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  • « Les médecins étrangers investissent surtout les spécialités hospitalières désertées par les médecins français qui préfèrent exercer en libéral »
    https://www.lemonde.fr/idees/article/2024/09/30/les-medecins-etrangers-investissent-surtout-les-specialites-hospitalieres-de

    « Les médecins étrangers investissent surtout les spécialités hospitalières désertées par les médecins français qui préfèrent exercer en libéral »
    Tribune Pierre Micheletti Médecin
    Le débat sur l’aide médicale d’Etat, dont la suppression renforcerait les recours spontanés aux urgences hospitalières, pourrait également faire apparaître la question des praticiens étrangers, qui doivent être mieux traités par notre système de santé, explique le médecin Pierre Micheletti dans une tribune au « Monde ».
    Marie-Claire Carrère-Gée, ministre déléguée chargée de la coordination gouvernementale, ne va pas manquer de dossiers épineux à articuler entre les différents gestionnaires de portefeuille au sein du gouvernement de Michel Barnier. La nomination de Bruno Retailleau à l’intérieur n’a pas tardé à donner des ailes aux défenseurs de lignes dures sur les questions migratoires. En la matière, les interfaces avec la ministre de la santé vont en particulier générer l’attention, voire la mobilisation des acteurs.
    Deux dossiers concernent directement Geneviève Darrieussecq, ministre de la santé et de l’accès aux soins, et serviront d’utiles baromètres sur l’efficacité de la « coordination gouvernementale ». D’abord, l’avenir de l’aide médicale d’Etat (AME), objet de toutes les manipulations symboliques au service d’un discours martial sur le durcissement de l’accueil des étrangers. Une déclinaison plus subtile sera indubitablement à construire dans le discours politique – et dans la pratique – concernant la place incontournable occupée par des médecins détenteurs d’un diplôme délivré à l’étranger.
    Sur l’épouvantail de l’AME, dont la suppression empêcherait des diagnostics à un stade précoce – aggravant le pronostic des pathologies – et renforcerait les recours spontanés aux urgences hospitalières coûteuses et à bout de souffle, beaucoup a déjà été dit, par les associations comme par les professionnels du champ médico-social. La formule de la Fédération hospitalière de France en résume l’argumentation, évoquant « un contresens moral, sanitaire et économique ».
    Sur la démographie médicale globale, comme sur la répartition territoriale des praticiens, aujourd’hui largement soutenue par des médecins étrangers, les données du Conseil national de l’ordre des médecins apportent des informations éloquentes. La place des médecins étrangers est cruciale dans l’offre de soins. Au 1er janvier 2023, 234 028 médecins étaient actifs en France, dont 48,8 % femmes et 51,2 % hommes. Les moins de 40 ans représentent 28,5 % des effectifs, les 60 ans et plus 31,1 %. L’âge moyen des médecins est ainsi de 50,5 ans. Les médecins à diplômes étrangers occupent une place de plus en plus importante au fil du temps. Alors qu’en 2010 ils comptaient pour 7,1 % des médecins en activité, ils représentaient 12,5 % en 2023.
    La hausse de la proportion de médecins en activité à diplômes étrangers se perçoit notamment chez les spécialistes, qu’ils soient médicaux ou chirurgicaux. Ils représentent 19,8 % des médecins spécialistes chirurgicaux en activité et 16,9 % des médecins spécialistes médicaux (hors médecins généralistes) en activité. La Roumanie, la Belgique et l’Italie sont les trois principaux pays d’obtention de diplômes des médecins en activité à diplômes obtenus au sein de l’Union européenne (UE), hors France.
    L’Algérie, la Tunisie, la Syrie et le Maroc sont les quatre principaux pays d’obtention des médecins titulaires de diplômes obtenus en dehors de l’UE. Les proportions de médecins en activité à diplômes étrangers sont particulièrement importantes dans les départements qui présentent les plus faibles densités médicales, participant ainsi à corriger des déséquilibres démographiques et territoriaux.
    Il existe pourtant un traitement à double vitesse pour les médecins étrangers. Afin de pourvoir les postes d’internes, les hôpitaux embauchent des praticiens à diplômes étrangers hors UE, en tant que « faisant fonction d’internes », « attachés associés » ou « assistants associés ». Ces statuts sont caractérisés par la précarité, une moindre rémunération et un emploi du temps surchargé. La présence de ces médecins reste très mal renseignée. On a par ailleurs connaissance de situations d’illégalité, comme le phénomène des médecins étrangers embauchés comme infirmières/infirmiers, qui demeurent également difficiles à quantifier.
    Les ressortissants européens sont dans une situation un peu différente : la directive européenne de 1989, modifiée à plusieurs reprises depuis, prévoit en effet la reconnaissance mutuelle des diplômes et la liberté de s’installer et d’exercer la profession dans les pays membres. Ces médecins étrangers investissent surtout les spécialités hospitalières désertées par les médecins à diplômes français qui préfèrent exercer en libéral : l’anesthésie-réanimation, la psychiatrie, la radiologie, la chirurgie cardio-vasculaire, la néphrologie ou encore les urgences. L’aboutissement du parcours de ces médecins reste néanmoins l’inscription à l’ordre des médecins, qui incarne l’acceptation symbolique par le groupe des pairs, mais aussi l’autonomie et la liberté de la pratique.
    Les conditions d’exercice des médecins ayant obtenu leur diplôme dans un pays extracommunautaire ont été assouplies en avril 2020, afin qu’ils puissent accéder à des positions professionnelles plus favorables. Dès lors, un personnel hospitalier « à la carte », flexible et éjectable selon le contexte, pourrait devenir la stratégie pour l’avenir de l’hôpital français, les soignants étrangers servant, dans cette logique, de variable d’ajustement.
    Les mois qui viennent ne tarderont pas à dire comment la ministre chargée de la coordination gouvernementale pourra contribuer à trouver des solutions acceptables sur le plan « moral, sanitaire et économique » à ces deux dossiers intriqués qui concernent l’offre de soins et les migrations. En évitant que le dossier de l’AME, qui représente 0,5 % des dépenses annuelles de santé, n’occupe tout l’espace de manichéens débats politiques.

    #Covid-19#migrant#migration#france#sante#medecin#PADHUE#economie#systemedesante#AME#diplome

  • Impôt sur les successions : « Comment, au pays de l’égalité, en est-on arrivé à ce paradoxal consentement aux inégalités ? »
    https://www.lemonde.fr/idees/article/2024/09/30/impot-sur-les-successions-comment-au-pays-de-l-egalite-en-est-on-arrive-a-ce

    André Masson ouvre une autre voie, plus originale, pour « sauver » l’impôt successoral. Regrettant la « crispation patrimoniale » des seniors sur des actifs peu productifs (immobilier, assurance-vie), il propose de drainer une grande partie de leur épargne vers des placements transgénérationnels de vingt-cinq ans qui financeraient, par exemple, les investissements d’avenir dans la transition écologique – faute de quoi elle serait surtaxée à leur mort. Cela leur permettrait d’« épargner pour leurs enfants sans trop craindre des droits de succession, à la condition d’œuvrer en même temps pour le bien commun », conclut-il. Un projet ambitieux et plein d’inconnues, qui pourrait nourrir la campagne présidentielle de 2027.

  • « L’immigration n’a globalement que peu d’impact sur le chômage et les salaires »
    https://www.lemonde.fr/idees/article/2024/09/27/l-immigration-n-a-globalement-que-peu-d-impact-sur-le-chomage-et-les-salaire

    « L’immigration n’a globalement que peu d’impact sur le chômage et les salaires »
    Hippolyte d’Albis Economiste
    Parmi les peurs associées à la migration, celles relatives à l’emploi et aux salaires sont souvent présentées comme les plus rationnelles. Dans les premiers cours d’économie, on apprend ainsi qu’un marché peut être représenté par une offre et une demande et qu’il est utile d’appréhender les prix que l’on observe sur ledit marché comme résultant de leur égalisation. Transposée au marché du travail, cette représentation suggère que l’immigration va accroître l’offre de travail, ce qui aura tendance à faire baisser son « prix », c’est-à-dire le salaire. Si les salaires sont rigides à la baisse, en particulier du fait d’un salaire minimum, l’immigration est alors supposée engendrer un surplus de travail, qui se matérialise par du chômage. La crainte sur les salaires concerne donc les travailleurs plutôt qualifiés des secteurs ouverts aux recrutements d’étrangers.
    De très nombreux travaux empiriques se sont demandé si ce raisonnement intuitif était corroboré dans les faits. Les plus parlants ont analysé des événements exceptionnels, comme l’expulsion par Fidel Castro de 125 000 Cubains qui, entre avril et octobre 1980, vont quitter le port de Mariel pour se réfugier à Miami [en Floride]. L’économiste canadien David Card a démontré que cet afflux d’étrangers a été sans conséquence sur les salaires et le taux de chômage de la ville d’accueil.
    Professeure d’économie à l’université Rutgers (New Jersey) et ancienne économiste en chef du département du travail des Etats-Unis de 2013 à 2015, Jennifer Hunt s’est, quant à elle, intéressée aux 900 000 rapatriés d’Algérie arrivés en 1962. Elle montre que ce choc migratoire considérable n’a eu que des effets minimes sur le taux de chômage et les salaires en France.
    Ces études sont célèbres, car leur contexte historique en fait des expériences grandeur nature, ce qui est rarissime en sciences sociales. En particulier, la précipitation des départs observée lors de ces deux événements permet d’éliminer un biais statistique important sur lequel bute l’analyse habituelle des migrations : comme les immigrés se dirigent en priorité vers les destinations où le marché du travail est favorable, il est peu crédible d’interpréter la corrélation entre l’immigration et le chômage de façon causale.
    Néanmoins, les expériences naturelles engendrées par les réfugiés cubains et les rapatriés d’Algérie sont à la fois anciennes et très particulières. Elles permettent certainement des travaux statistiques crédibles, mais ne suffisent pas pour convaincre. Elles ont donc été complétées par un vaste ensemble d’études statistiques visant à évaluer l’effet de l’immigration sur le marché du travail dans de nombreux pays et époques, tout en traitant le biais susmentionné de la façon la plus appropriée possible.
    Pour la France, la dernière en date est due aux universitaires Gianluca Orefice et Giovanni Peri, qui ont analysé l’ensemble des recrutements industriels entre 1995 et 2005. Les auteurs concluent que l’accroissement de la part des travailleurs étrangers dans un bassin d’emploi entraîne une amélioration des appariements entre entreprises et salariés, qui compense l’effet négatif attendu sur le salaire.
    A rebours de ce qui est suggéré par le raisonnement basé sur l’offre et la demande, le consensus qui émerge des travaux empiriques est que l’immigration n’a globalement que peu d’impact sur le chômage et les salaires.Trois principales raisons peuvent être avancées. Premièrement, les étrangers sont discriminés sur le marché du travail. Parfois pour des raisons objectives, telles qu’une moindre maîtrise de la langue ou des usages, mais aussi parfois par pure xénophobie. Dès lors, on ne voit pas très bien comment celui qui est discriminé pourrait prendre la place de celui qui ne l’est pas. A compétences égales, les étrangers ne trouvent un emploi que si les nationaux font défaut.
    Le principe est d’ailleurs institutionnalisé, car pour obtenir un titre de séjour pour motif de travail, il est nécessaire que le futur employeur démontre l’absence de la compétence recherchée sur son bassin d’emploi. Les procédures sont facilitées pour une liste, établie par l’administration, de métiers dits en tension, ce qui justement signifie que les compétences font défaut. L’économiste du travail Sara Signorelli a récemment montré qu’une réforme de 2008 de la liste favorisant l’emploi de travailleurs étrangers qualifiés n’a eu qu’un faible impact sur les salaires des travailleurs nationaux.
    La deuxième raison découle de la première. Les étrangers sont concentrés dans certains secteurs d’activité. En France, une étude du ministère du travail révèle qu’en 2017, les étrangers représentaient 10 % de l’emploi total, mais près de 39 % des employés de maison, plus de 28 % des agents de gardiennage, 27 % des ouvriers non qualifiés du bâtiment, 22 % des cuisiniers, etc. Les salaires dans ces métiers sont notoirement plus faibles que la moyenne, et on pourrait donc conclure, par un effet de composition, que les étrangers font baisser le salaire moyen.
    Ce serait pourtant ignorer que ces emplois sont utiles et que s’ils n’étaient pas pourvus, les autres emplois seraient peut-être moins bien rémunérés. Un exemple typique est celui des gardes d’enfants, qui sont facilitées dans les villes où la main-d’œuvre étrangère est plus importante. Par ricochet, on observe que les femmes nées sur place travaillent davantage, ce qui augmente leurs salaires. Ce type d’externalité engendré par l’emploi des immigrés est typiquement ignoré des études microéconomiques, qui de fait sous-estiment les effets économiques positifs de l’immigration.
    La troisième raison étend cette dernière raison à tous les effets macroéconomiques de la migration. En particulier, les immigrés sont en moyenne plus jeunes que le reste de la population du pays d’accueil. Cette réalité démographique se traduit par une contribution positive de l’immigration à la part des personnes qui travaillent dans la population, sujet crucial dans nos sociétés vieillissantes. Cet effet sur le taux d’emploi a un impact favorable sur la richesse créée et même sur l’équilibre des finances publiques. Et c’est bien dans les économies les plus prospères que les salaires sont les plus élevés.

    #Covid-19#migration#migrant#france#immigration#economie#chomage#salaire#demographie#sante

  • « Quand bien même les électeurs exigeraient moins d’immigration, ce n’est pas avec des politiques inefficaces que l’on satisfera leurs exigences »
    https://www.lemonde.fr/idees/article/2024/09/27/quand-bien-meme-les-electeurs-exigeraient-moins-d-immigration-ce-n-est-pas-a

    « Quand bien même les électeurs exigeraient moins d’immigration, ce n’est pas avec des politiques inefficaces que l’on satisfera leurs exigences »
    Antoine Pécoud Sociologue
    Hélène Thiollet Politiste
    Les lois migratoires entretiennent la fiction, délétère pour la cohésion sociale et pour la prospérité de l’Europe, que tous les problèmes sont causés par l’immigration, estiment les spécialistes de l’immigration Antoine Pécoud et Hélène Thiollet, dans une tribune au « Monde ».
    La question migratoire revient sur le devant de la scène en France après les déclarations du nouveau ministre de l’intérieur, Bruno Retailleau, sur le « désordre migratoire » et le meurtre d’une étudiante pour lequel le suspect est un Marocain en situation irrégulière. Elles interviennent après le décès de douze personnes dans le naufrage de leur embarcation dans la Manche le 3 septembre et de huit autres le 15 septembre. Gérald Darmanin, alors ministre de l’intérieur démissionnaire, avait aussitôt appelé à un nouveau traité migratoire entre le Royaume-Uni et l’Union européenne (UE), dans le but notamment de renégocier les financements que Londres accorde à la France pour le contrôle de l’immigration irrégulière.
    On ne connaît pas encore l’attitude du nouveau gouvernement travailliste côté britannique, mais celui-ci a déjà indiqué son intérêt pour la politique menée par la dirigeante italienne d’extrême droite, Giorgia Meloni, qui consiste précisément à déléguer le contrôle de l’immigration à des pays tiers, comme l’Albanie.
    Il reste aussi à voir comment se positionnera Bruno Retailleau, qui a déjà maintes fois affiché sa fermeté sur le sujet, et s’il continuera la stratégie qui voit la France, à l’instar de l’Albanie justement, se faire payer par son voisin du Nord pour contenir les migrants et les réfugiés. Mais, quelles que soient les stratégies à venir, l’échec des politiques migratoires – que ce soit au niveau britannique, français ou européen – est patent. Avec le Brexit, le Royaume-Uni voulait reprendre le contrôle de ses frontières. Mais malgré des politiques toujours plus restrictives, comme le projet avorté d’accord britannique avec le Rwanda, la nouvelle loi française sur l’immigration de janvier 2024, ou le pacte européen sur la migration et l’asile en mai 2024, les traversées de la Manche n’ont cessé de croître, passant de 15 000 en 2021 à 45 000 en 2022, selon le ministère de l’intérieur britannique.
    Le cercle vicieux est toujours le même. Dans une logique classique de prohibition, ces stratégies de contrôle des flux migratoires n’arrêtent pas les réfugiés et les migrants, mais les basculent dans l’illégalité. Elles augmentent de surcroît le prix exigé par les passeurs et les intermédiaires, tout en poussant les candidats à l’émigration à prendre des risques de plus en plus grands. Outre le coût humain et économique de cette approche, cela donne le sentiment d’une immigration incontrôlée, ce qui justifie en retour des politiques toujours plus restrictives.
    Leurs partisans objectent que ces politiques correspondent aux souhaits d’électeurs préoccupés par l’immigration. La réalité est probablement plus nuancée, comme en témoignent certaines enquêtes d’opinion au long cours, comme celle de l’Enquête sociale européenne. Mais, quand bien même les électeurs exigeraient moins d’immigration, ce n’est pas avec des politiques inefficaces que l’on satisfera leurs exigences et qu’on les dissuadera de voter pour l’extrême droite. Avec la « loi Darmanin » ou le pacte européen, les Etats voulaient désamorcer les arguments habituels à propos de l’invasion migratoire et du laxisme supposé des pouvoirs publics, afin de couper l’herbe sous le pied de la droite populiste. Mais cette stratégie est vouée à l’échec, comme en atteste le poids politique toujours croissant de l’extrême droite en France et en Europe.
    Face à cette fuite en avant, et dans un contexte politique où la dépendance du gouvernement de Michel Barnier vis-à-vis du Rassemblement national augure peut-être d’un tour de vis supplémentaire, il est temps d’admettre que l’arbre des migrations et de l’asile cache une forêt de problèmes bien réels, mais qui n’ont en réalité pas grand-chose à voir avec les politiques migratoires.
    Il est par exemple légitime de craindre la concurrence des travailleurs étrangers dans des secteurs peu qualifiés du marché du travail. Mais ce problème relève davantage du droit du travail et des politiques salariales que des politiques migratoires. On ne saurait demander aux gardes-frontières ou à l’agence européenne chargée du contrôle des frontières de l’UE, Frontex, de régler un problème qui est de la compétence de l’inspection du travail.
    De même, le débat public associe fréquemment immigration et islam. Il est vrai que les dizaines de millions d’Européens qui pratiquent cette religion sont souvent issus de l’immigration. Mais, dans leur très large majorité, ce ne sont plus des migrants mais des citoyens de plein droit, et l’on voit mal comment les politiques migratoires permettraient d’apaiser les crispations relatives au port du voile ou à l’existence de fondamentalismes religieux, qui relèvent du droit pénal ou constitutionnel, des droits humains et des libertés publiques.
    Le contrôle de l’immigration est ainsi régulièrement présenté comme la solution miracle à des problèmes aussi variés que le chômage, l’insécurité, le trafic de drogue, le niveau scolaire des élèves, l’accès au logement ou les zones de non-droit dans les banlieues. Les politiques migratoires ne gouvernent que l’admission et le statut légal des étrangers qui souhaitent venir en France. Elles sont largement sans effet sur leur destinée économique, socioculturelle ou religieuse ; et sur les transformations en cours dans les sociétés européennes telles que l’augmentation des inégalités, la crise démocratique, la désindustrialisation, etc.
    De plus, et même si l’on ne peut nier que certains descendants d’immigrés rencontrent aujourd’hui des difficultés d’intégration, on ne peut ignorer l’intégration plutôt réussie de millions d’immigrés. Y compris de ceux dont on disait, au moment de leur arrivée, qu’ils n’étaient pas intégrables et auxquels on attribuait la responsabilité de tous les maux de l’époque.
    Dans une Europe qui vieillit et souffre de pénuries de main-d’œuvre, l’immigration de travail ne va pas cesser et doit être encadrée. L’accueil et l’intégration rapide des exilés ukrainiens en Europe, comme une majorité de réfugiés syriens en Allemagne, démontrent aussi que le droit d’asile et les politiques d’intégration conservent toute leur pertinence. Lorsqu’elles promettent de résoudre tous les problèmes, de la criminalité aux angoisses identitaires, les politiques migratoires ne peuvent qu’échouer. Au mieux, elles sont une mauvaise réponse à de bonnes questions. Au pire, elles entretiennent la fiction, délétère pour la cohésion sociale et pour la prospérité de l’Europe, que tous les problèmes sont causés par l’immigration. Et, dans tous les cas, à force d’annoncer ce qu’ils ne peuvent réaliser, les gouvernements décrédibilisent l’action publique et créent les conditions d’une frustration dont personne ne sort gagnant.

    #Covid-19#migration#migrant#france#politiquemigratoire#asile#economie#integration#vieillissement#maindoeuvre#sante

  • « La France est le seul pays en Europe à avoir vu son taux de pauvreté fortement augmenter de 2015 à 2023 »
    https://www.lemonde.fr/idees/article/2024/09/26/la-france-est-le-seul-pays-en-europe-a-avoir-vu-son-taux-de-pauvrete-forteme

    (...)

    Ce taux de pauvreté est calculé comme le pourcentage de la population dont le niveau de vie est inférieur au seuil de pauvreté, c’est-à-dire la part de la population qui dispose d’un revenu inférieur à 60 % de la médiane des niveaux de vie dans le pays concerné, soit 1 236 euros par mois en France.
    Les familles nombreuses et les chômeurs

    En 2023, ce taux de pauvreté était de 20,2 % en Espagne, de 18,9 % en Italie, de 15,4 % en France, de 14,4 % en Allemagne et seulement de 14 % en Pologne (Eurostat). Cependant, si on regarde l’évolution du taux de pauvreté durant la période de 2015 à 2023, la France est le seul pays à avoir vu ce taux de pauvreté fortement augmenter, de 13,6 % en 2015 à 15,4 % en 2023 ! En Allemagne, durant cette période, le taux de pauvreté a baissé de 2,3 points, en Espagne de 1,9 point, en Italie de 1 point et en Pologne de 3,6 points.
    Lire aussi | Article réservé à nos abonnés Economie mondiale : « L’Europe s’appauvrit par rapport aux Etats-Unis »

    Cette forte augmentation du taux de pauvreté en France se produit à partir de 2019, alors que le taux était stable entre 2015 et 2019. On comprend mieux alors la colère autour du pouvoir d’achat dans la partie de la population française qui voit son revenu relatif s’éloigner de la médiane. Les familles nombreuses et les chômeurs sont les plus exposés à cette augmentation du taux de pauvreté. A partir de 2019, plusieurs aides versées par les pouvoirs publics ont commencé à être arrêtées, telles que l’aide exceptionnelle de solidarité Covid ou la majoration exceptionnelle de rentrée scolaire.

    En conclusion, depuis 2015, même si le pouvoir d’achat pour la population totale a augmenté en France comme en Allemagne, la part de la population française avec un niveau de vie sous ou autour du taux de pauvreté a augmenté, alimentant une colère sociale. Une politique des pouvoirs publics de soutien au pouvoir d’achat de ces populations vulnérables est donc politiquement justifiée.

  • Mathieu Fulla, historien : « Reconquérir un électorat hostile à la gauche implique un travail de terrain ardu »
    https://www.lemonde.fr/idees/article/2024/09/25/mathieu-fulla-historien-reconquerir-un-electorat-hostile-a-la-gauche-impliqu

    A la tête du Parti de #gauche puis de #LFI, Mélenchon s’efforce, jusqu’en 2019, de séduire les « fâchés pas fachos » des milieux populaires, réfugiés dans l’#abstention ou ayant opéré un glissement vers la #droite et, de plus en plus souvent, vers l’#extrême_droite. L’entreprise fait long feu. Elle contribue à expliquer la réorientation stratégique opérée depuis par la direction de LFI vers la « stratégie des tours » et de la jeunesse.

    Ce glissement progressif, dont les effets sont déjà très visibles en 2022, ne peut se comprendre sans garder à l’esprit l’obsession, toute mitterrandienne, de Jean-Luc Mélenchon pour la conquête de la magistrature suprême. Le choix de s’adresser prioritairement à des électorats et à des territoires déjà largement acquis lui semble la voie la plus sûre pour accéder au second tour en 2027 et y affronter le candidat du Rassemblement national (#RN).

    Redynamisation des milieux syndicaux et associatifs

    Les « insoumis » ne sont cependant pas les premiers, à gauche, à envisager de « laisser tomber » une grande partie des #classes_populaires, notamment celles concentrées dans les territoires périurbains, aujourd’hui solides bastions du RN. En 2011, au nom de l’efficacité électorale, une note rédigée par un think tank proche du PS, Terra Nova, recommandait déjà au futur candidat socialiste à l’élection présidentielle non pas d’abandonner les classes populaires, comme cela est trop souvent affirmé, mais plutôt de cibler l’effort militant sur « la France de la diversité », présentée comme la composante la plus dynamique de la gauche. La direction de LFI s’est réapproprié cette grille d’analyse qui suscitait jusqu’à présent un fort embarras dans les milieux de gauche.

    https://justpaste.it/au2h2

    • « La gauche a intérêt à reconnaître la production d’idées, la stratégie électorale et le modèle d’organisation comme indissociables », Pierre-Nicolas Baudot
      https://www.lemonde.fr/idees/article/2024/09/25/la-gauche-a-interet-a-reconnaitre-la-production-d-idees-la-strategie-elector

      .... en politique les questions sont souvent plus importantes que les réponses. Or, les travaux de science politique s’accordent pour donner une image guère reluisante des partis, à laquelle la gauche n’échappe pas. Ils inspirent une forte défiance dans l’opinion et sont décrits comme des entre-soi professionnalisés et repliés sur eux-mêmes, où se côtoient élus, collaborateurs d’élus et aspirants à l’élection, selon des normes qui leur sont propres.

      [...]

      C’est un fait que les transformations socio-économiques du XXe siècle, et leurs effets sur le développement de nouvelles formes d’organisation du travail, n’ont pas été porteuses pour la permanence d’une conscience collective favorable à l’ancrage social d’une pensée de gauche. De plus, si ces évolutions ont donné naissance à de nouveaux groupes sociaux dominés, elles ont également suscité des réactions libérales, réactionnaires ou les deux à la fois. Ces constats rendent d’autant plus indissociables les appels au travail doctrinal et le souci d’une refonte organisationnelle destinée à penser les partis depuis la société, et non au-dessus d’elle.

      L’histoire de la gauche démontre que, même au meilleur de sa forme, les mouvements de contestation ou d’émancipation n’ont pas procédé des partis, mais y ont abouti – lui permettant de se placer auprès de groupes sociaux en expansion numérique. La méfiance que suscitent les partis est moins liée à une forme partisane générique, qu’à son état actuel. Si, du fait de leur professionnalisation, le lien entre les partis et l’Etat s’est renforcé, celui avec la société est abîmé. Ce constat impose de repenser la capacité à assurer un lien à double sens entre la société et l’Etat.

      Pour cela, la gauche devra admettre de se poser un certain nombre de questions, parmi lesquelles celle de son rapport à la démocratie sociale, de la place à conférer à un militantisme qui a changé mais qui demeure, d’une organisation qui considère le pluralisme et la délibération collective sans hypothéquer l’unité, de la sociologie de ses représentants ou encore de son inscription dans le monde du #travail. Ce travail suppose de déconstruire la distinction entre idées et structures, pour mieux mesurer leur imbrication et l’indissociabilité du projet politique et de l’organisation collective.

      Pierre-Nicolas Baudot est docteur en science politique. Il est l’auteur d’une thèse sur le Parti socialiste et la politisation de la question des immigrés (1971-2017).

      https://justpaste.it/g0bk9

    • Pour changer le monde, la gauche doit changer de monde, Nicolas Truong (mars 2022)

      https://www.lemonde.fr/idees/article/2022/03/04/pour-changer-le-monde-la-gauche-doit-changer-de-monde_6116102_3232.html

      Des électeurs désespérés. Une gauche désespérante. Non pas une défaite, mais une débâcle annoncée. Tel est le sentiment largement partagé au sein du camp progressiste à la veille de l’élection présidentielle. Loin de la Norvège, de l’Allemagne, de l’Espagne ou du Portugal, la #social-démocratie française ne parvient pas à coaliser des forces et à nouer des compromis afin d’exercer durablement le pouvoir. Après de notables percées, notamment lors des « mouvements des places » des années 2010 (d’Occupy Wall Street à Nuit debout), le #populisme de gauche semble s’essouffler. Une forme de socialisme paraît achever un cycle historique avec le déclin du parti issu du congrès d’Epinay (1971).

      Le communisme institutionnel séduit davantage par sa défense de l’industrie nucléaire et de la francité que par ses mesures pour l’égalité. L’écologisme, qui pourrait porter le grand récit émancipateur à l’heure du réchauffement climatique, n’a pas encore de base sociale constituée et peine à intégrer les révolutions de la nouvelle pensée du vivant. Le trotskisme est réduit à une culture minoritaire et presque patrimoniale, ponctuée par quelques apparitions électorales. Sans parler de la mouvance insurrectionnelle, certes indifférente aux élections « pièges à cons », qui se déchire sur le conspirationnisme ou les procès en véritable #anticapitalisme.

      [...]

      « La gauche est un monde défait », estime le politiste Rémi Lefebvre, dans Faut-il désespérer de la gauche ? (Textuel, 160 pages, 15,90 euros). « La gauche est en état de décomposition avancé et doit se détacher de ses atavismes et de ses identités partisanes arrimés au XXe siècle », constate le sociologue Laurent Jeanpierre, coauteur, avec Haud Guéguen, de La Perspective du possible (La Découverte, 336 pages, 22 euros). « Nous vivons sans doute un bouleversement aussi grand que celui de la révolution industrielle, qui a débuté à la fin du XVIIIe siècle », explique l’historienne Marion Fontaine, professeure à Sciences Po. Une modification des façons de travailler et de vivre « qui touche la gauche de plein fouet », poursuit la directrice des Cahiers Jaurès. Ainsi la gauche oscille-t-elle entre abandon et victimisation, glorification et nostalgie, remarque la revue Germinal, dans son numéro consacré à « La politique des classes populaires », que Marion Fontaine a coordonné avec le sociologue Cyril Lemieux (n° 3, novembre 2021).

      https://justpaste.it/3idt9

  • https://video.blast-info.fr/about/peertube#privacy

    Ces temps-ci, la gauche est fustigée de n’avoir pas indiqué dès le départ les compromis qu’elle était prête à faire pour gouverner avant d’être en position de négocier. Mais pour la coalition de la droite et du centre, ce n’est pas la même chose.

    Aux termes d’interminables consultations, Michel Barnier a fini par nommer son gouvernement samedi 21 septembre 2024, 16 jours après sa nomination à Matignon. Comme on pouvait s’y attendre, diverses nuances de droite colorent cette nouvelle équipe à 39 têtes. Alors que les LR et le camp macronistes ne font que perdre de plus en plus les élections, l’arithmétique parlementaire semblerait contraindre le gouvernement à la droite, pour donner un résultat absurde : la coalition des perdants au gouvernement.

    Alors, comment en est-on arrivés là ? Quelles conséquences ce nouveau gouvernement aura-t-il sur la politique de notre pays ? Qu’est-ce que le RN y gagne ? Qu’est-ce que le Peuple et la démocratie risquent d’y perdre ? C’est ce qu’on va voir dans ce numéro express de Dissolution.

  • « Pour saisir la disparition de l’écologie à droite, il suffit de comparer le Michel Barnier de 1990 et celui de 2024 »
    https://www.lemonde.fr/idees/article/2024/09/22/pour-saisir-la-disparition-de-l-ecologie-a-droite-il-suffit-de-comparer-le-m

    Immédiatement après sa nomination à Matignon, Michel Barnier a fait une déclaration qui a surpris tout le monde. Dans la même phrase, il a prononcé les mots « vérité » et « dette écologique ». Il faut, avait-il dit le 7 septembre, « dire la vérité » sur « la dette financière et la dette écologique ». A l’instant même où elle s’est échappée de la bouche du nouveau premier ministre, cette sortie a été commentée par des observateurs décontenancés par un tel propos. Mais qu’a-t-il bien pu se passer pour que cette brève déclaration, qui relève pourtant du truisme, paraisse aussi incongrue et inattendue dans la bouche d’un responsable politique de la droite républicaine ?

    Les commentateurs ont fini par s’y accoutumer, par l’accepter comme si c’était le fruit d’une loi de la nature : tout l’espace politique compris entre le centre et les droites extrêmes est, du point de vue de la question environnementale, une terra nullius. Marginalisées, les rares figures conservatrices qui portaient une vision, ou au moins affichaient une sensibilité sur le sujet, se sont effacées. De rares députés du parti Les Républicains s’en désolent, en vain.
    Pour saisir dans toute sa magnitude ce phénomène – la disparition de l’écologie du logiciel moral et politique de la #droite –, il suffit là encore de se référer à Michel Barnier. Sa vision de la question environnementale a été consignée dans un livre dense et précis mais il est hélas difficile de se le procurer en librairie, puisqu’il a été écrit il y a près de trente-cinq ans.
    Chacun pour tous. Le défi écologique (Stock, 1990) est le fruit d’une enquête parlementaire conduite par Michel Barnier alors jeune député, dont la carrière avait commencé quelques années auparavant auprès de Robert Poujade (1928-2020), un gaulliste, qui fut le premier ministre de l’environnement. On l’oublie souvent, mais c’est un homme de droite qui a été la première incarnation de l’#écologie au gouvernement – et c’est aussi lui qui, une fois congédié, avait eu ce bon mot que chacun connaît, faisant de l’hôtel de Roquelaure le « ministère de l’impossible ».

    Des enjeux bien documentés

    Lu trente-cinq ans plus tard, le livre de Michel Barnier a quelque chose de fascinant. Au moment où il est rédigé, le Sommet de la Terre à Rio ne s’est pas tenu et les grandes conventions environnementales n’ont pas été signées, le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) n’a pas rendu son premier rapport, la convention de Stockholm sur les polluants persistants ne sera signée que onze ans plus tard… Pourtant, tous ces enjeux sont déjà bien documentés, fidèlement rapportés et analysés dans Le défi écologique et, pour le lecteur des années 2020, la surprise provient autant de la précision des connaissances déjà disponibles à l’époque que de ce qu’elles avaient percolé à droite de l’échiquier politique.

    Comme l’a montré mon collègue Matthieu Goar dans le portrait qu’il lui a consacré, le Michel Barnier de 1990 n’est plus celui de 2024 ; ses prises de position récentes sont d’autres indices de l’érosion des préoccupations environnementales dans son camp politique.

    Et ce même si quelques marqueurs – l’inscription du principe de précaution dans la Constitution (2005), le Grenelle de l’environnement (2007) – suggèrent que les derniers feux ne se sont éteints que récemment. Ils sont toutefois bel et bien morts. L’idée qu’il faille conserver un patrimoine précieux – celui de la nature –, socle moral de l’écologie du camp conservateur dans les années 1970-1980, a complètement disparu à la droite de l’échiquier politique. Une disparition qui est survenue des deux côtés de l’Atlantique.
    Pour les historiens Naomi Oreskes et Erik Conway, le point de bascule remonte à l’effondrement de l’Union soviétique, lorsque l’écologie politique a commencé à être considérée comme l’héritière du socialisme, secrètement mue par la même volonté d’entraver la liberté d’entreprendre, donc la liberté tout court. C’est ainsi vers le milieu des années 1980 que la défiance à l’égard de la question environnementale gagne le camp conservateur américain, entraînant par capillarité, et avec une décennie de latence, le basculement des droites occidentales.

    Ce n’était pas écrit. En 1970, par exemple, à l’appui de sa volonté d’étendre considérablement les zones naturelles protégées sur le territoire des Etats-Unis, le président républicain Richard Nixon s’était lancé dans un vibrant plaidoyer : « Partout dans le monde, les gens prennent conscience de la nécessité urgente de protéger le fragile équilibre de la vie et de préserver pour l’avenir ce qui nous reste aujourd’hui de la nature sauvage et de sa beauté. »
    La même année, Georges Pompidou écrivait à son premier ministre une lettre extraordinaire contre une circulaire permettant l’abattage d’arbres au bord des routes. Elle est reproduite dans le livre de M. Barnier. « Bien que j’aie plusieurs fois en conseil des ministres exprimé ma volonté de sauvegarder “partout” les arbres, cette circulaire témoigne de la plus profonde indifférence à l’égard des souhaits du président de la République (…), écrit-il. Il est à noter que l’on n’envisage qu’avec beaucoup de prudence le déplacement des poteaux électriques. C’est que là, il y a des administrations pour se défendre. Les arbres, eux, n’ont semble-t-il d’autres défenseurs que moi-même (…). »
    La sauvegarde des arbres, poursuit le président Pompidou, par ailleurs grand bétonneur devant l’éternel, « est essentielle pour la beauté de notre pays, pour la sauvegarde de la nature, pour la préservation d’un milieu humain ». A ceux qui se demandent ce que ferait M. Pompidou s’il revenait parmi nous, on peut se risquer à répondre qu’il serait peut-être sur la ZAD du chantier de l’A69, perché dans les arbres avec des « écoterroristes ».

  • « Taylor Swift illustre le pouvoir politique de la culture populaire par le caractère explicitement moral de son soutien à Kamala Harris »
    https://www.lemonde.fr/idees/article/2024/09/18/taylor-swift-illustre-le-pouvoir-politique-de-la-culture-populaire-par-le-ca

    Depuis le lancement de la campagne présidentielle aux #Etats-Unis, on s’attendait à un soutien de la superstar mondiale Taylor Swift à la candidature démocrate. L’annonce, juste à la fin du débat qui a opposé, mardi 10 septembre, la vice-présidente Kamala Harris à l’ex-président Donald Trump, n’est pas une surprise : mais le timing, la tonalité et la thématique en font un geste politique particulier. Son post Instagram dépasse largement les engagements rituels d’Hollywood aux côtés des candidats démocrates : « Je vote pour Kamala Harris parce qu’elle se bat pour les droits et les causes qui exigent une guerrière pour les défendre. »

    Par le caractère explicitement moral de son soutien, Taylor Swift illustre désormais le pouvoir politique de la #culture_populaire, trop souvent décriée en France, dont le rôle est de transmettre des valeurs partageables et mobilisatrices que les politiques ont bien du mal à incarner. Il ne s’agit pas d’être un modèle à suivre – elle indique seulement ce qu’elle va faire –, mais de faire et de donner confiance aux jeunes électeurs. Elle a exhorté ses fans à s’inscrire sur les listes électorales à un moment crucial, ciblant un électorat que les démocrates peinent à faire voter.

    Ce positionnement se différencie de celui des « personnalités » qui affichent régulièrement leur soutien à des candidats démocrates : en 2016, Beyoncé, Salma Hayek, Lena Dunham, George Clooney, Robert De Niro, Meryl Streep, Pharrell Williams et bien d’autres avaient apporté leur caution à Hillary Clinton contre Donald Trump. A l’époque, il s’agissait d’utiliser à la fois un statut de star et une supériorité morale, dans la tradition d’une alliance de bon goût des démocrates privilégiés et du milieu mythique d’Hollywood. Ce qui s’était retourné alors contre Hillary Clinton, perçue injustement comme bourgeoise élitiste méprisant les « white trash  [« raclures blanches »] de Trump.

    Rôle assumé

    Taylor Swift a (parmi d’autres) soutenu Joe Biden en 2020. Mais, quatre ans après, son post et sa signature sarcastique – « Taylor Swift, Childless Cat Lady », référence aux propos, en 2021, du vice-candidat réactionnaire J. D. Vance sur les démocrates « femmes à chat sans enfants » – signalent un changement d’échelle, une mutation du rôle politique de la culture populaire. Il ne s’agit pas de vedettes individuelles apportant leur belle caution en surplomb, mais d’un empowerment [« responsabilisation »] de leurs publics ; la reconnaissance d’un champ culturel qui ne se réduit pas à ses stars ou à ses produits mondialisés, mais joue un rôle-clé (au cinéma, dans la chanson, les séries, la mode et le sport) dans la promotion et l’expression des valeurs portées par la candidate Harris.

    Bien sûr, on peut espérer que Kamala Harris, avec le post de Taylor Swift, engrange les voix supplémentaires qui pourraient la mener à une victoire tant espérée – tout comme le soutien d’Oprah Winfrey avait joué dans la victoire de Barack Obama à la primaire démocrate en 2008 (où Harris avait alors été un de ses premiers soutiens). Mais ce sont des phénomènes peu calculables, et marginaux.

    Ce qui importe ici est le rôle enfin assumé de la culture populaire dans la politique. Car le potentiel de la culture populaire comme ressource et lieu d’invention autonome est souvent ignoré et dévalué. Les industries culturelles sont souvent conçues en France comme divertissement sans valeur théorique ou politique, que les critiques saisissent toute occasion de dénigrer.

    Il aura fallu le choc esthétique et démocratique des cérémonies des Jeux olympiques et paralympiques de Paris 2024 pour qu’apparaissent au grand jour la puissance politique du bouillonnement créatif de ces formes culturelles et leur entrelacement avec la création contemporaine. Il aura fallu les Jeux eux-mêmes, fertiles en moments d’intensité morale, d’émotions d’égalité et de dignité, pour que le sport comme culture populaire mondialisée soit soudain devenu emblématique de la dimension morale du populaire.

    Valeurs de « care »

    La popularité de Kamala Harris est inscrite dans cette dimension culturelle et elle en joue sur les réseaux, utilisant tous les ressorts de la culture pop – mèmes, danses, voire vidéos de cuisine. Toujours en inversion radicale des pseudo-« valeurs » de Trump : le racisme, le sexisme, le mépris moqueur des handicapés et des minorités sexuelles.

    Revenons sur le timing parfait de Taylor Swift : un soutien juste après ces heures de débat où non seulement Kamala Harris a dominé Donald Trump, mais l’a fait avec un positionnement moral, allant lui serrer la main à l’arrivée, signalant constamment sa vilenie (« disgrace ») intellectuelle et politique. Tout en se fichant ouvertement de lui, assumant la personnalité politique qui l’a amenée où elle est et qu’elle a parfois refoulée ces dernières années (son côté jovial et assuré, son éclat de rire aux allégations de Trump sur les immigrés), elle a défendu et exprimé des valeurs orthogonales à celles de l’ex-président.

    On a dit que Kamala Harris n’avait guère exposé de vision pour son mandat futur. Mais elle a réfuté toutes les contre-valeurs exsudées par Trump, en défendant les droits de femmes, en affichant sa préoccupation pour les vulnérables, opposant son « I care about you » (« je me soucie de vous ») au narcissisme d’un candidat toujours grotesquement préoccupé de lui-même. Sa bonne humeur rieuse contraste avec l’amertume et la violence qui émanent de la personnalité de Trump, dont témoigne encore son exploitation culpabilisatrice de ce qui pourrait être une deuxième tentative d’assassinat.

    Ce sont bien ces valeurs de « care » exprimées par Kamala Harris auxquelles Taylor Swift donne son appui. Avec son colistier Tim Walz, Kamala Harris assume à la fois un changement culturel, souligné par la présence même de cette candidate (femme et racisée, comme si cela allait de soi), et un positionnement populaire, voire populiste – un terme qui ne fait pas peur aux politiques états-uniens.

    Le slogan de Harris, « We are not going back », c’est-à-dire tourner la page, aller de l’avant, pourrait s’appliquer à l’histoire culturelle du présent. Elle assume ainsi avec le progressisme radical une forme de #populisme, terme qui, en américain, n’est pas que péjoratif. Dans cette langue, il renvoie également à une défense du citoyen ordinaire comme porteur de valeurs et pouvoir démocratiques. Bien sûr, cela paraît difficile de défendre aujourd’hui le populisme dans sa version la plus néfaste, celle qui est associée à des tendances autoritaires voire fascisantes, Trump le premier. Mais n’oublions pas qu’Obama se revendiquait populiste et déniait ce titre à Trump, l’accusant de s’accaparer une étiquette qui ne lui revenait pas – et que Biden l’a assumé pour sa #politique économique.

    Accepter la puissance politique de la culture populaire nous invite à analyser notre refus du populisme. Sans tomber dans un « populisme de gauche » groupusculaire qui n’a jamais pu convaincre, ne serait-il pas temps de reconsidérer ensemble le populaire et le populisme ? Et de se demander si le rejet réflexe du populisme par la classe politique qui se veut démocratique et sa condescendance envers le populaire ne sont pas devenus des verrous pour la démocratie ?

    Sandra Laugier est professeure de #philosophie à l’université Paris-I Panthéon-Sorbonne. Elle a dirigé l’ouvrage collectif « Les Séries. Laboratoires d’éveil politique » (CNRS Ed., 2023).

    Lire aussi
    « Les supporteurs de Kamala Harris devraient garder la tête froide : les jeux ne sont pas faits », Françoise Coste, Professeure d’études américaines
    https://justpaste.it/bdx43
    « De nombreuses études ont démenti le mythe selon lequel Trump serait le président de la classe ouvrière », Mario Del Pero, historien
    https://justpaste.it/extv5 

    #philosophie_française #élections

    (à la décharge de l’impétrante, c’est vrai que "les blondes préfèrent les métèquees" aux roquets à mèche, c’est ba-lai-se)

    • Présidentielle américaine : le puissant syndicat des routiers renonce à soutenir Donald Trump ou Kamala Harris, après vingt-cinq ans d’appui aux démocrates
      https://www.lemonde.fr/international/article/2024/09/18/presidentielle-americaine-le-puissant-syndicat-des-routiers-renonce-a-souten

      Le Parti démocrate a pu compter sur le fidèle soutien des Teamsters depuis l’an 2000, et c’est la première fois depuis 1996 que le syndicat choisit de ne soutenir aucun candidat. Deux sondages rendus publics mercredi montrent que la base est favorable à un soutien à Donald Trump.
      Des représentants de l’organisation syndicale, fédérant 1,3 million de membres, avaient pourtant rencontré lundi Kamala Harris. Les Teamsters ont soutenu à chaque élection les candidats démocrates depuis Al Gore : John Kerry, Barack Obama, Hillary Clinton et Joe Biden. Avant, ils avaient apporté leur appui à Ronald Reagan, en 1984, et à George H. W. Bush, en 1988, puis à Bill Clinton, en 1992.

  • « La capacité des grands groupes à imposer une hausse des #prix pour maintenir leur taux de marge explique la persistance de l’#inflation »
    https://www.lemonde.fr/idees/article/2024/09/16/la-capacite-des-grands-groupes-a-imposer-une-hausse-des-prix-pour-maintenir-

    Les trois économistes Eric Berr, Sylvain Billot et Jonathan Marie démontrent, dans une tribune au « Monde » que l’économie française a connu une désinflation en trompe-l’œil et qu’il n’y aura pas, par conséquent, de retour au « monde d’avant ».

  • Naufrages de la Manche : « La politique migratoire franco-britannique est mortifère, et ce n’est pas aux associations d’en pallier l’inconséquence »
    https://www.lemonde.fr/idees/article/2024/09/16/naufrages-de-la-manche-la-politique-migratoire-franco-britannique-est-mortif

    Naufrages de la Manche : « La politique migratoire franco-britannique est mortifère, et ce n’est pas aux associations d’en pallier l’inconséquence »
    Tribune Collectif
    En dix jours, au moins vingt personnes ont perdu la vie dans la Manche en tentant de rejoindre le Royaume-Uni sur des embarcations de fortune. Le mardi 3 septembre, douze personnes, dont dix femmes, ont péri ; dix jours plus tard, dans la nuit du 14 au 15 septembre, ce sont huit personnes qui sont décédées lors d’une tentative de traversée. Quant aux survivants, parfois proches des victimes, ils ont dans l’un et l’autre cas été l’objet d’un abandon institutionnel complet.
    Cela fait des années que ces drames se répètent inlassablement. Depuis le début de l’année 2024, ce sont 52 personnes qui sont décédées, et au moins 446 depuis 1999 – sans compter le nombre important de disparus. Toutes ces personnes sont victimes des politiques migratoires imposées par les Etats membres de l’Union européenne (UE) et par le gouvernement britannique.
    Cette dernière décennie, nous avons vu une augmentation importante du nombre de décès de personnes tentant de traverser la frontière franco-britannique. Mortelles, les politiques publiques à cette frontière le sont toujours plus : les très nombreux accords bilatéraux entre la France et le Royaume-Uni, et les politiques menées par les gouvernements de ces deux pays, ont pour seuls objets une militarisation toujours plus importante de la frontière et une répression continue des personnes exilées qui y survivent.
    En maintenant les personnes exilées dans des conditions de précarité absolue alors qu’elles se trouvent sans perspective ailleurs en Europe, les autorités les poussent à quitter le territoire français coûte que coûte. En cherchant à étanchéifier la frontière, elles les poussent à prendre toujours plus de risques.
    A l’intolérable, les autorités ajoutent l’indécence. Au lendemain du naufrage du 3 septembre, le lieu de vie d’une grande partie des personnes naufragées a été entièrement détruit au cours d’une expulsion de grande ampleur. Les cent cinquante personnes qui y vivaient, dont de nombreux rescapés du naufrage mortel de la veille, ont donc tout perdu : tentes, bâches, couvertures, ustensiles de cuisine, ainsi que la possibilité d’un espace familier, où elles pouvaient savoir quels proches manquaient à l’appel.
    Si quelques personnes rescapées ont pu passer la nuit dans des hébergements d’urgence ou citoyens, c’est uniquement grâce à la mobilisation de soutiens (associatifs ou non) : la plupart se sont retrouvées à la rue, dans une situation encore plus précaire, et plusieurs ont depuis retenté la traversée.
    Ce scénario indigne s’est répété le 15 septembre, puisqu’une grande partie des survivants du naufrage, après avoir été mis à l’abri quelques heures dans un gymnase, ont passé une dizaine d’heures au commissariat, avant d’être renvoyés vers la rue, sans proposition de soutien psychologique ou d’hébergement.
    En déplorant l’absence de traité migratoire entre les gouvernements des pays membres de l’UE et du Royaume-Uni, l’attractivité du marché du travail et l’absence de politique d’expulsion des personnes exilées outre-Manche, le ministre de l’intérieur démissionnaire, Gérald Darmanin a, dès le 3 septembre, cherché à se décharger de sa responsabilité dans ce naufrage sur le Royaume-Uni. Pourtant, c’est bien sous son autorité et sous celle du gouvernement français que sont menées ces opérations de harcèlement continu. C’est cette politique d’épuisement qui crée les conditions pour que les personnes se jettent dans les bras des trafiquants d’êtres humains, et meurent en mer, dans des accidents de camion, sur les routes ou les voies ferrées.
    Depuis des années, à Calais et Dunkerque, le Groupe décès [un collectif composé de citoyens indépendants, membres d’association ou non] accompagne et soutient, autant que faire se peut, les proches des personnes décédées et les communautés de personnes exilées. Il cherche également à faire le lien avec les autorités administratives face à leur absence totale de mobilisation. La préparation de l’inhumation ou du rapatriement, le soutien psychologique ou matériel des rescapés, des témoins, et de celles et ceux qui ont vu leur frère, leur sœur, leurs parents, leurs proches mourir sous leurs yeux, sont primordiaux. Or, l’absence de prise en charge étatique oblige des citoyens et associations, sans moyens dédiés, à jouer ce rôle, avec des conséquences traumatiques importantes pour les survivants, les familles et les aidants.
    Il est aujourd’hui temps que les Etats français et britannique assument les conséquences de leur politique et qu’ils prennent leurs responsabilités, tant dans l’accompagnement social des proches des victimes et des rescapés que dans la prise en charge des frais de funérailles. Cette politique est mortifère, et ce n’est pas au Groupe décès ni à l’ensemble des soutiens et des associations d’en pallier l’inconséquence.
    Nous demandons une remise en cause profonde des politiques migratoires appliquées tant au niveau local que national et européen. La politique de maltraitance des personnes exilées, dans la vie comme dans la mort, doit cesser immédiatement. Une politique d’accueil, de dignité, d’accès aux droits et au séjour doit s’y substituer pour permettre à celles et ceux qui souhaitent rester en France de pouvoir le faire.
    Les voies de passage sûres vers le Royaume-Uni doivent profiter à tous et toutes, pour permettre, en cohérence avec l’article 13 de la Déclaration universelle des droits de l’homme, à celles et ceux dont c’est le but de s’y rendre. Seul un changement radical des politiques menées à la frontière franco-britannique permettra d’éviter ces drames.
    Premiers signataires : Yolaine Bernard, présidente de Salam Nord/Pas-de-Calais ; Fanélie Carrey-Conte, secrétaire général de La Cimade ; Olivier Caron, président de la délégation du Secours catholique Pas-de-Calais ; Jean-François Corty, président de Médecins du monde France ; Adrien Delaby, délégué général de L’Auberge des migrants ; Jean-François Dubost, directeur du plaidoyer du CCFD-Terre Solidaire (Comité catholique contre la faim et pour le développement) ; Cédric Herroux, responsable de la communauté Emmaüs Roya ; Yann Manzi, délégué général d’Utopia 56 ; Dany Patoux, présidente d’Osmose 62 ; Samuel Prieur, délégué du Secours catholique Nord-Lille.

    #Covid-19#migrant#migration#france#manche#mortalite#politiquemigratoire#humanitaire#sante

  • Thibaut Fleury Graff, juriste : « Pour les personnes bloquées à Calais, la frontière n’est pas une passoire, mais, trop souvent, un mouroir »
    https://www.lemonde.fr/idees/article/2024/09/15/thibaut-fleury-graff-juriste-pour-les-personnes-bloquees-a-calais-la-frontie

    Thibaut Fleury Graff, juriste : « Pour les personnes bloquées à Calais, la frontière n’est pas une passoire, mais, trop souvent, un mouroir »
    Tribune Thibaut Fleury Graff
    Professeur de droit public à l’université Paris-Panthéon-Assas
    Le nouveau premier ministre, Michel Barnier, n’a pas tout à fait tort lorsqu’il déclare, le 6 septembre, que les frontières sont des « passoires » : pour beaucoup, elles le sont, en effet. C’est d’abord vrai pour les Français eux-mêmes : dotés, aux côtés des Allemands, des Italiens ou des Espagnols, de l’un des passeports les plus « puissants » au monde, ils peuvent se rendre dans plus de 190 Etats sans avoir besoin pour cela d’obtenir un visa préalable.
    « Passoire », la frontière l’est aussi pour les diplomates et hauts responsables étatiques qui, comme M. Barnier par exemple, disposent de passeports spécifiques leur permettant un accès facilité aux territoires étrangers. La liste cependant s’arrête à peu près là : pour les autres, la frontière ne se franchit qu’à différents prix – parfois, celui d’une vie.
    Ce prix est d’abord celui du visa, obligatoire, à quelques exceptions près, pour accéder au territoire français et dont la délivrance obéit à des procédures longues et coûteuses, aux résultats incertains.
    Ainsi, en 2023, selon les chiffres du ministère de l’intérieur, 500 000 ont été refusés – un chiffre similaire en 2022. S’il est vrai que près de 2,5 millions de visas ont néanmoins été accordés en 2023, la plupart l’ont été pour de courts séjours, correspondant à des visites, touristiques notamment, de moins de trois mois : seuls 12 % des visas accordés concernaient un long séjour.
    Faut-il considérer pour autant que le visa ne serait pas indispensable et que pénétrer sur le territoire français serait aisé sans en être pourvu ? Il n’en est rien : au-delà du fait que cela interdit toute arrivée par la voie aérienne, il faut rappeler que l’Union européenne a mis en place, depuis de nombreuses années maintenant, des partenariats avec des Etats tiers (Maroc ou Turquie, pour ne citer que ces deux exemples) destinés à limiter les arrivées irrégulières sur le territoire de ses Etats membres, et qu’elle s’est dotée en mai d’un nouvel ensemble législatif qui renforcera encore ces contrôles.
    La France elle-même a rétabli depuis près de dix ans les contrôles à ses frontières intérieures et peut, en vertu du règlement de Dublin, transférer vers l’Etat membre par lequel ils sont entrés les demandeurs d’asile qui tenteraient d’y être protégés. Pour celles et ceux qui tentent malgré tout l’exil, le prix sera celui du contournement de ces procédures : 5 000 euros au moins, souvent trois ou quatre fois plus, pour les trafiquants de migrants.
    C’est apparemment sans cynisme que le nouveau premier ministre a choisi de qualifier les frontières de « passoires » deux jours seulement après que douze personnes ont péri dans la Manche, victimes de ces complexités. Car les personnes bloquées à Calais et qui tentent de rejoindre le Royaume-Uni sont dans la même situation que celles qui le sont au Maroc, en Turquie ou en Libye et qui tentent de rejoindre l’Italie, la Grèce ou l’Espagne. A la différence des Français, des Italiens ou des Espagnols – et de leurs premiers ministres –, la frontière pour elles n’est pas une passoire mais, trop souvent, un mouroir.

    #Covid-19#migrant#migration#france#royaumeuni#manche#routemigratoire#migrationirreguliere#politiquemigratoire#frontiere#droit#sante

  • Comment Emmanuel Macron a plombé les comptes publics en 5 graphiques | Alternatives Economiques
    https://www.alternatives-economiques.fr/emmanuel-macron-a-plombe-comptes-publics-5-graphiques/00112311

    La crise du Covid et la guerre en Ukraine n’expliquent pas à elles seules le dérapage des finances publiques. Les choix fiscaux du président et de son ministre de l’Economie pèsent lourdement dans la balance.

    https://justpaste.it/7ndts

  • « Au Venezuela, le braquage électoral de Nicolas Maduro est le dernier épisode d’une histoire aussi triste qu’exceptionnelle, celle de l’effondrement d’un pays »
    https://www.lemonde.fr/idees/article/2024/09/12/au-venezuela-le-braquage-electoral-de-nicolas-maduro-est-le-dernier-episode-

    « Au Venezuela, le braquage électoral de Nicolas Maduro est le dernier épisode d’une histoire aussi triste qu’exceptionnelle, celle de l’effondrement d’un pays »

    Imaginons qu’on remplace Venezuela par France, et Nicolas Maduro par Emmanuel Macron

  • Pour un spatio-féminisme - @Nepthys Zwer - Éditions La Découverte
    https://www.editionsladecouverte.fr/pour_un_spatio_feminisme-9782348084195

    *Pour un spatio-féminisme, de l’espace à la carte
    Nos usages de l’espace reflètent notre situation sociale. En effet, le rapport qu’une personne entretient avec l’espace en dit long sur la place et le rôle qui lui reviennent en société. Où et comment habite-t-elle, vit-elle, travaille-t-elle ? Dans quel périmètre sa vie se déploie-t-elle ? Comment se déplace-t-elle et à quelle vitesse ?

    Dans cet essai novateur, richement illustré et nourri de théories féministes, Nepthys Zwer mobilise l’approche spatiale pour apporter un nouveau regard sur les phénomènes d’aliénation, de soumission et de domination. Alors que la cartographie a toujours été employée et instrumentalisée par les pouvoirs dominants masculins, Nepthys Zwer se sert de la contre-cartographie pour révéler d’autres aspects de notre rapport à l’espace et explorer au travers des représentations mentales, imaginaires et culturelles, l’assignation dans l’espace public. Cet ouvrage cherche les voies d’une émancipation, non seulement pour dénoncer mais aussi pour dépasser les situations d’inégalité et d’injustice sociale que subissent les groupes subalternes.

    • Le spatio-féminisme, selon Nepthys Zwer | France Culture
      https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/l-idee/le-spatio-feminisme-selon-nepthys-zweg-1394949

      Notre espace ne relève pas de l’évidence avec laquelle on l’arpente au quotidien. La ville est-elle un espace neutre ? Comment l’espace et la géographie participent à construire les inégalités entre les hommes et les femmes ? En quoi notre rapport à l’espace est-il genré ?

      Avec Nephtys Zwer Historienne, chercheuse en histoire et culture des pays de langue allemande

      L’espace serait façonné par le genre, autant qu’il façonne nos pratiques de genre. En suivant cette thèse, le patriarcat s’incarne matériellement dans un espace pensé par les hommes et pour les femmes. Comment nos pratiques de genre s’articulent-elles dans des dispositifs d’agencement patriarcaux ?

    • Oh !!!

      Hier, le canard du coin publiait sur les nouveaux investissements (massifs) de la mairie pour « les jeunes ».

      En vrai, ils auraient pu écrire pour « les mecs », puisque le très gros de l’enveloppe part dans l’extension du skate park et des trucs de rugby.

      Je crois qu’ils ont gardé des pièces rouges pour le local de la zumba, un truc dans le genre .

      C’est toujours comme ça : les équipements utilisés prioritairement voire exclusivement pour les activités ± exclusivement masculines bénéficient de grosses enveloppes avec plein de pub autour, puis quelqu’un doit faire une remarque dans le fond de la salle et vite, on file une poignée de piécettes pour « elles font quoi déjà les gonzesses, en dehors de nous servir discrètement H24 ? », ah oui, la femme du maire a les fesses fermes grâce au club de gym… au moins, ça nous sert à quelque chose.

    • « Pour un spatio-féminisme » : infléchir l’agencement patriarcal de l’espace
      https://www.lemonde.fr/idees/article/2024/09/25/pour-un-spatio-feminisme-inflechir-l-agencement-patriarcal-de-l-espace_63333

      Dans son ouvrage, l’historienne Nepthys Zwer dresse un vaste état des lieux du rapport différencié des genres à l’espace.

      Livre. Marquant le retour sur le lieu de vie, de travail ou d’apprentissage, la rentrée peut être l’occasion de s’interroger à nouveaux frais sur les relations que nous entretenons aux espaces quotidiens. Et de remarquer que, dans la cour de récréation, les garçons occupent le plus souvent le centre de l’espace en se livrant à des activités sportives, tandis que les filles se trouvent reléguées aux marges du terrain ; que la température des bureaux climatisés est adaptée à la physiologie masculine ; que, dans les transports en commun, les unes prennent moins de place que les autres ; que, dans la rue, elles sont toujours en mouvement – l’occupation statique de l’espace public étant un privilège masculin.

      C’est précisément sur ce rapport différencié des genres à l’espace que se penche Nepthys Zwer, historienne de la culture visuelle, dans Pour un spatio-féminisme. De l’espace à la carte, (La Découverte, 216 pages, 22 euros). L’autrice s’emploie d’abord à dresser un vaste état des lieux et à souligner combien « les règles du jeu spatial sont au désavantage des femmes », avant de mettre en lumière les multiples canaux par lesquels les femmes sont conditionnées à accepter et à respecter ce partage inégal de l’espace, voire à le considérer comme naturel – en particulier le fait que « le langage et les connaissances géographiques ainsi produites soient tributaires d’un point de vue masculin ».

      « L’espace symbolique de la carte »
      Si, par volonté pédagogique, cette synthèse se laisse parfois déborder par son sujet, le propos se fait plus précis lorsque Nepthys Zwer retrace l’apport de la critique féministe à la compréhension de l’espace, de la philosophe américaine Donna Haraway à la géographe française Camille Schmoll.

      Dès lors, que faire pour infléchir l’agencement patriarcal de l’espace ? En complément des nombreux autres modes de lutte, l’autrice plaide dans la dernière partie en faveur de la pratique de la contre-cartographie, c’est-à-dire la production de cartes alternatives destinées à révéler et à contester les structures de pouvoir.

      Nourrie tant de connaissances historiques sur ses utilisations militantes et féministes que de sa propre expérience – l’autrice anime régulièrement des ateliers de cartographie collective –, elle explique comment cette subversion du pouvoir des cartes peut à la fois aider les participantes à comprendre leurs pratiques quotidiennes, faire émerger de nouvelles informations spatiales autrement difficiles à objectiver et concourir à la formulation de contre-discours efficaces. « S’inscrire dans l’espace symbolique de la carte, c’est forcer la reconnaissance de soi, c’est exister pour les autres » : les femmes et les minorités, longtemps rayées de la carte, ont donc, selon elle, tout à gagner à s’emparer de cet outil.

      Le Monde indique gentiment qu’il reste 3-4% de l’article derrière le #paywall
      Probablement, juste la signature de l’autrice :-(

  • Naufrages dans la Manche : « Il serait juste que les Britanniques s’engagent dans la gestion des flux migratoires »
    https://www.lemonde.fr/idees/article/2024/09/11/naufrages-dans-la-manche-il-serait-juste-que-les-britanniques-s-engagent-dan

    Naufrages dans la Manche : « Il serait juste que les Britanniques s’engagent dans la gestion des flux migratoires »
    Tribune Cyrille Schott,Préfet honoraire de région
    Mardi 3 septembre, douze personnes sont mortes noyées dans la Manche après le naufrage de leur embarcation de fortune, en cherchant à rallier l’Angleterre. L’émotion est forte. Les autorités accusent les passeurs. Les associations accusent les Etats. Et tout continue comme avant.Le Royaume-Uni n’a jamais appartenu à l’espace Schengen et, désormais, il ne fait plus partie de l’Union européenne (UE). La France est tenue de protéger les frontières extérieures de l’espace Schengen contre des flux migratoires venant de l’Angleterre… qui n’existent pas. Mais le gouvernement français empêche des migrants de quitter l’espace Schengen, ce qui ne fait pas partie de sa mission.
    Le Royaume-Uni a réussi à exporter sa frontière sur le territoire français, où nos 1 700 policiers et gendarmes déployés sur le littoral œuvrent comme gardes-frontières « supplétifs » de Sa Gracieuse Majesté, une qualification dont ils se passeraient d’autant plus que les médias britanniques ne cessent de vilipender leur travail.
    Une solution radicale serait de renvoyer les Britanniques à leurs responsabilités, en dénonçant les accords du Touquet (2003), et de leur laisser le soin de protéger leur frontière sur leur sol. Sans en arriver là, encore que l’idée se défende, il serait juste que les Britanniques s’engagent dans la gestion des flux migratoires autrement qu’en finançant des dispositifs consistant à ériger un « mur » sur le continent, constamment contourné. Après que les accès à leur île ont été verrouillés sur le port de Calais et aux entrées du tunnel de Sangatte, ils doivent faire face aux traversées de la Manche par les migrants.
    Partant de divers points du littoral, les 30 000 à 40 000 personnes arrivant annuellement par cette voie constituent une goutte d’eau dans la masse des 1,2 million de migrants accueillis en 2023 au Royaume-Uni. C’est l’accent mis sur ces entrées, à cause d’une frontière voulue fermée et de l’acharnement de certains médias, qui crée le problème. L’entrée du Royaume-Uni dans l’espace Schengen, à l’instar de la Suisse, réglerait la question.
    Lorsque j’étais préfet du Pas-de-Calais, j’ai eu à m’occuper du camp de Sangatte, prévu pour 200 personnes et qui avait fini par en héberger 1 700, toutes espérant réussir le passage par le port de Calais ou le tunnel de Sangatte. Ce camp, qu’une Croix-Rouge fatiguée gérait avec dévouement, tenait de la poudrière, que Nicolas Sarkozy, alors ministre de l’intérieur, décida de fermer en 2002. Le gouvernement britannique, sous pression constante des tabloïds et trop heureux de la décision, accueillit sans barguigner 1 400 occupants du camp, les 300 autres l’étant par la France.
    La question des flux n’était toutefois pas réglée. Nous avons alors, avec mes services et les forces de sécurité, inventé le plan « Ulysse » autour de plusieurs idées : ne plus laisser de migrants se fixer sur la côte, entre Calais et Sangatte, et les encourager à demander l’asile en France ; à défaut, les faire interpeller par les forces de sécurité avant qu’ils ne s’installent et reconduire chez eux, une minorité, ceux susceptibles de l’être compte tenu des conditions de sécurité dans leur pays d’origine ; éloigner les autres du Calaisis, en les transportant dans des autocars confortables, dotés de nourriture et de boisson, dans des centres de la Sonacotra, distants de centaines de kilomètres, avant d’examiner leur situation pour l’octroi éventuel de l’asile.
    Il fallait des effectifs suffisants, au moins trois unités de forces mobiles, pour contrôler le littoral ; des autocars et des interprètes pour l’éloignement du Calaisis ; et assez de places pour l’accueil. Tant que le ministre suivit le dossier, je reçus les moyens nécessaires. Après qu’il eut considéré l’affaire politiquement gérée, je me retrouvai seul face aux responsables à même d’octroyer ces moyens et je peinai à les obtenir. Néanmoins, et malgré les retours de personnes déplacées vers des centres d’accueil, pas plus de 100 à 150 migrants séjournaient dans le Calaisis à mon départ du département, en juillet 2004. Cela au prix d’un suivi très attentif et quotidien de la situation.
    Lorsqu’en 2016, le gouvernement a fait démonter ce qu’on a appelé « la jungle », entre 7 000 et 10 000 personnes s’y étaient établies dans des conditions indignes. Et, aujourd’hui, des milliers sont éparpillés le long de la côte.Si la France veut éviter la solution radicale et une tension majeure avec le Royaume-Uni, du moins pourrait-elle exiger de celui-ci qu’il s’implique dans l’examen de la situation des personnes désireuses de rejoindre son sol. Il faudrait alors ne pas laisser s’installer les migrants sur le littoral, et les conduire dans des centres d’accueil éloignés, en évitant de les regrouper en un seul endroit pour ne pas créer un point de fixation et d’attraction. Cela suppose des forces de sécurité en nombre suffisant et que la loi autorise ce transport d’autorité, un jugement de tribunal administratif l’empêchant actuellement, selon mes informations.
    Des équipes mixtes franco-britanniques se rendraient sur place pour analyser la situation des migrants au regard, notamment, du droit d’asile et des règles du regroupement familial. Le Royaume-Uni s’engagerait à recevoir les personnes remplissant les conditions de l’accueil. La France ferait de même. Celles à reconduire dans leur pays d’origine pourraient l’être dans le cadre d’un accord européen, d’autant que les problèmes sur le littoral concernent aussi nos voisins belges. Un tel accord n’impliquerait pas nécessairement Frontex, dont la mission est d’empêcher l’entrée illégale dans l’espace Schengen et non la sortie de celui-ci.
    Un budget franco-britannique pourrait financer cette politique commune, suivie régulièrement par une commission mixte associant délégués des gouvernements, parlementaires, élus locaux, voire associations, avec, à sa tête, deux responsables, l’un français et l’autre britannique. Un préfet missionné à cet effet pourrait veiller à la disponibilité et à la bonne direction de moyens suffisants en provenance de plusieurs ministères. Quoique imparfaite, cette solution pourrait permettre d’éviter l’ampleur des drames présents.
    Cyrille Schott, ancien conseiller au cabinet du président François Mitterrand, a occupé huit postes de préfet, de 1987 à 2009, dont celui du Pas-de-Calais, de 2001 à 2004. Il a dirigé l’Institut national des hautes études de la sécurité et de la justice (2014-2016) et appartient au bureau d’EuroDéfense-France.

    #Covid-19#migrant#migration#france#royaumeuni#frontiere#routemigratoire#traversee#accordmigratoire#mortalite#sante#politiquemigratoire

  • « Jusqu’où ira la prochaine présidence ? Il est temps de stopper cette dérive politique et institutionnelle », Delphine Dulong, politiste
    https://www.lemonde.fr/idees/article/2024/09/10/delphine-dulong-politiste-jusqu-ou-ira-la-prochaine-presidence-il-est-temps-

    La crise politique que la France traverse ne surgit pas de nulle part. Elle ne fait que révéler au grand jour les problèmes et dangers propres à la #Ve_République. Dès l’origine, celle-ci a dénigré la #délibération parlementaire qui fondait jusque-là toutes les décisions politiques au nom d’une conception technocratique du pouvoir qui considère les données chiffrées comme plus neutres et plus efficaces que le débat d’idées.
    La décision politique a été réduite à une technique de gestion rationnelle des ressources et contraintes économiques et sociales. Les gouvernements se sont remplis d’experts (et plus tard de communicants) tandis que les députés des groupes majoritaires à l’Assemblée nationale étaient incités à voter sans discuter ni amender leurs projets.

    https://justpaste.it/ewz7q

    #technocratie #présidentialisme

  • « L’affichage de la réelle situation financière des collectivités territoriales pourrait constituer une véritable bombe »
    https://www.lemonde.fr/idees/article/2024/09/09/l-affichage-de-la-reelle-situation-financiere-des-collectivites-territoriale

    La chercheuse en management Marie Caussimont observe, dans une tribune au « Monde », que l’absence de certification des comptes des collectivités locales permet de dissimuler de nombreuses dérives comptables.

  • « Au lieu d’une inflation technique coûteuse pour l’environnement, pourquoi ne pas simplement réglementer le poids des voitures ? »
    https://www.lemonde.fr/idees/article/2024/09/08/au-lieu-d-une-inflation-technique-couteuse-pour-l-environnement-pourquoi-ne-

    Au cœur de l’été, les nouvelles normes européennes de sécurité des automobiles ont commencé à entrer en vigueur dans une grande indifférence, comme toutes ces mesures techniques qui semblent aller de soi. Après tout, l’amélioration de la sécurité routière est une cause assez consensuelle – nul ne souhaite tuer, ou être tué, dans un accident de la route –, et le renforcement des véhicules par l’innovation est un moyen qui échappe à toute forme de débat ou de discussion. Derrière des mesures en apparence indolores se dissimule pourtant tout un impensé politique : celui d’un certain rapport à la technologie, investie de toutes sortes de pouvoirs et envisagée comme unique pourvoyeuse de solutions à chaque problème – y compris à ceux dont elle est responsable.

    Ces nouvelles normes automobiles sont un cas d’espèce. Depuis le 7 juillet, tout véhicule (neuf) à quatre roues commercialisé dans l’Union européenne doit être équipé d’une myriade de #systèmes_électroniques et de #capteurs permettant l’aide au maintien de la trajectoire, le freinage d’urgence autonome, l’adaptation « intelligente » de la vitesse, l’alerte en cas de distraction ou de somnolence du conducteur, la détection d’obstacles à l’arrière du véhicule, etc.
    Voitures et camions devront aussi avoir passé l’épreuve de nouveaux crash-tests plus exigeants, ce qui va mécaniquement conduire à leur alourdissement, relève l’UFC-Que choisir. Il est impossible d’anticiper l’impact que ces mesures auront sur l’accidentologie, mais il est certain qu’elles contribueront non seulement à accroître la quantité d’énergie nécessaire à faire rouler nos voitures, mais aussi à aggraver leur empreinte environnementale, avec à leur bord plus d’électronique et plus d’écrans, donc plus d’eau et d’énergie nécessaires à leur fabrication, plus de métaux, de terres rares, de plastiques, etc. L’ampleur des bénéfices est incertaine, les inconvénients sont assurés.

    Réductionnisme technique

    On touche ici au paradoxe le plus cocasse de la fabrique des politiques publiques européennes, dont chacune semble dotée de son gouvernail propre. Tandis qu’à un étage du Berlaymont on pédale fort pour aller vers le nord, on manœuvre âprement à l’étage du dessous pour mettre le cap au sud (d’où l’importance cardinale des porte-parole de la Commission, dont la tâche est ensuite d’échafauder des déclarations capables de nous convaincre que le nord et le sud se trouvent en réalité, plus ou moins, dans la même direction).

    L’Union européenne s’est ainsi dotée d’objectifs de réduction des émissions de gaz à effet de serre d’au moins 55 % à l’horizon 2030, mais contraint dans le même temps son industrie #automobile à alourdir l’empreinte environnementale et climatique de ses voitures. On rétorquera que le mouvement en cours, fortement poussé par l’UE, est à l’électrification du parc. C’est juste. Mais l’énergie issue des renouvelables ou des centrales nucléaires n’est pas inépuisable : d’importants efforts de sobriété seront nécessaires dans tous les secteurs si l’on veut se passer des fossiles. Dans tous les secteurs, donc, sauf l’automobile – notons au passage qu’ une petite Renault Zoe ou une Peugeot 208 électrique pèse 1,5 tonne, c’est-à-dire environ trois fois plus qu’une 2CV.

    Présenté ainsi, le problème semble revenir à un arbitrage entre la protection de l’environnement et la sécurité des personnes. Mais ce faux dilemme est en réalité le fruit d’un réductionnisme technique. Quand on a un marteau dans la tête, tout prend la forme d’un clou. En réalité, les immenses progrès accomplis en matière de sécurité routière au cours du demi-siècle écoulé (de 18 000 morts par an en France en 1973 à un peu plus de 3 000 aujourd’hui) ont pour leur plus grande part été rendus possibles par des mesures socio-économiques (port de la ceinture obligatoire, limitations de vitesse, lutte contre l’alcool au volant, etc.) plutôt que par des miracles de la technique. Gageons aussi que la gratuité des autoroutes réduirait de manière significative la mortalité routière.

    Les véhicules lourds tuent plus

    Bien sûr, les voitures les plus modernes et les plus lourdes sont aussi plus sûres que jamais. C’est juste, mais là encore tout dépend du point de vue. Les choses ne sont pas exactement les mêmes selon que vous êtes à l’intérieur, ou à l’extérieur, de ces monstres d’acier. Dans une minutieuse analyse des données de l’#accidentologie américaine, l’hebdomadaire The Economist – peu suspect de luddisme ou de menées écologistes – montre, dans son édition du 7 septembre, qu’à l’échelle de la population les véhicules les plus lourds en circulation coûtent environ dix fois plus de vies humaines qu’ils n’en sauvent.

    Osons une suggestion au régulateur : en lieu et place d’une inflation technique coûteuse pour l’environnement et marginalement utile pour la sécurité, pourquoi ne pas tout simplement réglementer le poids des automobiles ? Une telle mesure aurait pour elle de réconcilier les objectifs de sécurité routière de l’Europe avec ses ambitions environnementales. Et pourquoi s’arrêter en si bon chemin ? Quitte à les réguler, pourquoi autoriser la mise sur le marché d’automobiles de plus de 2 tonnes capables d’atteindre 100 km/h en moins de quatre secondes et de filer à plus de 200 km/h, lorsque la vitesse la plus élevée autorisée n’excède pas 130 km/h ?

    En définitive, nous consommons des ressources et développons des trésors de technologie pour rendre plus sûres des automobiles que nous rendons de plus en plus dangereuses par la #surconsommation de ressources et le développement d’autres trésors de technologie. On ne sait trop comment peut finir cette escalade. Tourner en rond en détruisant au passage le climat et l’environnement : n’y a-t-il pas mieux à faire de la science et de la technique ?

    • La question c’est aussi de savoir si on peut faire des voitures électriques plus petites que la Zoé et qui peuvent se vendre. Il y a bien la Dacia spring qui doit faire 1 tonne mais l’autonomie est de moins de 300 km (soit 100 de moins que la Zoé).
      Autant dire qu’on n’est pas prêt de voir des mesures d’amaigrissement des bagnoles parce qu’aucun-e politicien-ne ne se fera élire avec une telle proposition (qu’on se rappelle juste la levée de boucliers quand il y avait eu le projet des autoroutes à 110, et aussi la limite à 80 sur les routes départementales...).

      Gageons aussi que la gratuité des autoroutes réduirait de manière significative la mortalité routière.

      Oui mais par contre avec des voitures thermiques ça augmente la consommation de pétrole. Sans compter que les autoroutes sont une aberration écologique.

    • Si toutes les électriques pouvaient ne faire « que » 1500kg, ce serait un meilleur début (faute d’être bon). Pour rappel, en électrique, dès que tu es à 130, tu consommes double, donc tu roules à 110, si vraiment tu veux faire de la distance. Ajoutons que 70 euros le « plein » en charge rapide, pour 200 km de parcourus à 110-130, tu te dis que tu ferais mieux d’avoir une thermique. D’autant que, expérience qui vaut ce qu’elle vaut, la voiture toute neuve (une 308 essence 130 ch), elle nous a permis, cet été, à deux reprises, d’avoir une autonomie de 800 km sur autoroute, vitesse moyenne entre 110 et 130, réservoir 52 litres, 90 euros pour le remplir, PV 1300kg. Presque pareil que la précédente, qui était une diesel 130 ch (on lui faisait faire 900 km). C’est pour dire que sur les moteurs essence aussi, ils font de vrais progrès en termes de consommation.

      Pour l’usage quotidien, quelques dizaines de km par jour, l’électrique fonctionne très bien, c’est un vrai confort de conduite. Cette lubie de tous avoir une voiture pour faire le voyage annuel jusqu’à l’autre bout de la France, est délétère.

      Notez que sur les électriques, le moteur n’accélère plus au delà d’une certaine vitesse : 150 sur les 208, par exemple.

  • « La survie du nouveau gouvernement sera désormais entre les mains du Rassemblement national »
    https://www.lemonde.fr/idees/article/2024/09/06/la-survie-du-nouveau-gouvernement-sera-desormais-entre-les-mains-du-rassembl

    Après avoir rejeté sans ménagement, dès le mois de juillet, la candidature de Lucie Castets, proposée par les partis composant le Nouveau Front populaire (#NFP), puis avoir tenté en vain, au cours des deux dernières semaines, de détacher le Parti socialiste (PS) de cette alliance, il ne restait plus à Emmanuel Macron qu’à se tourner sur sa droite pour trouver un locataire à Matignon, mais aussi vers l’#extrême_droite pour s’assurer que celui-ci puisse compter sur une potentielle majorité. Il est trop tôt pour savoir si le choix de Michel Barnier sera de nature à sceller une alliance durable entre la droite républicaine et le camp présidentiel. Il est clair, en revanche, que même en comptant sur les vingt-deux députés du groupe Libertés, indépendants, outre-mer et territoires, voire sur les sept non-inscrits, la survie du nouveau gouvernement sera désormais entre les mains du Rassemblement national (#RN), puisque, en comptant très large, Michel Barnier ne peut a priori tabler que sur le soutien d’au maximum 242 députés, très loin de la majorité absolue de 289 élus sur les 577 qui composent l’Assemblée nationale.

    La nomination de Michel Barnier ne tourne donc pas seulement le dos à la force politique arrivée en tête des élections législatives, mais elle acte la fin du front républicain que, tant bien que mal, le président de la République a accepté lors des élections législatives des 30 juin et 7 juillet après en avoir déjà largement bénéficié en 2017 et 2022. Elle ouvre de facto la voie à un gouvernement soutenu par l’extrême droite, comme c’est par exemple le cas en Suède depuis 2022.

    En imputer la responsabilité au PS, comme se sont empressés de le faire les macronistes, n’est guère convaincant. Le refus d’Emmanuel Macron de se plier à la logique parlementaire, qui impliquait de nommer un premier ministre issu de la coalition arrivée en tête des élections, s’explique avant tout par son refus d’accepter toute remise en cause de sa politique économique et sociale. Elle a eu pour conséquence de déresponsabiliser les partis et les groupes parlementaires et à les pousser à camper sur leurs positions.

    La stratégie des concessions

    Se mettre sous la coupe du RN plutôt que sous celle du NFP peut bien sûr se comprendre d’un point de vue idéologique : les revendications économiques et sociales portées par le RN apparaissent très en retrait par rapport à celles du NFP ; si certaines mesures de son programme, telles que la baisse de la TVA sur les carburants ou l’indexation des pensions sur l’inflation, sont très onéreuses, Jordan Bardella n’a eu de cesse, durant la campagne des législatives, de rappeler que le RN saurait tenir compte des contraintes budgétaires. Surtout, le RN, qui compte dans ses rangs de nombreux chefs d’entreprise, artisans et commerçants, est bien peu critique à l’égard de la politique de l’offre ; il n’hésite d’ailleurs pas à soutenir de nouvelles déductions de cotisations sociales ou d’impôts pour les entreprises.

    De leur côté, Emmanuel Macron et Gabriel Attal n’ont eu de cesse d’adopter des orientations de plus en plus anti-« immigrationnistes » (selon les mots du chef de l’Etat, qu’il a lui-même empruntés à l’extrême droite, le 18 juin, pour qualifier le programme du NFP). Rappelons que la loi Darmanin de février, partiellement censurée par le Conseil constitutionnel, a été présentée par Marine Le Pen comme une « victoire idéologique » en matière d’immigration et de sécurité. On y ajoutera l’adoption de mesures conservatrices conformes aux attentes du RN, comme l’expérimentation du port de l’uniforme ou l’interdiction de l’abaya à l’école. Faire des concessions sur l’immigration, les valeurs traditionnelles et les politiques répressives pour préserver sa politique économique et sociale, telle est au fond la stratégie politique du président depuis au moins 2022 pour contrecarrer la montée de l’extrême droite.

    La décision du président de la République n’en fragilise pas moins gravement les fondements de notre démocratie représentative. Rien ne garantit, à ce jour, que le président et « son » nouveau premier ministre ne soient pas tombés dans un piège tendu par Marine Le Pen et que les députés RN, jugeant les concessions en leur direction insuffisantes, ne choisiront pas, au bout du compte, de censurer le gouvernement. Si le soutien sans participation du RN devait se confirmer, il se monnayera cher. On peut douter que le RN se contente de l’adoption du mode de scrutin proportionnel.

    Présidence démonétisée

    Si Michel Barnier a pu surmonter le veto du RN, c’est d’ailleurs en raison de ses prises de position en matière d’#immigration. On se souvient qu’il avait pris tout le monde à contrepied lors de la primaire des Républicains de 2021, en affirmant que le droit français devrait primer sur les décisions des juges européens en matière d’immigration et en prônant des mesures fermes pour faciliter les expulsions des personnes en situation irrégulière du territoire national. Sera-t-il prêt à aller plus loin encore ? Sera-t-il suivi par l’ensemble des députés du camp macroniste ? Il est trop tôt pour en juger, mais la porte à une surenchère permanente de la part du RN est bel et bien ouverte.

    On mesure ce faisant l’ampleur du risque démocratique pris par Emmanuel Macron. Alors que deux tiers des électeurs, dans un scrutin législatif au taux de participation record, ont clairement rejeté le programme du RN, celui-ci serait donc en partie appliqué et, dans tous les cas, légitimé. Pire encore, la nomination de Michel Barnier revient à concéder au RN la maîtrise des horloges, le soin de provoquer, à son heure et à sa guise, une crise de régime en en imputant la responsabilité aux autres forces politiques et au chef de l’Etat. En se comportant comme un chef de parti cherchant désespérément à sauver un bilan désavoué par les électeurs, quitte à confier le gouvernement au représentant minoritaire d’un parti minoritaire, le président a démonétisé son rôle d’arbitre. Comment pourra-t-il dans un avenir proche, si le gouvernement Barnier était censuré, conserver une quelconque crédibilité ?

    Frédéric Sawicki est professeur de science politique à l’université Paris-I Panthéon-Sorbonne et chercheur au Centre européen de sociologie et de science politique (Cessp-CNRS). Il a notamment écrit, avec Igor Martinache, « La Fin des partis ? » (PUF, 2020).