Depuis la loi « antisquat », « les décisions d’expulsions sont devenues plus rapides et plus nombreuses »
(...) Pour Christophe Demerson, qui a longtemps présidé l’Union nationale des #propriétaires immobiliers et dirige maintenant son magazine, « cette loi a un peu rassuré les #propriétaires_bailleurs, même si la décision du Conseil constitutionnel a brouillé le message », dit-il en écho à la censure, par les juges constitutionnels, d’un article qui exonérait le propriétaire de son obligation d’entretenir un #logement squatté et de sa responsabilité en cas de dommage à un tiers dû à un défaut d’entretien. « J’ai l’impression qu’on voit moins de modes d’emploi du squat en ligne », salue-t-il également.
« Situations surréalistes »
Le constat que dresse Thibaut Spriet, secrétaire national du Syndicat de la magistrature, concernant les #impayés_de_loyer, est négatif. « Il y a de plus en plus de procédures lancées pour de petites dettes, et les possibilités et les délais pour trouver des solutions ont été considérablement réduits. » Avec la nouvelle loi, le juge n’est plus en mesure d’accorder d’office des délais de paiement à un locataire. Il est requis que celui-ci en fasse la demande – or, la plupart des locataires ne sont pas au courant et ne sont pas présents à l’audience – et qu’il ait repris « le paiement du loyer courant ». De plus, ces délais de paiement ont été ramenés de trois ans à un an maximum.
L’imprécision du texte lui vaut d’être diversement interprété : certains juges demandent que ce « #loyer courant » inclue les charges et les aides au logement, même si la CAF a parfois suspendu le versement de ces dernières. L’avocate Anne Caillet, qui défend beaucoup de #locataires de Seine-Saint-Denis, rapporte « des situations surréalistes, telle cette mère d’un très jeune enfant, expulsée pour une dette de 1 500 euros, alors qu’elle avait réglé son dernier loyer, hormis 20 euros de charges ».
Autre grief : les délais sont accordés en fonction de la « bonne foi » du locataire. « L’un de ceux que nous accompagnons a été considéré de mauvaise foi parce qu’il avait réussi à régler deux loyers avant l’audience, ce qui était censé montrer qu’il avait les moyens d’éviter les impayés », a témoigné Marianne Yvon, responsable de l’Espace solidarité habitat de la Fondation Abbé Pierre, à Paris, lors d’une conférence de presse, le 4 juin.
Une menace d’amende qui pèse très lourd
Un des aspects très contestés de la loi a été la création d’une #sanction_pénale, sous la forme d’une #amende de 7 500 euros, à l’encontre des locataires qui se maintiennent dans les lieux à l’issue des délais fixés par la procédure d’#expulsion. Les observateurs n’ont pas connaissance de propriétaires ayant lancé de telles poursuites. « Mais cette menace d’amende, assortie d’une inscription au casier judiciaire, pèse très lourdement, surtout pour les locataires qui ne pourraient pas renouveler leur titre de séjour s’ils étaient ainsi condamnés », selon Marianne Yvon.
Quant aux quelques mesures visant à améliorer la prévention des expulsions, elles dépendent en partie de décrets d’application que le gouvernement n’a pas encore publiés. « C’est notamment le cas d’une disposition donnant aux commissaires de justice [ex-huissiers de justice] un rôle social, par la collecte d’informations auprès des locataires auxquels ils remettent un commandement de payer », souligne Benoit Santoire, président de la Chambre nationale des commissaires de #justice.
Me Caillet résume le sentiment général : « Les décisions d’expulsion sont devenues plus rapides et plus nombreuses. » Une impression qui ne peut pas être corroborée par le ministère de la justice, puisqu’il a cessé de décompter ces décisions après 2019. Le seul chiffre connu est celui des expulsions forcées – quand le propriétaire a demandé et obtenu le concours de la force publique, si le locataire n’est pas parti de lui-même à l’issue de la procédure.
En 2023, 21 500 ménages ont été expulsés, en hausse de 23 % en un an, mais c’est le chiffre de 2024 qui permettra de vraiment mesurer l’impact de la nouvelle loi : du fait de l’engorgement des tribunaux, « il faut compter cinq à dix-huit mois pour obtenir une décision du juge », relève Benoît Santoire. Me Caillet s’attend à une forte progression en Seine-Saint-Denis : « Le préfet accorde parfois en quelques jours le concours de la force publique, alors qu’il faut attendre plusieurs mois avant d’obtenir une audience pour demander un délai avant de quitter les lieux. » Et ce délai ne peut excéder un an, au lieu de trois ans précédemment.
Peines multipliées par trois
La répression des #squats s’est, elle aussi, intensifiée, selon l’avocat Matteo Bonaglia, qui cite l’exemple d’« une dame de 72 ans, laissée avec tous ses meubles sur le trottoir ». Il ne s’en étonne pas : « C’est parce que la #loi_Kasbarian-Bergé augmente mécaniquement les expulsions, et donc le nombre de ménages susceptibles de se tourner vers le squat faute de logements abordables et d’hébergements d’urgence, qu’elle comporte aussi un important volet antisquat. »
Les peines ont été multipliées par trois, pour atteindre jusqu’à trois ans de prison et 45 000 euros d’amende en cas de squat de domicile. Le nombre de procédures engagées au pénal pour maintien dans les lieux à la suite d’une violation de domicile a progressé de 25 % depuis l’entrée en vigueur de la loi : il est passé de 299 sur la période août-décembre 2022 à 374 sur la période août-décembre 2023, selon les chiffres communiqués au Monde par le ministère de la justice. Idem pour les condamnations, passées de 83 à 104.
La nouvelle loi a aussi facilité les expulsions de squats , au point que le passage devant un juge judiciaire est devenu « rarissime », selon Matteo Bonaglia. Il est maintenant possible de demander au préfet une expulsion forcée accélérée, sous sept jours, pour le squat de tout local d’habitation, même inhabité, alors que cela n’était auparavant possible, sous quarante-huit heures, que pour le squat d’un domicile (depuis 2007) ou d’une résidence secondaire ou occasionnelle (depuis 2020). De plus, le squat de tout local à usage d’habitation, ou à usage commercial, agricole ou professionnel, « c’est-à-dire le squat de la quasi-totalité des bâtiments », décrypte Me Bonaglia, est devenu passible de deux ans de prison et de 30 000 euros d’amende, alors que seule la violation de domicile était jusqu’ici considérée comme un délit.
« Les forces de l’ordre interviennent désormais sur la base de ce nouveau délit, placent les occupants en garde à vue et restituent dans le même temps le bâtiment au propriétaire, ce qui constitue une expulsion de fait, illégale, selon moi, aussi longtemps que l’infraction n’est pas caractérisée », décrit l’avocat. Dans ce cas de figure, comme lors d’une expulsion forcée accélérée, le propriétaire évite une procédure #contradictoire devant un juge judiciaire, qui aurait pu accorder un délai avant l’expulsion et/ou le bénéfice de la trêve hivernale. Cela confirme, selon Matteo Bonaglia, que « l’esprit qui anime cette loi est celui d’une protection absolue de la #propriété_privée et de la #rente_locative, au préjudice des plus vulnérables ».
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