« Petit article érudit sur l’impasse de la stratégie politique de François Ruffin, qui, comme d’autres avant lui ayant échoué, pense rallier des électeurs à gauche en utilisant les catégories de droite et en hiérarchisant les luttes sociales. »
Le ruffinisme comme impasse politique ou pourquoi refonder l’école du parti.
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Après s’être assis sur le résultat des législatives, l’exécutif du capital et ses chaisières journalistiques hésitent encore entre la nuance de droite extrême et celle d’extrême-droite pour leur complet maroquin. Ces fous du volant, inconscients que la course est perdue changent deux pneus vite fait et espèrent attaquer plein gaz la sortie des stands.
Tout en préparant la lutte tactique, réaffirmer les ancrages stratégiques de l’antifascisme et de l’antiracisme est un impératif catégorique pour la gauche – qu’elle soit de rupture ou révolutionnaire. Or François Ruffin1 enchaîne les bourdes en utilisant la grammaire de l’adversaire contre son propre camp – on peut en juger aux soutiens qu’il reçoit, allant de la gauche de droite jusqu’à la droite de la droite – le parti de la bourgeoisie anti-arabe unifié qui ne votera jamais pour lui : 100 % des cocus auront tenté leur chance. Impasse stratégique de l’œcuménisme, et validation a contrario de la stratégie des gains par ruptures. Elle renvoie au concept du franchissement de col du billet inaugural. Les masses font toujours effraction2. Structurellement.
Notre proposition institutionnelle semblera faire exception, non pour sa mise en place certes, mais en régime établi. En fait, elle ne fait que réguler la dissipation énergétique cocotte-minutesque révolutionnaire et la réinvestit intégralement – sans reste dénié de sa part économique/productive – et en permanence, dans des formes organisées de conflictualité politique. Elle se veut le modèle d’un dissipateur idéal.
Au sujet de la structuration idéologique, on a déjà rappelé ce double principe pratique d’autonomie des luttes émancipatrices et de respect mutuel. Nous devons en outre poser avec une très grande netteté qu’elles sont foncièrement coextensives car intriquées : les libertés individuelles, l’égalité politique et la justice sociale effectives augmentent la puissance du corps social dans son ensemble. Parce que c’est un collectif humain affectivement connecté (au sens spinoziste de l’Affect) : la maltraitance d’une de ses parties l’affaiblit matériellement parce que la partie malmenée peut moins, et par les effets d’indignation qui résultent du spectacle de cette maltraitance. Quand les médias la montrent.
Aussi le travail de la gauche est de défaire les passions pénultièmes. De quoi s’agit-il ? La république bourgeoise installe différents groupes sociaux dans une hiérarchie de dignités symbolique, morale et matérielle légitimes. Les (mauvaises) passions pénultièmes sont celles par lesquelles les avant-derniers (mettons les ouvriers blancs) sont incités à croire que les derniers (mettons les ouvriers racisés) les menacent. C’est une idée évidemment fausse, propagée par l’hégémonie : il faut œuvrer à la défaire. Sur son terrain autant que possible et par la construction d’une sphère médiatique contre-hégémonique. La bonne ligne politique consiste à généraliser le châtiment méthodique des passions tristes pénultièmes qu’elles s’appliquent aux questions féministe, antiraciste / décoloniale, LGBTQIA, d’anti-tziganisme, de psychophie, de haine des sans abris, ou de lutte des classes. Des interactions complexes, mais un principe simple : l’adversaire est toujours au-dessus, pas en-dessous. On doit s’employer à dénaturaliser toutes les hiérarchies sociales et toutes les formes de domination, et diriger le regard du dominé vers le haut et vers ceux qui encouragent au maintien de cette hiérarchie3.
Les luttes écologiques ne sont pas un oubli dans la liste au sens où ceux qui ont une conscience écologique ne subissent la domination de ceux qui n’en n’ont pas que par des médiations externes à la question écologique même : médias, libertés publiques (de manifester contre les méga-bassines) dans l’État bourgeois capitaliste, la domination symbolique et de classe. On se persuadera aisément que les riches mangent plus souvent bio que les pauvres, bénéficient d’un cadre de vie plus vert et moins pollué, exercent un travail relativement moins pénible. A l’échelle internationale de la division du travail productif, c’est évident : les pays pauvres ou en développement, les pôles, les forêts, les océans, etc. servent de marges d’extension et de dépotoir de ses déchets, à la production capitaliste pilotée depuis les pays dominants dans la hiérarchie géopolitique telle que la mondialisation néolibérale la configure. « Le capitalisme nous apparaît d’abord comme une gigantesque accumulation de marchandises ». Bien vu le barbu. Le subventionnement des salaires de notre circulation monétaire communiste4 inclut une part incitant à produire de manière écologique (il faut donc dire de cette régulation spécifique qu’elle est externe et non interne aux rapports de production, même si elle module le salaire : elle est décidée et contrôlée par le souverain politique séparé). Nonobstant, avant le franchissement du col révolutionnaire, les luttes écologiques ne procèdent désormais plus que de la lutte des classes élargie. Shorter : l’écologie sans lutte des classes, c’est du jardinage.
Pour revenir à la question de départ, si le fascisme n’est pas le contraire de la démocratie mais bien son évolution par temps de crise, alors la résistance à toutes les dérives qui le préparent et le banalisent est une nécessité logique. Parce que la position ruffinienne essentialise les divisions de l’adresse politique en les figeant, parce qu’elle ratifie les catégories d’analyse de l’adversaire, cette stratégie est une impasse. La position de Ruffin n’est évidemment pas un discours fasciste ou raciste mais il démissionne de résister au niveau le plus haut qui est celui du conflit des grammaires. La gauche tient nécessairement un discours de vérité, sans condescendance. Elle propose un ordonnancement autre du monde, et montre qu’il est atteignable rationnellement, précisément parce que la politique est productrice du « réel ». Elle assène, elle martèle qu’en dernière analyse, la lutte politique est même l’unique producteur de « réel ». Elle en appelle à l’intelligence des gens et ne fait pas mine d’excuser les stéréotypes racistes.
Ces stéréotypes ne sont pas fondés en raison. Paraphrasant Baruch : il n’y a rien de positif dans l’erreur de jugement raciste qu’on puisse la dire substantiellement attachée aux personnes qui la commettent. Elle ne résulte que d’une privation de connaissance. Dès lors, il est d’autant plus légitime de critiquer le racisme, mais aussi le sexisme, etc., sans ménagement, qu’ils n’ont rien d’irrémédiable. Et aussi de désigner ceux qui organisent et entretiennent la privation de connaissance. C’est ce que nous voulons retenir des travaux récents de Vincent Tiberj, lequel affirme, si on le comprend bien, qu’il y a un hiatus entre une tendance historique au progrès du jugement moral et l’expression citoyenne par le vote.
Il s’agirait de résorber cet écart rapidement d’ailleurs, par des voies institutionnelles ou pas. En effet les politiques publiques que mènent concrètement les dominants vont à terme conduire au recul de ce progrès moral. La raison matérialiste appliquée à la temporalité longue se doit d’exécrer viscéralement les réformes Blanquer et du bac Mathiot dont l’effet visible est la baisse de la part de femmes dans les carrières scientifiques et même la baisse de l’attrait pour ces carrières relativement à d’autres. Sans parler de la généralisation de la détresse étudiante abandonnée à la loterie injuste de parcours sup et du désinvestissement dans l’enseignement supérieur au profit de l’extension de l’apprentissage – dans une gabegie d’argent public servant à offrir au patronat une main d’œuvre pas chère.
L’histoire ne finit jamais, en tout cas elle n’est pas un sujet agissant qui nous guiderait nécessairement vers la révolution – certes une révolution advient toujours pour des raisons nécessaires mais sa cause, même immanente, n’est pas immédiatement « l’Histoire » sauf à faire d’elle le fourre-tout de la causalité sociale / politique structurée.
L’effet dans le temps long des politiques publiques de la droite généralisée n’est donc pas de hâter l’avènement de la révolution, mais d’opérer une stratification sociale et raciale, ainsi que l’extension de régimes de ségrégation – le plus généralement sous forme déniée5. A ce jour seul un impératif d’ordre à la fois logique et moral hâte la nécessité d’une révolution, mais aucun processus sans sujet ne va venir à notre secours, surgissant d’on ne sait quel arrière-monde, pour en créer les conditions politiques de faisabilité...