• « Un Russe mort rapporte davantage à sa famille qu’un Russe vivant » : comment l’« économie de la mort » dope la croissance en Russie
    https://www.lemonde.fr/international/article/2024/08/29/en-russie-l-economie-de-la-mort-dope-la-croissance_6298235_3210.html


    Une photo fournie par l’agence de presse russe Sputnik prise lors de l’enterrement de 20 soldats russes non identifiés, à Louhansk, dans le Donbass, le 6 juillet 2024. EVGENY BIYATOV / SPUTNIK / SIPA

    Sommées de remplir les quotas de recrutement, les régions font feu de tout bois. « Amène un copain au bureau militaire, tu toucheras 100 000 roubles », soit un peu moins de 1 000 euros, dit la nouvelle campagne lancée le 12 juillet par le Tatarstan, situé à l’est de Moscou et grand pourvoyeur de recrues. Attirés par les sommes promises, 385 000 hommes ont signé un contrat entre janvier et décembre 2023, selon le ministère de la défense russe. Pour attirer encore davantage de volontaires, Vladimir Poutine a décidé, en juillet, de doubler la solde mensuelle des contractuels, passée de 195 000 roubles à 400 000 roubles, somme que les régions sont censées abonder. Soit dix fois plus que le salaire moyen.

    A ce pactole s’ajoute une prime forfaitaire de 1,2 million de roubles versée à l’engagement. Non imposables, ces revenus sont assortis de privilèges offerts aux combattants et à leurs familles, entre autres des crédits immobiliers à taux préférentiels, un accès aux plus prestigieuses universités du pays sans examen d’entrée, une retraite confortable, ainsi qu’un statut social. Présentés par le chef du Kremlin comme la « nouvelle élite », les vétérans de l’« opération spéciale » pourront un jour avoir leur photo sur le pupitre d’un écolier.

    Un Russe rapporte plus à sa famille mort que vivant

    Un étrange modèle économique est ainsi apparu, selon lequel un Russe mort rapporte davantage à sa famille qu’un Russe vivant. De fait, si un homme décide de partir à la guerre et meurt entre 30 et 35 ans, c’est-à-dire à l’âge où il est le plus actif et au meilleur de sa forme, sa mort sera plus « rentable » économiquement que son avenir. Signer un contrat avec l’armée lui assure de gagner dix fois le salaire minimum et permet surtout à ses proches, s’il meurt au combat, de toucher une prime de décès, grobovye en russe, d’un montant pouvant aller jusqu’à 11 millions de roubles, selon les régions.

    « C’est inédit car, depuis toujours, les Russes étaient envoyés à l’armée sous la contrainte ou par patriotisme. Vladimir Poutine a créé une réalité complètement nouvelle », explique l’économiste russe Vladislav Inozemtsev, aujourd’hui installé aux Etats-unis, qui parle d’une « économie de la mort » érigée en système. De fait, pour un citoyen russe payé l’équivalent de 200 à 400 euros dans le civil, la tentation de s’engager est grande, malgré le risque.

    https://justpaste.it/aibde