• La victoire était possible. Bataille des retraites, un bilan
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    ...Tant que les travailleurs verront leurs organisations syndicales comme des organisations de plus en plus institutionnalisées, ayant davantage leurs marques dans les ministères que sur le terrain, cherchant à conforter leur rôle de « partenaires sociaux » et à favoriser le dialogue social, il sera impossible de gagner leur confiance pour s’engager dans une lutte difficile qui exige d’être sûrs que ceux qui sont au premier plan seront prêts à mener le combat jusqu’au bout. Résumant tous ces éléments, Lordon écrit : « l’intersyndicale aura été la fabrique de l’impuissance. Elle a certes produit le nombre, mais du nombre vain, du nombre inutile – du nombre qui perd »

    La logique que nous défendons est à l’opposé de celle d’une majorité d’intellectuels et d’analystes de gauche qui, dans leur lecture de la mobilisation, n’insistent que sur la faiblesse du mouvement ouvrier, qui prétendent que les directions syndicales ont fait tout ce qui était possible, qui voient le rapport de force comme basculant inexorablement à droite et qui ironisent sur nos positions, nous présentant comme des avant-gardistes en marge de l’avant-garde. C’est précisément parce que la subjectivité et la conscience de classe demeurent encore faibles, notamment du fait d’une plus grande fragmentation de la classe, malgré la colère accumulée à la base, donnant lieu de façon répétée à des explosions de la lutte des classes et à des actions de masse, que le travail de stratégie a une importance centrale pour changer les choses dans un sens révolutionnaire. Trotsky critiquait déjà sévèrement le programme et la politique du PCF dans sa brochure Où va la France ? [20], avant même 1936. Il soulignait ainsi qu’en temps de crise, les masses ne s’engageraient pas jusqu’au bout si elles ne voyaient pas des perspectives, des luttes et des programmes sérieux et une direction déterminée. Cela nous semble encore plus vrai aujourd’hui. Nous ne nions pas qu’après des années de néolibéralisme et de précarité, de perte de confiance dans leur force collective et même dans la conscience d’appartenir à une même classe sociale, les travailleurs partent de loin. Mais plutôt que de sombrer dans le scepticisme et de s’en en tenir à constater ces difficultés, nous luttons pour une stratégie qui, si elle ne suffit pas pour gagner, servira au moins à former l’avant-garde, et qui vise à établir ou à rétablir une tradition dans le mouvement ouvrier, pour préparer les luttes qui ne tarderont pas à venir.

    • Les travailleurs doivent faire de la politique

      Nous avons vu comment l’intersyndicale a empêché le mouvement de profiter du moment le plus aigu de la crise du gouvernement et du régime après l’usage du 49.3. Le refus conscient de profiter de cette formidable opportunité pour passer à l’offensive a non seulement permis que la réforme soit promulguée mais, plus grave encore, il a empêché le prolétariat de devenir une force hégémonique, ce qui serait par ailleurs le meilleur moyen pour barrer la voie à la consolidation et à la montée de Marine Le Pen. En effet, l’autre conséquence du rôle joué par l’intersyndicale, de son refus d’élargir les revendications et de politiser le bras-de-fer avec le gouvernement, est que les travailleurs n’ont pas trouvé dans les directions existantes du mouvement ouvrier une perspective globale face au gouvernement et à la crise. Cela les pousse à la recherche d’autres solutions, y compris du côté du Rassemblement national qui, avec sa politique populiste et sa démagogie, a vu sa popularité augmenter d’après certains sondages. En d’autres termes, en cherchant à limiter la politisation du mouvement, l’intersyndicale a empêché que celui-ci se dote d’une perspective propre, en indépendance de classe, et a favorisé le repli sur les options institutionnelles, y compris les plus racistes et anti-ouvrières.

      D’une manière générale, face à la crise ouverte de la Ve République, la tendance des syndicats à se replier uniquement sur la sphère des relations salariales est non seulement contre-productive, mais réactionnaire [21]. À l’heure des grands défis et dangers qui poussent les masses à l’action, les frontières entre le politique et le syndical, qui ont été entretenues pendant plus d’un siècle, en raison du respect scrupuleux de la Charte d’Amiens, par les directions officielles du mouvement ouvrier français, sont en train de s’estomper. Les travailleurs veulent savoir comment se sauver de la catastrophe qui frappe déjà à leurs portes avec l’inflation ou la crise climatique. Ils veulent savoir comment stopper les tendances bonapartistes et autoritaires de cette Ve République décadente et comment répondre au danger de guerres et de conflits nucléaires qui traversent à nouveau l’Europe. Dans ce contexte national et mondial, si nous avons insisté sur les comités d’action, c’est parce qu’ils ne sont pas simplement une réponse aux besoins de la lutte. Il s’agit d’un moyen pour que la classe ouvrière se constitue en sujet hégémonique, dans un contexte saturé d’appareils bureaucratiques, typique des structures sociopolitiques occidentales comme la France, quand bien même ces appareils seraient plus faibles qu’avant [22]. Un bloc contre-hégémonique face au bloc bourgeois de Macron, désormais résolument à droite, ne se fera pas à travers une nouvelle combinaison parlementaire ou un éventuel gouvernement de gauche. Il doit se forger et se construire dans la lutte.

      Depuis 2016, le prolétariat français est entré dans un nouveau cycle de lutte des classes. Il y affronte la contre-révolution néolibérale avec une continuité et une intensité qu’on ne retrouve dans aucun autre pays impérialiste. Dans ce contexte aigu de luttes sociales et de crise politique, dont la base structurelle est l’aiguisement de la crise organique du capitalisme français, il existe une tendance récurrente à des irruptions prérévolutionnaires des exploités. C’est ce que l’on a pu voir de façon plus décisive avec les Gilets jaunes et, de façon plus contenue mais non moins profonde, dans la bataille des retraites, notamment après le recours au 49.3. Ces éléments prérévolutionnaires, ces expériences et changements dans la conscience de secteurs de l’avant-garde et de masses se sont agrégés ces dernières années, marquant ce que l’on pourrait définir comme une longue étape de la lutte des classes en France qui va bien au-delà du seul conflit actuel des retraites.

      Dans ce cadre, la tactique et la stratégie redeviennent des enjeux politiques auxquelles les mouvements sociaux de ces dernières années n’ont pas suffisamment réfléchi. Il est nécessaire que l’avant-garde accorde d’avantage d’importance à discuter ces questions clés, et pas seulement aux besoins immédiats de la lutte. Alors que les bureaucraties ouvrières, agents de facto d’une Ve République qu’elles refusent de remettre en question, sont le facteur le plus conservateur de la situation, les luttes féministes, antiracistes, écologistes, antifascistes, etc., qui ont été marquées par une certaine vitalité ces dernières années, restent privées d’horizon stratégique. Après la canalisation, la déviation et la défaite de la poussée révolutionnaire des « années 1968 », les mouvements sociaux ont progressivement relégué la perspective de la destruction de l’appareil capitaliste et étatique et la réflexion sur les moyens nécessaires pour la mener à bien (organisation, usage de la force, prise du pouvoir, etc.), comme si la révolution ne faisait plus partie de leurs objectifs de luttes.

      Sans poser à nouveau le problème de la rupture avec le capitalisme et tout ce que cela implique, nous ne pourrons pas sortir d’une posture défensive. Nous nous référons ici à toute une série de questions stratégiques auxquelles nous avons tenté de répondre dans ce recueil, telles que l’articulation des regroupements de secteurs en lutte au travers de comités d’action pour lutter pour le front unique et faire le lien entre la construction d’une organisation révolutionnaire et la lutte pour le développement de conseils ou de soviets. Nous pensons également aux questions programmatiques, et à la nécessité d’un cahier de revendications commun pour souder la lutte contre la réforme des retraites à celle pour une échelle mobile des salaires face à l’inflation, mais aussi à un programme démocratique radical offensif après le 49.3 et face au cours autoritaire du régime. Toutes ces questions sont à considérer dans le cadre d’un processus plus général au sein duquel la classe ouvrière a été un protagoniste central, avec ses méthodes (grève, piquets de grève, etc.), et où des secteurs d’avant-garde ont pu accumuler une certaine expérience dans des luttes antérieures. Ces éléments sont autant de points d’appui face à ceux qui cherchent à vider les mouvements de leur contenu subversif, à les canaliser, ou encore à en tirer un profit parlementaire et institutionnel.

      La trajectoire du mouvement ouvrier en France au cours des sept dernières années a mis à l’ordre du jour la nécessité de construire un véritable parti révolutionnaire, tout en ouvrant la possibilité d’avancer de façon non linéaire mais par sauts dans cette voie. C’est cette situation qui a permis que Révolution Permanente émerge politiquement. Nous proposons d’avancer dans la construction d’une véritable organisation révolutionnaire, communiste et internationaliste, en tirant les leçons des luttes récentes et en préparant les prochaines batailles de classe à venir.

      Ce travail vise à prolonger le vaste processus de discussions et de réflexions qui existe chez toutes celles et ceux qui ont participé l’intense combat de la première moitié de l’année 2023, qui ont sacrifié leurs salaires, qui ont dû affronter la répression et qui ressentent l’amertume de la défaite alors que tous les ingrédients étaient là pour une victoire. Comme le souligne Mathieu Dejan, dans Mediapart, il existe une « recomposition permanente » du champ politique, à gauche, avec la NUPES, comme à l’extrême droite, ainsi qu’à l’extrême gauche, dans le cadre de la mobilisation que nous avons connue. Plusieurs positions se dessinent ainsi clairement. Depuis Révolution Permanente, nous sommes convaincus de la nécessité d’approfondir et de socialiser cette discussion, car c’est bien des conclusions que l’on saura en tirer que dépendra en partie l’avenir du mouvement ouvrier dans les années à venir.

    • 🔴 1er octobre : pour affronter sérieusement Macron & Barnier, il faudra une autre stratégie

      Alors que le Barnier prépare l’austérité, la direction de la CGT doit tirer les bilans de la faible mobilisation et en finir avec le « dialogue social ».

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    • À Paris, Marseille, Toulouse et dans près de 190 rassemblements, des dizaines de milliers de personnes ont battu le pavé ce 1er octobre selon la CGT, pour la défense des salaires, des retraites et des services publics. Appelée par trois syndicats (CGT, Solidaires, la FSU) et des organisations de jeunesse, cette première journée de grève interprofessionnelle avait valeur de rentrée sociale face au gouvernement Macron-Barnier qui présentait le même jour son discours de politique générale.

      Une faible mobilisation : le verre à moitié vide ou à moitié plein ?

      La CGT a comptabilisé près de 170 000 de personnes ce mardi, avec 20 000 manifestants à Paris, près de 8 000 personnes à Toulouse, 6 000 à Lyon, 5 000 à Bordeaux ou encore 1 500 à Perpignan. Au global, un niveau de participation pas si éloigné des 200 000 manifestants comptés le 13 octobre 2023 lors de la précédente rentrée sociale. Préférant ainsi voir le verre à moitié plein, Sophie Binet a expliqué en fin de journée : « c’est une mobilisation à la hauteur des journées d’action de ce type ».

      Une interprétation optimiste qui ne tient pas la route. En effet, sans aller jusqu’à comparer ce 1er octobre avec les mobilisations sur les retraites, le niveau de mobilisation reste bas, même au regard de journées de grève interprofessionnelle plus « classiques ». Ainsi, rarement on avait vu de si faibles taux de mobilisations dans des secteurs habituellement piliers de ce type de journées, comme c’est le cas des cheminots, avec un trafic très peu perturbé. De même, le taux de grévistes dans l’Education nationale n’était que de 6,08 % pour les enseignants. Des chiffres probablement sous-évalués car émanant de l’Etat mais qui expriment une tendance générale.

      Surtout, rarement un tel décalage a été constaté entre la « profonde colère démocratique et sociale » pointée à juste titre par Sophie Binet et le niveau de mobilisation. Dans ce cadre, ce n’est ni en pointant la « fatigue démocratique et sociale des salariés », ni en limitant cette journée à « un premier signal », comme l’a affirmé Sophie Binet, que l’on pourra renverser la tendance, mais bien en tirant le bilan que des journées isolées, peu construites et sans perspectives, ne peuvent déboucher que vers plus de démoralisation.

      Renouer avec le « dialogue social » ou affronter sérieusement Macron et Barnier ?

      Dans ce cadre, on ne peut que se questionner sur la volonté réelle de la direction de la CGT d’affronter sérieusement le gouvernement Macron-Barnier. En effet, depuis plusieurs semaines, le discours de la CGT se focalise sur les « inflexions » dans le discours de Barnier. Au rendez-vous de la CGT avec le premier ministre ce mardi, Sophie Binet a affirmé sur les retraites : « il m’a écoutée poliment, il a pris des notes. Le premier changement notable est qu’il a annoncé vouloir rouvrir la question de la réforme des retraites alors qu’Emmanuel Macron ne voulait pas en entendre parler ». Sur l’assurance-chômage, la dirigeante relève : « On n’a pas eu de réponse claire et ferme. Mais ce que nous ont fait comprendre la ministre du Travail et le Premier ministre, c’est qu’ils souhaitaient redonner la main aux acteurs sociaux. Avant d’ajouter : « Je le dis, si cette réforme n’est pas enterrée, ça ne sert à rien d’expliquer qu’on veut renouer le dialogue. J’espère qu’il aura la sagesse de l’annoncer le 1er octobre. »

      Autant d’éléments qui pointent dans un même sens, celui du retour au « dialogue ». Une orientation que le communiqué de la CGT publié à l’issue du discours de politique générale confirme plus que jamais. La centrale syndicale crie en effet, à la victoire face à l’annonce par Barnier d’une revalorisation anticipée et purement symbolique du SMIC dès novembre, à hauteur de 2 %. Elle présente même la réouverture de négociations entre syndicats et patronat autour de la réforme de l’assurance chômage comme « l’enterrement » de cette reforme, faisant oublier le fiasco de ces mêmes négociations il y a quelques mois.

      Les mains tendues de Michel Barnier aux directions syndicales lors de son discours de politique générale semblent avoir suffit à combler les directions syndicales. La CGT paraît ainsi conquise au point de présenter ces orientations comme le symbole de « l’échec de la politique économique, sociale et environnementale d’Emmanuel Macron » et salue même « un changement de méthode démocratique ». Malgré les promesse d’austérité et de politique ultra-sécuritaire et xénophobe, la direction de la CGT place désormais ses espoirs entre les mains de Michel Barnier pour abroger la réforme des retraites, renouant avec la stratégie qui a conduit à l’impuissance pendant la bataille des retraites, malgré la détermination et la mobilisation de millions de grévistes.

      Pour arracher de véritables avancées sociales, il faudra combattre le gouvernement par la grève et la rue

      L’orientation proposée par la direction de la CGT qui vise à faire « pression » pour un retour au « dialogue social » ne peut constituer qu’une impasse pour le mouvement ouvrier. Comme nous l’affirmions dans notre édito, « ce positionnement ne permet pas de préparer l’affrontement avec le gouvernement Macron-Barnier, et encore moins avec le régime. Il correspond à une nouvelle tentative de s’appuyer sur la crise politique pour renouer avec le "dialogue social". » Alors que le gouvernement compte sur les « partenaires sociaux » pour maintenir un semblant de stabilité dans le pays, un nouveau cycle de discussions pourrait s’ouvrir « dès les prochaines semaines », a affirmé en ce sens Barnier.

      Au lieu de rentrer dans le jeu du gouvernement, il est au contraire urgent de rompre immédiatement avec le « dialogue social ». Barnier, sous surveillance de la droite et de la macronie, ne va certainement pas céder sur des revendications importantes, et son dialogue sert avant tout à canaliser les directions du mouvement ouvrier. En l’absence de mobilisation, c’est la démoralisation qui va prospérer ou l’idée que « voter ne marche pas, mais manifester non plus ». Or, il est possible de briser ce sentiment, de redonner confiance aux travailleurs et à la jeunesse, en mettant en avant des perspectives stratégiques crédibles.

      Alors que trois années d’inflation continuent à peser durement sur les conditions de vie et de subsistance de la masse des travailleurs, et que les fragilités du gouvernement ouvrent des opportunités, il y a urgence à se saisir sérieusement des brèches ouvertes par la situation. Pour arracher de réelles avancées sociales, il faut un rapport de forces immense par les méthodes de la lutte de classes. Celui-ci doit se construire autour d’une stratégie sérieuse, qui permette d’unifier notre classe autour d’un programme qui donne envie de se battre et un plan qui donne confiance dans la possibilité de vaincre. Une logique à rebours de l’attitude actuelle des directions du mouvement ouvrier.