Le bâtiment de la rue de Stalingrad occupé par le Collectif Gambetta, à Montreuil (Seine-Saint-Denis), le 22 août 2023. VICTORIA LEMAIRE/LE MONDE
Le 22 août, le Collectif de Gambetta a annoncé l’occupation d’un bâtiment vide de Montreuil après s’être vu refuser un délai supplémentaire dans son squat précédent. Un début d’occupation sous tension avec la crainte d’une expulsion à effet immédiat.
Devant un bâtiment a priori abandonné à la façade ornée de street art, rue de Stalingrad à Montreuil (Seine-Saint-Denis), une cinquantaine de personnes s’étaient rassemblées en fin d’après-midi, jeudi 22 août. De la musique, une table avec des rafraîchissements, des enfants qui jouent… Malgré les apparences joyeuses, l’inquiétude se faisait sentir. Une partie des quarante familles du Collectif de Gambetta occupait alors cet immeuble désaffecté depuis le 14 août, après la notification par la justice qu’aucun délai d’occupation supplémentaire ne leur était accordé dans le squat de la rue Gambetta qu’ils occupaient depuis deux ans. Dans les deux cas, il s’agit de « bâtiments vides d’usage depuis longtemps. Ce sont des gens qui luttent pour avoir un toit, mais ils n’enlèvent pas leur toit à d’autres », précise une habitante membre du collectif de soutien, qui a souhaité conserver son anonymat.
Les habitants et leurs soutiens ont décidé, après une semaine d’occupation de ce nouveau squat rue de Stalingrad, de se montrer. « Ici, nous ne voulons pas détruire, voler ou casser, nous avons de bonnes intentions et souhaitons entretenir ce bâtiment où nous sommes installés depuis une semaine », explique l’une des habitantes du squat, qui a refusé de donner son nom. Le collectif a tenté d’entrer en contact avec le propriétaire, le promoteur immobilier Sopic, afin de négocier une convention d’occupation temporaire qui leur permettrait de rester.
Ce type de contrat consiste à « occuper le bâtiment sur une période donnée, en prendre soin, et le restituer au propriétaire dès lors qu’il a un projet dans le lieu concerné », explique Célia Mougel, juriste et chargée d’études à l’observatoire des expulsions des lieux de vie informels. Elle déplore que ce dispositif ne soit pas davantage connu : « Il y a tellement de bâtiments vides qui concernent de grands promoteurs ou des collectivités, ce genre de contractualisation est l’une des voies pour pallier le manque de logements et la grande précarité des personnes qui sont contraintes de se retrouver en squat. »
Un nouveau délit avec la loi « antisquat »
Les membres du Collectif de Gambetta, qui comprend beaucoup de femmes enceintes ou avec des enfants, craignent avant tout d’être visés par une expulsion immédiate, sans passage devant un juge. Une membre du collectif de soutien explique : « Soit [les autorités] attendent qu’il y ait une procédure judiciaire, soit [elles] se saisissent du biais criminalisant de la loi Kasbarian-Bergé, qui permet à la police d’entrer dans le bâtiment » et de procéder à une expulsion immédiate.
La loi Kasbarian-Bergé du 27 juillet 2023, dite « antisquat », crée un délit relatif à l’introduction sans autorisation du propriétaire dans un bâtiment à usage commercial, agricole, professionnel ou d’habitation, ne se limitant donc pas aux seuls locaux à usage d’habitation, comme cela était le cas auparavant. Pour constituer le délit prévu et réprimé par le nouvel article 315-1 du code pénal, l’introduction dans le local doit être effectuée « à l’aide de manœuvres, de menaces, de voie de fait ou de contraintes ».
Ce critère n’est cependant pas toujours respecté dans les procédures d’expulsion, selon Matteo Bonaglia, avocat spécialisé en droit du logement. Il explique : « Informées de l’occupation d’un bâtiment, [les autorités] ne cherchent pas à savoir comment les gens sont entrés, si le délit est caractérisé ou pas, elles y vont et interpellent tout le monde. Le temps de la garde à vue, le bâtiment est restitué au propriétaire et, après, il n’y a, en général, pas de procédure pénale, car le délit n’est pas caractérisé, mais le mal est fait. »
L’avocat craint « qu’en ayant créé ce délit on finisse par se dispenser complètement de la voie de droit naturelle qui est celle du contrôle d’une mesure aussi grave que l’expulsion par un juge indépendant et impartial », puisque les personnes visées n’auraient ni moyen de se défendre en étant entendues par un juge ni délai de prévenance. Contactée, la Préfecture de police de Paris n’a pas donné suite.
« L’effet domino » du manque de logements sociaux
Les membres du Collectif de Gambetta, pour la plupart en situation irrégulière, redoutent ce type de procédure accélérée, pouvant les amener en garde à vue, puis en centre de rétention administrative et éventuellement jusqu’à une expulsion hors du territoire. L’Observatoire des expulsions collectives de lieux de vie informels recense un nombre d’expulsions de squats en hausse de 54 % en France, passant de 132, entre juillet 2022 et juillet 2023, à 203 sur la même période l’année suivante.
La perspective d’une convention avec le propriétaire du bâtiment constitue une lueur d’espoir pour les membres du Collectif de Gambetta, qui ont, pour la plupart, connu la rue avant de rejoindre le squat. Plusieurs racontent avoir tenté pendant longtemps, et parfois encore aujourd’hui, de trouver un hébergement d’urgence avec le 115. Maxence Delaporte, directeur général adjoint d’Interlogement93, l’association qui gère le numéro vert destiné aux sans-abri (le 115) en Seine-Saint-Denis, explique que celui du département est « l’un des plus saturés de France, le deuxième après Paris en volume ».
En 2023, l’association a comptabilisé une hausse de 36 % par rapport à 2022 des demandes de mise à l’abri, et une hausse de 54 % des demandes non pourvues. Plaidant pour une augmentation des moyens alloués à l’hébergement d’urgence, il ajoute : « Bien sûr, c’est mieux d’être à l’hôtel qu’à la rue, mais nous aspirons à une augmentation du nombre de logements sociaux pour loger tout ce monde. »
Une ligne tenue également par la Fondation Abbé Pierre, qui agit contre l’exclusion. Marie Rothhahn, responsable de la lutte contre la privation des droits, dénonce « l’effet domino » du manque de logements sociaux : « Si on avait construit assez de logements sociaux, ils serviraient aux personnes en situation régulière, et l’hébergement d’urgence à celles en situation irrégulière. » Elle estime, par ailleurs, que l’« on entend parler insuffisamment du logement dans le discours public », alors qu’il y avait, en 2023, 4,1 millions de personnes privées de logement personnel ou vivant dans des conditions très difficiles.
A côté d’une banderole « Solidarité avec l’occupation, un toit c’est un droit », les membres du Collectif de Gambetta ont affiché une souscription à un contrat d’électricité et des photos prouvant l’occupation, espérant ainsi se prémunir d’une expulsion sans délai et trouver un peu de stabilité.