Des analyses génétiques réalisées sur les défunts que renfermaient les tumulus celtiques les mieux conservés d’Allemagne confirment des liens de parenté entre eux longtemps soupçonnés. Plus surprenant : dans certains de ces clans, le pouvoir semblait se transmettre par les mères.
Si de nombreuses zones d’ombre planent encore au-dessus de l’histoire des Celtes, c’est en partie parce que ces peuples originaires du centre de l’Europe n’ont laissé aucune source écrite, à l’exception de documents épigraphiques (autrement dit, d’inscriptions sur des monuments, de graffitis ou encore de monnaies). Aussi les archéologues doivent-ils s’appuyer presque uniquement sur les objets, en grande partie remontés des tombes, pour espérer pouvoir faire quelques déductions.
Nos connaissances s’amincissent encore plus pour la période appelée parfois « celtique précoce », qui correspond au Premier Âge du fer en Europe (de 800 à 450 avant notre ère) et à une culture archéologique bien spécifique : celle de Hallstatt, qui prend racine au nord des Alpes dès 1100 av. notre ère, bien que les historiens tendent désormais à élargir cette zone.
Aujourd’hui, des pans entiers de l’organisation des sociétés celtes associées cette culture nous échappent encore, à commencer par leur démographie ou la façon dont le pouvoir s’y transmettait. L’accès au trône était-il régi par les liens du sang ? Ou des actes héroïques pouvaient-ils permettre à quiconque de l’occuper un jour ? Les débats ne sont toujours pas clos. La place des femmes, elle aussi, reste obscure, même si certaines sources indirectes comme les textes des historiens romains Tacite, Ammien Marcellin ou Dion Cassius font mention de femmes celtes sur le champ de bataille et jouissant d’une certaine liberté sexuelle (du moins, il faut croire, plus grande que celle des femmes de l’Empire !).
Dynasties matrilinéaires
Pour la première fois, des analyses génomiques viennent apporter des éléments de réponses à ces interrogations. Relayés le 3 juin 2024 dans la revue Nature Human Behavior, les résultats obtenus par des chercheurs de l’Office national pour la conservation des monuments historiques du Bade-Wurtemberg et de l’Institut Max Planck d’anthropologie évolutive (MPI-EVA) de Leipzig permettent d’établir qu’au moins certains clans celtiques tournaient autour de dynasties matrilinéaires plutôt que patrilinéaires. Autrement dit, le pouvoir y était transmis par les mères plutôt que par les pères.
Repère géographique. La culture dite de Hallstatt (800 à 450 avant notre ère), localisée au nord des Alpes dans une partie de la France, du sud de l’Allemagne et de la Suisse actuelles, précède celle de La Tène (après 450 avant notre ère jusqu’au début de la période romaine vers 50 avant notre ère), ou second Âge du fer. Durant cette seconde période, que l’on considère comme l’apogée de la culture celtique, les peuplades celtes migrèrent partout en Europe, de l’Irlande à l’Anatolie centrale. On les retrouve bien entendu dans toute la Gaule.
L’équipe s’est appuyée sur des échantillons de dents et d’os de l’oreille interne prélevés sur 31 individus inhumés dans les tumulus de Fürstengräber à Eberdingen-Hochdorf et à Asperg-Grafenbühl, en Allemagne. Ces tombes monumentales, qui comptent parmi les sépultures celtes les plus somptueuses jamais retrouvées pour toute la culture de Hallstatt, auraient été refermées vers 530 av. notre ère. Chariots de cérémonie, meubles, bijoux en or, services de table complets, objets précieux importés de Grèce ou du monde étrusque… Les artéfacts luxueux y reposaient en quantité aux côtés des défunts, membres d’une élite princière qui furent sans doute commémorés comme des ancêtres héroïques longtemps après leur mort.
Oncle et neveu
Deux princes enterrés à une dizaine de kilomètres l’un de l’autre ont particulièrement retenu l’attention des chercheurs. Et pour cause : ils seraient, selon les analyses ADN, oncle et neveu. « Sur la base des dates de décès assez précises, des estimations de l’âge au décès et de la similarité génétique des deux princes, un seul scénario est envisageable, celui de l’oncle et du neveu », a déclaré Stephan Schiffels, co-auteur de l’étude et chercheur en archéogénétique à l’Institut Max Planck. « Plus précisément : la sœur du prince de Hochdorf était la mère du prince d’Asperg ». Les spécialistes se doutaient depuis longtemps que les deux princes des tumulus de Hochdorf et d’Asperg étaient apparentés. Mais c’est la première fois que cette hypothèse est confirmée scientifiquement.
Le séquençage génomique des autres corps des deux tumulus, ainsi que d’un troisième plus éloigné construit environ un siècle plus tôt - le tumulus de Magdalenenberg - révèle une autre information : le groupe aurait une origine génétique située dans l’actuelle France et en Italie, laissant entendre que les Celtes de cette région (aujourd’hui, le land du Bade-Wurtemberg), descendaient de parents vivant dans ces régions.