leur convenaient pas, astreints à des durées de tournage parfois très serrées dans des conditions économiques précaires, dépourvus enfin de droit de regard sur le montage final. C’est sur ce fond d’impouvoir que se manifestaient les qualités du réalisateur, véritable auteur du film.

    Surenchère dans la repentance

    On voit mal, à la lumière de ces exemples, en quoi la politique des auteurs pouvait consacrer une toute-puissance de l’auteur en majesté, et moins encore participer, comme l’écrit le chapeau de la tribune de Laure Murat, d’un « système opératoire de prédation » et de violences à l’encontre des femmes. Encore s’agit-il là d’un article pondéré, ce qui n’est pas, tant s’en faut, toujours le cas. On a ainsi pu entendre dire, le 8 février, sur une radio de grande audience, que la Nouvelle Vague avait non seulement favorisé les violences faites aux femmes, mais ouvert la voie à la pédocriminalité. Et le plus inquiétant n’est pas là : c’est – témoignant du climat étrange d’intimidation et de surenchère dans la repentance qui règne en nos contrées depuis quelques semaines – que personne n’ait trouvé à redire à ces déclarations diffamatoires sur une radio de service public.

    La focalisation d’attaques d’une violence parfois inouïe contre le cinéma d’auteur et les Cahiers du cinéma, parce que les films de Benoît Jacquot et Jacques Doillon ont pu y être défendus, est non seulement infondée, mais proprement déplacée. Il n’est pas nécessaire d’être un grand historien pour savoir que le cinéma a connu, sans attendre la Nouvelle Vague, des réalisateurs autoritaires, abusifs, violents ou tyranniques, de Henri-Georges Clouzot à Sam Peckinpah, et parfois très grands, comme Otto Preminger ou Erich von Stroheim. Et il suffit de lire Hollywood Babylone (1975), de Kenneth Anger, pour voir se déployer un incroyable panorama de perversions, turpitudes, dépravations, vices, emprises, violences, disparitions, viols et jusqu’à des crimes parfois restés impunis, où aucune trace d’influence de la politique des auteurs n’a été trouvée.

    Un premier contre-feu vient heureusement d’être allumé, qui pourrait donner un coup d’arrêt au déferlement vindicatif en cours. Un malicieux tour de l’histoire a voulu qu’on le doive à celle par qui le scandale est arrivé, Judith Godrèche. Lors de la Nuit des César, elle a joliment conclu son intervention avec quelques répliques de Céline et Julie vont en bateau (1974), de Jacques Rivette. Rivette : le tenant le plus radical de la politique des auteurs et son plus brillant théoricien, par ailleurs le metteur en scène le moins prédateur qui se puisse imaginer.

    Jean Narboni est ancien rédacteur en chef des Cahiers du #cinéma, enseignant à l’université Paris-VIII et à la Fémis, directeur de la collection Cahiers du cinéma/Gallimard. Il a notamment écrit « La Grande Illusion de Céline » ( Capricci, 2021).

    • Les réalisatrices à succès sont aussi violentes que les rapports de production.

      D’abord ...

      elle réalise en 1932 son premier film, La Lumière bleue (Das blaue Licht). Écrit et réalisé avec Béla Balázs et Carl Mayer, elle y tient le rôle principal ... Profitant des lois anti-juifs, elle supprimera du générique les noms des deux co-réalisateurs pour mettre le sien à la place et s’attribuer leur travail.

      Ensuitr elle contraint le cameraman de son projet le plus ambitieux à travailler pour elle par une combinaison de menaces, il souffre d’une maladie mentale, et de psychodrame pire que les exactions de Fassbinder. Ce n’est encore pas elle même la créatrice des plans qui caractérisent les films et reportages de sport jusqu’aujourd’hui.

      Les Dieux du stade (Olympia)
      Du montage, qui dure 18 mois, naît un film en deux parties : Fête des peuples (Fest der Völker) et Fête de la beauté (Fest der Schönheit).
      ...
      La première projection du film (les deux parties durant en tout près de quatre heures) a lieu le 20 avril 1938, en hommage au Führer, pour son anniversaire.

      Après elle se comporte comme tous les bons allemands qui en on la possibilité et profite du travail peu cher des prisonniers des camps.

      En 1940 et 1941, . . Elle force 60 détenus Sintis et Roms extraits du camp de Salzbourg à jouer les figurants pour le tournage en extérieur. En 1942, des détenus du camp de concentration de Berlin-Marzahn sont utilisés pour les prises de vue dans les studios de Babelsberg près de Berlin. En mars 1943, ils sont déportés vers Auschwitz. Une vingtaine survivent. En relation avec ces faits, Leni Riefenstahl comparaît plusieurs fois après la guerre devant la justice allemande.

      Je le trouve amusant comment quelques personnes énervées s’en prennent aux hommes, au cinéma ou au encore plus spécifiquement au cinéma d’auteur, alors que les violences que s’infligent mutuellement les gens du métier ne font que réfléter le degré de violence propre aux rapports de production générales.

      D’ailleurs tout a déjà été dit dans des livres et des films.

      Dans Hollywood Babylon on trouve l’essence inhumaine de l’impérialisme états-unien. Dans Ascenseur pour l’échafaud on rencontre les responsables et profiteurs des crimes nazies et colonialistes. Il y a In A Lonely Place et Le Mépris pour nous expliquer l’aliénation qui plane et s’abat sur nous. J’attends La nuit américaine version « économie poilitique » pour enfin nommer précisément les détenteurs du pouvoir responsables des violences et de la souffrance aujourd’hui obligatoires pour la réussite dans les médias. Enfin, il y a Citizen Kane , alors tout est dit.

      Malgré Белое солнце пустыни (on y évoque la libération de la femme) les studios Mosfilm n’ont pas été les studios de film socialiste de rêve, alors il faut continuer à construire le meilleur monde cinématographique. Comment faire ? Vous le saurez en essayant.

      #cinéma #misogynie #exploitation #nazis

    • Leni Riefenstahl Interview 1964
      https://www.youtube.com/watch?v=HBV3Z7eQNLM&pp=ygUQTGVuaSBSaWVmZW5zdGFobA%3D%3D

      Heureusement il y a des parole des femmes différentes. Malheureusement se sont toujours les paroles des femmes les plus proches du pouvoir qui se font le mieux entendre.

      Cessons enfin d’écouter les paroles plus ou mons attentativement en fonction du sexe et de la position sociale de la personne qui parle.
      Finissons en enfin avec l’accès priviligié aux médias pour les nantis. La parole des femme et hommes des classes qui produisent tout doit enfin valoir autant que la valeur de leur production matérielle.
      Agissons pour rendre la voix à toutes et tous qui aujourd’hui ne peuvent pas s’exprimer librement dans l’espace médiatique. N’acceptons jamais qu’on nous déunisse en utilisant des revendications justes les unes contre les autres.

      P.S. Je regarde le fait d’actualité un peu comme si j’était un habitant de la lune (La terra vista della luna ;-) on s’entend, n’est-ce pas ?) et je ne sais pas qui est Judith Godrèche sauf qu’elle semble être une des nombreuses jeunes femmes qui essayent de devenir célèbres malgré ou en collaborant avec les riches producteurs/prédateurs de film français. Elle a sans doute raison à sa manière avec ce quelle dit, mais la voix de la mère de Didier Eribon compte plus pour moi que la sienne.

      Je ne ferai jamais partie du petit monde de Cannes. J’ai par contre toujours fait partie des gens comme la mère de Didier Eribon. Il y a beaucoup de femmes comme cette ouvrière et c’est à elles qu’il faut donner la parole. Celles qu’on entend dans les médias ont déja eu leur mot à dire. Quelles se taisent pour laisser parler les sans-vox. Cela vaut également pour les autres nantis et arrivistes de divers sexes

      L’histoire est une autre tempête dans un verre d’eau. Passons aux choses sérieuses.

    • Le sommet du pathétique est toutefois atteint un peu plus loin, en conclusion, lorsque Jean Narboni pense dégaîner l’argument ultime et fatal qui clouera le bec aux impudentes mises en causes des « auteurs » et des « Cahiers » : rebondissant sur le splendide discours de Judith Godrèche aux Césars, et sa conclusion en apothéose sur Céline et Julie vont en bateau (« Il était une fois, il était deux fois, il était trois fois, il était que cette fois ça ne se passera pas comme ça »), Monsieur l’avocat de « la politique des auteurs des Cahiers » se fait un plaisir de rappeler qu’il s’agit d’un film de Rivette, « tenant le plus radical de la politique des auteurs » et « par ailleurs le metteur en scène le moins prédateur qui se puisse imaginer ».

      Les raisons ne manquent pas de qualifier un tel argument de pathétique, mais on se concentrera ici sur deux d’entre elles. Tout d’abord, Rivette est peut-être « le plus brillant » et « le plus radical » des tenants de « la politique des auteurs », mais il en est surtout le plus atypique, le seul de la « bande » qui, au lendemain de la « bataille » remportée, s’est efforcé de déconstruire la fonction-auteur en y introduisant toujours plus de collectif et de féminin, en co-écrivant ses films avec ses actrices – et cela sans « oublier » de les créditer au générique ! Pour le dire autrement : la figure de Rivette, brandie par Narboni comme un paradigme et un emblème, permettant de réfuter toute idée de sexisme cinéphilique inhérent à « la Nouvelle Vague » et aux « Cahiers », constitue plutôt, si l’on est un tant soit peu honnête, l’exception qui confirme la règle.

      Rivette est à ce point l’exception qui confirme la règle que son film Céline et Julie, en effet génial et absolument féministe, est sorti en 1974 sans le moindre soutien, et même sans la moindre considération de « la Maison Cahiers ». La revue, sa revue, celle dont à peine dix ans plus tôt il était le rédacteur en chef, ne consacre alors pas un article, pas un entretien, pas même une notule, pas même une ligne à ce film pourtant révolutionnaire à mille égards si l’on accorde un tant soit peu d’importance aux femmes et à leurs luttes. C’est dans « la maison d’en face », chez l’ennemi de toujours, à savoir la revue Positif, que la sortie du film est saluée à la hauteur de l’événement qu’elle constitue, au moyen d’un texte de Rivette, d’une recension élogieuse de Gérard Legrand et de deux entretiens-fleuves des actrices-scénaristes Juliet Berto et Dominique Labourier [4].

      La honte ? Oui : la honte !

      Il faut dire que les Cahiers ont alors d’autres priorités : ralliée depuis quelques années au marxisme-léninisme d’obédience maoïste, la revue se veut au début des années 70 l’organe d’un « front culturel révolutionnaire », et ne s’intéresse qu’au cinéma vraiment militant, celui qui milite pour les vraies causes et les vrais opprimés, qui ne sauraient se prénommer ni Céline, ni Julie. Aucun autre prénom féminin ne figure d’ailleurs dans « l’ours » de la revue, dirigée alors par un « collectif » (c’est plus démocratique et révolutionnaire qu’un « rédacteur en chef ») composé de dix bonshommes (la démocratie et la révolution ne se conjuguant pas au féminin). Le capitaine de cette équipe de foot masculine, ou l’éminence grise si l’on préfère, celui qui en ce début de décennie exerce l’autorité intellectuelle (car il y en a bien un, malgré tout !), est, d’après de nombreux témoignages (celui de Serge Daney notamment), un certain… Jean Narboni !

      Le même, oui, qui aujourd’hui, en 2024, cinquante ans plus tard, bombe le torse sous la bannière de Céline et Julie. L’histoire est parfois facétieuse.

      https://lmsi.net/La-preuve-par-Celine-et-Julie

      article signalé par @rezo

  • « L’immigration participe à la vitalité de l’économie américaine »
    https://www.lemonde.fr/idees/article/2024/03/15/l-immigration-participe-de-la-vitalite-de-l-economie-americaine_6222194_3232

    « L’immigration participe à la vitalité de l’économie américaine »
    Hillel Rapoport, Economiste
    S’il y a consensus parmi les économistes pour constater le déficit de croissance de l’Europe par rapport aux Etats-Unis, les analyses divergent sur les facteurs à mettre en avant pour expliquer le creusement progressif d’un fossé économique qui s’élargit depuis maintenant trois décennies et ramène l’Europe, en termes relatifs, à sa position d’avant les « trente glorieuses ». Les facteurs conjoncturels récents – la guerre en Ukraine, la hausse des prix de l’énergie – ont creusé ce fossé de façon spectaculaire et permis une prise de conscience. Mais seuls des facteurs structurels peuvent expliquer l’aspect graduel et apparemment inexorable du déclin européen.
    Parmi ceux-ci, l’immigration est un facteur fondamental, étrangement absent du débat sur le « décrochage ». Pourtant, l’immigration participe à la vitalité de l’économie américaine d’un point de vue tant conjoncturel que structurel. En comparaison, l’immigration vers l’Europe, pourtant équivalente en volume, fait pâle figure. Pour l’expliquer, deux aspects paraissent déterminants : d’une part, la structure de l’immigration est beaucoup plus qualifiée aux Etats-Unis, ce qui permet d’alimenter en continu les sources de la croissance à long terme que sont l’innovation, l’entrepreneuriat et l’insertion dans l’économie globale (« L’immigration qualifiée, un visa pour la croissance », Emmanuelle Auriol et Hillel Rapoport, note du Conseil d’analyse économique n° 67, novembre 2021) ; et, d’autre part, l’immigration aux Etats-Unis réagit beaucoup plus à la conjoncture économique, à laquelle elle s’ajuste, permettant d’amortir les chocs conjoncturels.
    Pour l’essentiel, l’immigration vers l’Europe a une structure pyramidale, avec une base peu qualifiée assez large. Aux Etats-Unis, un tiers des immigrés sont diplômés du supérieur (soit la même proportion que parmi les Américains). Il faut dire que, pour les plus qualifiés, l’attractivité des Etats-Unis est exceptionnelle, donc difficile, voire impossible, à concurrencer. Cela tient au fait que le capital humain se caractérise par des « rendements croissants », qui font que celui-ci tend à s’agglomérer, à se concentrer là où il est déjà abondant : plus il y a d’ingénieurs ou de chercheurs quelque part, plus leur productivité – donc leur rémunération – est forte. Les immigrés de première génération représentent ainsi plus du tiers des inventeurs ou des créateurs d’entreprises, contre 15 % de la population active aux Etats-Unis. En France ou en Allemagne, pour une même part de 15 % de la population active, ils ne fournissent que 10 % des inventeurs et entrepreneurs, soit trois fois moins.
    Le « coussin » migratoire
    Par ailleurs, l’immigration vers les Etats-Unis est beaucoup plus sensible à la conjoncture économique : les immigrés (notamment mexicains) sont largement retournés chez eux lors de la grande récession de 2008… et massivement revenus lors du rebond post-Covid-19 et des pénuries de main-d’œuvre qui l’ont accompagné depuis lors. L’immigration joue donc un rôle de « coussin », qui permet d’amortir les chocs en phase de récession comme de surchauffe. Elle a ainsi contribué au soft landing (« atterrissage en douceur ») et, plus généralement, à la bonne santé actuelle de l’économie américaine (« How Immigrants Are Saving the Economy », Paul Krugman, New York Times, 13 avril 2023).
    Au risque de caricaturer, l’immigration vers l’Europe est aujourd’hui largement déterminée par les push factors dans les pays d’origine – conflits, guerres civiles, catastrophes naturelles, crises politiques et économiques –, qui poussent les personnes à partir et à se réfugier politiquement ou économiquement en Europe, au nom du droit humanitaire ou familial. Aux Etats-Unis, ce sont en revanche les pull factors, c’est-à-dire les « facteurs d’attractivité », qui dominent : la concentration et la forte rémunération du capital humain, la fluidité du marché du travail, la perception diffuse de l’espoir de participer au rêve américain. C’est affaire de degré plus que de nature, mais les faits sont là.
    Quelles sont, dès lors, les marges de manœuvre de l’Europe ? Elles sont étroites et passent inévitablement par une reconsidération du rôle de l’immigration dans la construction de l’Europe démographique, économique et sociale. Le déficit d’attractivité de l’Europe est certes en partie le produit d’une géographie et d’une histoire que l’on ne peut modifier. Mais il provient également, pour une bonne part, d’attitudes négatives et stéréotypées et de politiques frileuses dont on peut s’affranchir. Il s’agit de s’ouvrir à l’immigration de travail de façon plus large et moins subie, de s’engager plus résolument dans la compétition internationale pour attirer les talents, de réfléchir à la place à reconnaître aux immigrés des première et seconde générations dans l’économie, la culture et la société, et de leur proposer un futur et une citoyenneté partagés.

    #Covid-19#migration#migrant#france#etatsunis#economie#attractivite#immigration#croissance#emploi#sante

  • A propos de la guerre qui fait rien qu’à "être à nos portes". Une analyse d’une cruelle lucidité.

    Stéphane Audoin-Rouzeau : « Sur la guerre, nous sommes aux limites d’un déni de réalité » | Mediapart
    https://www.mediapart.fr/journal/culture-et-idees/090324/stephane-audoin-rouzeau-sur-la-guerre-nous-sommes-aux-limites-d-un-deni-de

    StéphaneStéphane Audoin-Rouzeau est directeur d’études à l’École des hautes études en sciences sociales (EHESS), spécialiste de la Première Guerre mondiale et président du Centre international de recherche de l’Historial de la Grande Guerre à Péronne (Somme). Il a publié l’an dernier aux Belles Lettres La Part d’ombre. Le risque oublié de la guerre.

    https://justpaste.it/bfh8n

    • un réarmement véritable n’est possible ni industriellement, ni démographiquement, ni financièrement.

      Comme au moment du Covid, l’importation croissante du vocabulaire militaire dans le champ politique permet à peu de frais d’imaginer que l’on a prise sur le réel, alors que ce n’est pas le cas. Ce discours martial se veut sans doute performatif, mais je préfère me concentrer sur l’aveu étonnant du président de la République : « Ayons l’humilité de constater qu’on a souvent eu six à douze mois de retard. »

    • on ne sait pas ce que signifie vivre dans le temps de la guerre, un temps modifié dans lequel la dimension eschatologique prend une ampleur inégalée.

      On reconnaît le droitard académique (de guerre) à des formules telles que « l’Ukraine est en train de vivre sa crise de 1917 », mais effectivement l’offensive russe de printemps va tout chambouler, ce qu’on lit peu.

      #Russie #Ukraine #guerre #discours_martial

    • « Sommes-nous prêts pour la guerre ? » : une armée presque sans défense

      Spécialiste des questions militaires, le journaliste Jean-Dominique Merchet décape les illusions de la puissance française, non sans une pointe d’humour qui traduit une lucidité bienveillante.
      Alain Beuve-Méry, 14 mars 2024

      Alors qu’Emmanuel Macron a provoqué un débat houleux en évoquant la possibilité d’envoyer des troupes occidentales en Ukraine, l’essai de Jean-Dominique Merchet, spécialiste des questions militaires et stratégiques à L’Opinion, trouve toute sa pertinence. Dans Sommes-nous prêts pour la guerre ? (Robert Laffont, 224 p. 18 €), le journaliste décortique, en neuf questions, les différents aspects de la défense civile et militaire de la France et, par extension, de l’Europe.

      Il y a des points rassurants. L’auteur rappelle ainsi que, depuis la fin de la seconde guerre mondiale, la France n’a plus d’ennemis à ses frontières, que son territoire est protégé par la défense nucléaire et que « nous, Français, vivons depuis plusieurs décennies dans un incroyable confort géopolitique : celui des #guerres_choisies », autrement dit « celles que nous avons décidé de mener ». La violence sur son territoire est résiduelle.
      Certes, la France l’a éprouvée avec la série noire des années 2010 (attentats du Bataclan, de Nice), mais l’horreur évidente des 271 morts n’est pas comparable aux 900 tués quotidiens en moyenne, dans le camp français, de 1914 à 1918, pendant la première guerre mondiale. De même, l’auteur insiste sur la résilience des Français, lors de la menace terroriste, mais aussi pendant l’épreuve du Covid-19.

      Le compte n’y est pas

      En revanche, dès que les sujets militaires stricto sensu sont abordés, « on se risque sur le bizarre ». Car ce n’est pas le moindre des mérites de l’auteur d’avoir mis en exergue de chacun de ses chapitres des citations du dialoguiste Michel Audiard pour détendre l’atmosphère. Or, sur la question de l’engagement de long terme ou de la production d’armement, le compte n’y est pas ! La France, comme ses partenaires européens, a cru aux dividendes de la paix et se révèle incapable d’alimenter durablement un conflit de haute intensité. Elle pourrait « tenir 80 kilomètres de front, pas plus », précise-t-il, soit la distance séparant Dunkerque de Lille, alors que le front ukrainien s’étend sur près de 1 000 kilomètres.

      En matière d’armement, la France a privilégié la qualité (avions Rafale, canons Caesar) à la quantité, mais, au-delà d’un certain seuil d’engagement, cela ne suffit plus. « L’#armée_française, c’est l’armée américaine, mais en version bonsaï », résume-t-il. Outre les délais de fabrication des matériels ou d’approvisionnement, certains choix militaires pèsent lourd, comme le mépris à l’égard de l’artillerie, des chars ou des drones. De fait, c’est moins noble que le combat aérien.

      Enfin, outre une certaine russophilie partagée au sein des élites françaises, politiques, économiques, voire militaires, Jean-Dominique Merchet souligne une erreur de diagnostic centrale : la Russie de Poutine est une puissance profondément révisionniste [sic], qui honnit les valeurs occidentales et qui entend récupérer les territoires qu’elle a perdus, dans l’histoire longue comme récente.
      « Sommes-nous prêts pour la guerre ? », de Jean-Dominique Merchet, Robert Laffont, 224 p., 18 €.

      https://www.lemonde.fr/idees/article/2024/03/14/sommes-nous-prets-pour-la-guerre-une-armee-presque-sans-defense_6221905_3232

  • Dans la bande de Gaza, Israël assume sa stratégie de la faim
    https://www.lemonde.fr/idees/article/2024/03/15/a-gaza-la-strategie-israelienne-de-la-faim_6222144_3232.html

    Dans la moitié nord de l’enclave palestinienne, où 300 000 personnes demeurent soumises à un siège quasi total dans les ruines de la métropole que fut Gaza, la famine menace.

    Israël mène une politique de la faim à Gaza. Au mépris du droit international, l’Etat hébreu a organisé une pénurie de nourriture, qui finit par indisposer son principal allié américain et fragilise la poursuite de sa guerre. L’administration de Joe Biden promet de livrer elle-même de l’aide par la mer. Elle presse aussi Israël de faciliter les livraisons de vivres des Nations unies et de commerçants privés par les routes, notamment dans la moitié nord de l’enclave, où 300 000 personnes demeurent soumises à un siège quasi total, dans les ruines de la métropole que fut Gaza.

    En attendant qu’Israël plie face à ces pressions, l’enclave célèbre le ramadan la faim au ventre. Le manque d’eau et de nourriture a déjà causé la mort d’au moins vingt-sept personnes, dont vingt-trois enfants, selon le ministère de la santé local contrôlé par le Hamas.

    Les Nations unies préviennent que des poches de famine imminente se développent dans le Nord. L’Afrique du Sud demande à la Cour internationale de justice des Nations unies des mesures supplémentaires contre Israël, qu’elle accuse de violer la Convention sur la prévention et la répression du crime de génocide. Depuis que ces juges ont ordonné à l’Etat hébreu de garantir l’accès des Gazaouis à l’aide humanitaire, en janvier, les livraisons d’aide de l’ONU n’ont fait que diminuer.

    Logique de siège

    Plusieurs logiques concourent à ce résultat. La droite israélienne au pouvoir a assumé dès les premiers jours de la guerre de renoncer aux principes de base du droit humanitaire, s’estimant libérée de toute obligation par l’horreur de l’attaque perpétrée par le Hamas, le 7 octobre 2023. Elle perpétue depuis lors une logique de siège et applique le modèle de Dresde : l’Etat hébreu traumatise la population de Gaza pour l’histoire, comme les Alliés le firent en bombardant massivement les villes allemandes en 1944, alors que la défaite du régime nazi était déjà assurée.

    Ce gouvernement attise le ressentiment des Israéliens, qui avaient de longue date oublié les civils gazaouis, déshumanisés au fil de quinze ans de blocus. Dans leur écrasante majorité, ils se refusent aujourd’hui à exprimer de l’empathie pour la souffrance de l’enclave. L’extrême droite messianique, partenaire-clé du premier ministre, Benyamin Nétanyahou, exploite ces sentiments afin d’imposer ses ambitions dans le débat public : un nettoyage ethnique de Gaza et sa recolonisation.

    Au fil de la guerre, sous la pression de l’armée, des livraisons d’aide et d’essence ont pourtant peu à peu été autorisées. Mais ces assouplissements ont eu lieu dans la discrétion, sans l’assentiment de l’ensemble du gouvernement, où l’extrême droite, le Likoud de M. Nétanyahou et certains de ses partenaires du centre rivalisent d’intransigeance. Aujourd’hui, c’est l’armée qui annonce de nouveaux accès pour l’aide – les ministres, y compris ceux issus de l’opposition centriste, se gardent encore d’endosser une telle responsabilité.

    Voilà trois mois que la hiérarchie militaire considère pour sa part la guerre comme largement achevée, et elle s’impatiente. Elle menace encore de porter l’assaut sur Rafah, où se massent 1,4 million de déplacés, à la frontière sud de l’enclave. Mais elle attend surtout que le gouvernement conclue un cessez-le-feu avec le Hamas, afin de faire libérer les otages capturés le 7 octobre : ceux qui ont survécu à cinq mois de captivité et de guerre et les corps des morts.

    Une part du désastre humanitaire en cours est à mettre au compte de ces négociations, puisque Israël tend à faire pression sur le Hamas en mettant dans la balance l’accès à l’aide et le retour des déplacés vers le nord. Le président Biden a mis Israël en garde contre un tel chantage le 7 mars. Mais il concède aussi qu’un cessez-le-feu faciliterait l’acheminement de vivres.

    Aucun transfert de souveraineté

    Depuis janvier, l’armée souhaite passer à une seconde phase du conflit, faite de raids et de bombardements ciblés, et censée durer plusieurs années. Elle entend poursuivre sans relâche, notamment à Rafah, ce qu’il reste des forces armées du Hamas, tout en abandonnant l’administration des ruines de Gaza à une instance palestinienne aussi docile que possible. Cet enjeu est d’une actualité brûlante : il s’agit d’ores et déjà de trouver des hommes en armes palestiniens pour escorter les camions de vivres, que Washington veut voir rouler à travers Gaza.

    Mais le gouvernement ne décide de rien. Depuis janvier, il se refuse à préparer un tel transfert de souveraineté, même infime. La tâche s’annonce d’autant plus difficile qu’Israël a détruit méthodiquement toute capacité d’administrer l’enclave, en frappant la police, les ministères, les mairies, et en laissant s’imposer un vide du pouvoir vertigineux. Toutes ces institutions sont assimilées à l’ordre ancien du Hamas et, à ce titre, condamnées. De même pour l’agence des Nations unies chargée des réfugiés de Gaza, l’UNRWA, qui forme dans l’enclave un embryon d’Etat. Ce sont pourtant ses structures que l’ONU utilise encore afin de distribuer de l’aide. Ce sont ses écoles qui devront accueillir au plus vite les enfants de Gaza après la guerre.

    Cette stratégie de la table rase israélienne a montré ses limites le 29 février, lorsque des soldats, censés sécuriser l’entrée d’un convoi vers la ville de Gaza, ont ouvert le feu sur des civils durant une émeute de la faim. Mais cette tragédie n’a pas dissuadé l’armée de coopter des clans et des commerçants locaux en leur accordant des licences d’importation et en leur confiant de petits contrats de livraisons de vivres dans Gaza. Certains ministres reconnaissent aujourd’hui à voix basse que ces méthodes ne mènent pas loin. Ils font valoir qu’il n’y a pas d’alternative réelle à l’Autorité palestinienne et au Fatah, le parti au pouvoir en Cisjordanie.

    Louis Imbert(Jérusalem, correspondant)

  • Violences sexuelles : « Ce qui se passe dans le milieu du cinéma se passe aussi ailleurs, à l’université, dans les écoles, dans l’édition »
    https://www.lemonde.fr/idees/article/2024/03/07/violences-sexuelles-ce-qui-se-passe-dans-le-milieu-du-cinema-se-passe-aussi-

    Toutes, nous les connaissons toutes, toutes ces histoires qui circulent quand même, en dépit du silence, entre chercheuses, entre enseignantes, entre étudiantes, entre éditrices, entre écrivaines, entre artistes, collègues, amies, à l’université, dans les maisons d’édition, dans les festivals de littérature, dans le monde des arts. Des histoires comme on se donne des nouvelles des dernières victimes recensées, des dernières injustices accomplies.

    Jamais la littérature n’a adouci les mœurs : dans les départements de littérature, dans les laboratoires, dans les unités de formation et de recherche, mais aussi dans toute l’université, dans les bureaux des maisons d’édition, dans toutes les coulisses possibles de l’écriture littéraire et scientifique, dans les coulisses de la création. Dans les couples aussi.

    La condamnation, le 13 février, pour violences conjugales du professeur émérite, spécialiste du lyrisme et poète Jean-Michel Maulpoix, Prix Goncourt de la poésie 2022, à dix-huit mois de prison avec sursis pour préjudice infligé à son épouse, chercheuse et enseignante en lettres, confirme que ni la littérature ni l’université ne sauvent les femmes.

    Depuis que nous sommes étudiantes, depuis que nous sommes doctorantes, depuis que nous sommes enseignantes, depuis que nous sommes assistantes d’édition, éditrices, écrivaines, chercheuses, artistes, depuis que nous sommes vacataires, précaires, depuis que nous sommes jeunes ou vieilles.

    De l’impunité sous toutes ses formes

    A chaque étape, nous avons subi ou pris connaissance d’injustices, d’agressions, de viols, d’intimidations, de silences imposés, de menaces, de brutalités, d’opérations en tout genre qui rabaissent, de vols de savoirs, de chantages, de destructions d’œuvres, même. De l’impunité sous toutes ses formes. De l’impunité, au résultat, de proclamés « lettrés » ou « diplômés » qui se comportent souvent comme des prédateurs, presque toujours comme des êtres supérieurs. On peut remplir des pages et des pages avec toutes ces histoires.
    La hiérarchie se marie parfaitement avec sexisme et misogynie. Il y a les insultes balancées par un poète institutionnel et il y a les ralentissements de carrière, les opérations de séduction misérables, à tous les âges, pour monnayer les postes, les contrats, les avancements.
    Mais alors, avec #metoo, en littérature, à l’université, dans l’édition, rien n’a changé ? Rien n’a changé dans ce petit monde académique des lettres, dans le milieu littéraire et éditorial qui cohabite avec lui dans l’amour des livres, de la science, des arts, dans l’université en entier ? Rien n’a changé dans ce pays dont le président, sans honte, soutient dans l’émission « C à vous » [en décembre 2023] un présumé innocent violeur et agresseur multirécidiviste ?

    Si. Quelque chose a changé dans cette si masculine République des lettres. Certaines histoires sont si fracassantes qu’elles en deviennent forcément publiques, spectaculairement. Il n’est plus possible de nier. Ce qui se passe dans le milieu du cinéma se passe aussi ailleurs, à l’université, dans les écoles, dans les maisons d’édition, dans le monde des arts… Partout ? Qui se souvient, en 1980, du féminicide d’Hélène Rytmann par le philosophe Louis Althusser ?

    Si tu parles, t’es morte dans le milieu

    Cécile Poisson, nous voulons aujourd’hui te rendre hommage. Pour que ta mémoire et ton souvenir nous aident à ne plus nous laisser violenter d’une manière ou d’une autre. Au nom des femmes. Cécile, tu étais enseignante-chercheuse en lettres, spécialiste des mythes en littérature, « sentinelle égalité » dans ton université. Cette année, tu aurais eu 49 ans. Tu as été assassinée, le 20 mars 2023, par un homme « cultivé », « diplômé », tout ce qu’il faut sur le CV, ton mari : un assassin surtout.

    Ton féminicide a fracassé les murs en béton de l’université au sein de laquelle les #femmes sont souvent agressées sexuellement, menacées de chantage, violentées d’une manière ou d’une autre, plagiées, discriminées, sous emprise, sans que leurs aînés toujours les soutiennent.

    Face à ces crimes, face à tous ces témoignages d’injustice, nous avons le sentiment que l’omerta règne en puissance. Les agresseurs se font passer pour des victimes. Ainsi se poursuit la violence en refusant la reconnaissance. Toutes, nous les connaissons, ceux qui agissent pour le pire.

    Si tu parles, t’es morte dans le milieu. Ta carrière est morte. Ta réputation est morte. Morte pour de vrai ou morte pour de faux, tu es morte. Aujourd’hui, #noustoutes, nous signons sans peur, en notre seul nom, un appel à l’organisation d’Etats généraux pour les femmes dans l’université, dans l’édition, dans la littérature. Et nous appelons nos amies historiennes, philosophes, scientifiques, sociologues, artistes, à nous rejoindre, pour que #metoouniversité, #metoolittérature, #metoophilosophie, #metooarts, #metoosciences inventent un autre monde aussi : sans déni, sans injustice, sans prédation.

    Premiers signataires : Marie Darrieussecq, romancière ; Annie Ernaux, Prix Nobel de littérature 2022 ; Camille Froidevaux-Metterie, professeure de science politique, à l’université de Reims ; Camille Kouchner, autrice et maîtresse de conférences à l’université Paris Cité ; Marielle Macé, directrice d’études à l’Ecole des hautes études en sciences sociales (EHESS) ; Laure Murat, professeure au département d’études françaises et francophones à l’université de Californie à Los Angeles ; Lydie Salvayre, romancière ; Tiphaine Samoyault, directrice d’études à l’EHESS ; Gisèle Sapiro, directrice de recherche à l’EHESS ; Vanessa Springora, autrice et éditrice ; Alice Zeniter, romancière.

    Liste complète des signataires https://docs.google.com/document/d/18dAds8Jzit8sM3ZEZqyiCto826BAhA_j7r4NQrar3R0/edit

    #VSS #appel #tribune

  • Gaza : l’injustifiable politique de la terre brûlée d’Israël
    https://www.lemonde.fr/idees/article/2024/03/06/gaza-l-injustifiable-politique-de-la-terre-brulee-d-israel_6220433_3232.html

    Éditorial Le Monde

    Cinq mois après le début de la riposte israélienne en réponse aux massacres du Hamas, le 7 octobre 2023, l’étroite bande de terre palestinienne a été rendue en bonne partie inhabitable. Il est inutile d’invoquer la solution des deux Etats si ce territoire martyrisé reste un champ de ruines.
    […]
    L’argument tactique est cependant relativisé par les déclarations des responsables israéliens qui pointent ouvertement un autre objectif.
    « Quiconque reviendra ici, s’ils reviennent ensuite, trouvera une terre brûlée. Pas de maisons, pas d’agriculture, rien. Ils n’ont pas d’avenir », indiquait ainsi le 4 novembre le colonel Yogev Bar-Shesht, un responsable de l’administration civile (en fait, militaire) chargée des territoires palestiniens.

    Ça bouge, ça bouge,…
    Néanmoins, Le Monde s’abstient, pour le moment (?), de qualifier la nature de l’objectif clairement décrit.

    • Avec une Une fournie (version internet) :

      Dans la ville de Gaza abandonnée à la faim et au chaos, des survivants livrés à eux-mêmes
      Le champ de ruines qu’est devenue la bande de Gaza vu par des images satellites
      L’injustifiable politique de la terre brûlée d’Israël dans la bande de Gaza
      Les douze universités de #Gaza détruites ou endommagées par l’armée israélienne : « C’est une #guerre contre l’éducation »

      Il leur a fallut attendre que la décimation par la faim et les épidémies pèse davantage que les tombereaux de morts et de blessés directement dus à l’armée.

  • L’inacceptable stratégie israélienne du chaos à Gaza
    https://www.lemonde.fr/idees/article/2024/03/01/l-inacceptable-strategie-israelienne-du-chaos-a-gaza_6219469_3232.html

    L’inacceptable stratégie israélienne du chaos à Gaza
    Éditorial

    Le Monde

    Les dizaines de morts lors d’une distribution d’aide alimentaire ne doivent pas être considéré comme un incident isolé. Elles sont la conséquence du broyage méthodique de l’enclave, transformée par une armée en roue libre en champ de ruines au prix d’un terrible bilan humain.

    Chaque jour qui passe à Gaza en révèle autant sur le calvaire enduré par les civils palestiniens que sur ce qu’est devenu Israël. Le 29 février, le jour même où le nombre de Palestiniens tués a dépassé le chiffre effarant de 30 000 personnes, selon une estimation de ce qui reste des services de santé contrôlés par le Hamas, une nouvelle tragédie s’est ajoutée aux horreurs de la guerre lancée en riposte aux massacres de civils israéliens perpétrés par la milice islamiste le 7 octobre 2023.

    Un convoi d’aide alimentaire a été pris d’assaut par des civils privés de tout près de la ville de Gaza, à proximité de positions israéliennes. Cette émeute de la faim et la bousculade qu’elle a déclenchée ont entraîné des tirs israéliens que l’armée a reconnus. Des dizaines de Palestiniens sont morts. Il s’agit de la conséquence des obstacles opposés par Israël à l’acheminement d’une aide devenue vitale, qui poussent inexorablement ce territoire surpeuplé vers une famine fabriquée de toutes pièces.

    Ce drame ne doit pas être considéré comme un incident isolé. Il est au contraire le révélateur de ce que l’Etat hébreu entend faire de Gaza après des combats auxquels il n’a d’ailleurs fixé pour l’instant aucun terme en dépit de l’absence de résultats concernant leur double objectif : la libération des otages israéliens kidnappés le 7 octobre et l’éradication totale du Hamas.
    Refus obstiné

    Après le broyage méthodique de l’étroite bande de terre, transformée par une armée en roue libre en champ de ruines au prix d’un terrible bilan humain, ce projet passe désormais par la destruction de la moindre forme d’administration. Il ne s’agit pas seulement de celle du Hamas. La tentative de mise à mort de l’UNRWA, l’agence onusienne chargée des réfugiés palestiniens dont le travail est crucial à Gaza, s’inscrit dans cette perspective.
    Écouter aussi Crise à l’UNRWA : pourquoi l’agence de l’ONU pour les réfugiés palestiniens est dans la tourmente

    Ce dessein israélien est confirmé par le refus obstiné du premier ministre, Benyamin Nétanyahou, de permettre le retour d’une Autorité palestinienne « revitalisée » selon le souhait du président des Etats-Unis, Joe Biden, pour supplanter le Hamas. Israël veut que règne le chaos. Le convoi pris d’assaut le 29 février n’avait d’ailleurs pas été organisé en coordination avec les agences onusiennes encore présentes sur place.

    Les alliés de l’Etat hébreu, à commencer par les Etats-Unis qui arment son bras sans s’émouvoir des crimes de guerre qu’ils permettent, comme les Européens, ont le choix. Ils peuvent s’accommoder par faiblesse de cette stratégie qui vise un retour, en bien pire, à la situation qui prévalait avant le 7 octobre 2023, soit l’étranglement de la bande de Gaza par un blocus terrestre et maritime impitoyable. Ils en seront de fait les complices s’ils continuent de financer sans rien exiger en retour la survie désormais en question de ce territoire, comme l’apparence de statu quo qui prévaut dans une Cisjordanie gangrenée par la colonisation israélienne.

    Ils peuvent au contraire décider d’instaurer le début d’un rapport de force s’ils sont convaincus que la protection des civils sur une terre pour laquelle Israël ne peut se prévaloir d’aucun droit reconnu internationalement est le préalable à la moindre perspective politique, refusée par ailleurs obstinément par Benyamin Nétanyahou. Il s’agit d’un choix difficile, surtout après des années de lâche désintérêt, mais il n’y a pas d’alternative à la honte.

    Se déciderait-on à se bouger un peu ?