Benoît Huou a évoqué en introduction de son cours un courrier de lecteurs de la revue « The Lancet » qui évaluait, début juillet, à 186 000 le nombre de Palestiniens morts sous les coups de l’armée israélienne.
Par Soazig Le Nevé
Un enseignant contractuel de la Toulouse School of Economics (TSE) a été suspendu à titre conservatoire après s’être exprimé sur la situation au Proche-Orient dans un cours de mathématiques, mardi 3 septembre.
En introduction de son cours, Benoît Huou a évoqué durant plusieurs minutes un texte publié dans « la revue de référence internationale en termes de santé », The Lancet, qui, le 5 juillet, avait évalué à « près de 200 000 morts » le nombre de décès parmi les Palestiniens face aux attaques de l’armée israéliennes depuis la fin 2023.
« Tout le monde y passe, des enfants aux personnes âgées, de mon vivant, j’ai 35 ans, j’ai jamais vécu une telle boucherie, une telle guerre à sens unique », a notamment déclaré l’enseignant devant 200 étudiants, selon un enregistrement diffusé sur le réseau X par le compte pro-Israël Sword of Salomon, qui en avait fait un « signalement ».
« La situation n’a pas commencé le 7-Octobre, et il est malhonnête de dire que le responsable de ce qui se passe actuellement c’est le Hamas », a poursuivi Benoît Huou, appelant au boycott d’Israël. « Je ne veux pas parler de ce qui s’est passé le 7-Octobre, mais rien, absolument rien ne justifie de massacrer une population civile comme c’est en train de se passer », a ajouté l’enseignant tout en dénonçant « le soutien tacite » du gouvernement français.
« Amalgames nauséabonds »
Le directeur de l’école, l’économiste Christian Gollier, a annoncé la suspension de Benoît Huou au lendemain des faits, sur X. « Tenus dans un cadre professionnel par un agent public sans relation avec la matière enseignée, ces propos contreviennent à l’obligation de réserve en vigueur dans le service public, explique-t-il. TSE est un lieu ouvert de partage des savoirs en sciences sociales. Ce dossier sera instruit sur le fond dans les semaines à venir dans le cadre des processus disciplinaires en vigueur. »
La ministre de l’enseignement supérieur et de la recherche, Sylvie Retailleau, a rappelé pour sa part, toujours sur X, que « le rôle de l’enseignement supérieur est de bâtir une société meilleure », « de combattre l’antisémitisme et toutes les discriminations », « de lutter contre les fake news et les amalgames nauséabonds », et « d’agir contre les haines et de soutenir toutes ses victimes ».
Sur le fond, le texte publié dans The Lancet ne correspond pas à un article journalistique mais à une « lettre », c’est-à-dire une contribution de lecteurs. La revue explique qu’il s’agit de « réflexions » de lecteurs sur « le contenu publié dans “The Lancet” ou sur d’autres sujets d’intérêt pour nos lecteurs » qui « ne sont généralement pas évaluées par des pairs ».
En l’occurrence, ce texte intitulé « Compter les morts à Gaza : difficile mais essentiel », a été corédigé par Rasha Khatib, chercheuse à l’Institut de recherche Advocate Aurora, basé aux Etats-Unis, et à l’Institut de santé publique et communautaire de l’Université de Birzeit en Cisjordanie occupée ; Martin McKee, professeur de santé publique européenne à la London School of Hygiene & Tropical Medicine et membre du Comité consultatif international de l’Institut national israélien de recherche sur les politiques de santé et les services de santé ; et Salim Yusuf, professeur émérite de médecine à l’Université McMaster et à Hamilton Health Sciences, au Canada.
« Bilan cohérent »
Les auteurs y indiquent qu’« il n’est pas invraisemblable d’estimer que jusqu’à 186 000 décès, voire plus, pourraient être imputables au conflit actuel à Gaza ». Pour parvenir à ce chiffre, ils ont considéré que « les conflits armés ont des conséquences sanitaires indirectes au-delà des dommages directs causés par la violence » et appliqué une « estimation prudente » de quatre morts indirectes pour un mort direct, en se basant sur le chiffre de 37 396 morts enregistré le 19 juin par le ministère de la Santé de Gaza.
Le 11 juillet, le média #France 24 avait consacré un article à cette publication « largement accusée d’être partiale, car elle s’appuie sur une méthode de calcul douteuse et des estimations hypothétiques » ou au contraire « bien accueillie par d’autres et largement partagée pour exprimer son soutien à la population de Gaza ». « Par exemple, Francesca Albanese, la rapporteuse spéciale des Nations unies sur les territoires palestiniens, l’a partagée sur son compte X comme preuve de ce qu’elle a décrit comme “neuf mois de génocide” se déroulant à Gaza », soulignait l’article.
Jean-François Corty, médecin humanitaire et président de l’ONG Médecins du Monde, interrogé par France 24, avait estimé que « le bilan de 186 000 morts évoqué par “The Lancet” est cohérent avec la situation sanitaire, militaire et géopolitique due au blocus maritime, aérien et terrestre imposé à la bande de Gaza ».
Les chiffres du ministère de la santé de Gaza sont basés sur les morts identifiés, expliquait-il, « sans prendre en compte tous les morts laissés sous les décombres des bombardements, ni les victimes indirectes décédées par manque de soins ou d’accès aux soins, ou du fait d’avoir été transportées vers un centre de santé ».
Pour Yann Bisiou, maître de conférences en droit, « ni l’appel au boycott ni la référence au “Lancet” ne sont en eux-mêmes intolérables ». Sur X, il a estimé qu’« on peut contester les propos de ce collègue, critiquer le manque de fiabilité de ses sources ou l’absence de critique du Hamas, mais pas le sanctionner pour ces propos ».
C’est il me semble grâce à ce contractuel que L’imMonde évoque l’évaluation du nombre de décès à #Gaza en raison de la guerre menée par #Israël.