La France se rapproche de l’Italie sur la question migratoire

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  • Giorgia Meloni érige la stratégie migratoire de l’Italie en modèle
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    Giorgia Meloni érige la stratégie migratoire de l’Italie en modèle
    Par Allan Kaval (Rome, correspondant) et Nissim Gasteli (Tunis, correspondant)
    Publié le 28 septembre 2024 à 14h00, modifié hier à 09h11
    La politique étrangère que mène, depuis son accession au pouvoir il y a deux ans, la présidente du conseil italienne, Giorgia Meloni, est dominée par une priorité : la lutte contre l’immigration irrégulière. Le thème a été de tous ses discours, de toutes ses rencontres internationales, jusqu’à la tribune des Nations unies où elle a répété, mardi 24 septembre, son mot d’ordre habituel : la défense du « droit à ne pas émigrer ».
    Ses efforts portent sur la construction de partenariats économiques, encore balbutiants, avec des Etats du continent africain, mais ils se sont surtout traduits par une externalisation toujours plus prononcée du contrôle des frontières européennes sur la rive sud de la Méditerranée. Et cela malgré les graves violations des droits humains qui y sont commises contre les migrants désireux de rejoindre l’Europe. Sur ce front, où la Tunisie est son principal partenaire, Mme Meloni a remporté un succès certain aux yeux de son électorat. Les arrivées sur les côtes italiennes ont connu une baisse remarquable. Le 25 septembre, on en comptait 47 569 pour l’année 2024 contre 133 098 à la même période en 2023, selon les chiffres du ministère de l’intérieur italien. Par ailleurs, d’après les données de Frontex, l’agence européenne de garde-frontières, les flux sur la route migratoire de la Méditerranée centrale ont diminué de 61 %.
    La présidente du conseil a aussi su utiliser la question migratoire comme un levier d’influence internationale pour l’Italie. Elle est devenue incontournable pour le dossier à Bruxelles et érige désormais sa stratégie en modèle. Elle a d’ailleurs bénéficié du soutien appuyé et constant de la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, sur ce dossier. La dirigeante d’extrême droite a aussi reçu les louanges du premier ministre britannique, Keir Starmer (Parti travailliste), qui, en visite officielle à Rome le 16 septembre, a salué les « remarquables progrès » de l’Italie dans sa lutte contre les entrées illégales.
    Au ministère de l’intérieur allemand, dirigé par la sociale-démocrate Nancy Faeser, on parle même de « modèle albanais » pour désigner les centres de rétention de droit italien que Rome construit en Albanie pour traiter les demandes d’asile de certains migrants. La question migratoire a d’ailleurs été au cœur d’un entretien entre Mme Meloni et son homologue allemand, Olaf Scholz, jeudi 26 septembre, les deux parties convenant de maintenir une « liaison étroite » sur le sujet « en vue des prochains conseils européens ». « En Europe, la dimension interne de la migration, la répartition des migrants, est une source de conflit. En l’abordant par sa dimension externe, Giorgia Meloni peut mettre tout le monde d’accord et rallier à sa méthode », analyse Matteo Villa, spécialiste de la question migratoire à l’Istituto per gli studi di politica internazionale, un centre de recherche milanais.
    Si l’accord passé avec Tirana est un de ses succès diplomatiques les plus spectaculaires, Mme Meloni a multiplié les déplacements en Afrique du Nord. Elle s’est rendue de manière répétée en Libye, avec qui le protocole d’accord sur le soutien aux gardes-côtes a été renouvelé en 2023. En mars 2024, elle était en Egypte avec Mme von der Leyen et trois chefs de gouvernement européens pour la signature d’un accord avec l’Union européenne (UE) portant notamment sur le contrôle des flux migratoires et prévoyant un soutien de 7 milliards d’euros au Caire.
    « Rome mise sur le lien entre développement et immigration pour parler avec les pays de transit comme avec les pays de départs en Afrique subsaharienne », explique Akram Ezzamouri du centre de recherche Istituto affari internazionali. A la présidence du conseil, on fait, en effet, savoir que la clé de cette politique serait de ne pas parler uniquement de migrations avec les interlocuteurs africains, mais d’insister sur des coopérations économiques, censées faire reculer les causes profondes des flux migratoires.
    La destination prioritaire de Mme Meloni reste la Tunisie de l’autocrate Kaïs Saïed, adepte comme certains partisans de la présidente du conseil de la théorie raciste du « grand remplacement ». Elle s’y est rendue quatre fois. En juillet 2023, accompagnée de Mme von der Leyen, elle a conclu un accord avec Tunis conditionnant de fait une aide budgétaire de 150 millions d’euros en plus d’un transfert de 105 millions d’euros destinés au contrôle des frontières à la lutte de Tunis contre les migrations irrégulières.
    Si sa mise en œuvre a tardé, ses effets se font désormais ressentir avec brutalité sur les côtes tunisiennes. Les autorités ont renforcé leur présence le long du littoral nord du gouvernorat de Sfax, principale zone de départ vers l’Italie. Avec le déploiement d’hélicoptères et d’unités spéciales, elles ont dépêché d’importants moyens pour cibler l’économie illicite de la frontière. De nombreux passeurs ont ainsi été arrêtés et plusieurs ateliers de fabrication de bateaux en métal ont été démantelés, affaiblissant considérablement ces réseaux.
    La reprise en main s’est accompagnée d’une violente répression des migrants par les autorités tunisiennes, qui ont systématisé les expulsions vers les frontières algériennes et libyennes des candidats à l’exil interceptés en mer, comme l’a montré une enquête du Monde et de ses partenaires de Lighthouse Reports, publiée en mai 2024. Les personnes migrantes qui avaient trouvé refuge à Sfax à la suite des violences racistes du début de l’été ont été déplacées vers la région rurale d’El-Amra. D’autres ont subi des agressions sexuelles et des actes de torture. Mardi, un collectif lié à l’opposition
    Pour Camille Cassarini, chercheur à l’Institut de recherche sur le Maghreb contemporain, à Tunis, l’accord entre Bruxelles et Tunis est « forcément une solution court-termiste. D’abord, sa mise en œuvre nécessite un coût logistique et financier considérable, qui ne peut être tenu de manière indéfinie par les acteurs sécuritaires dans la région. Ensuite, et c’est le plus problématique, il a un coût humain très important. Cette solution entame le socle des droits humains sur lequel reposent les démocraties européennes et la démocratie tunisienne ».
    Si les départs de Tunisie sont désormais limités, les arrivées explosent aux Canaries. Sur la route migratoire de l’ouest de l’Afrique, les flux ont augmenté de 174 % selon Frontex. « Il est toujours délicat de dresser des liens de cause à effet sur des routes aussi distantes, mais on sait très bien qu’elles sont connectées. Toute route migratoire est définie par sa réversibilité : lorsqu’une se ferme, une autre s’ouvre », observe M. Cassarini.

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    • La France se rapproche de l’Italie sur la question migratoire
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      Bruno Retailleau a participé à une réunion des ministres de l’intérieur du G7, en Campanie, consacrée au trafic de migrants.
      Par Allan Kaval (Rome, correspondant)

      Pour sa première rencontre internationale, le ministre de l’intérieur français, Bruno Retailleau, s’est rallié sur la question migratoire à l’approche du gouvernement italien dominé par l’#extrême_droite de Giorgia Meloni, tournant la page d’une relation abîmée par ce dossier sous la majorité précédente à Paris.

      Vendredi 4 octobre, à l’occasion du sommet du #G7 des ministres de l’intérieur, présidé par l’Italie, qui s’est tenu en Campanie, il a notamment annoncé avec son homologue, Matteo Piantedosi, la signature d’une déclaration d’intention sur la création d’une unité de recherche opérationnelle franco-italienne. Vouée à l’échange de renseignements sur le « trafic de #migrants », cette nouvelle entité devrait s’installer à Vintimille. Près de la frontière française, la ville et ses environs sont un lieu de passage de migrants, de refoulement et de tensions depuis que Paris y a rétabli les contrôles en 2015.

      Plus largement, la position de la France se rapproche de la méthode de Mme Meloni, avec l’#externalisation renforcée sur la rive sud de la Méditerranée du #contrôle_des_frontières au moyen d’accords avec les pays de transit et de départ. M. Retailleau a d’ailleurs affirmé, lors de la session plénière sur les #migrations, que l’Italie avait joué à cet égard un rôle de précurseur auquel la France entendait désormais s’associer.

      Seul le résultat compte

      L’approche italienne, présentée comme obéissant au principe de « donnant-donnant » implique d’obtenir un renforcement de la répression des migrations irrégulières contre des accords économiques. A cet égard, le pacte passé entre l’Union européenne (UE) et la Tunisie en juillet 2023 sert de modèle. Et ce en dépit des graves violations des droits de l’homme à l’encontre des personnes migrantes qui ont été documentées dans le pays. Vu des capitales européennes, seul le résultat compte : les flux ont chuté de 61 % sur la route migratoire de Méditerranée centrale lors des six premiers mois de 2024 d’après les chiffres de #Frontex, l’agence européenne de gardes-frontières.

      Vendredi, l’Italie a d’ailleurs associé à la rencontre consacrée aux migrations le secrétaire d’Etat aux affaires étrangères tunisien ainsi que les ministres algériens et libyens de l’intérieur . Organisé dans un luxueux salon de mariage avec piscine de la bourgade de Mirabella Eclano, dans la région de l’Irpinia dont M. Piantedosi est originaire, le sommet a donné l’occasion au pays hôte de faire la promotion d’une approche des questions migratoires qui concentre l’essentiel des efforts menés par Giorgia Meloni en matière de politique étrangère.

      « Une ligne de pensée est partie d’Italie et elle a suscité l’adhésion en Europe et au-delà », s’est félicitée M. Piantedosi, assurant que Bruxelles considérait désormais Rome comme un « point de référence » sur le dossier. Pour un membre de la délégation tunisienne, « l’aspect sécuritaire et l’aide au développement économique doivent toujours être envisagés ensemble. Nous avons à cet égard un rapport de confiance avec les Italiens (…) Ils ont joué un rôle d’initiateur ».

      Le « modèle » italien

      Ursula von der Leyen, la présidente de la commission européenne, avait largement appuyé les efforts de Giorgia Meloni en direction de la #Tunisie ayant abouti à un accord entre Tunis et l’UE sur une aide budgétaire de 150 millions d’euros et un transfert de 105 millions d’euros pour le contrôle des frontières. Un accord comparable a été passé avec l’Egypte prévoyant un soutien de 7 milliards d’euros [!!?].

      Depuis, le premier ministre travailliste britannique, Keir Starmer, a loué à Rome la politique migratoire de Mme Meloni. A Mirabella Eclano, M. Piantedosi a aussi affirmé que la future ouverture en #Albanie de centres de rétention de droit italien censés traiter les demandes d’asiles de migrants était un « modèle ». Berlin a déjà montré son intérêt tout comme quinze Etats membres qui ont invité Bruxelles à étudier cette option. En marge du sommet, une source britannique a aussi indiqué y voir une alternative au ruineux et inopérant accord d’externalisation de l’asile passé par Londres avec le Rwanda.
      Jusqu’à il y a peu, la France manquait à l’appel du concert d’éloges que reçoit Mme Meloni. Le passif entre Paris et Rome sur la question migratoire est chargé. Dès les premières semaines du mandat de la présidente du conseil, à l’automne 2022, une première et grave crise diplomatique avait éclaté autour de l’Ocean-Viking, navire de sauvetage de l’ONG SOS Méditerranée. Se voyant refuser l’accès aux ports italiens, il avait dû accoster en France pour débarquer 234 personnes. En mai 2023, une rencontre entre ministres des affaires étrangères avait aussi été annulée à la suite des propos du ministre français de l’intérieur d’alors Gérald Darmanin, qui avait jugé Mme Meloni « incapable de régler les problèmes migratoires ».

      Prises de position dures

      Avec son successeur, le ton a changé. Bruno Retailleau, qui a rythmé ses débuts Place Beauvau par des prises de position dures sur les questions migratoires, entend faire front commun avec l’Italie et l’Allemagne pour un durcissement du cadre européen organisant les #expulsions, avec une révision de la directive dite « retour ». Il avait déjà pris Giorgia Meloni en exemple lors d’un entretien sur TF1, à la fin de septembre.

      Jeudi, il a de nouveau loué « l’efficacité des accords avec la Tunisie et l’Egypte » au micro de CNews et de BFM-TV lors d’un point presse dont Le Monde a été tenu à l’écart annonçant œuvrer à de futurs accords bilatéraux avec les Etats concernés. Une source italienne se réjouit d’ailleurs du « très grand intérêt » de la partie française pour la méthode de Rome. Sur le « modèle albanais », Paris ne présente pas d’opposition de principe mais attend de juger sur pièce.

      Dans le salon de mariage de Mirabella Eclano enfin, toutes les questions sur les violations des droits des migrants en Tunisie et en Libye ont été accueillies par des références à la présence, vendredi, de représentants du Haut Commissariat aux réfugiés de l’ONU et à l’Organisation internationale des migrations. Ces entités internationales étaient présentées comme les improbables garants de la politique de sous-traitance frontalière à laquelle les Européens se rallient.

      #Algérie #Lybie #Égypte #Méditerranée #frontières