Il faut faire une exégèse sémiologique de ce type de cartographie A comparer avec celle répertoriée…

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  • Pierre France sur les logiques de mise en visibilité de la violence dans la guerre entre Israël, le Hezbollah et le Liban

    ❝Le jeu de mise en doute des chiffres de décès, parce que « ministère controlé par le H », ne marchant plus sur le LbN, à la fois parce que plus personne n’est choqué par le chiffre quel qu’il soit, à la fois parce qu’il n’est pas possible de faire le même coup avec ce ministère là, le régime d’agnotologie (cet art pervers - sous couvert de science - de la mise en doute permanente et systématique, découvert et travaillé par l’historien des sciences Robert Proctor) se déplace opportunément : autres données, autres techniques.
    Il se déploie en particulier sur un autre plan, encore plus facile à modifier : les données qu’on produit soi-même. Celles du nombre de frappes, de cibles, dans le pays du nord, qu’on module suivant l’effet voulu (soit à clamer 2000 cibles touchées, soit à produire à l’inverse une carte avec si peu d’impacts dessus que l’opération a l’air limitée). Et plus que tout celles portant sur le volume de la menace : dans ce dernier cas, c’est soit de la donnée auto-référentielle et avec une logique circulaire sur l’ennemi dans l’autre pays, en frappant fort pour montrer que la menace était énorme et qu’on l’a empêché au dernier moment de faire quelque chose (justification systématiquement mise en avant, et par définition impossible à prouver) ; soit de la donnée sur soi, et sur son propre territoire et les risques encourus par sa population.
    Dans ce contexte, la définition des risques et de la menace se doit d’être la plus large possible, à la mesure du flou dans ces notions : c’est nécessaire envers la population quel que soit le pays (à laquelle on ne peut pas dire qu’on aurait fait autre chose que penser à tout et prendre en compte tous les risques), c’est aussi bien utile à des fins de communication. Et la représentation graphique du conflit qui a court dans les journaux comme de manière officielle l’appuie grandement.
    Ce dernier point est vertigineux quand on switche un instant sur l’entrelac de comptes twitter, et lives quotidiens de journaux, qui documentent ce conflit du côté sud de la frontière - un conflit qui est documentable d’une manière bien plus fine que tout ce qui s’est passé dans la région depuis un an dans un territoire clôt, et désormais de manière bien plus similaire de part et d’autre de la frontière.
    Un conflit qui appartient à l’époque de l’OSINT bien plus qu’à celle des traditionnelles cartes d’état-major mises à jour quotidiennement, accompagnées de registres d’incidents d’une autre époque. N’importe qui peut désormais suivre un conflit avec un niveau de détail effarant. A condition de savoir toutefois ce qu’on mesure et ce qu’on ne mesure pas là dedans : du côté nord c’est évident et terrible, c’est un nombre de frappes, de blessés, de décès. Mais de l’autre côté, le rapport au nombre, à la carte et à la représentation graphique, est bizarrement tout aussi affolé, sauf qu’il mesure autre chose.

    Il y a ce graph ONU depuis quelques jours, dispo aussi en version pimpée colorée par Bloomberg, qui raconte apparemment une certaine histoire (celle d’une guerre d’attrition contre la semi-armée du nord plutôt qu’une agression continuelle du voisin du sud ou d’une guerre qui viendrait de commencer), et il y a des tas de cartes qui circulent pour mettre en forme les données qui tombent jour après jour, il y a même des projets participatifs (comme ce umap - https://hezbollah.liveuamap.com - fort utile qui permet de voir les frappes jour par jour sur une carte et non pas seulement en accumulé sur ces cartes statiques rapidement illisibles) - autant d’éléments qui objectivent assez facilement ce qui se passe, à condition qu’on soit toutefois dans un certain camp.
    Dans l’autre, quand il y a mesure de ce qui se passe au nord, c’est tout à fait autrement. C’est soit en dépassant le décompte effectué au Liban même, à fanfaronner sur des centaines de cibles ou de tirs (on ne sait jamais très bien et c’est toujours un compte rond), tantôt en donnant l’impression d’une opération fort limitée encore une fois quasiment anti-terroriste (à l’image de cette carte du 28 septembre, qui donne l’impression de frappes extrêmement pondérées, à comparer à celle récupérée sur le umap participatif, celui avec les points bleus, pour la même journée).
    Mais surtout d’autres nombres s’y affolent, et d’autres cartes sont recouvertes de zones et de points d’impacts au quotidien : des cartes de menaces dans le pays même. Les acteurs du sud qui s’attelent à produire des cartes mesurent pour eux même autre chose que des frappes avérées et relevées a posteriori, ils relèvent des alertes, et s’insèrent dans une économie de la menace, dangereusement auto-référentielle.

    Prenez par exemple cette carte, officielle, du 1e octobre, qui paraît en plus d’autant plus apocalyptique que les points, évidemment rouges, ont un volume énorme (l’armée du sud a un problème avec le graphisme honnêtement, c’est encore plus visible avec cet espèce d’imprimé sur toile d’un plan d’attaque du Hezbollah qu’on dirait encore chaud de chez Copy-Machine au bout de la rue) : les points rouges représentent les alertes à un barrage de roquettes potentiel à la mi-journée. Ce jour là il y aura une vingtaine d’alertes (je me fie au compte @ILredalert), pour 8 communiqués faisant état d’attaques revendiquées de la part de la semi-armée du nord. Peut-être parce qu’on ne revendique pas certaines attaques ratées (si on veut faire une concession au décompte), impossible de savoir, peut-être que la semi-armée du nord n’est pas la seule à tirer, on ne saura pas non plus, mais en tout cas il y a une nette différence.
    Mettons de côté aussi une seconde l’efficacité de la défense au sud - qui faisait malgré tout dire à une personne interrogée dans le Monde il y a quelques jours qu’elle ne croyait plus vraiment à la moindre menace - et prenons deux autres éléments : non seulement parfois ces roquettes ne tombent pas et c’est une fausse alerte. Mais surtout, lorsqu’elle tombent, elles ne sont pas aussi nombreuses que les localités qu’elles menacent : combien sont finalement tombées sur cette alerte là en particulier ? Une seule.
    L’absence de précision des tirs de la semi-armée du nord, reflet d’un matériel pas terrible, qu’on pourrait penser être un élément qui va logiquement minimiser la menace, devient au contraire dans cette logique très facile à rendre graphiquement effrayante. Elle en devient même une menace encore plus importante, puisqu’éclatée entre encore plus de cibles potentielles. Elles s’en trouvent marquées comme autant de points d’impacts d’ailleurs, comme s’ils étaient déjà arrivés. Le commentaire officiel a posteriori de l’attaque boucle la logique, en donnant l’impression que tout ça est arrivé - et ajoute qu’il visait des civils pour ajouter à l’indignation.
    A regarder les cartes auto-produites par le voisin du sud, on dirait donc que ce qui se passe chez lui est presque aussi grave qu’au nord, et c’est bien là qu’il faut comprendre combien le problème actuel n’est pas une question de cultures lointaines et d’autres zones géographiques qui ne concerneraient pas l’europe : c’est ce à quoi ressemble un régime du chiffre dans un pays dirigé par l’extrême-droite, où il n’est plus question d’enregistrer le réel mais d’objectiver des menaces dont on peut opportunément moduler la définition et ainsi gonfler le volume, le tout qui plus est en passionnant les chiffres, en les rendant menaçants, affreux ou jouissifs - et à jouer à l’équilibriste dans l’exhibition d’une domination militaire implacable et parfaite quand il y a attaque, mais qui a ce chic de toujours rester si fragile en défense.

    Outre les images déjà référencées ici et là (https://seenthis.net/messages/1074315 et https://seenthis.net/messages/1074214), d’autres images


    Capture d’écran de https://hezbollah.liveuamap.com

    Google maps publiée par l’armée israélienne

  • Il faut faire une exégèse sémiologique de ce type de #cartographie
    A comparer avec celle répertoriée pour le Liban ces derniers jours (https://seenthis.net/messages/1074209).
    Où comment faire prendre pour vraie la métaphore du tapis de bombes... Ne s’agit il pas plutôt des abris (si l’Etat ISR met ses citoyens en danger par sa belliqueuse politique, du moins leur fournit il une protection, ce qu’on ne voit pas au Liban)

    Noga Tarnopolsky נגה טרנופולסקי نوغا ترنوبولسكي sur X : « 💥Map of Israel under attack https://t.co/tUGl3ByQ29 » / X
    https://x.com/NTarnopolsky/status/1841163188127088724