Où a disparu le mouvement pacifiste ?
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par Heribert Prantl
Quarante ans plus tard. Il y a un silence, un grave silence. Des missiles de croisière Tomahawk, des missiles SM-6 et des missiles hypersoniques sont déployés en Allemagne, le pays reste silencieux, l’Europe est silencieuse. Pas de protestations, pas de manifestations
Il Manifesto 21 août 2024
Il y a un silence, un silence de pierre. Des missiles de croisière Tomahawk, des missiles SM-6 et des missiles hypersoniques sont déployés en Allemagne, le pays reste silencieux, l’Europe est silencieuse. Pas de protestations, pas de manifestations.
L’Allemagne est le seul pays d’Europe auquel ces systèmes d’armes américains sont destinés. Ils sont dirigés contre la Russie.
Pourquoi est-ce si calme ? Est-ce l’été, est-ce les vacances ? Pourquoi la déclaration américano-allemande sur le déploiement est-elle si incroyablement concise et sèche ? Elle ne fait que neuf lignes. Le silence a-t-il quelque chose à voir avec le fait qu’il semble y avoir encore du temps ? Après tout, le déploiement ne commencera pas avant 2026. Ou est-ce parce que l’on est convaincu que ces missiles « n’apporteront que la paix » ?
À l’avenir, seule la paix sortira du sol allemand" : telle est la promesse faite par les deux États allemands en 1990 avec le traité « Deux plus quatre ». La RDA et la République fédérale étaient les deux ; les quatre étaient la France, l’Union soviétique, la Grande-Bretagne et les États-Unis. Ce traité a ouvert la voie à la réunification de l’Allemagne. La paix viendra-t-elle donc de ces nouveaux missiles, qui pourraient être équipés d’armes nucléaires ? Ou bien cette promesse a-t-elle pris un autre sens après la guerre en Ukraine, parce que la dissuasion est désormais plus importante que le désarmement ? Les temps sont-ils devenus tellement guerriers que parler de désarmement n’a plus de sens ? Le mot « paix » a-t-il perdu de son attrait ? Derrière ces points d’interrogation se cache le silence.
Le président russe Vladimir Poutine a annoncé qu’il réagirait en miroir. Lorsque l’on répond à une action menaçante par une menace encore plus grande et que les adversaires ont des contre-réactions qui se nourrissent les unes des autres, on parle d’escalade. L’escalade signifie que les missiles à longue portée, qui peuvent être dotés de l’arme nucléaire en théorie, le seront également en pratique. Bertold Brecht a mis en garde contre cette course au réarmement il y a plusieurs décennies. La grande Carthage, écrivait-il en 1951, a mené trois guerres. Après la première, elle était encore puissante, après la deuxième, elle était encore habitable. Après la troisième, elle était introuvable". Dans une troisième guerre mondiale, l’Europe serait comme Carthage, ou pire. Les cavaliers de l’apocalypse sont désormais dotés d’armes nucléaires.
Le chancelier allemand Olaf Scholz a qualifié la décision d’installer les nouveaux missiles américains en Allemagne de « très bonne décision ». Doit-il dire cela parce que, dans son serment, il a promis d’éviter de nuire au peuple allemand ? Quelle est l’ampleur du risque de voir l’Allemagne devenir un champ de bataille ? C’est la crainte qui a marqué les manifestations contre le réarmement dans les années 1980, lorsque les missiles Pershing II ont été installés en République fédérale.
La guerre nucléaire, disait-on à l’époque, devenait « plus précise et plus contrôlable » avec les missiles Pershing ; le seuil d’inhibition à leur utilisation serait alors abaissé. Les Tomahawk actuellement déployés méritent vraiment le qualificatif de « précis ». Et, contrairement aux Pershing, ils peuvent atteindre Moscou. Cela augmente-t-il ou diminue-t-il le risque que Moscou tente d’éliminer ces missiles de manière préventive ?
Le silence est tel en Allemagne que l’on peut encore entendre les échos des anciennes manifestations, celles de l’époque, lorsqu’il y avait un mouvement pacifiste dans toute l’Europe. C’était il y a quarante ou quarante-cinq ans. À l’époque, des millions de personnes sont descendues dans la rue avec le slogan « Non à la mort nucléaire » et ont protesté contre la « double décision » de l’OTAN d’installer des missiles et d’entamer des négociations avec Moscou. En Allemagne, ce fut le thème central des protestations, avec la manifestation pacifiste au Hofgarten de Bonn en octobre 1981, suivie des nombreux blocages contre les transports de missiles à Mutlangen. Parmi ceux qui ont barré la route aux missiles, on trouve des écrivains comme Günther Grass et Heinrich Böll, des hommes et des femmes d’église, des artistes et des universitaires, puis de grandes masses de personnes anonymes.
À cette époque, à l’heure des mouvements pacifistes, le désarmement atteint également le système judiciaire allemand : en 1995, la Cour constitutionnelle fédérale juge que les blocages effectués par les sit-in ne constituent pas des actes de violence. Les jugements prononcés à l’encontre de ceux qui avaient bloqué les missiles ont donc dû être annulés. C’était il y a longtemps. Mais en 2010, le Bundestag a décidé à une large majorité que le gouvernement Merkel devait faire campagne « vigoureusement » pour le retrait de toutes les armes nucléaires américaines d’Allemagne. C’était également il y a longtemps. Les missiles Tomahawk d’aujourd’hui sont-ils moins dangereux parce qu’ils sont plus précis et plus rapides que les missiles Pershing d’autrefois ? Ou bien la situation mondiale est-elle si dangereuse que nous devons accepter de vivre avec la crainte que, si le pire devait arriver, il ne resterait pas une seule pierre debout en Allemagne ?
Aujourd’hui, la peur paralyse. À l’époque, elle alimentait les protestations, mais aujourd’hui, elle absorbe leur énergie. Beaucoup de gens s’éteignent complètement lorsqu’il s’agit de guerre, d’armement et d’armes, parce qu’ils ont l’impression d’être face à une montagne qu’ils ne peuvent pas voir parce qu’elle est de plus en plus haute. C’est ce qu’on appelle le désespoir. Et certains évitent de lutter pour le désarmement parce qu’ils ne veulent pas être considérés comme des amis de Poutine.
Le ministre de la défense, Boris Pistorius, affirme qu’il existe un « déficit de capacités » pour justifier le renforcement des forces armées. Mais le mouvement pacifiste souffre également d’un « déficit de capacité ». Il a perdu la capacité de protester au nom de l’espoir.
En Europe, nous devons réapprendre ce qu’est la paix. Il n’y a pas de sécurité avec encore plus de dépenses militaires, encore plus de chars ou encore plus d’ogives nucléaires. La sécurité ne double pas si l’on double les dépenses militaires et les armes. Elle ne sera pas réduite de moitié si les dépenses et les armes sont réduites de moitié. Elle augmentera si les deux adversaires apprennent à se regarder l’un l’autre. C’est ainsi que nous pourrons réapprendre à faire la paix.
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Heribert Prantl est chroniqueur au journal allemand Süddeutsche Zeitung.