Les gendarmes de la section de recherches de Paris ont perquisitionné le siège du ministère, ciblant le recours croissant par l’Etat aux cabinets de conseil, dont McKinsey, étroitement lié au chef de l’Etat.
Par Samuel Laurent et Adrien Sénécat
L’affaire concernant le recours aux cabinets de conseil connaît un nouvel épisode. Selon nos informations, confirmées de source judiciaire, les enquêteurs de la section de recherches de Paris ont procédé, mercredi 29 mai, à une perquisition au siège du ministère de la santé, rue de Ségur, à Paris, en présence des magistrats instructeurs.
Cette perquisition est menée dans le cadre d’une information judiciaire ouverte le 21 octobre 2022 par le Parquet national financier (PNF) pour #favoritisme et #recel_de_favoritisme, à la suite d’un rapport de la commission d’enquête sénatoriale sur l’influence des cabinets de conseil privés sur les #politiques_publiques.
Rendus publics le 16 mars 2022, les travaux de la commission sénatoriale, pilotée par Eliane Assassi (Parti communiste français) et Arnaud Bazin (Les Républicains), avaient pointé le « recours massif et croissant » par les services de l’Etat aux cabinets de conseil comme #Accenture, #CapGemini ou McKinsey : un peu moins d’un milliard d’euros pour l’année 2021, soit plus du double des 379 millions d’euros dépensés en 2018.
Le rapport fustigeait globalement le « réflexe » du recours accru à ces sociétés privées pour assumer des missions relevant en principe de la compétence de la puissance publique, et décrivait un « phénomène tentaculaire », qui posait la question de la « souveraineté » de l’Etat face à ces cabinets. Il notait également le coût de ces multiples contrats : 3 millions d’euros pour la création, par CapGemini, d’un « baromètre des résultats de l’action publique » ; 2,15 millions pour « l’appui » de Roland Berger à la réforme de la formation professionnelle.
Optimisation fiscale [ici, pour ne pas dire fraude fiscale]
Un rapport de la Cour des comptes, dévoilé par Le Monde en décembre 2022, avait par ailleurs épinglé plus précisément le rôle de ces cabinets de conseil durant la pandémie de #Covid-19. Plus de 50 millions d’euros ont été dépensés pour des prestations de leur part, notamment en matière informatique. Si le ministre de la santé de l’époque, Olivier Véran, avait assuré que tout était « super clair et transparent », la Cour n’était pas de cet avis.
Pour elle, nombre de ces dépenses posaient question quant au respect du droit de la commande publique, et l’urgence sanitaire, souvent invoquée par l’exécutif, ne pouvait suffire à tout justifier – « en période de guerre, regarde-t-on qui prépare les munitions, à quel endroit on le fait et si les munitions sont bien transférées dans l’arsenal ? » [ben oui], demandait Olivier Véran, alors ministre de la santé, face au Sénat, en février 2022. « L’urgence impérieuse a systématiquement été invoquée pour passer les marchés dans des délais courts sans mise en concurrence, ni négociation », regrettait la Cour, estimant que, dans certains cas, les missions confiées aux cabinets de conseil relevaient « du cœur de missions de service public » et auraient « pu être prises en charge par le ministère ».
Elle s’interrogeait aussi sur les conditions d’attribution à certains cabinets de marchés-clés « sans mise en concurrence ni négociation ». Parmi ces cabinets figurait en premier lieu le cabinet McKinsey, bénéficiaire de sept contrats autour de la campagne de vaccination contre le Covid-19, pour un total de 11,6 millions d’euros.
La « Firme », comme on surnomme ce géant américain, au chiffre d’affaires de 15 milliards d’euros (dont 329 millions d’euros en France), avait selon la commission sénatoriale, réussi à ne quasiment pas payer d’#impôt_sur_les_sociétés de 2011 à 2021. Le PNF a ouvert, le 31 mars 2022, une information judiciaire pour #blanchiment_aggravé et fraude fiscale aggravée, ciblant les pratiques d’optimisation fiscale du groupe américain. Le siège français de McKinsey a été perquisitionné le 24 mai 2022 dans ce dossier.
Des liens étroits avec Emmanuel Macron
Si McKinsey est au cœur des enquêtes et des polémiques, c’est aussi pour une autre raison, relevée par plusieurs enquêtes journalistiques, notamment celle du Monde, en février 2021 : la « Firme » entretient de longue date des liens étroits avec le candidat, puis chef de l’Etat, Emmanuel Macron. Les « MacronLeaks », cette fuite de données qui avait rendu publics des milliers de courriels internes de la campagne, ont montré que plusieurs hauts responsables de McKinsey, comme Karim Tadjeddine, qui a connu M. Macron au sein de la commission Attali en 2010, étaient au cœur du dispositif du futur chef de l’Etat en 2017. Une activité militante qu’ils exerçaient pro bono, sans être rémunérés, assurent-ils.
La collusion [ici pour concomitence] entre cette présence d’importants cadres de McKinsey dans l’entourage proche du candidat Macron et la hausse importante du recours par l’Etat aux services des #cabinets_de_conseil ne pouvait que soulever des interrogations, balayées d’un revers de main par le candidat Macron, sur France 3, le 27 mars 2022 : « On a l’impression qu’il y a des combines ; c’est faux », s’était agacé le chef de l’Etat, ajoutant : « S’il y a des preuves de manipulation, que ça aille au pénal. »
La justice l’a entendu : en novembre 2022, le Parquet national financier (#PNF) confirmait que trois procédures pénales étaient ouvertes. L’une ciblant les soupçons de fraude fiscale concernant McKinsey, une seconde, ouverte le 20 octobre 2022 à la suite de plusieurs signalements, se concentre sur les comptes de campagne d’Emmanuel #Macron pour 2017 et 2022 et vise à éclaircir les conditions d’intervention du cabinet McKinsey dans la campagne.
Enfin, la troisième information judiciaire, ouverte le 21 octobre 2022, s’intéresse à un éventuel « favoritisme » dont aurait bénéficié #McKinsey par rapport à ses concurrents. C’est dans ce cadre que les gendarmes de la section de recherches de Paris ont procédé à cette perquisition rue de Ségur. Le PNF confirme par ailleurs au Monde que « l’enquête préliminaire sur le volet #fraude_fiscale, ainsi que l’information judiciaire sur le volet campagne présidentielle sont toujours en cours, notamment avec l’exploitation des documents saisis en perquisition ».