« L’ouverture des données ressemble à la tour de Pise »

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    Auteur des « Données de la démocratie, open data, pouvoirs et contre-pouvoirs », paru en janvier, le sociologue Samuel Goëta dresse un bilan critique de l’émergence de l’open data, entre renouvellement de la transparence en demi-teinte, transformation des administrations inaboutie et promesses de croissance et d’innovation non tenues.

    Défendre l’ouverture des données publiques pour revitaliser la démocratie, c’est la conviction développée par ­Samuel ­Goëta dans son ouvrage paru le mois dernier, « Les Données de la démocratie, open data, pouvoirs et contre-pouvoirs », (C&F éd.). Sociologue, maître de conférences associé à ­Sciences-po Aix, cofondateur de la société coopérative et participative spécialisée dans l’open data ­Datactivist, il a aussi participé à la création de l’association Open ­Knowledge France, en 2012, qui anime « ­madada.fr », visant à faciliter les demandes d’accès aux données et aux documents administratifs.

    Samuel ­Goëta revient sur la naissance et l’émergence de l’open data, ce mouvement encourageant le libre usage des données, et en dresse un bilan critique, entre renouvellement de la transparence en demi-teinte, promesses de croissance et d’innovation non tenues, et transformation des administrations indéniable mais non aboutie. Ainsi, si ce sont bien des collectivités pionnières qui ont impulsé les premières politiques d’ouverture de données, seules 16 % de celles qui sont concernées par la loi « Lemaire » respectent leurs obligations en la matière, et les données ouvertes sont loin d’être les plus sensibles, pointant les fragilités de la transparence administrative.

    Riche sur les plans théorique et pratique, car nourrie d’exemples et de cas d’usage, la réflexion développée dans ce livre croise plusieurs champs : sociologie, histoire, science politique, design de politiques publiques… Il avance aussi des propositions pour concourir à une nouvelle étape de l’ouverture des données au service du renforcement de la démocratie.
    Quelle est la situation en matière d’open data en France ?

    Quand on regarde du côté des classements, la France fait partie des pays les plus avancés en matière d’open data. Pour autant, seules 16 % des collectivités concernées par la loi pour une République numérique ont respecté leurs obligations en la matière et il existe une fracture entre grandes et petites collectivités avec, d’un côté, les grandes métropoles, les régions et une large majorité des départements qui se sont saisis de leurs obligations et, de l’autre, les plus petites communes et intercommunalités. L’ouverture des données demande des moyens et sa mise en œuvre crée de nouvelles fractures entre les territoires.

    Et lorsqu’on s’intéresse aux jeux de données publiés, on s’aperçoit de leur grande disparité puisqu’il peut s’agir de l’agenda des élus, des menus dans les cantines… Mais dès lors que les données sont sensibles, elles manquent à l’appel. En effet, plus on s’approche de ce genre de données, qui peuvent questionner le mandat des élus ou remettre en cause leurs politiques, moins ces jeux sont ouverts.

    L’open data met ainsi en lumière les fragilités de la transparence administrative. Malgré l’ancienneté de la loi « Cada » (du 17 juillet 1978, ndlr), les circuits organisationnels de la transparence sont encore balbutiants et elle reste presque un acte politique alors qu’elle est très largement codifiée par le code des relations entre le public et l’administration. L’ouverture des données en France ressemble donc un peu à la tour de Pise, un édifice penché du fait de ses fondations instables.
    Comment expliquer ces fondations instables ?

    L’ouverture des données charriait avec elle trois grandes promesses : renouveler la transparence, créer de l’innovation et des emplois, et transformer l’administration. C’est cette dernière qui a sans doute été sous-évaluée et qui apporte le plus de bénéfices. Pour la transparence, bien qu’entré dans la loi, le principe d’open data par défaut ne suffit pas à donner aux agents la possibilité de publier des données sans obtenir de validation.

    On voit que l’open data n’a pas agi comme une « machine à révélations ». Concernant l’innovation et l’emploi, les attentes étaient faramineuses. En interne, en revanche, l’open data a participé à une grande transformation des collectivités, en augmentant leur maturité sur ces sujets. Nombreuses sont celles qui, engagées dans l’open data, ont travaillé sur la gouvernance des données, ce qui leur a été bénéfique : les métropoles de Lille, Rennes, Nantes, Lyon ou encore Bordeaux.
    Comment continuer de nourrir ou de réinventer notre rapport aux données ?

    Notre rapport à l’open data a déjà massivement changé du fait du ­Covid-19. Plusieurs outils, comme ­Covidtracker, ont renouvelé le plaidoyer pour l’ouverture des données, en faisant de l’open data un outil essentiel de gestion de la crise sanitaire. La pandémie a vraiment remis l’open data à l’agenda, quand chaque geste de notre vie quotidienne était déterminé par des chiffres, un graphique, une courbe…

    Toutefois, quand j’ai été auditionné par la mission « data et territoires » dans le cadre du rapport remis à Stanislas ­Guerini (ministre de la Transformation et de la fonction publiques, ndlr), en novembre, j’ai défendu l’idée que les politiques d’open data ne se suffisent pas à elles-mêmes : il manque une sensibilisation à grande échelle des citoyens pour qu’ils puissent se saisir du pouvoir des données et renouveler le débat démocratique. C’est comme si le mariage entre les acteurs de la participation citoyenne et de l’open data ne s’était pas fait.
    Que proposez-vous pour que les données ouvertes renforcent la démocratie ?

    On constate une prise de conscience généralisée de l’importance des données dans la conduite des politiques publiques. Comment accompagner toutes ces collectivités qui se sont saisies de la loi « ­Lemaire » ? Comment aider les autres à s’en emparer ? Je propose des pistes d’action via trois chantiers : obtenir les données manquantes, améliorer la fiabilité et la qualité des données ouvertes, et développer la culture des données. En effet, un certain nombre de données ne sont pas encore ouvertes, et un nouvel acte du droit d’accès aux documents administratifs me paraît essentiel. Il faut aussi donner plus de corps à la notion de données d’intérêt général, permettant d’aller jusqu’à la réquisition de données. Ensuite, améliorer la fiabilité et la qualité suppose un travail organisationnel. Il est important de continuer de vulgariser l’open data auprès du grand public et l’intégrer dans les procédures de démocratie participative.

    De plus, trop souvent encore, les administrations considèrent les données personnelles comme une matière radioactive et oublient que l’anonymisation et la pseudonymisation existent. Par ailleurs, l’association Open Data France s’est récemment engagée dans une démarche de redéfinition de son action : doit-elle élargir son champ d’intervention, historiquement centré sur l’open data ? Des questions émergent sur la standardisation, l’acculturation à la donnée, la transparence algorithmique, et il reste beaucoup à faire.

    #Samuel_Goeta #Open_data #Communes