• Patrons français, du ras-le-bol de l’Etat à la tentation trumpiste
    https://www.lemonde.fr/economie/article/2024/12/12/patrons-francais-du-ras-le-bol-de-l-etat-a-la-tentation-trumpiste_6444011_32

    Un patron d’entreprise publique, ancien de Bercy, et un ténor du privé, unis par un même ras-le-bol, cela a du poids. « C’est l’enfer d’investir en France pour des raisons réglementaires. Le premier frein à la décarbonation aujourd’hui, ce sont les procédures », a attaqué Luc Rémont, le PDG d’EDF, mardi 10 décembre, au congrès de l’Union française de l’électricité, à Paris. « Ici, en France, j’ai 500 développeurs en énergies renouvelables qui arrivent péniblement à faire 300 à 400 mégawatts par an. Aux Etats-Unis, j’ai construit 2 gigawatts en un an. Je ne peux pas continuer à investir dans un pays (…) pour un rendement aussi faible », a prévenu Patrick Pouyanné, le PDG de TotalEnergies, appelant à « simplifier les processus ».

    Ils ne sont pas les seuls. La réouverture de Notre-Dame de Paris, samedi 7 décembre, après cinq ans d’un chantier titanesque, a été l’occasion d’un concert dans ce registre, sans orgue ni violon. « On a voté des lois d’exception pour que les artisans de Notre-Dame n’aient pas à faire face aux contraintes qui les emmerdent (…) tout au long de l’année », a souligné, notamment, l’économiste libéral Nicolas Bouzou, interviewé par Le Figaro TV.

    Pierre Gattaz, l’ancien président du Medef, qui ne manque pas une occasion de fustiger la « folie bureaucratique » en France, va même un cran plus loin. Dans une publication très vue sur LinkedIn, l’ex-patron des patrons, qui n’a pas répondu à nos sollicitations, lançait : « Faudra-t-il un Donald Trump, un Elon Musk ou un Javier Milei en France pour arrêter ce délire ? », tout en relayant une vidéo de Jean-Philippe Tanguy, le député Rassemblement national (RN) de la Somme, ironisant en commission des finances sur la surenchère administrative.

    Trump-Musk-Milei, pourquoi cette improbable sainte-trinité des affaires est-elle invoquée ? Le président américain élu sur un programme de dérégulation, l’entrepreneur milliardaire érigé en « ministre de l’efficacité gouvernementale » et le président argentin, chantre des coupes budgétaires à la tronçonneuse, portent, tous à leur manière, des messages anti-étatiques. Raison pour laquelle l’invitation à partager les « meilleures pratiques pour lutter contre les excès de bureaucratie » lancée, le 13 novembre, à Elon Musk par Guillaume Kasbarian, le ministre macroniste démissionnaire de la fonction publique, a été vivement critiquée à gauche.

  • Comment les thèmes favoris du RN ont peu à peu colonisé les médias traditionnels
    https://www.lemonde.fr/economie/article/2024/06/26/legislatives-2024-comment-les-themes-favoris-du-rn-ont-peu-a-peu-colonise-le

    Par Aude Dassonville

    Omniprésence des faits divers, pression des réseaux sociaux, « déploration » et émotion permanentes. A l’approche des élections législatives 2024, des voix, y compris au sein des rédactions, soulignent la responsabilité des journalistes dans la description d’une France qui colle étroitement à la vision politique de l’extrême droite.

    Publié le 26 juin 2024

    Comme souvent depuis vingt-deux ans et l’accession de Jean-Marie Le Pen au second tour de l’élection présidentielle − à l’époque, TF1 avait été accusée d’avoir surmédiatisé l’agression d’un retraité orléanais, « Paul Voise » −, la question revient hanter les rédactions télé : quelle responsabilité prendre, dans le verdict des urnes ? De fait, des voix, y compris parmi les journalistes, soulignent la responsabilité des télévisions, des radios, des journaux dans la description d’une France collant étroitement à la vision politique de l’extrême droite.

    « Qui fait le lit des populismes ?, interrogeait ainsi le Syndicat national des journalistes, le 18 juin, en ouverture d’un comité social et économique à France Télévisions, dans une question toute rhétorique. Qui a mis récemment un président de parti d’extrême droite au même niveau qu’un premier ministre en prime time ? − une allusion au débat qui a opposé Jordan Bardella à Gabriel Attal, le 23 mai, sur France 2. Qui, à coups de micro-trottoirs, depuis une semaine, essaie de nous expliquer les raisons d’une colère ponctuelle alors qu’elle est profonde ? »

    Une critique qu’écarte obstinément Hervé Béroud, le directeur général délégué d’Altice Media.

    « La grande différence entre vous [la presse écrite] et nous, défend-il, c’est que nous devons gérer des temps de parole. Cela ne résume pas notre ligne éditoriale, mais fait partie de notre gestion de notre temps d’antenne, sur laquelle nous avons peu de latitude. » Selon les règles françaises du pluralisme, en effet, les chaînes doivent refléter la répartition des forces politiques telle qu’en ont décidé les électeurs. Pourtant, fustige le journaliste anonyme de BFM-TV, « CNews s’est affranchie de la réglementation. Sur ses plateaux, il n’y a plus de débats : les invités, dont les temps de parole ne sont pas décomptés, sont d’accord sur l’essentiel. On a l’impression d’une évidence, d’un supposé bon sens, entre personnes réunies contre ceux qui, prétendument, les agressent et les méprisent. C’est très efficace ».

    « Un discours marketing social très séducteur »

    Ça l’est d’autant plus, rappelle Franck Rebillard, docteur en sciences de l’information et de la communication, professeur à l’université Sorbonne-Nouvelle, que « les personnes qui s’installent devant la télévision n’ont pas la même appréhension que lorsqu’ils lisent un journal. Ils sont restés sur cette idée que nous avons, en France, une information audiovisuelle responsable, raisonnable ». En mai, la chaîne de droite radicale du groupe Vivendi est devenue la chaîne d’information la plus regardée du pays – une première place en partie acquise grâce à la plus grande durée d’écoute de son public, plus âgé que celui de BFM-TV.

    « Toutes les études menées en sociologie des médias depuis la seconde guerre mondiale montrent que les médias ne disent pas ce qu’il faut penser, mais ce à quoi il faut penser, précise, par ailleurs, M. Rebillard. Ils mettent à l’agenda un certain nombre de thématiques, comme, ces dernières années, l’immigration ou le pouvoir d’achat. La question qui vient ensuite, c’est : quelles sont les formations politiques qui se voient reconnaître une capacité à résoudre ces questions ? » Diane Bolet, enseignante-chercheuse à l’université de l’Essex au Royaume-Uni, specialisée dans la sociologie électorale et l’étude de la montée de l’extrême droite en Europe, n’a aucun doute à ce sujet : « Les gens ont tendance à voter pour le premier parti à avoir parlé d’un sujet parce qu’il est perçu comme le plus légitime. » Comment ne le serait-il pas, quand son lexique fait par ailleurs florès : la semaine dernière, Emmanuel Macron lui-même a repris à son compte le terme « immigrationnisme », très en vogue à l’extrême droite.

    Ces dernières années, le durcissement des thèmes et du vocabulaire employé s’est accentué sous la pression des médias de Vincent Bolloré, d’un côté, et de celle des réseaux sociaux, de l’autre. « Combien de sujets sont illustrés par des tweets et combien de contenus sur les réseaux sont repris par les médias traditionnels ?, note ainsi Franck Rebillard. Cette porosité fait ainsi remonter aux médias de plus grande surface des idées, et des personnages à la limite du journalisme et du militantisme », issus de médias confidentiels aux propos radicaux. Sans le nommer, l’enseignant fait notamment référence au FigaroVox, la plate-forme qui propage des points de vue extrêmes, dont CNews démultiplie ensuite l’écho. En leur offrant la respectabilité que sa présence sur la TNT lui confère, et en ouvrant la voie à la concurrence qui ne voudrait pas être en reste

    #Politique #Médias #France #Autocritique_tardive

  • Maurice Ravel est bien le seul auteur du « Boléro », ses ayants droit condamnés pour « usage abusif du droit moral »
    https://www.lemonde.fr/economie/article/2024/06/29/maurice-ravel-est-bien-le-seul-auteur-du-bolero-ses-ayants-droits-condamnes-

    Toute ambiguïté est levée : Maurice Ravel est bel et bien l’unique auteur du Boléro, a tranché vendredi 28 juin le tribunal judiciaire de Nanterre. Pour cette œuvre de commande, la mécène Ida Rubinstein, danseuse star des Ballets russes, avait demandé en 1928 à son ami Maurice Ravel de créer un « ballet de caractère espagnol » qu’elle puisse représenter avec sa troupe à la fin de la même année. Lors de la première, le 22 novembre 1928 à l’Opéra à Paris, les décors et les costumes étaient signés par Alexandre Benois et la chorégraphie conçue par Bronislava Nijinska.

    Cette œuvre de Maurice Ravel est tombée dans le domaine public le 1er mai 2016 puisque en France, les droits d’auteur inhérents à une composition musicale durent soixante-dix ans après la mort de son auteur ; une durée à laquelle ont été ajoutés huit ans et quatre mois, correspondant au manque à gagner de l’artiste pendant les deux guerres mondiales.

    Or, en mars 2016, les ayants droit de Maurice Ravel et du décorateur russe Alexandre Benois, décédé en 1960, ont demandé à la Société des auteurs-compositeurs et éditeurs de musique (Sacem) de reconnaître ce dernier comme coauteur du Boléro. Par deux fois, la Sacem a refusé de le faire. Une telle décision aurait eu pour conséquence de reporter à mai 2039 la date à laquelle cette œuvre serait tombée dans le domaine public. Et aurait permis d’accorder aux héritiers plus longuement une manne financière.

    Un jugement très argumenté

    Succès planétaire, le Boléro a en effet généré des flots d’or, jusqu’à plusieurs millions d’euros par an au cours des années les plus fastes. Selon la Sacem, entre 2000 à 2010, le Boléro générait encore près de 240 000 euros de droits d’auteur chaque année. Une source qui s’épuisait mais assurait encore quelque 135 000 euros par an aux ayants droit jusqu’en 2016. A son décès, Maurice Ravel, non marié et sans enfant, avait légué à son frère, Edouard Ravel, l’intégralité de ses droits moraux et patrimoniaux sur l’ensemble de son œuvre et, par le jeu de transmissions successives, Evelyne Pen de Castel est aujourd’hui la seule héritière du compositeur.

    Dans un jugement très argumenté de 42 pages, le tribunal a « rejeté les demandes des ayants droit de Maurice Ravel et d’Alexandre Benois au sujet du Boléro, une des œuvres les plus jouées et diffusées au monde », qui « reste par conséquent dans le domaine public ».

    Le tribunal a balayé l’hypothèse d’un co-autorat, en estimant que « les pièces fournies ne démontraient pas la qualité d’auteur [d’Alexandre Benois] de l’argument du ballet ». D’autant moins que Maurice Ravel s’est toujours considéré comme le seul auteur de cet œuvre, comme le montrent son bulletin de déclaration à la Sacem ou son contrat d’édition. De plus cette demande de reconnaissance de copaternernité est arrivée très tardivement, en 2016, alors qu’aucune revendication n’avait été faite depuis 1928.

    Condamnés extrêmement lourdement

    Par ailleurs la thèse, ajoutée au cours du procès, d’une autre coautrice lésée, la chorégraphe Bronislava Nijinska, a tout autant été écartée par les juges, puisque cette artiste « n’a jamais figuré sur la documentation du Boléro comme coauteur ».

    « En soutenant une action visant à voir reconnaître Alexandre Benois et Bronislava Nijinska comme coauteurs du Bolero, alors qu’il s’agit d’une œuvre qu’il a seul composée, Mme Pen de Castel a fait un usage abusif de son droit moral », affirment les juges, qui l’ont condamnée à payer à la Sacem un euro en réparation de son préjudice. Les ayants droit de Maurice Ravel et d’Alexandre Benois sont par ailleurs condamnés, extrêmement lourdement, à 100 000 euros au titre des frais de défense.

    « Le tribunal a dit, en substance, que la Sacem avait eu raison de résister au stratagème des héritiers Ravel visant à étendre artificiellement et au-delà du raisonnable la durée de protection du Boléro », s’est réjouie Josée-Anne Bénazéraf, l’avocate de la Sacem. En se félicitant de cette condamnation « exceptionnelle ».

  • Le patronat français, vic-time de-la-mode | Mediapart | 20.06.24

    https://www.mediapart.fr/journal/economie-et-social/200624/le-patronat-se-prepare-collaborer-avec-le-rn

    « Il faudra peut-être faire quelques concessions parce qu’ils doivent aussi donner quelques gages à leur électorat », dit l’un d’entre eux. Sans aucun état d’âme, le patronat semble prêt à sacrifier les libertés publiques à leurs intérêts.

    La plupart caressent l’idée que Marine Le Pen puisse devenir une nouvelle Giorgia Meloni. Alors que sa nomination comme présidente du Conseil italien avait suscité beaucoup d’inquiétude tant en Italie qu’à l’extérieur, elle fait désormais l’unanimité dans les milieux d’affaires pour son pragmatisme et son écoute du monde économique.

    Son parcours est jugé presque sans faute : l’Italie a suivi les recommandations européennes, n’a pas fait tanguer les marchés, elle a supprimé un certain nombre d’aides sociales et elle a même accepté de régulariser plus de 300 000 migrants comme lui demandaient les petits patrons italiens. « Marine Le Pen, qui était plutôt très proche d’Orbán, a vu ce qu’il coûtait à la Hongrie d’être en opposition avec l’Europe. Et elle est très impressionnée par le parcours de Giorgia Meloni et le statut que cette dernière a acquis en Europe », dit un observateur.

    Sauf que

    « L’Italie est l’inverse de la France. D’abord, les relents mussoliniens au pouvoir sont encore très forts. De plus, c’est un pays où l’État central est historiquement très faible, car tout est décentralisé, au contraire de nous. La machine étatique en France est très lourde. Qui va la faire tourner si le RN arrive au pouvoir ? », s’interroge cependant un haut fonctionnaire.

    • (Allez, je le mets ici en commentaire plutôt que de m’éparpiller dans un nouveau post.)

      Miam !

      En tant que patron, on préfère largement les nazis à la solidarité et tout ce qui s’en suit. Logique. La morale, ca ne remplit pas les caisses.

      Législatives 2024 : chez les patrons français, la tentation du Rassemblement national
      https://www.lemonde.fr/economie/article/2024/06/21/legislatives-2024-chez-les-patrons-francais-la-tentation-du-rassemblement-na

    • la suite de l’article de Martine parle du potentiel dilleme de l’administration :-) c’est probablement plus intéressant - et plus important - que le yapafoto des patrons.

      Plusieurs témoignages nous rapportent « une colère et une fatigue » de toute la fonction publique, bousculée par les changements incessants, la destruction des grands corps, vilipendée à tout propos, soumise à ce new management « toxique » qui a détruit tous les équilibres.

      Même au Budget, même au Trésor, même à l’Inspection des finances ou à la préfectorale, les critiques fusent sur l’irresponsabilité d’Emmanuel Macron, y compris par des personnels qui l’ont servi loyalement. Le président est accusé de « mettre en danger l’État » avec l’arrivée possible d’un RN « incompétent », pouvant « ouvrir la porte à la corruption et aux conflits d’intérêts ».

      Faut-il servir un tel gouvernement ? « Tout le monde se pose la question mais se tait. Il y a ceux qui s’interrogent sur le délai de décence à respecter avant de démissionner, et les autres qui se disent qu’il faut tenir pour éviter le pire », résume un autre haut fonctionnaire. « Il va falloir les trouver les préfets, les directeurs d’administration centrale, les responsables des agences qui acceptent de travailler avec l’extrême droite. Car cela fait du monde », note un haut magistrat.

      La question pourrait se poser dès la formation du gouvernement si le RN arrive au pouvoir. Qui acceptera de rejoindre les cabinets de ministres RN, alors que la vie y est déjà considérée comme un enfer ? Les grands corps, selon l’usage, désigneront-ils les membres qui doivent les rejoindre ? Questionnés à ce sujet, certains de leurs représentants n’ont pas répondu.

  • Des centaines de médicaments génériques pourraient ne plus être vendus en Europe à cause d’irrégularités
    https://www.lemonde.fr/economie/article/2024/06/20/en-europe-des-centaines-de-medicaments-generiques-sont-sur-la-sellette-a-cau

    Les Etats membres doivent, sur demande de Bruxelles, suspendre la commercialisation des produits visés jusqu’à leur mise en conformité, mais ils peuvent y surseoir. En France, 72 médicaments sont concernés. Une décision est attendue d’ici le 24 juin.

    Par Zeliha Chaffin
    Publié aujourd’hui à 08h24, modifié à 09h27

    Temps de Lecture 3 min.

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    URBS

    Casse-tête en vue pour les Etats membres de l’Union européenne (UE). La Commission européenne a notifié aux Vingt-Sept la suspension des autorisations de mise sur le marché de plusieurs centaines de médicaments génériques commercialisés sur le continent. Bruxelles, qui se fonde sur un avis émis par l’Agence européenne des médicaments (EMA), invoque « l’insuffisance des preuves concernant la fiabilité des données d’essai », en particulier des études de bioéquivalence, qui visent à démontrer qu’un médicament générique libère la même quantité de substance active dans l’organisme que le médicament de référence qu’il copie.
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    Les laboratoires pharmaceutiques sont sommés d’y mettre bon ordre au plus vite en fournissant de nouvelles données scientifiques conformes aux exigences de qualité européennes. Problème : la liste des médicaments notifiés, à laquelle aucun Etat membre n’échappe, est longue. L’EMA compte près de 2 250 références touchées, l’Allemagne arrivant en tête avec 208 références, devant les Pays-Bas (188), le Portugal (112) et la France (98).

    En pratique, le chiffre est plus réduit, nombre d’entre elles concernant un même médicament vendu sous des présentations (gélules, comprimés, injections, poudre à diluer…), des dosages et dans des pays différents. Ainsi, pour la France, l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM) recense tout compte fait 72 génériques affectés.
    Mettre en péril

    Malgré tout, refaire des études de bioéquivalence nécessite du temps, et l’injonction de la Commission pourrait mettre en péril l’équilibre déjà précaire de l’approvisionnement en produits de santé sur le continent. Faut-il retirer de la vente les génériques listés, au risque de créer des pénuries de médicaments délétères pour les patients, ou maintenir sur le marché ces produits aux dossiers réglementaires non conformes en attendant leur régularisation ? Bruxelles laisse le choix à chaque Etat membre de décider, produit par produit de la conduite à suivre, en donnant la possibilité de reporter la suspension de deux ans pour les génériques jugés « d’une importance cruciale au niveau national », et dont les alternatives existantes pourraient ne pas être disponibles en quantités suffisantes.
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    L’Hexagone n’a pas encore tranché. L’ANSM doit se prononcer sur les 72 génériques identifiés en France avant le 24 juin. Parmi les traitements sur la sellette figurent plusieurs antirétroviraux, utilisés dans le traitement de l’infection par le VIH (sida), des antidiabétiques (metformine, sitagliptine, vildagliptine), des anticancéreux ciblant des cancers du sein, du pancréas ou du sang, des antiépileptiques (topiramate, lacosamide), mais aussi des génériques de l’olanzapine, indiqués dans les troubles bipolaires et la schizophrénie, de la betahistine (contre les vertiges) ou encore du propofol, un anesthésique courant à l’hôpital, et du tadalafil, copie du médicament de référence Cialis, connu pour ses effets similaires au très populaire Viagra.
    Inspection de routine

    L’autorité de santé indique qu’ « il n’y a pas de risque identifié pour les patients traités par l’un de ces médicaments », dont beaucoup sont commercialisés depuis de nombreuses années. L’agence est actuellement en train d’évaluer la situation au cas par cas en concertation avec les laboratoires pharmaceutiques. Une grande partie des principaux génériqueurs opérant sur le territoire, dont Biogaran, Viatris, Sandoz, Arrow ou EG Labo, ont au moins un médicament inscrit sur la liste de l’EMA. Informés de la procédure européenne depuis plusieurs mois, certains ont toutefois d’ores et déjà soumis les résultats de nouvelles études de bioéquivalence. Les éventuelles suspensions pourraient, en conséquence, être moins nombreuses qu’anticipées.
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    La décision de Bruxelles frappe par l’importance du nombre de médicaments et de laboratoires pharmaceutiques (plus d’une centaine de génériqueurs, petits ou grands, sur tout le continent). Comment l’expliquer ? Pour cela, il faut remonter au point de départ en Inde, dans les bureaux de Synapse Labs.
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    L’histoire débute en novembre 2020. L’agence espagnole du médicament mène alors une inspection de routine dans les locaux de la société indienne, installée à Pune dans la région du Maharashtra. Le sous-traitant ne fabrique pas de médicaments, mais il fournit pour les laboratoires pharmaceutiques, dont de très nombreux industriels vendant leurs traitements en Europe, des services de recherche et développement allant de la conduite d’essais cliniques à la réalisation d’études de pharmacovigilance ou de bioéquivalence. A ce titre, l’entreprise est soumise aux contrôles des autorités sanitaires des différents pays dans lesquels ses clients opèrent. Ces dernières peuvent ainsi venir s’y assurer que les prestations effectuées respectent les normes internationales de bonnes pratiques.
    Forte dépendance

    Lors de sa visite en 2020, le gendarme du médicament espagnol relève cependant des irrégularités « jetant de sérieux doutes sur la validité et la fiabilité des données des études » dans les dossiers de bioéquivalence examinés de 2009 à 2019, note un rapport de l’EMA. Une nouvelle inspection du sous-traitant indien en novembre 2022 confirme les observations constatées deux ans plus tôt. L’agence espagnole alerte alors l’Agence européenne des médicaments le 27 juin 2023.
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    S’ensuivent plusieurs mois d’échanges entre l’autorité de santé de l’UE et Synapse Labs, au cours desquels l’EMA examine minutieusement les dossiers litigieux, avant de recommander, le 21 mars, la suspension des autorisations de mise sur le marché d’une partie des génériques testés par Synapse Labs qui sont commercialisés en Europe. Deux mois plus tard, le 24 mai, l’avis de l’EMA se transforme finalement en injonction de la Commission européenne.

    L’affaire met surtout en exergue une faiblesse bien connue de l’industrie pharmaceutique, à savoir sa forte dépendance à quelques gros fournisseurs ou prestataires mondiaux, aux différents maillons de la chaîne du médicament. A l’image de la fabrication de principes actifs, concentrée pour certaines molécules très consommées, dans les mains d’une poignée d’industriels. Pour éviter l’écueil, certains laboratoires diversifient leurs sources. Mais cela a un coût que tous ne veulent pas, ou parfois ne peuvent pas, assumer.

    Zeliha Chaffin

    #Santé_publique #Médicaments #Industrie_pharmaceutique #Génériques #Tests #Mondialisation

  • L’audition calamiteuse du patron de Boeing devant le Sénat des Etats-Unis : « Vous êtes payé à quoi faire ? »
    https://www.lemonde.fr/economie/article/2024/06/19/au-senat-americain-l-audition-calamiteuse-du-patron-de-boeing_6241338_3234.h

    Dave Calhoun, PDG du constructeur depuis 2020, a été entendu par les sénateurs au sujet des nombreuses défaillances techniques du modèle 737 MAX, qui ont causé deux crashs en 2018 et 2019 et plusieurs incidents depuis.

    Par Arnaud Leparmentier (New York, correspondant)
    Publié aujourd’hui à 10h14, modifié à 10h26

    Temps de Lecture 3 min.

    Article réservé aux abonnés
    Le PDG de Boeing, Dave Calhoun, témoigne lors d’une audition de la sous-commission d’enquête du Sénat sur la sécurité intérieure, au Capitole (Washington, Etats-Unis), le mardi 18 juin 2024.
    Le PDG de Boeing, Dave Calhoun, témoigne lors d’une audition de la sous-commission d’enquête du Sénat sur la sécurité intérieure, au Capitole (Washington, Etats-Unis), le mardi 18 juin 2024. MARIAM ZUHAIB / AP

    Espérait-il apaiser l’ardeur des sénateurs qui l’interrogeaient ? Toujours est-il que Dave Calhoun, le PDG de Boeing depuis 2020, a entamé son audition au Sénat, mardi 18 juin, en se tournant vers le public et en présentant ses excuses aux familles des victimes du double crash du modèle Boeing 737 MAX 8, sur un vol Lion Air en 2018 et un vol Ethiopian Airlines en 2019, qui brandissaient les photographies de leurs proches. « Je m’excuse pour la douleur que nous avons causée, et je veux que vous sachiez que nous sommes totalement mobilisés, en leur mémoire, à travailler et à nous concentrer sur la sécurité aussi longtemps » que nécessaire, a commencé M. Calhoun.
    Lire aussi | Article réservé à nos abonnés Boeing : après le grave incident d’Alaska Airlines, un rapport accable les processus de fabrication

    Puis, ce fut la descente aux enfers, d’autant qu’un lanceur d’alerte avait fait de nouvelles révélations sur des défaillances cachées aux régulateurs. Finalement, M. Calhoun a-t-il rencontré des lanceurs d’alerte ? Non. Les sénateurs lui suggèrent que ce serait une « bonne idée ». Combien de dirigeants ont été sanctionnés pour avoir traqué les lanceurs d’alerte ? Il ne le sait pas. Est-il un ingénieur, comme les lanceurs d’alerte ? « Je ne suis pas un ingénieur », répond le PDG. Les indemnités payées aux victimes ont-elles été déduites fiscalement ou payées par les assurances ? M. Calhoun n’en a pas le détail.

    Pendant toute l’audition, la première depuis l’incident d’Alaska Airlines, le président de Boeing a asséné des généralités, alors qu’aux problèmes de conception par les bureaux d’ingénieurs des 737 MAX s’est ajouté le problème de fabrication industrielle qui a conduit à l’arrachage, début janvier, d’une porte bouchon d’un 737 MAX 9 d’Alaska Airlines – les vis enlevées pour une réparation n’avaient pas été remises en place.
    Réponses lénifiantes

    Récemment, on a appris que du titane contrefait produit par un obscur sous-traitant chinois avait été utilisé dans le fuselage des avions Boeing et Airbus, mais Boeing n’en avait rien su, car le matériel était fourni par un fournisseur de fournisseur. « Notre culture est loin d’être parfaite, mais nous prenons des mesures et nous progressons », a répété M. Calhoun. « Vous et votre conseil d’administration avez un devoir envers vos actionnaires, mais ils seront profondément mal servis si vous ne parvenez pas à corriger le tir et à vous attaquer à la cause profonde de cette culture de sécurité défaillante », avait déclaré d’emblée le sénateur démocrate du Connecticut et président de l’audition, Richard Blumenthal.

    L’hallali a été donné par le sénateur républicain du Missouri Josh Hawley, qui a demandé à M. Calhoun s’il méritait sa rémunération de 32,8 millions de dollars (environ 30,6 millions d’euros). « Une hausse de 45 % », a rappelé M. Hawley. « Vous êtes payé à quoi faire ? », a demandé le sénateur, qui a énuméré ses griefs face aux réponses lénifiantes du PDG.
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    « Vous faites l’objet d’une enquête pour falsification des rapports d’inspection du 787. Boeing fait l’objet d’une enquête criminelle pour le vol d’Alaska Airlines. Vous avez fait l’objet d’une enquête du ministère de la justice pour conspiration criminelle visant à frauder la FAA [Federal Aviation Administration]. Tout cela relève de votre mandat », a accusé le sénateur, qui a fini par expliquer ce à quoi était, selon lui, payé M. Calhoun.
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    « Vous vous concentrez sur ce pour quoi vous avez été embauché, c’est-à-dire que vous faites des économies. Vous éliminez les procédures de sécurité. Vous vous en prenez à vos employés. Vous supprimez des emplois parce que vous essayez de tirer le maximum de profit possible de cette entreprise. Vous exploitez Boeing jusqu’à la moelle », a accusé Hawley, qui a enfin demandé au patron pourquoi il n’avait pas démissionné.
    Les candidats ne se pressent pas

    « Sénateur, je m’en tiens à cela. Je suis fier d’avoir accepté ce poste. Je suis fier de notre bilan en matière de sécurité », a osé M. Calhoun. « Franchement, monsieur, je pense que c’est une mascarade que vous soyez toujours à votre poste », a jugé le sénateur.
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    La tension reste considérable alors que le ministère de la justice doit décider s’il lance des poursuites pénales contre l’entreprise. Pendant ce temps, Boeing cherche un successeur à M. Calhoun, censé quitter ses fonctions à la fin de l’année, mais les candidats ne se pressent pas. Le patron de General Electric, Larry Culp, qui a réussi à scinder en trois l’ancien conglomérat et en dirige la division de moteurs d’avion, a déclaré qu’il restait chez GE. David Gitlin, l’actuel PDG du fabricant Carrier Global et ancien de United Technologies, a demandé que son nom soit retiré de la liste des prétendants. En interne, Stephanie Pope, nouvelle directrice des opérations, n’est pas ingénieure. « La recherche d’un nouveau PDG chez Boeing rencontre des écueils », titrait pudiquement le Wall Street Journal.

    Arnaud Leparmentier (New York, correspondant)

    #Boeing #Néolibéralisme #Patrons_voyous #Sécurité

  • L’audition calamiteuse du patron de Boeing devant le Sénat des Etats-Unis : « Vous êtes payé à quoi faire ? »
    https://www.lemonde.fr/economie/article/2024/06/19/au-senat-americain-l-audition-calamiteuse-du-patron-de-boeing_6241338_3234.h

    Pendant toute l’audition, la première depuis l’incident d’Alaska Airlines, le président de #Boeing a asséné des généralités, alors qu’aux problèmes de conception par les bureaux d’ingénieurs des 737 MAX s’est ajouté le problème de fabrication industrielle qui a conduit à l’arrachage, début janvier, d’une porte bouchon d’un 737 MAX 9 d’Alaska Airlines – les vis enlevées pour une réparation n’avaient pas été remises en place.

    Réponses lénifiantes

    Récemment, on a appris que du titane contrefait produit par un obscur sous-traitant chinois avait été utilisé dans le fuselage des avions Boeing et Airbus, mais Boeing n’en avait rien su, car le matériel était fourni par un fournisseur de fournisseur. « Notre culture est loin d’être parfaite, mais nous prenons des mesures et nous progressons », a répété M. Calhoun. « Vous et votre conseil d’administration avez un devoir envers vos actionnaires, mais ils seront profondément mal servis si vous ne parvenez pas à corriger le tir et à vous attaquer à la cause profonde de cette culture de sécurité défaillante », avait déclaré d’emblée le sénateur démocrate du Connecticut et président de l’audition, Richard Blumenthal.

    L’hallali a été donné par le sénateur républicain du Missouri Josh Hawley, qui a demandé à M. Calhoun s’il méritait sa rémunération de 32,8 millions de dollars (environ 30,6 millions d’euros). « Une hausse de 45 % », a rappelé M. Hawley. « Vous êtes payé à quoi faire ? », a demandé le sénateur, qui a énuméré ses griefs face aux réponses lénifiantes du PDG.

    « Vous faites l’objet d’une enquête pour falsification des rapports d’inspection du 787. Boeing fait l’objet d’une enquête criminelle pour le vol d’Alaska Airlines. Vous avez fait l’objet d’une enquête du ministère de la justice pour conspiration criminelle visant à frauder la FAA [Federal Aviation Administration]. Tout cela relève de votre mandat », a accusé le sénateur, qui a fini par expliquer ce à quoi était, selon lui, payé M. Calhoun.

    « Vous vous concentrez sur ce pour quoi vous avez été embauché, c’est-à-dire que vous faites des économies. Vous éliminez les procédures de sécurité. Vous vous en prenez à vos employés. Vous supprimez des emplois parce que vous essayez de tirer le maximum de profit possible de cette entreprise. Vous exploitez Boeing jusqu’à la moelle », a accusé Hawley, qui a enfin demandé au patron pourquoi il n’avait pas démissionné.

    Les candidats ne se pressent pas

    « Sénateur, je m’en tiens à cela. Je suis fier d’avoir accepté ce poste. Je suis fier de notre bilan en matière de sécurité », a osé M. Calhoun. (...)

    • Etats-Unis : des familles de victimes de crashes de Boeing réclament une amende de près de 25 milliards de dollars
      https://www.lemonde.fr/international/article/2024/06/19/etats-unis-des-familles-de-victimes-de-crashes-de-boeing-reclament-une-amend

      Le patron de Boeing, Dave Calhoun, avait reconnu, la veille, la « gravité » de la situation concernant la qualité de la production du constructeur. Mais il avait également assuré, devant une commission d’enquête du sénat américain, que des progrès avaient d’ores et déjà été effectués. Présents dans le public lors de cette audition, des proches de victimes des crashes des Boeing 737 MAX 8, de la compagnie indonésienne Lion Air en 2018 et d’Ethiopan Airlines en 2019, brandissaient des photos des disparus. Ces deux accidents avaient causé la mort de 346 personnes au total.

      Paul Cassell, le représentant des familles des victimes, a justifié dans une lettre adressée au ministère américain de la justice, la somme demandée à Boeing. « Puisque le crime de Boeing est le crime le plus mortel d’une entreprise dans l’histoire des Etats-Unis, une amende maximale de plus de 24 milliards de dollars est légalement justifiée et clairement adéquate », a-t-il écrit, dans ce communiqué consulté par l’Agence France-Presse.
      Menace de poursuites pénales
      Longue de 32 pages, la lettre détaille les calculs effectués pour arriver à cette somme. Elle précise que « 14 à 22 milliards de dollars de l’amende pourraient être mises en sursis à la condition que Boeing dédie ces fonds à un contrôleur indépendant et à des améliorations liées aux programmes de conformité et de sécurité ». (...)

    • « Le rachat de Spirit AeroSystems ou la souveraineté version Boeing », Philippe Escande
      https://www.lemonde.fr/economie/article/2024/06/24/le-rachat-de-spirit-aerosystems-ou-la-souverainete-version-boeing_6243296_32
      CHRONIQUE

      Il n’y a pas que les politiques qui s’intéressent à la souveraineté. Par les temps incertains qui courent, chacun se préoccupe de la maîtrise de son propre destin avec la conviction que ce contrôle passe désormais par une volontaire reprise en main. Pour un pays cela passe par le rapatriement à l’intérieur de ses frontières de sociétés ou d’usines. Pour les entreprises par une réintégration à l’intérieur d’une même maison de ses anciens fournisseurs. C’est dans cet esprit que Boeing, qui n’en finit pas d’accumuler les catastrophes, a décidé d’en finir avec sa politique très extrémiste de fabrication à l’extérieur des pièces de ses avions pour les produire dans ses propres usines. Symbole de cette nouvelle pratique forcée par les événements, le projet de rachat de son fournisseur d’ailes et de fuselages Spirit AeroSystems, coupable d’être responsable de l’arrachage de la porte de secours d’un appareil en janvier 2024. Une activité installée au Kansas dont il s’était séparé en 2005. La souveraineté aéronautique version Boeing.

      Mais ce retour à demeure pose un petit problème. Libérée de sa maison mère, achetée par un fonds d’investissement, puis cotée en Bourse, Spirit est devenue, par rachats successifs, une entreprise mondiale fournissant de multiples clients dont le principal concurrent de Boeing, Airbus. Celui-ci, n’entendant pas les choses de la même oreille, s’est invité dans les négociations. Résultat, les deux géants vont se partager les dépouilles de l’un de leurs plus gros fournisseurs, qui emploie près de 18 000 personnes dans le monde. Selon l’agence Reuters, confirmée par le Financial Times et Bloomberg, l’accord devrait être annoncé cette semaine, sauf pépin de dernière minute. Airbus récupérera notamment les sites irlandais, écossais, anglais et français, qui produisent pour ses A220, A320 et A350.

      L’externalisation peut coûter cher

      Ce n’est pas la première fois que se pose la question des frontières d’une entreprise. Ces dernières ont toujours évolué comme le capitalisme depuis plus de deux siècles, en suivant la pente de la spécialisation des tâches, gage de plus grande efficacité et de développement de la concurrence. Les pays ont fait de même, le phénomène s’accélérant avec la #mondialisation. Le cas de Boeing en est la plus parfaite illustration. Créée en 1916, la firme constitue, en 1929, un énorme conglomérat réunissant la fabrication de moteurs (Pratt & Whitney), d’avions et même une compagnie aérienne.

      Les autorités ordonnent la séparation en 1934, donnant leur indépendance aux sociétés Boeing, United Technologies (moteurs) et United Airlines. Mondialisation aidant, Boeing, au début des années 2000, est allé plus loin en cédant ses fabrications de composants pour ne garder que l’assemblage. Une version atténuée de l’#entreprise sans #usine, qui a abouti au démantèlement progressif de nombreux grands conglomérats mondiaux. Mais ce que l’on gagne en productivité, on risque de le perdre en supervision. Comme la désindustrialisation pour les pays, l’#externalisation peut coûter cher dès qu’elle devient hors de contrôle. Que faire soi-même ? Que déléguer et comment ? Voilà une question sans cesse renouvelée. Et sans réponse définitive.

  • Emmanuel Roman, directeur général du premier fonds obligataire au monde : « Une politique économique qui n’a pas de sens est immédiatement punie par le marché »
    https://www.lemonde.fr/economie/article/2024/06/18/emmanuel-roman-directeur-general-du-premier-fonds-obligataire-au-monde-une-p

    Cet entretien pourrait être titré la beauté du capitalisme financier où les peuples n’ont qu’à bien se tenir...

    Aujourd’hui, l’extrême droite est aux portes du pouvoir. En tant que patron de l’une des plus grosses sociétés de gestion au monde, comment voyez-vous ça ?
    Nous assistons à une croissance des mouvements populistes dans le monde entier, en Amérique latine, aux Etats-Unis, avec une fracture totale du monde politique, en France aussi. D’un point de vue macroéconomique, les vrais problèmes en Europe sont le niveau élevé de la dette, et l’inflation. Donc, politique mise à part, le seul vrai sujet est de savoir quoi faire vis-à-vis de la dette publique : soit augmenter les taxes, soit couper les dépenses publiques. Pour avoir lu le programme du Rassemblement national et leurs vingt-deux points, je peux dire qu’il n’y a pas un seul élément de réponse aux vrais problèmes macroéconomiques.
    L’arrivée du RN au pouvoir risquerait-elle de provoquer une crise de la dette française ?
    Les marchés sont capables de regarder sur le plus long terme. Ils savent que l’Europe est passée par beaucoup de hauts et de bas et a pu gérer des situations compliquées, comme celle de la Grèce, par exemple. Cela dit, une politique économique qui n’a pas de sens est immédiatement punie par le marché.

    on vous puni, mais de toute façon il y a toujours du fric à se faire
    Donc, comment gérez-vous votre investissement face à ces incertitudes ?
    L’une des stratégies envisageables serait d’attendre que les choses se décantent et, en cas de dislocation des marchés, trouver les opportunités d’investissement. On parlait de l’Angleterre un peu plus tôt : il y a eu un « trade » [mouvement boursier] exceptionnel, dans un sens comme dans l’autre, en octobre 2022, parce que la politique n’avait aucun sens.

    La secousse sur les marchés provoquée par Liz Truss était donc une opportunité d’investissement. Est-ce que c’est aussi le cas pour les élections françaises ?
    C’est potentiellement une opportunité.

    Mais peut-on vraiment imaginer un dérapage de la dette américaine ?
    C’est très peu probable. Les Etats-Unis ont trois énormes avantages. Ils ont la devise mondiale de réserve. Par ailleurs, le dollar est le marché le plus liquide au monde, le seul vrai actif où l’on peut investir beaucoup d’argent. Enfin, la capacité à collecter des impôts aux Etats-Unis est grande : il n’y a pas de taxe à la consommation, pas de taxe énergétique, et de nombreux avantages fiscaux qui pourraient disparaître… Il est facile de trouver une série de mesures fiscales qui dégageraient 500 milliards de dollars par an.
    là le mec fait l’apologie de l’impôt, certes en grande partie sur la consommation sur les gens ordinaires, mais aussi sur les niches fiscales qui touchent les plus riches
    [...
    par contre là, c’est serrez les fesses parce que les Vietnamiens, les Bengalais et les Africains sont prêts à souffrir plus que vous, vous finirez plus pauvres, et c’est la beauté du capitalisme... ]
    Comprenez-vous la colère d’une partie de la population contre la mondialisation ?
    Il faut comprendre qu’il y a une partie du monde qui est prête à travailler beaucoup plus, qui est sortie de la pauvreté il n’y a pas si longtemps. Or, nous sommes dans un système économique compétitif mondial. Cela a une répercussion énorme sur le contrat social en Europe. Cette mondialisation des sphères économiques fait que l’inégalité au niveau mondial a été réduite par l’émergence d’immenses pays en Asie, qui ont un système de production extrêmement efficace et peut-être un droit du travail qui n’a rien à voir avec celui de la France, mais qui crée des déséquilibres énormes. Il faut donc y faire face.

    Ce que vous nous dites, c’est qu’en Europe on va être plus pauvres et que ça va être plus dur…
    De manière relative, oui, cela va être plus difficile.

    #dette #capitalisme_financier #punition #spéculation

  • Derrière l’IA, la déferlante des « data centers »

    https://www.lemonde.fr/economie/article/2024/06/14/derriere-l-ia-la-deferlante-des-data-centers_6239694_3234.html

    https://justpaste.it/e7qi1

    Cette course à l’IA soulève de nombreuses questions, notamment énergétiques. (...) Et la soif d’énergie va croissant : il existe, aux Etats-Unis ou en Corée du Sud, des projets de campus d’une puissance de 1 GW, soit un réacteur de centrale nucléaire.

    (...)

    Sera-t-on un jour obligé de choisir entre débrancher des data centers, des chauffages d’immeubles, des usines ou des transports ? « On peut toujours jouer à se faire peur », relativisait début juin la secrétaire d’Etat chargée du numérique, Marina Ferrari, en rappelant que la France a « relancé le nucléaire » avec six projets de réacteurs EPR. Elle reconnaissait toutefois un besoin de « mailler le territoire » pour compenser la « très grande concentration de projets en Ile-de-France et à Marseille ». C’est aussi l’approche d’Etix Everywhere, qui projette des « data centers de proximité » à Lille, Toulouse ou Lyon, afin d’éviter la saturation redoutée à Paris et à Marseille.

    (...)

    Dans ce pays [l’Irlande], les centres de données devraient consommer un quart de l’électricité nationale en 2026, quasiment deux fois plus qu’en 2021. « Il existe un risque important pour la sécurité de l’approvisionnement en électricité », prévenait, fin 2021, EirGrid, le RTE irlandais. Depuis, les raccordements ne sont plus autorisés qu’au cas par cas. Les Pays-Bas ou l’Allemagne ont aussi encadré l’expansion des usines de données, de même que Singapour. A Taïwan, leur consommation d’eau pour le refroidissement a fait s’insurger les agriculteurs… Les centres de données vont-ils susciter des protestations, comme les entrepôts d’e-commerce ces dernières années ?

    #capitalisme-en-roue-libre

    • ChatGPT : « le talon d’Achille de l’intelligence artificielle, c’est sa consommation d’énergie »

      https://www.lemonde.fr/economie/article/2024/05/31/chatgpt-le-talon-d-achille-de-l-intelligence-artificielle-c-est-sa-consommat

      (...)

      Depuis le début de l’année aux Etats-Unis, les grands producteurs d’électricité annoncent, les uns après les autres, le report de leurs projets de fermeture de centrales électriques au charbon. Le Financial Times en fait la liste. Au Wisconsin, Alliant Energy repousse de trois ans la conversion d’une centrale à charbon vers le gaz, FirstEnergy renvoie son objectif de sortie du charbon au-delà de 2030.

      (...)

      C’est au cœur des puces que se situe l’origine de cette panique électrique. Celles de Nvidia, le spécialiste du domaine, chauffent dix fois plus qu’un microprocesseur habituel. Autrement dit, ChatGPT consomme dix fois plus d’énergie que le moteur de recherche de Google. Or, les grands acteurs du numérique, Microsoft, Amazon ou Google, sont en train de déployer à coups de dizaines de milliards des centres de données adaptés à cette nouvelle technologie dans le monde entier.

      (...)

      Voilà qui est excellent pour les compagnies d’électricité dont les profits s’envolent, mais qui pose un défi de plus pour la transition énergétique. On avait prévu le basculement progressif des voitures vers l’électricité, mais pas que l’intelligence artificielle allait la devancer avec autant de vigueur. Créer autant de problèmes nouveaux que l’on voulait en résoudre, c’est cela aussi la malédiction de Prométhée.

  • Le ministre des transports autorise l’expérimentation de taxis volants à Paris pendant les Jeux olympiques
    https://www.lemonde.fr/economie/article/2024/06/13/le-ministre-des-transports-autorise-l-experimentation-de-taxis-volants-a-par

    .... les VTOL de Volocopter n’ont pas encore obtenu de certification autorisant une exploitation commerciale. Il n’empêche, cette expérimentation est une petite victoire pour Groupe ADP et ses partenaires, en l’occurrence la RATP, la région Ile-de-France et la Direction générale de l’aviation civile.
    Les promoteurs de l’opération ont dû éviter nombre d’obstacles. Le moindre étant finalement celui placé par l’Agence européenne de la sécurité aérienne (EASA). Cette dernière a imposé aux VTOL des normes de certification aussi sévères que pour un avion de ligne. Un taxi volant développé par le constructeur américain Joby s’était il est vrai crashé en Californie, en février 2022. Il s’agissait toutefois d’un engin différent de ceux de Paris car sans navigateur, et piloté à distance.

    Outre les contraintes techniques, le projet taxis volants est finalement, grâce à l’autorisation ministérielle, passé à travers plusieurs censures administratives et politiques. En septembre 2023, l’Autorité environnementale avait rendu un avis défavorable à l’exploitation des taxis volants le temps des JO. Selon elle, l’étude d’impact du vertiport d’Austerlitz était « incomplète ». L’autorité jugeait les appareils pas assez sobres en termes de consommation électrique et trop bruyants pour décoller et atterrir sur une barge ancrée dans la capitale. La mairie de Paris, s’était aussi fortement opposée aux VTOL. Le Conseil de Paris avait, en novembre 2023, rendu un avis négatif qualifiant le projet « d’absurde » et « d’aberration écologique ».

    Une vitrine du savoir-faire français

    Nouveau coup dur, en février, le commissaire chargé de mener une enquête publique a estimé qu’installer un vertiport dans Paris générerait trop de #nuisances. A l’époque, il considérait que « les gains potentiellement apportés par le projet ne justifient pas les inconvénients qui seront supportés pendant l’expérimentation ». Toutefois, le dernier mot devant revenir au ministre des transports, ce dernier a finalement décidé de donner son aval aux taxis volants, considérés comme une vitrine du savoir-faire français à l’occasion des Jeux olympiques.

    In fine, au sortir des jeux, « les taxis devraient obtenir leur certification, attendue fin septembre, début octobre, pour voler au-dessus des zones habitées », annonce M. Arkwright. Une manière pour les promoteurs du programme de « démontrer le potentiel technique et commercial » des VTOL, explique le directeur général d’ADP. En effet, avec la certification les taxis pourront transporter un passager payant à chaque vol. Le prix de la course a été estimé autour de 110 euros.

    Enfin, avec le sésame de l’EASA en poche, Groupe ADP pourra aussi tester « des vols sanitaires avec l’Assistance publique, hôpitaux de Paris », ajoute M. Arkwright. Le vertiport d’Austerlitz n’a pas été choisi au hasard. Il est tout proche de l’hôpital de la Pité-Salpétrière. « Sans expérimentation, il est difficile de répondre aux interrogations légitimes liées au projet dont nous sommes convaincus de l’utilité, notamment en matière sanitaire », a conclu Augustin de Romanet, PDG de Groupe #ADP.

    #Paris

  • Espoirs et déboires de la construction en terre
    https://www.lemonde.fr/economie/article/2024/06/11/espoirs-et-deboires-de-la-construction-en-terre_6238750_3234.html

    La déception est à la hauteur des espoirs soulevés lors de l’inauguration de l’atelier, en novembre 2021. Le bâtiment, dont les grandes baies donnent sur les arbres du parc voisin, est splendide. Il est surtout le navire amiral d’une communauté qui cherche des alternatives au tout #béton et voit dans la #terre_crue, matériau local, réutilisable à l’infini, universel – « avec l’eau, la terre est un des rares communs partagés par tous », rappelle M. Delon – une solution aux deux grands maux de la construction : l’émission de gaz à effet de serre et la production démesurée de déchets.

    L’idée est séduisante : avec les terres excavées du Grand Paris, on allait produire des briques, des enduits, des mortiers. Avec, on bâtirait des écoles, des médiathèques, des logements. La ressource ne manque pas. A lui seul, le nouveau métro, le Grand Paris Express, doit sortir 47 millions de tonnes de terre. Soit 27 centimètres de plus à étaler sur toute l’Ile-de-France.

    #Paris #remblais #construction_en_terre #BTP

  • « Moins de médicaments » : l’étonnante offensive des laboratoires pour réduire les prescriptions
    https://www.lemonde.fr/economie/article/2024/06/05/moins-de-medicaments-l-etonnante-offensive-des-laboratoires-pour-reduire-les

    Les industriels pharmaceutiques lancent une campagne nationale visant à promouvoir la sobriété médicamenteuse auprès des patients de plus de 65 ans. Objectif : baisser le train des dépenses de l’Assurance-maladie.
    Par Zeliha Chaffin

    « Réduisons le volume. Moins de médicaments, c’est médicamieux. » Voilà un cheval de bataille que l’on n’imaginait pas venant des industriels pharmaceutiques, dont le modèle économique repose sur les ventes de médicaments. Le Leem, l’organisation professionnelle représentant les laboratoires, a pourtant dévoilé, mardi 4 juin, un plan d’action pour promouvoir la sobriété médicamenteuse.
    Lire aussi | Le risque de pénurie de médicaments a encore fortement augmenté en 2023

    Elaboré sur une durée de trois ans, ce dernier, qui sera décliné en trois volets, vise à sensibiliser les patients à leur consommation de médicaments. Car, si les Français ne sont plus, depuis 2018, les champions européens en la matière, ils restent encore en bonne position sur le podium, juste derrière l’Allemagne.
    Or ces prescriptions à rallonge ne sont pas toujours sans conséquences sur la santé, la prise simultanée de plusieurs médicaments amplifiant les risques d’interactions (perte d’efficacité, effets indésirables) entre les traitements. « Ainsi, pour chaque nouvelle spécialité ajoutée à une prescription, la probabilité qu’un patient souffre d’un effet indésirable lié au médicament augmente de 12 % à 28 % », note l’Assurance-maladie.

    Les patients âgés de plus de 65 ans, qui cumulent souvent plusieurs pathologies, sont particulièrement concernés. Près de la moitié d’entre eux prennent au moins cinq médicaments différents par jour, et 14 % en avalent même plus de dix quotidiennement. C’est justement auprès de cette population que le Leem démarre la première étape de son plan triennal. A partir du 9 juin, une campagne nationale de communication débutera dans les médias, sur les réseaux sociaux et, en septembre, sur les panneaux d’affichage publicitaires afin d’attirer l’attention sur les risques de la polymédication.

    2 millions d’euros déboursés

    En parallèle, des campagnes d’information et de formations seront déployées auprès des médecins généralistes. Un outil d’aide à la prescription sera également mis à leur disposition. Ce dernier les alertera au moment de la rédaction de l’ordonnance, lorsqu’un patient de plus de 65 ans dépasse le seuil de cinq médicaments, pour inviter le médecin à « réviser l’ordonnance ». Car, là aussi, les Français sont dans le peloton de tête : « 80 % des consultations de médecine générale donnent lieu à une prescription en France. Aux Pays-Bas, c’est 43 %, soit moins d’une consultation sur deux », observe Paul Frappé, président du Collège de la médecine générale.

    Au total, le Leem a déboursé 2 millions d’euros pour financer ce premier volet, qui sera suivi, dès 2025, de deux autres : l’un ciblant la consommation d’antibiotiques et l’autre visant à lutter contre le gaspillage de médicaments.

    Cette initiative des laboratoires pharmaceutiques n’est toutefois pas fortuite. Derrière l’enjeu de #santé_publique, elle répond aussi à l’engagement pris par les industriels auprès du gouvernement dans le cadre de la loi de financement de la Sécurité sociale pour 2024. Afin de réduire le train des dépenses, l’Etat avait fixé aux laboratoires un objectif annuel d’économies de 300 millions d’euros par le biais des baisses de volumes de ventes de #médicaments.

    #industrie_pharmaceutique

  • « Des électeurs ordinaires » : à la découverte de la vision racialisée du monde des partisans du RN

    Le sociologue Félicien Faury décortique la mécanique du vote Rassemblement national, après un travail de terrain réalisé entre 2016 et 2022 dans le sud-est de la France.

    [...]

    Ses conversations avec les électeurs donnent à voir des « logiques communes », un rapport au monde qui oriente vers le vote Le Pen. « Les scènes fiscales, scolaires et résidentielles deviennent les théâtres de compétitions sociales racialisées, dans lesquels les groupes minoritaires, construits et essentialisés en tant que tels, sont perçus et jugés comme des concurrents illégitimes », décrit l’auteur. La prégnance de cette vision du monde dans le quartier ou au travail conduit à légitimer le vote Le Pen, à le priver de son stigmate de l’extrémisme et, in fine, à le renforcer.

    A l’automne 2023, un débat avait opposé deux interprétations du vote populaire pour le RN, que l’on peut ainsi schématiser : d’un côté, les économistes Julia Cagé et Thomas Piketty, auteurs d’une somme de géographie électorale (Une histoire du conflit politique, Seuil, 2023), pour qui les inégalités socio-économiques sont le principal déterminant du vote RN ; de l’autre, le sondeur de l’Institut français d’opinion publique, Jérôme Fourquet, qui, dans La France d’après. Tableau politique (Seuil, 2023), soulignait le primat de la question identitaire.

    Le travail de terrain de Félicien Faury invite à pencher fortement en faveur de la seconde analyse. Il dissèque la manière dont les expériences de classe de l’#électorat RN rejoignent toutes la question raciale. Le chercheur prend toujours soin de situer cette vision raciste dans le contexte d’une société où se perpétuent les processus de racialisation. De la part d’électeurs en risque de déclassement social, écrit-il, « le vote RN doit aussi se concevoir comme un vote produit depuis une position dominante sur le plan racial, dans l’objectif de sa conservation ou de sa fortification ».
    https://www.lemonde.fr/idees/article/2024/05/24/des-electeurs-ordinaires-a-la-decouverte-de-la-vision-racialisee-du-monde-de

    https://justpaste.it/a4997

    #extrême_droite #RN #racisme #livre

    • Dans l’électorat du RN, « le racisme s’articule à des expériences de classes » | entretien avec Félicien Faury
      https://www.mediapart.fr/journal/politique/010524/dans-l-electorat-du-rn-le-racisme-s-articule-des-experiences-de-classes

      Ce que j’essaie de démontrer dans mon livre, c’est que le vote RN est une modalité parmi d’autres de participation aux processus de #racialisation. Il est le fruit d’une vision raciste qui s’articule à une expérience de classe particulière, de sorte qu’elle est politisée de manière spécifique en direction de ce parti.

      https://justpaste.it/51uy6
      #islamophobie

    • Félicien Faury, politiste : « Pour les électeurs du RN, l’immigration n’est pas uniquement un sujet identitaire, c’est aussi une question socio-économique »
      https://www.lemonde.fr/idees/article/2024/06/14/felicien-faury-politiste-pour-les-electeurs-du-rn-l-immigration-n-est-pas-un

      Le vote #RN, à la fois protestataire et conservateur, exprime un attachement inquiet à un ordre que ses électeurs estiment menacé, explique le chercheur, spécialiste de l’extrême droite.
      Propos recueillis par Anne Chemin

      Rattaché au Centre de recherches sociologiques sur le droit et les institutions pénales, rattaché au CNRS, le sociologue et politiste Félicien Faury travaille sur l’extrême droite. Il est l’auteur de Des électeurs ordinaires. Enquête sur la normalisation de l’extrême droite (Seuil, 240 pages, 21,50 euros), un ouvrage adossé à une enquête de terrain de six ans (2016-2022), qui analyse l’implantation électorale et partisane du Front national, puis du Rassemblement national (RN), dans un territoire du sud-est de la France.

      Comment analysez-vous le geste politique d’Emmanuel Macron qui provoque des élections législatives ?

      Comme beaucoup l’ont souligné avant moi, ce choix repose sur la volonté d’imposer un clivage opposant un parti « central », incarné par Renaissance, et l’extrême droite – avec le présupposé que la gauche sera faible ou divisée. Dans un contexte où le président de la République suscite toujours davantage de défiance, ce clivage a pour effet de faire du RN l’alternative principale au macronisme. Cette situation explique sans doute pourquoi la #dissolution était une demande explicite de Jordan Bardella et de Marine Le Pen – et pourquoi cette annonce a été accueillie par des cris de joie, lors des soirées électorales du RN.

      On dit souvent que les électeurs du RN sont très sensibles aux questions sociales – en particulier au pouvoir d’achat –, mais votre ouvrage montre la place centrale qu’occupe le racisme dans leurs choix électoraux. Comment cette « aversion envers les minorités ethnoraciales », selon votre expression, se manifeste-t-elle ?

      Il faut en fait articuler les deux phénomènes. Les questions sociales comme le pouvoir d’achat sont toujours entremêlées avec des thématiques comme l’immigration et la place des #minorités_ethnoraciales dans la société française. Pour les électeurs du RN, l’immigration n’est pas uniquement un sujet « identitaire » : c’est aussi, et peut-être surtout, une question pleinement socio-économique. Lorsque les immigrés sont spontanément associés au #chômage et aux #aides_sociales, l’immigration se trouve liée, par le biais des impôts et des charges à payer, à la question du pouvoir d’achat. Ce qu’il faut chercher à comprendre, ce n’est donc pas ce qui « compte le plus » – préoccupations de classe ou racisme –, mais selon quels raisonnements ces enjeux sont reliés.

      S’agit-il d’un racisme ouvertement exprimé ou du racisme « subtil » dont on parle parfois pour qualifier, par exemple, le racisme « systémique » ?

      Tout dépend, bien sûr, des profils des personnes interrogées et du contexte de l’interaction, mais il s’agit souvent de propos assez clairs et explicites dans leur hostilité aux minorités ethnoraciales. C’était un enjeu important dans l’écriture de mon livre : il me paraissait nécessaire de rendre compte du racisme qui s’exprime dans beaucoup de discours, mais il fallait aussi prendre garde à ne pas redoubler, dans l’écriture, la violence des propos dans une sorte de voyeurisme malsain. J’ai donc cherché à me limiter à ce qui était nécessaire à l’analyse sociologique.

      Par ailleurs, il existe effectivement des formes plus « subtiles » d’expression du racisme. Le racisme est un fait social multiforme et transversal : on le trouve dans tous les milieux sociaux, mais selon des formes différentes – certaines sont claires, d’autres sont plus policées ou plus discrètes. L’extrême droite et ses électorats n’ont en rien le monopole du racisme : il y a du racisme dans le vote RN, mais ce vote n’est qu’une forme parmi d’autres de participation aux inégalités ethnoraciales qui continuent à exister dans notre pays.

      Vous évoquez, pour expliquer le sentiment d’injustice et de fragilité ressenti par les électeurs du RN, la notion de « conscience sociale triangulaire » forgée par le chercheur Olivier Schwartz. Comment décririez-vous cette représentation du monde social ?

      La #conscience_sociale_triangulaire désigne le sentiment d’être pris en tenaille entre une pression sociale « par le haut » et une autre « par le bas ». Sur mon terrain, cette double pression est particulièrement ressentie dans sa dimension résidentielle. Les électeurs du RN ont l’impression de se faire « rattraper » par les « quartiers », où logent des #classes_populaires_précarisées souvent issues de l’immigration, mais ils regardent aussi avec inquiétude l’appropriation de certains territoires par des groupes très dotés économiquement. Dans le Sud-Est, beaucoup de familles prospères viennent, en effet, s’installer ou acheter des résidences secondaires, ce qui a pour effet d’engendrer une forte pression immobilière.

      Le « haut » et le « bas » ne sont pas politisés de la même façon chez ces électeurs du RN. La pression par le haut suscite de l’amertume, mais aussi beaucoup de fatalisme. Par contraste, la pression par le bas est considérée comme scandaleuse et évitable, notamment lorsqu’elle est racialisée : les électeurs du RN estiment qu’on aurait pu et dû limiter, voire stopper, une immigration qui est jugée responsable de la dégradation des #quartiers environnants. C’est sans doute un effet du racisme que de faire regarder vers le bas de l’espace social lorsqu’il s’agit de politiser ses aversions.

      L’inquiétude vis-à-vis de l’avenir des électeurs du RN concerne finalement moins l’emploi que des domaines que l’on évoque plus rarement dans le débat public, comme le logement ou l’école. Comment ces thèmes se sont-ils imposés ?

      C’est une spécificité des électeurs du Sud-Est que j’ai interrogés : bénéficiant d’un statut socioprofessionnel relativement stable, leurs craintes ne portent pas spécifiquement sur la question de l’emploi et du chômage. Ils ont des préoccupations socio-économiques bien réelles, mais elles concernent la valeur de leur logement, les impôts et les charges, les aides sociales perçues ou non, ou l’accès à des services publics de qualité.

      La question résidentielle est centrale, surtout dans cette région Provence-Alpes-Côte d’Azur caractérisée par une concurrence exacerbée entre les territoires. La question scolaire, elle aussi, revient souvent dans les entretiens : les électeurs du RN ont le sentiment que l’#école publique « se dégrade », ce qui engendre des inquiétudes d’autant plus vives qu’ils sont souvent peu diplômés : ils ont moins de ressources que d’autres pour compenser les défaillances de l’école. Beaucoup se résignent d’ailleurs à scolariser leurs enfants dans le privé.

      Les électeurs du RN qui estiment que leur situation sociale est fragile comptent-ils sur l’aide de l’Etat ?

      Oui. On est, en France, dans une situation assez différente des Etats-Unis, où l’extrême droite est imprégnée par une idéologie libertarienne. Les électeurs RN croient en l’#Etat et ses missions de protection sociale, mais ils sont très critiques vis-à-vis de ses performances et de ses principes de redistribution. S’agissant des enjeux de redistribution, cette déception s’accompagne d’un sentiment d’injustice qui est souvent racialisé : la croyance selon laquelle la puissance publique privilégierait les « immigrés » et les « étrangers » dans l’octroi des aides sociales est particulièrement répandue.

      Diriez-vous que l’attachement des électeurs du RN au monde stable, familier et rassurant qu’ils disent avoir connu dans le passé fait d’eux des conservateurs ?

      Effectivement, le vote RN est à la fois #protestataire et #conservateur. C’est un vote qui s’exprime depuis la norme : les électeurs ont l’impression qu’elle est fragilisée et qu’il faut la défendre. « C’est pas normal » est l’expression que j’ai le plus souvent entendue. Les électeurs ont le sentiment que « leur » normalité est en train de vaciller peu à peu. Le vote RN exprime un attachement inquiet à un ordre encore existant mais menacé.

      Si le vote en faveur du RN est massif, c’est aussi parce que, dans les territoires que vous avez étudiés, il est « banalisé », dicible, voire légitime. Comment fonctionne cette normalisation progressive du vote RN ?

      La normalisation du RN passe beaucoup par son acceptation progressive au sein du champ politique et de l’espace médiatique, mais aussi par les discussions du quotidien et les interactions ordinaires entre amis, voisins, collègues, en famille. Ce vote est validé par les proches, par les gens qui comptent ou, plus simplement, par les gens qui se ressemblent socialement. Cette normalisation est cependant très loin d’être achevée : pour une part encore très importante de la population, le RN reste un vote illégitime, voire un vote repoussoir. Il n’y a donc rien d’irréversible.

      Beaucoup voient dans le succès du RN un vote de colère, protestataire, voire « dégagiste ». Ce n’est pas votre analyse. Pourquoi ?

      Ce n’est pas faux, bien sûr, mais cette explication m’a toujours semblé incomplète. D’une part, _[et Ruffin devrait accepter d’y penser, ce qui le conduirait peut-être à mettre en cause sa propre aversion pour les étrangers...] la colère exprimée n’est pas une colère « aveugle » qui se distribue au hasard : elle vise prioritairement certains groupes sociaux – je pense notamment aux minorités ethnoraciales, aux « assistés » et à certaines fractions des élites culturelles, médiatiques et politiques. D’autre part, les électeurs n’ont pas toujours un comportement « dégagiste » : la majorité des mairies conquises par le FN en 2014 ont été reconduites lors des élections suivantes, souvent dès le premier tour, avec des scores très impressionnants. C’est peut-être une leçon pour les législatives à venir : lorsque l’extrême droite parvient au pouvoir, souvent, elle s’y maintient. Ses victoires lui permettent de solidifier ses soutiens électoraux et de « transformer l’essai » lors des élections suivantes. Beaucoup d’exemples étrangers abondent dans ce sens.

      Pensez-vous que le RN peut remporter une majorité relative, voire absolue, aux élections des 30 et 7 juillet ?

      Il est très important, pour les chercheurs en science politique, de savoir reconnaître leur ignorance faute d’éléments suffisants. Aujourd’hui, on ne dispose pas de suffisamment d’indices sur la manière dont vont se structurer l’opinion publique et l’offre politique au niveau local pour pouvoir en tirer des conclusions sérieuses.

    • Chez les classes moyennes, un vote marqué par la #peur du #déclassement
      https://www.lemonde.fr/economie/article/2024/06/23/mais-maman-on-est-pauvres-les-classes-moyennes-a-l-heure-du-declassement_624

      Frappées de plein fouet par l’inflation, exclues des dispositifs d’aide destinés aux plus modestes et sans perspectives d’ascension sociale, les classes moyennes se tournent vers le Rassemblement national, traditionnellement plutôt ancré dans les milieux populaires.
      Par Béatrice Madeline

      « Pour nous, la victoire du Rassemblement national [RN], c’est tout sauf une surprise », confie Yvon Le Flohic, médecin généraliste dans un cabinet médical de Ploufragan, dans l’agglomération de Saint-Brieuc. Un morceau de France ordinaire, où le #revenu annuel moyen était de 23 010 euros en 2021, presque identique à la moyenne nationale (23 160 euros). En 2020, on y comptait un quart de retraités. Parmi les personnes en activité, 20 % d’ouvriers, 30 % d’employés, 30 % de professions intermédiaires et 13 % de cadres ou professions supérieures. Le tout, au cœur d’une Bretagne historiquement imperméable aux extrêmes, affectée ni par la désindustrialisation, ni par le chômage ou l’insécurité.

      Pourtant, le 9 juin au soir, la liste de Jordan Bardella est arrivée en tête aux élections européennes dans les Côtes-d’Armor, avec 28,21 % des suffrages (27,11 % à Ploufragan). En 2019, Renaissance était en tête, et Marine Le Pen obtenait 19 % des voix. « Dans notre cabinet, on voit défiler tout le monde, poursuit le médecin. Nous étions sûrs du résultat. Ici, les gens ont la sensation de ne plus être pris en compte, de ne pas être représentés, ils ne croient plus aux institutions. Et cela ne date pas d’hier. »
      A l’échelle du pays, ces classes moyennes ont exprimé ce ressentiment le 9 juin, lors des élections européennes, certains par l’abstention, et beaucoup d’autres en votant en faveur du RN, traditionnellement plutôt ancré dans les milieux populaires. Selon l’analyse réalisée par OpinionWay, 41 % des ménages gagnant entre 1 000 et 2 000 euros par mois ont voté pour Jordan Bardella, et 33 % de ceux aux revenus compris entre 2 000 et 3 500 euros. Une percée sociologique : parmi les employés, le RN a gagné dix points entre 2019 et 2024, et quinze points parmi les professions intermédiaires.

      De plein fouet

      A ce malaise s’est ajouté un ouragan appelé #inflation, qui a fait vaciller les modes de vie et les certitudes. « On n’avait pas vu une telle hausse des prix depuis quarante ans, et à l’époque, tous les salaires étaient indexés sur les prix, rappelle Mathieu Plane, directeur adjoint du département analyses et prévisions à l’Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE). C’est la première fois qu’on vit une telle crise inflationniste sans cette protection. »

      Prises de plein fouet par la flambée des produits de base – l’alimentaire a connu une hausse de 20 % en deux ans, l’électricité de 70 % en cinq ans –, exclues des dispositifs d’aide destinés aux plus modestes, les classes moyennes ont vu leurs habitudes et leurs modes de consommation bouleversés, comme le raconte Elisabeth (elle a préféré garder l’anonymat), 56 ans, installée sur la côte varoise : « Depuis plusieurs années, j’ai pris l’habitude de compter chaque euro lors de mes courses, et je me suis rendu compte que je n’étais pas la seule. Je vois aussi des hommes parcourir les rayons la calculette en main. Et ce n’est pas tout. Chaque dépense est planifiée, je ne peux plus partir en vacances, ni épargner. »

      Les « périurbains » et les ruraux ont été plus pénalisés que les autres. On comptait, au plus fort de la crise, trois points d’écart dans la hausse moyenne du coût de la vie entre eux et ceux vivant dans les centres-villes, selon l’OFCE. Certes, les loyers sont plus élevés dans les métropoles, mais les périurbains ou les ruraux sont bien plus tributaires de leur voiture au quotidien et dépensent davantage en chauffage pour leur logement, souvent une maison individuelle.

      Sous pression, les ménages ont du mal à boucler leurs fins de mois, une fois payées les charges fixes, l’électricité, le carburant, les assurances, et l’alimentation, et encore, en supprimant souvent les produits les plus coûteux. « Aujourd’hui, je ne vais plus au restaurant, à peine au cinéma, encore moins à l’opéra. Je voyage en rêve, je suis à découvert le 15 du mois, je paie mon garagiste en trois fois, et j’achète mes vêtements en seconde main », résume Anne, 50 ans, professeure certifiée à temps partiel et un enfant à charge.

      Des dettes impossibles à apurer

      Pour certains, la crise inflationniste s’est traduite par des dettes impossibles à apurer. « On voit arriver des gens qui n’auraient jamais passé notre porte avant, confirme Laetitia Vigneron, conseillère financière à l’Union des associations familiales (UDAF) du Cher. Des personnes qui travaillent, qui ont des crédits immobiliers ou des crédits voiture. » Entre janvier et mai, le nombre de dossiers de surendettement déposés auprès de la Banque de France a augmenté de 6 % par rapport à 2023. « Le prix des courses a explosé. Les gens n’arrivent plus à s’en sortir. On voit des dossiers de surendettement constitués uniquement de dettes de charges courantes : loyers, assurances, électricité », renchérit Céline Rascagnères, également conseillère financière pour l’UDAF, dans l’Aude.
      Pour ces personnes ni riches ni pauvres, la dégringolade ne se fait pas ressentir uniquement dans le train de vie. Elle est aussi symbolique. « Dans ma tête, un prof faisait partie des classes moyennes supérieures, il pouvait s’offrir deux-trois restos mensuels, des voyages pour le plaisir, des loisirs pour se cultiver, une petite maison pour la retraite et de l’argent pour les enfants, explique Anne, la professeure. Je suis déclassée. » Un sentiment partagé par bon nombre de ses semblables.

      Audrey, une Parisienne de 44 ans, éducatrice spécialisée, gagne 2 100 euros par mois (salaire, prime et pension alimentaire), pour la faire vivre avec son fils : « Le déclassement social, je le vis de la façon suivante : un salaire insuffisant au regard de mes études et de mes responsabilités professionnelles ; le fait de ne pas avoir les moyens de scolariser mon fils dans le privé ; deux semaines de vacances seulement pour moi et une colonie de vacances, en partie financée par la ville, pour mon fils ; la perte de la valeur travail et l’absence d’ascenseur social. »

      Michel, un retraité de 69 ans, est en colère : déposé en février 2024, le dossier de retraite de son épouse, atteinte d’une maladie neurologique, est toujours à l’étude. « En attendant, nous sommes confrontés à des problèmes financiers et à des problèmes de santé, mais nous n’avons aucune aide, car l’on considère que l’on gagne trop ! A ce jour, nous ne faisons qu’un repas sur deux, en mangeant des pâtes et des œufs, et encore, pas toujours. Quel plaisir d’avoir cotisé cinquante-deux ans pour en arriver là ! »

      Précarité nouvelle

      Le sentiment de déclassement s’exprime aussi au travers du regard d’autrui. Installée à Nantes, Catherine, bac + 5, est chargée de communication indépendante, avec des revenus autour de 2 500 euros par mois, « sans aucune perspective de progression ». Elle travaille chez elle, réfléchit depuis deux ans à changer sa voiture sans pouvoir franchir le pas, et ses dernières vacances se résument à une semaine à l’été 2023 dans un village éloigné du Limousin. Mais c’est face à sa fille que la conscience de sa précarité nouvelle la taraude le plus. « L’autre jour, elle a voulu que je lui achète un pull à 90 euros, à la mode chez ses copines. J’ai dit non. Elle s’est exclamée : “Mais, maman, on est pauvres ?” »

      Anne, Audrey et Catherine incarnent la fragilisation financière des familles monoparentales, essentiellement des mères célibataires. Un tiers des pensions alimentaires reste impayé, et le taux de pauvreté dans leurs rangs atteint 32,3 %, contre 14,5 % pour l’ensemble de la population, selon des données de la Caisse d’allocations familiales ou de l’Institut national de la statistique et des études économiques. Faut-il y voir un lien ? Parallèlement, le vote RN a progressé de manière spectaculaire chez les femmes : dix points entre 2019 et 2024, contre trois seulement chez les hommes, indique Ipsos. « Tenant à distance l’héritage viriliste et sexiste de son père, Marine Le Pen se présente comme une femme moderne, mère de famille, divorcée, travaillant, affichant sa “sensibilité à la cause féminine” », rappelait la philosophe Camille Froidevaux-Metterie dans une tribune du Monde du 13 juin.

      Le sentiment de déclassement se voit parfois dans le regard des enfants, mais se mesure toujours par rapport à la génération précédente. « Moins bien que mes parents », déplore Tim, ingénieur dans la fonction publique, quand il parle de l’appartement de 68 mètres carrés qu’il a « difficilement » pu acquérir à Grenoble avec le fruit de son travail. Et il craint que sa propre descendance ne vive la même mésaventure. « Malgré une vie peu dépensière, je peine à épargner et à financer pour mes enfants des études équivalentes à celles que j’ai pu suivre, enchaîne-t-il. En somme, je vis moins bien que mes parents, et la dynamique est à la dégradation. »

      « L’absence de perspectives, la difficulté de dessiner une trajectoire ascendante » font partie des désillusions des classes moyennes, souligne Nicolas Duvoux, sociologue à l’université Paris-VII, qui évoque l’érosion des « possibilités de vie ». Une érosion qui va en s’accentuant, s’inquiète le chercheur. « La précarité sur le marché du travail est devenue la norme, explique-t-il, particulièrement pour les jeunes. Or, la précarité dans l’emploi se traduit par l’impossibilité de construire sa vie de manière durable. Cela ronge le corps social. »

      En vain

      Confrontés à cette précarisation, les jeunes se sentent en outre comme rejetés des villes où ils ont parfois grandi, et souhaiteraient vivre. A 35 ans, Antoine, Bordelais, salarié dans l’associatif, voudrait acheter un 40 mètres carrés dans sa ville : « Impensable avec un smic seul. » Parisiens, Patrick et son épouse, deux enfants, cherchent à s’agrandir. En vain. « Impossible pour nous, couple d’ingénieurs, d’avoir plus de trois pièces. Même les logements sociaux auxquels nous avons droit sont au-dessus de notre budget. Nous voilà moins bien lotis qu’un ouvrier des années 1960 », tranche l’homme de 35 ans. Le problème est encore aggravé dans les régions très touristiques, où les résidences secondaires et autres meublés assèchent le marché pour les locaux, contraints d’aller habiter loin de leur travail – et d’avoir une voiture, qui plombe définitivement le budget.

      Au fond, les classes moyennes « ont une vision ternaire de la société, décrypte le politologue Jérôme Fourquet : « Pour eux, il y a en bas les plus pauvres, les assistés, et au-dessus les riches qui se gavent. Ils ont le sentiment d’être trop riches pour être aidés, trop pauvres pour s’en sortir, et d’être taxés pour financer un modèle social auquel ils n’ont plus accès. Le pacte social implicite, qui est de payer ses impôts mais, en retour, d’en avoir pour son argent, est rompu. »

      Or la gauche, elle, oppose aujourd’hui une vision « binaire », estime M. Fourquet, qui repose sur l’idée du peuple contre les élites – un schéma dans lequel les catégories intermédiaires ne se retrouvent pas : « Le RN, en faisant par exemple de la #voiture un thème politique, a réussi à créer une proximité avec les classes moyennes, qui se sentent enfin prises en compte. »