Erreur 404

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  • Torture en Algérie : « Sans un retour sur cette page sombre de son histoire, rien ne préserve la République française de retomber dans les mêmes dérives »
    https://www.lemonde.fr/idees/article/2024/10/31/torture-en-algerie-sans-un-retour-sur-cette-page-sombre-de-son-histoire-rien

    Les conflits actuels ramènent nos consciences aux horreurs de la guerre. Lors de la guerre d’Algérie, de 1954 à 1962, des crimes ont été commis sous la responsabilité des plus hautes autorités françaises. Jean-Paul Sartre écrit alors : « Si rien ne protège une nation contre elle-même, ni son passé, ni ses fidélités, ni ses propres lois, s’il suffit de quinze ans pour changer en bourreaux les victimes, c’est que l’occasion décide seule. Selon l’occasion n’importe qui, n’importe quand, deviendra victime ou bourreau. »
    Dès 1962, dans La Raison d’Etat (Editions de Minuit), l’historien Pierre Vidal-Naquet pose la question : « Comment déterminer le rôle, dans l’Etat futur, de la magistrature ou de l’armée ou de la police si nous ne savons pas d’abord comment l’Etat, en tant que tel, s’est comporté devant les problèmes posés par la répression de l’insurrection algérienne, comment il a été informé par ceux dont c’était la mission de l’informer, comment il a réagi en présence de ces informations, comment il a informé à son tour les citoyens ? »

    A l’époque comme depuis, des voix se sont élevées pour réclamer que l’Etat français reconnaisse ses responsabilités dans le recours à la torture par les forces de l’ordre françaises. En 2000, l’« Appel des douze », adressé au président de la République, demandait de condamner ces pratiques par une déclaration publique. Cette exigence a été réitérée en 2024 par l’« Appel du 4 mars » de 24 associations antiracistes, anticolonialistes et des droits de l’homme, demandant la reconnaissance de la responsabilité de l’Etat dans le recours à la torture lors de la guerre d’Algérie. Pour porter plus avant cette demande, en ces moments du 1er novembre [date du début de la guerre d’Algérie en 1954], 83 citoyens et citoyennes rendent public leur soutien à l’« Appel du 4 mars ».

    Le président de la République, Emmanuel Macron, a reconnu, en septembre 2018, l’assassinat en 1957 de Maurice Audin [mathématicien communiste] par les militaires français qui le détenaient. Il a reconnu, en mars 2021, l’assassinat de l’avocat Ali Boumendjel [en 1957] lors de sa détention ; et un communiqué de l’Elysée du 18 octobre 2022 a déclaré : « Nous reconnaissons avec lucidité que, dans cette guerre, il en est qui, mandatés par le gouvernement pour la gagner à tout prix, se sont placés hors la République. Cette minorité de combattants a répandu la terreur, perpétré la torture, envers et contre toutes les valeurs d’une République fondée sur la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen. »

    Le silence de l’Etat, de l’armée et de la justice

    La reconnaissance par l’Elysée de la pratique de la #torture ne peut être imputée à une minorité de combattants français ayant agi à l’encontre des valeurs de la République. Elle n’explique pas des dysfonctionnements de l’Etat et de ses institutions militaires, administratives et judiciaires. Il n’est toujours pas répondu à la question : comment, quelques années après la défaite du nazisme, a-t-il été possible que soit conceptualisée, enseignée, pratiquée et couverte, une théorie, la « guerre contre-révolutionnaire », justifiant le recours à la torture avec l’aval ou le silence de l’Etat, de l’armée et de la justice.

    Cette doctrine se fondant sur le triptyque « terroriser, retourner, pacifier », qui valide et justifie la torture, a été théorisée par des officiers de retour de la guerre d’Indochine, notamment le colonel Charles Lacheroy, dont la conférence « Scénario-type de guerre révolutionnaire » a été publiée en 1955 sous l’égide du ministère de la défense.
    Enseignée dans les écoles militaires, elle sera mise en œuvre quand Robert Lacoste, ministre résident en Algérie du gouvernement Guy Mollet, transfère, le 8 janvier 1957, les pouvoirs de police à une armée dont la doctrine légitime la torture pour l’obtention de renseignements. Il est créé à Arzew [une commune algérienne, près d’Oran] le Centre d’instruction à la pacification et à la contre-guérilla, et le Centre de coordination interarmées crée les dispositifs opérationnels de protection, qui sont des écoles et des centres de torture.

    Dans l’armée, ceux qui pratiquent la torture sont promus et décorés, ceux qui la dénoncent condamnés, à l’exemple du général de Bollardière. Au sein de l’Etat, des mesures administratives ou disciplinaires sont prises à l’encontre de ceux qui alertent leur hiérarchie.
    Dénonçant le déshonneur, Paul Teitgen a démissionné de son poste de secrétaire général de la préfecture d’Alger, Robert Delavignette de celui de gouverneur général de la France d’outre-mer, Maurice Garçon de la Commission de sauvegarde des droits et libertés individuels, qui ne remplissait pas son rôle, et Daniel Mayer de son poste de député.

    La liste est longue des avocats, journalistes, universitaires, éditeurs inculpés et condamnés par des tribunaux civils ou militaires, comme est longue la liste des journaux, revues et livres saisis et des organisations poursuivies pour avoir informé et alerté le pouvoir et l’opinion publique.

    Signataire de l’« Appel du 4 mars », l’avocat Henri Leclerc, mort le 31 août ;, a mis en garde : « L’Etat n’est ni fasciste ni raciste, mais il y a une faiblesse dans son contrôle qui permet le pire. » Le pire, symbolisé par la pratique de la torture durant la guerre d’Algérie. La reconnaissance que la torture a été théorisée, enseignée, pratiquée, couverte et exportée par les gouvernements d’un Etat signataire des conventions de Genève est indispensable pour notre présent et notre avenir. Sans un retour sur cette page sombre de son histoire, rien ne préserve la République française de retomber dans les mêmes dérives. Il ne s’agit pas de repentance, mais d’un acte de réaffirmation et de confiance dans les valeurs de la nation.

    C’est cette claire reconnaissance au plus haut niveau de l’Etat et ce travail de recherches historiques et juridiques que demandent les citoyens et citoyennes signataires de l’« Appel du 4 mars » de 24 associations pour la reconnaissance de la responsabilité de l’Etat dans le recours à la torture lors de la #guerre_d’Algérie.

    Premiers signataires : Nils Andersson, éditeur de « La Question », d’Henri Alleg, après sa saisie aux Editions de Minuit, président d’Agir contre le colonialisme aujourd’hui (ACCA) ; Bertrand Badie, professeur émérite des universités ; Patrick Baudouin, avocat, président d’honneur de la Ligue des droits de l’homme (LDH) et de la Fédération internationale pour les droits humains (FIDH) ; Florence Beaugé, journaliste ; Marion de Bollardière, membre de l’Association des anciens appelés en Algérie et leurs ami.e.s contre la guerre (4ACG) ; Rony Brauman, médecin, essayiste, ancien président de Médecins sans frontières ; Stanislas Hutin, membre de la 4ACG, a révélé publiquement la torture dans « Des rappelés témoignent » (1957) ; Evelyne Sire-Marin, magistrate honoraire ; Benjamin Stora, historien ; Catherine Teitgen-Colly, professeure émérite de droit public, membre de l’Association Josette & Maurice Audin.

    La liste complète des signataires ici.http://appel4mars.fr/signataires.html

  • Amos Goldberg, historien israélien : « Ce qui se passe à Gaza est un génocide, car Gaza n’existe plus »
    https://www.lemonde.fr/idees/article/2024/10/29/amos-goldberg-historien-israelien-ce-qui-se-passe-a-gaza-est-un-genocide-car

    Amos Goldberg, historien israélien. YANN LEGENDRE
    L’historien Amos Goldberg, titulaire de la chaire Jonah M. Machover d’études sur la Shoah à l’Université hébraïque de Jérusalem, a publié, en avril, dans le magazine en ligne Local Call (Siha Mekomit en hébreu), un article accusant Israël de commettre un « génocide » à Gaza. Il s’en explique dans un entretien au « Monde ».

    En avril, vous avez accusé votre pays de commettre un « génocide » à Gaza. Comment en êtes-vous arrivé à cette conclusion, six mois après le début de la guerre ?
    Cela m’a pris du temps. Le 7-Octobre a été un choc, une tragédie, une attaque horrible. Cela a été douloureux et criminel, d’une magnitude telle que nous n’en avions jamais connue. Quelque 850 civils [1 200 personnes au total] ont été tués en un jour. Des hommes, des femmes, des enfants, et même des bébés et des personnes âgées ont été pris en otage. Des kibboutz ont été totalement détruits. Puis les témoignages ont commencé à affluer sur la cruauté de l’attaque, les violences sexuelles, les destructions commises par le Hamas. Je connais personnellement des gens, certains très proches, qui ont été touchés. Il y en a qui ont été tués, d’autres ont été pris en otage, certains ont tout juste survécu. Je n’avais pas les mots pour expliquer cet événement, pour le digérer, pour en faire le deuil. C’était révoltant, traumatisant, personnel.

    Je comprenais bien le contexte de l’occupation, de l’apartheid [en Cisjordanie], du siège [de Gaza], mais, même si cela pouvait expliquer ce qu’il se passait, cela ne pouvait pas justifier de telles atrocités. Immédiatement après l’attaque, les bombardements israéliens massifs ont commencé et, en quelques semaines, des milliers de civils gazaouis sont morts. Et il n’y avait pas seulement les bombardements. Une rhétorique génocidaire est apparue et a dominé dans les médias, l’opinion publique et la sphère politique : « Nous devons les supprimer [les Palestiniens], ce sont des animaux humains » [Yoav Gallant, ministre de la défense, le 10 octobre 2023] ; « C’est toute une nation qui est responsable » [Isaac Herzog, président d’Israël, le 14 octobre 2023] ; « Nous devrions larguer une bombe nucléaire sur Gaza » [Amichai Eliyahu, ministre du patrimoine, le 5 novembre 2023] ; « C’est la Nakba de Gaza 2023 » [Avi Dichter, ministre de l’agriculture, le 11 novembre 2023, en référence au déplacement forcé et à l’expulsion de 700 000 Palestiniens, pendant la guerre de 1948, après la création d’Israël]. Ces propos étaient tellement choquants que, pour cela non plus, je n’avais pas de mots.

    Lire aussi | Article réservé à nos abonnés L’accusation de génocide à Gaza, une épreuve sans précédent pour la justice internationale

    En janvier, j’ai signé une lettre, avec 50 autres universitaires spécialistes de la Shoah et des études juives, demandant à Yad Vashem [Institut international pour la mémoire de la Shoah, à Jérusalem] de condamner les discours, explicites ou implicites, qui, en Israël, appelaient au génocide à Gaza. Si ce n’est pas quelque chose que nous avons appris de la Shoah, alors qu’avons-nous appris ? Un des premiers textes adoptés par Israël à sa création fut la convention sur le génocide [le 9 décembre 1948]. Dont l’une des clauses précise que le génocide n’est pas uniquement constitué des crimes commis, mais aussi des incitations à les commettre. Et c’était clairement le cas. Yad Vashem a refusé de condamner ces discours.

    Alors j’ai commencé à écrire, comprenant qu’un immense désastre humain et politique se déployait sous nos yeux. En avril, j’ai écrit, en hébreu : « Oui, c’est un génocide. » Le texte a été traduit en anglais et lu par beaucoup à travers le monde.

    Comment en êtes-vous arrivé à cette accusation contre un pays qui, comme vous le rappelez, fut « créé en réponse à la Shoah » ?
    Tout d’abord, je tiens à dire que c’est extrêmement douloureux, car j’accuse ma propre société, je m’accuse moi-même. Je lutte contre l’occupation et l’apartheid depuis des années, et je sais qu’Israël a commis des crimes dans les territoires occupés, mais je n’aurais jamais imaginé que nous puissions atteindre un tel bain de sang et une telle cruauté, même après le 7-Octobre.

    Il existe une définition légale du génocide que les Nations unies ont adoptée dans la convention sur le génocide, et, même si je ne suis pas un expert en droit, de nombreux juristes à travers le monde sont convaincus qu’Israël a franchi le seuil du génocide, et je suis d’accord avec eux. En janvier, la Cour internationale de justice [CIJ] a affirmé que l’accusation de génocide était « plausible ». En mars, Francesca Albanese [rapporteuse spéciale des Nations unies pour les territoires occupés] concluait son rapport en indiquant qu’il y avait des fondements raisonnables de penser que le seuil indiquant qu’Israël avait commis un génocide avait été franchi. Plusieurs lettres ouvertes signées par des centaines d’universitaires, dont des juristes, ont émis les mêmes inquiétudes.

    A mes yeux, Israël a le droit absolu de se défendre après le 7-Octobre, mais il a surréagi de manière criminelle. Quel est le fondement du génocide ? Selon la convention sur le génocide, il s’agit de l’annihilation délibérée d’un groupe ou d’une partie d’un groupe national, ethnique, religieux ou racial. L’accent est mis sur la destruction du groupe, pas sur la mort de tous ses membres. Il n’est pas besoin de tuer tous les membres d’un groupe pour qu’il s’agisse d’un génocide. Ce qui est arrivé à Srebrenica, où « seuls » 8 000 hommes furent tués, a été reconnu comme un génocide par le Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie. Les Etats-Unis ont reconnu, en mars 2023, que ce que la Birmanie a fait aux Rohingya est un génocide, même si la plupart d’entre eux furent « seulement » expulsés et que « seuls » 10 000 d’entre eux ont été tués, selon le département d’Etat. Ces exemples diffèrent de la Shoah ou du génocide arménien, où il y eut une tentative de tuer tout, ou presque tout un groupe. Les Israéliens et beaucoup d’autres pensent que tous les génocides doivent ressembler à la Shoah, mais c’est faux.

    Ce qui se passe à Gaza est un génocide, car Gaza n’existe plus. Le territoire a été totalement détruit. Le niveau et le rythme de tueries indiscriminées touchant un nombre énorme de personnes innocentes, y compris dans des lieux définis par Israël comme des zones sûres, la destruction de maisons, d’infrastructures, de presque tous les hôpitaux et universités, les déplacements de masse, la famine organisée, l’écrasement des élites et la déshumanisation étendue des Palestiniens dessinent l’image globale d’un génocide.

    Donc, nous avons la destruction, l’intention et un modèle récurrent d’extrême violence contre les civils. Nous ne savons toujours pas ce que la CIJ décidera dans le dossier porté par l’Afrique du Sud contre Israël, mais si nous lisons Raphael Lemkin [1900-1959], le juriste juif polonais qui a forgé le terme et fut l’initiateur principal de l’instauration de la convention sur le génocide, c’est exactement ce qu’il avait en tête lorsqu’il parlait de génocide.

    Ce débat est-il possible en Israël ?
    Pas encore. Mais même si elles n’utilisent pas le terme de « génocide » et si elles ne pensent pas qu’un génocide est commis, un nombre croissant de personnes ont des doutes sur la logique et les objectifs de cette guerre. Beaucoup s’opposent à la poursuite de celle-ci, car elles comprennent que l’arrêter est une condition pour le retour des otages. Seule une petite minorité s’oppose à la guerre pour des raisons morales, mais il pourrait y avoir un peu plus d’espace pour des voix isolées comme la mienne ; toutefois, il se peut que je sois démenti.

    La guerre doit cesser. Maintenant. Etendre la guerre au Liban est désastreux pour les deux camps. Il s’agit d’une condamnation à mort pour les otages et pour des milliers de personnes dans la région.

    La violence de l’Etat et des colons en Cisjordanie est toujours aussi cruelle et mortelle. Israël n’a aucune solution à aucun de ces problèmes, si ce n’est la force brutale. La seule solution, qu’Israël refuse, est de reconnaître les Palestiniens et leurs droits. Nous ne pouvons pas attendre la décision de la CIJ. Pour les Palestiniens de Gaza, pour les Israéliens, pour le peuple libanais et pour les otages, cela va être trop tard. Lorsque l’on a autant de preuves, nous devons prendre le risque de dire que l’on est face à un génocide, avant même la décision de justice, sinon quel est l’intérêt d’avoir étudié la notion de génocide, si c’est pour dire seulement de manière rétroactive : « Ah oui, il s’agissait bien d’un génocide » ? C’est ainsi que l’histoire jugera ce qui est en train de se passer.

    Je pense qu’il y a de bonnes chances pour que la CIJ reconnaisse que le crime de génocide ou tout au moins des actes génocidaires, tels que l’attaque sur l’hôpital Al-Shifa ou le fait d’affamer délibérément des centaines de milliers de personnes, ont été commis. Et pour ceux qui ne pensent pas qu’il s’agit d’un génocide, je voudrais ajouter : le fait est, sans aucun doute, que de graves crimes de guerre et des crimes contre l’humanité ont été commis. C’est déjà grave !

    Depuis le 7-Octobre, des peurs existentielles ont été réactivées des deux côtés : la Shoah pour les juifs, la Nakba pour les Palestiniens. Sont-elles justifiées ?
    Il n’y a pas de symétrie. Il ne s’agit pas d’un holocauste pour les juifs, car Israël a l’une des armées les plus puissantes au monde. Israël a subi un immense coup, mais il ne s’agit pas d’une menace comparable à la Shoah. Pour les Palestiniens, la Nakba est en cours depuis 1948. Et il faudra des générations pour se remettre de ces attaques sur Gaza.

    Il s’agit en effet d’une seconde Nakba. Les Palestiniens traversent une situation très traumatisante, qui menace leur existence même. Nous, les Israéliens, traversons aussi une situation très traumatisante, mais, selon moi, [nous ne sommes] pas [face à] une menace existentielle.

    La violence des crimes commis le 7-Octobre est sans précédent. L’ampleur de la riposte israélienne aussi. Comment expliquer cette déshumanisation dans les deux camps ?
    Je ne suis pas un spécialiste de la société palestinienne. Je ne peux répondre sur ce point. Mais les guerres ont toujours provoqué la déshumanisation de l’autre camp. Et nous sommes en guerre depuis des décennies, depuis 1948. Israël ne peut justifier la Nakba, l’occupation, l’apartheid, et maintenant la guerre génocidaire à Gaza, sans déshumaniser les Palestiniens. Si nous reconnaissons qu’ils sont des êtres humains, nous ne pouvons pas leur faire subir cela. En raison de sa cruauté et de son ampleur épouvantable, le 7-Octobre a accéléré ce processus.

    En déshumanisant l’autre, vous vous autorisez à agir de manière inhumaine. Et ce phénomène est pire encore chez les jeunes. Plusieurs générations sont nées après 1967 et n’ont connu Israël que [comme un Etat] pratiquant l’occupation ; y compris moi-même, qui suis né en 1966. Mais, pour ceux nés après la deuxième intifada [2000-2005], l’idée de paix est totalement étrangère. Il n’y a même pas eu de discussions de paix ou de négociations sérieuses pendant leur âge adulte, un mur de séparation a été construit… Et, après tant d’années de gouvernements de droite, dirigés en partie par Benyamin Nétanyahou, vous voyez les conséquences.

    Il y a aussi l’idée qu’Israël est fort – du moins jusqu’au 7-Octobre –, aussi pourquoi devrait-il faire des concessions et renoncer à ses privilèges ? En 2018, Israël a instauré la loi sur l’« Etat-nation » [qui précise que le droit à l’autodétermination dans l’Etat d’Israël est réservé au peuple juif], un texte qui ne concerne que nous [les juifs]. Les Palestiniens ne font pas partie de la nation dont se revendique l’Etat et, par conséquent, ils seront toujours discriminés, même dans l’Etat d’Israël. Dans ce contexte, il est difficile pour les jeunes [juifs] d’humaniser les Palestiniens, et c’est une immense tragédie.

    Dans votre livre « The Holocaust and the Nakba. A New Grammar of Trauma and History », coécrit avec le politiste Bashir Bashir (Columbia University Press, 2018, non traduit), vous plaidez pour une empathie mutuelle entre Israéliens et Palestiniens. Est-ce toujours possible ?
    Avec mon ami Bashir Bashir, on suggère une vision : le « binationalisme égalitaire » dans lequel juifs et Palestiniens pourraient vivre ensemble entre « la rivière et la mer », sur la base d’une égalité totale, dans laquelle les deux jouiraient de tous leurs droits individuels. Aucun des deux camps ne jouirait de privilèges, comme c’est le cas aujourd’hui pour les juifs. Nous n’avons pas seulement besoin d’empathie, mais d’un « vacillement empathique » dans lequel votre empathie pour la souffrance de l’autre vous amène à reconsidérer vos propres fondamentaux. Dans ce bain de sang, de telles idées semblent de la science-fiction.

    Qu’attendez-vous des prochaines années ?
    Du sang, du sang, du sang. Je ne vois rien d’autre qu’un avenir terrible. Mais on doit s’accrocher à notre humanité partagée et espérer qu’un jour, qui n’est pas encore en vue, les choses changeront.

  • Donald Trump, American Fascist - by Thomas Zimmer
    https://thomaszimmer.substack.com/p/donald-trump-american-fascist

    Finally, on October 13, Trump sat down for an interview with Fox News and was asked if he expected immigrants to cause chaos on election day: “I think the bigger problem is the enemy from within,” Trump replied. “We have some very bad people, some sick people, radical left lunatics…. And it should be easily handled by, if necessary, by National Guard, or if really necessary, by the military.”

    It is true that the term “fascism” is overused colloquially and in the public discourse. Quite often, it is uttered as a casual slur. Or it is used strategically to stigmatize something or someone as the ultimate evil. But the fact that the term is also being used in careless ways that don’t hold up analytically must not keep us from acknowledging that it is diagnostically correct to call Donald Trump and his movement fascist. Trump is not “the new Hitler” and he is not “just like Mussolini” – such facile analogies are useless and silly. We are not facing an exact replica of the Ur-fascism that rose to power in Europe’s interwar period. Trumpism is a specifically American, specifically twenty-first century version of fascism.

    • Présidentielle américaine 2024 : Trump face à l’accusation de fascisme
      https://www.lemonde.fr/idees/article/2024/10/25/presidentielle-americaine-2024-trump-face-a-l-accusation-de-fascisme_6359551

      A moins de deux semaines du scrutin, d’anciens collaborateurs du candidat républicain à la Maison Blanche multiplient les avertissements sur sa dérive autoritaire. Des accusations qui doivent être prises au sérieux

      Présidentielle américaine 2024 : Donald Trump assimilé à un « fasciste » par le général John Kelly, son ancien chef de cabinet
      https://www.lemonde.fr/international/article/2024/10/24/donald-trump-assimile-a-un-fasciste-par-le-general-john-kelly-son-ancien-che

      Donald Trump correspond à la définition d’un « fasciste », telle est la conclusion à laquelle est parvenu le général John Kelly. Son témoignage, publié par le New York Times mardi 22 octobre, alimente le débat sur le projet autoritaire porté par le milliardaire, à treize jours de l’élection présidentielle. « Il préfère très certainement l’approche dictatoriale dans la manière de gouverner », estime le militaire, qui fut d’abord le secrétaire à la sécurité intérieure dans l’administration Trump, avant de devenir, pendant un an et demi, à compter de juillet 2017, son chef de cabinet. L’ex-président « n’a jamais accepté le fait qu’il n’était pas l’homme le plus puissant du monde, et par le mot “puissance”, je veux dire la capacité à faire tout ce qu’il voulait, au moment où il le voulait », explique le général.

      Ce dernier confirme aussi un détail significatif, déjà rapporté dans plusieurs ouvrages : la fascination du candidat républicain pour Adolf Hitler. « Il m’a fait plus d’une fois la remarque (…) “vous savez, Hitler a aussi fait de bonnes choses”. » Malgré son récit, John Kelly se refuse à appeler les électeurs à faire barrage à l’ex-président. Lors d’une émission sur CNN dans la soirée de mercredi, Kamala Harris a qualifié ses propos d’« appel d’urgence au peuple américain ». Elle a repris à son compte le qualificatif de « fasciste » pour décrire Donald Trump. A la mi-journée, la candidate avait prononcé une allocution sévère contre ce dernier, en réaction aux propos du général. « Il veut des militaires qui lui soient loyaux personnellement, même s’il leur demande de violer la loi et de renoncer à leur serment sur la Constitution », a-t-elle affirmé.
      Au cours de la campagne, Donald Trump a dit qu’il pourrait employer l’armée contre les « ennemis de l’intérieur », notamment certains démocrates.

      #USA

  • Traduction par IA : « Les algorithmes génératifs produisent non pas du langage, mais une langue simulée »
    https://www.lemonde.fr/idees/article/2024/10/20/traduction-par-ia-les-algorithmes-generatifs-produisent-non-pas-du-langage-m

    Le traducteur littéraire Jörn Cambreleng insiste, dans une tribune au « Monde », sur la différence fondamentale entre une langue nourrie par une subjectivité humaine et un écrit, dénué de responsabilité, généré par un logiciel.

    #Intelligence_artificielle #Traduction #Langage

  • « L’indemnisation des victimes de pesticides est bien trop modique pour remettre en cause l’économie du secteur »
    https://www.lemonde.fr/idees/article/2024/10/20/l-indemnisation-des-victimes-de-pesticides-est-bien-trop-modique-pour-remett

    Heureusement que Stéphane Foucart ne lâche rien sur les pesticides... mais il doit se sentir bien seul.

    La création du Fonds d’indemnisation des victimes de pesticides, en 2020, reconnaît certes le risque professionnel que ces substances représentent, mais son barème est singulièrement chiche. En accordant de modiques indemnités, il pérennise le système en le rendant acceptable, relève Stéphane Foucart, journaliste au « Monde », dans sa chronique.

    #Pesticides

  • Anne Bouillon, avocate : « Le viol d’opportunité est une situation beaucoup plus fréquente qu’on ne l’imagine »
    https://www.lemonde.fr/idees/article/2024/10/25/anne-bouillon-avocate-le-viol-d-opportunite-est-une-situation-beaucoup-plus-

    Anne Bouillon, avocate : « Le viol d’opportunité est une situation beaucoup plus fréquente qu’on ne l’imagine »

    Dans un entretien, l’avocate spécialisée en droit des femmes et violences conjugales dresse, à partir de sa pratique, une typologie des différents types de viols, de la prédation à la réappropriation, en passant par l’opportunité.

    (…)

    Un schéma récurrent est le viol d’une femme qui dort et a trop bu. Dans les prétoires, je rencontre fréquemment des personnes qui pourraient être nos voisins ou nos frères et qui ont violé, disent-ils, « parce qu’elle était là et que j’avais envie ». C’est par exemple l’étudiant qui s’écroule sur un canapé où une fille s’est endormie après une fête.

    Il n’a pas élaboré de stratégie, mais, à la faveur d’un petit matin désinhibé par l’alcool et d’une envie de sexe, il viole cette femme parce qu’elle n’oppose aucune résistance. Devant la cour d’assises, il explique qu’il « ne [pensait] pas que cela la dérangerait ». Sans doute n’en a-t-il pas conscience, mais il a la perception distordue que le corps des femmes est à sa disposition à condition de ne pas se faire prendre.

    • L’idée de disponibilité du corps des #femmes est le fruit d’un héritage, celui d’un système de domination qui continue de structurer notre société malgré ses évolutions. Penser que le violeur est un déviant est une facilité de raisonnement qui est contredite chaque jour dans les prétoires. Vouloir pathologiser ou marginaliser la figure du violeur est un processus facile pour faire l’économie d’une introspection nécessaire à l’éradication du #viol.

      https://justpaste.it/9ap03

      #hommes #viol_de_prédation #viol_de_réappropriation #viol_d'opportunité

    • Dans un couple ordinaire, réveiller l’autre qui dort avec des petits baisers est une pratique ordinaire . Commise par les hommes et les femmes. La question peut au sein du couple se poser et se demander si l’Autre préférait pas dormir...Dire non à ce moment là n’est pas évident.

    • Dire non n’est pas évident, c’est vrai, dans plein de situations. Par contre, s’arrêter quand il n’y a pas de « oui », ça doit devenir évident.

    • Oui ! @noun absolument. Savons nous reconnaitre le oui et le non dans ce cas de figure simple ? Se pose-t-on seulement la question du consentement ? Je doute. J’ai mis des années à me poser cette question ( suis une femme ) . Dans ma tête c’était il va être trop content ! Et puis j’ai eu des doutes un jour.

    • réveiller l’autre qui dort avec des petits baisers

      Nul besoin d’être juriste pour parler de viol ! Il y a viol quand il y a du sexe, anal, buccal, génital alors que l’autre dort, est saoul·e, est sous anesthésie ou n’a pas tous ses esprits ou n’exprime pas un consentement explicite.

      A toustes celleux pénétrées dans leur sommeil sans l’avoir demandé, pas de honte des mots, #un_viol_c'est_un_viol

  • « Pour une assurance complémentaire gérée par la Sécurité sociale »

    Pour réduire le #déficit des dépenses publiques, le gouvernement propose de donner un coup de frein aux dépenses de #santé, qui représentaient, en 2022, 11,9 % du produit intérieur brut (PIB) de la France, nous plaçant en deuxième position des pays européens derrière l’Allemagne (12,6 %). Toutefois, en euros par habitant, l’Allemagne dépense en moyenne 20 % de plus que la France (4 343 euros versus 3 475 euros).
    La France est, en revanche, en tête des pays européens en matière de frais de gestion des financeurs des soins de santé : 6 % des dépenses de santé, contre 5 % en Allemagne et 3 % pour la moyenne des pays de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) (« Lutter contre le gaspillage dans les systèmes de santé », OCDE, 2017).

    En effet, spécificité française, nous avons pour chaque soin une double gestion, par l’Assurance-maladie obligatoire, d’une part, et par les #assurances privées complémentaires, d’autre part. Si bien que les complémentaires dépensent 7,7 milliards de frais de gestion alors qu’elles remboursent 13 % des soins, tandis que la Sécurité sociale dépense 7,5 milliards de frais de gestion alors qu’elle rembourse près de 80 % des soins. Autrement dit, lorsqu’un assuré verse 100 euros à une assurance complémentaire (mutualiste ou non), seuls 75 euros sont utilisés pour payer les soins contre 96 euros s’il les confie à la Sécurité sociale.

    « Faire mieux avec moins »

    En abaissant de 70 % à 60 % le remboursement des consultations chez le médecin ou chez la sage-femme, le gouvernement veut diminuer la #dépense_publique en la transférant aux assurances privées. Mais celles-ci répercuteront automatiquement la hausse sur le montant de la prime versée par leurs assurés, après une hausse de 8 % en 2024, déjà. Cette mesure purement comptable n’entraînera donc aucune économie pour la société. Elle va coûter plus cher aux assurés et provoquera un accroissement des #inégalités_sociales_de_santé dans la mesure où les moins fortunés, notamment parmi les #retraités, seront amenés à dégrader le niveau de leur couverture santé.

    A l’inverse, l’intégration des mutuelles dans une « Grande Sécu » remboursant à 100 % un panier de #prévention et de #soins solidaire permettrait à la collectivité d’économiser 5,4 milliards d’euros par an, d’après un rapport du Haut Conseil pour l’avenir de l’assurance-maladie, publié en janvier 2022 (« Quatre scénarios polaires d’évolution de l’articulation entre Sécurité sociale et assurance-maladie complémentaire »). A défaut de cette réforme structurelle majeure, la création d’une assurance complémentaire gérée par la Sécurité sociale permettrait de « faire mieux avec moins », selon le vœu du ministre du budget. En effet, la gestion de l’assurance-maladie obligatoire et d’une assurance-maladie complémentaire par un financeur unique permettrait de supprimer le doublon inutile des frais de gestion.

    Les milliards économisés pourraient à la fois être ristournés aux assurés et servir à réduire le déficit de la Sécurité sociale. Gagnant, gagnant ! Cette mesure de bon sens est faisable puisqu’elle existe déjà en Alsace-Moselle, où deux millions de salariés bénéficient, pour des raisons historiques, d’un régime de santé spécial. Sa généralisation dépend seulement de la volonté politique du gouvernement et des parlementaires de supprimer la rente des assurances-maladie privées dites « complémentaires », moins égalitaires, moins solidaires et surtout moins efficientes que la #Sécurité_sociale.

    François Bourdillon est médecin de santé publique ; Mady Denantes est médecin généraliste ; Anne Gervais est hépatologue au centre hospitalier universitaire (CHU) Bichat, à Paris ; André Grimaldi est diabétologue au CHU de la Pitié-Salpêtrière, à Paris ; Olivier Milleron est cardiologue au CHU Bichat.

    https://www.lemonde.fr/idees/article/2024/10/25/pour-une-assurance-complementaire-geree-par-la-securite-sociale_6359630_3232

  • Prix Nobel d’économie 2024 « Les trois lauréats ont fait appel à l’histoire sans s’apercevoir qu’elle entrait souvent en contradiction avec leurs théories »
    https://www.lemonde.fr/idees/article/2024/10/23/prix-nobel-d-economie-2024-les-trois-laureats-ont-fait-appel-a-l-histoire-sa

    Quand l’historien argentin Jorge Gelman (1956-2017) démontre que, dans l’Argentine du XIXe siècle, la « clarification » des droits de #propriété a été postérieure à la croissance économique, il en établit le caractère politique, puisque imposée par des possédants consolidés justement grâce à la croissance préalable qui, elle-même, a été obtenue avec des « droits de propriété » et des institutions passablement indéfinis.

    Kenneth Pomeranz a montré que l’inégalité de développement entre la Chine et l’Occident devait peu à leurs institutions, mais tout à l’accès aux matières premières offert à l’Occident par l’expansion coloniale et à la meilleure disponibilité des ressources en énergie offertes par le charbon.

    https://justpaste.it/46efp

    #économie #capitalisme #histoire

    • « semble »

      Que de pudeur pour dire les choses.

      L’Iran a riposté au dernier assassinat, en disant « retenez moi ou je fais un malheur ». Depuis Israël se sent en droit d’aller toujours plus loin dans l’horreur de la mise en œuvre de sa politique de conquête. Au point que les US se sentent eux aussi libérés, et interviennent tjs plus ouvertement. En fait, ils se sentent tous en droit d’agir comme bon leur semble. Oubliée leur relative défaite en Syrie, où la moitié du pays a de fait été annexé par ses voisins (kurdo-américain, turquo-américain, irako-américian). Plus qu’à annexer le Liban sous la forme de poches israélo-américaine. Et on pourra continuer à dire que tout de même, tous ces terroristes exagèrent, quand ils font mine de résister. Et que tout de même, les mots ont un sens, on ne peut pas parler de résistance, pour ces sauvages qui ne savent pas faire la guerre comme il faut.

  • « L’aide médicale de l’Etat est une ardente obligation morale »
    https://www.lemonde.fr/idees/article/2024/10/17/l-aide-medicale-de-l-etat-est-une-ardente-obligation-morale_6353938_3232.htm

    « L’aide médicale de l’Etat est une ardente obligation morale »
    Tribune
    Emmanuel Vigneron,Historien et géographe de la santé
    Une fois de plus, la question de la suppression de l’aide médicale de l’Etat (AME) revient dans le débat public et de nombreux arguments sont avancés par ceux qui veulent sa peau. Pour certains, « l’accès est trop débridé » (Bruno Retailleau), pour d’autres, ce ne doit être « ni un totem ni un tabou » (Michel Barnier).
    Dès lors, tous les coups sont permis, sans chiffres ni raison. Plus que des arguments établis par les faits, on entend des propos de comptoir : « il y a des abus qu’il faut réprimer », « des fraudeurs », « des étrangers qui viennent en France pour se faire soigner » ou « pour se faire recoller les oreilles ». Pourtant, à peine la moitié de ceux qui pourraient prétendre à cette aide y ont recours.
    La question de l’AME doit être abordée sous l’angle des textes fondamentaux auxquels notre pays adhère et qui font autorité : la protection de la santé pour tous (préambule de la Constitution de 1946), l’objectif de la santé pour tous (Stratégie mondiale de la santé pour tous d’ici à l’an 2000, adoptée par l’OMS en 1979), la promotion de la santé (charte d’Ottawa en 1986), l’égalité d’accès de tous à des soins de qualité et sûrs pour le patient, la prévention et la lutte contre les inégalités de santé – tous principes qui sont conformes à la Constitution de 1958, à la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 ainsi qu’à la Déclaration universelle des droits de l’homme proclamée par l’ONU en 1948.
    L’AME relève donc des droits humains. Elle est pour la France, comme pour tous les Etats membres de l’ONU, une ardente obligation morale, qui se double d’une obligation tout court. A cause de cela, la question du maintien de l’AME ne devrait tout simplement pas se poser, et, pour le coup, cette aide médicale devrait être assumée « quoi qu’il en coûte ». Il en va du respect du droit international auquel la France a volontairement souscrit et du respect de notre bloc de constitutionnalité.
    Par ailleurs, de quoi parlons-nous ? Certainement pas d’une charge insupportable : les besoins de santé financés par l’AME représentent peu de choses au regard du montant total des dépenses nationales de santé : 970 millions contre 314 milliards de dépenses courantes de santé au sens international, soit, 0,3 % des dépenses de santé ! Et on ne pourrait pas en prendre collectivement la charge ? Il n’y a certes pas de petites économies mais, en l’espèce, n’est-il pas honteux de remettre en cause une aide qui s’impose à nous ?
    On compte 400 000 bénéficiaires de l’AME par an pour 68 millions de Français, soit 0,6 % du nombre que nous sommes. Ces chiffres indiquent qu’un bénéficiaire de l’AME coûte à la société deux fois moins cher pour sa santé qu’un Français moyen. On est donc loin de ce que sous-entend un débat spécieux, désignant à la vindicte publique des hordes de faux malades étrangers qui viendraient chez nous se gaver de soins médicaux.
    Il est des économies dont la recherche ne grandit pas ceux qui s’y adonnent. L’AME ne finance en effet qu’un minimum de soins car les bénéficiaires consomment peu, soit en raison de leur méconnaissance du système, soit parce que dans leur majorité, ce sont des hommes qui, du fait de leur jeunesse, ont moins besoin que d’autres de recourir au système de santé. En revanche, par leur activité économique, ils profitent au pays.
    Le nombre de bénéficiaires de l’AME a crû de près de 123 000 personnes entre la fin 2015 et la mi-2023, soit une progression de 39 % sur sept ans et demi, atteignant 466 000 êtres humains à la fin de cette année-là, souligne le rapport sur l’AME de Claude Evin et Patrick Stefanini. Mais n’est-ce pas là la conséquence du désordre du monde – dans lequel, d’ailleurs, la France a sa part –, bien davantage que le résultat d’on ne sait quel laxisme français ?
    Pour ces motifs de droit et au regard de ces chiffres, on ne devrait pas accepter de débattre d’une réforme de l’AME. « On ne déjeune pas avec le diable même avec une très longue cuillère », déclarait Raymond Barre en 1985, reprenant un vieux proverbe français à son compte et citant Shakespeare à sa façon. Par « évidence morale » comme le disait Jean-Pierre Vernant, grand helléniste et résistant communiste de la première heure, « on ne discute pas recettes de cuisine avec des anthropophages ». En clair, tout ne se débat pas.
    Faut-il souligner, pour ceux que la morale importune et que la santé des bénéficiaires de l’AME n’intéresse pas, ce que seraient les effets pernicieux de la suppression de l’AME sur leur propre santé ? Quelques mots suffiront : la protection de la santé de toutes les personnes résidant sur le territoire est l’une des premières mesures barrières pour éviter la propagation des maladies infectieuses et parasitaires ; s’agissant des troubles psychiques, le risque pour la santé et la sécurité publiques d’une absence de prise en charge des malades est très grand, pour eux comme pour tous ; l’AME et les dispositifs liés évitent des dépenses bien plus importantes, notamment pour les urgences hospitalières où finissent par échouer ceux qui ne sont pas autrement pris en charge.
    Tout cela est évident, mais si la France était à la hauteur d’elle-même, il ne devrait tout simplement pas être nécessaire de le mentionner. La question de la suppression ou de la réduction de l’AME est avant tout une question morale, une de celles qui font la République et le bonheur de vivre ensemble.

    #Covid-19#migrant#migration#france#sante#systemesante#AME#sntepublique#santementale

  • Cate Blanchett et Filippo Grandi : « Sans nationalité, vous vivez dans la crainte d’être maltraité, arrêté, détenu et même expulsé du pays qui est le vôtre »
    https://www.lemonde.fr/idees/article/2024/10/16/cate-blanchett-et-filippo-grandi-sans-nationalite-vous-vivez-dans-la-crainte

    Cate Blanchett et Filippo Grandi : « Sans nationalité, vous vivez dans la crainte d’être maltraité, arrêté, détenu et même expulsé du pays qui est le vôtre »
    Une nouvelle alliance pour l’éradication de l’apatridie vient d’être lancée afin de lutter contre les inégalités des lois nationales fondées sur le sexe, l’appartenance ethnique, la religion ou la race, expliquent, dans une tribune au « Monde », l’actrice Cate Blanchett et le haut-commissaire des Nations unies pour les réfugiés, Filippo Grandi.
    Tribune : Imaginez que vous découvriez un jour que votre identité a été effacée, que votre passeport, votre permis de conduire, vos cartes bancaires, votre acte de naissance, tous les numéros et autres identifiants qui prouvent votre existence en tant que citoyen ont disparu. Vous ne pouvez pas décrocher un emploi ni posséder de compte bancaire, et les prestations de base ne vous sont pas accessibles puisque vous n’existez pas officiellement.
    Mais votre famille a besoin d’être nourrie, alors vous acceptez tout travail qui se présente à vous – irrégulier, mal payé, voire dangereux. Vous appelleriez bien un parent pour demander de l’aide, mais votre téléphone ne fonctionne pas parce que votre carte SIM a disparu. Aucune école n’a de trace de votre enfant, elle ne peut donc pas l’inscrire, et la porte de la classe se referme sur lui.
    Vous avez rencontré l’amour de votre vie ? Il se peut que vous ne puissiez même pas vous marier officiellement. Aucun médecin ne possède de dossier sur vous, si bien que, si vous êtes malade ou blessé, vous devez vous débrouiller seul. Sans nationalité et sans les droits qui en découlent, vous vivez dans la crainte d’être maltraité, arrêté, détenu et même expulsé du pays qui est le vôtre. Cela offre un aperçu de la situation des apatrides, même si, pour nombre d’entre eux, l’apatridie n’est pas un problème soudain mais une situation qu’ils endurent depuis leur naissance.
    Imaginez donc le calvaire de Tebogo Khoza, un jeune homme qui n’a jamais connu son père, a perdu sa mère de maladie et dont les grands-parents n’ont jamais eu de papiers d’identité parce que l’ancien régime d’apartheid sud-africain considérait que les non-Blancs n’en avaient pas besoin. Il a fallu une bataille de dix ans pour qu’il obtienne enfin, en 2023, à l’âge de 25 ans, un acte de naissance confirmant sa nationalité sud-africaine.
    Imaginez aussi comment Meepia Chumee, abandonnée bébé et élevée par des proches également apatrides, a lutté pendant des décennies pour accéder à un emploi formel, aux droits fondamentaux et aux services dans le nord de la Thaïlande. Ce n’est qu’à l’âge de 34 ans qu’elle a réussi à obtenir la nationalité thaïlandaise.
    Ce ne sont là que deux des histoires récemment mises en lumière par le Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR). Ce ne sont que deux des quelque 4,4 millions de personnes dans le monde qui sont déclarées apatrides ou de nationalité indéterminée. En réalité, le nombre réel est probablement beaucoup plus élevé ; on ne vous compte pas lorsque vous êtes invisible, et les données ne sont disponibles que pour environ la moitié des pays du monde.
    Les effets de l’apatridie sont pernicieux. Les apatrides ont le sentiment de vivre dans l’ombre, de n’appartenir à aucun pays. Et même s’il existe une solution toute prête – l’octroi de la nationalité –, le problème persiste. Dans un monde où tant de choses dépendent de notre reconnaissance en tant que citoyens, il s’agit d’une profonde injustice.
    Au cours de la dernière décennie, le HCR a mené une campagne baptisée #IBelong (#Jexiste) pour lutter contre l’apatridie. Au cours de cette période, plus de 565 900 apatrides ont acquis une nationalité. Par exemple, ces dernières années, le Kenya a accordé la nationalité aux membres des minorités makonde, shona et pemba.
    Le Kirghizistan a été le premier pays à résoudre tous les cas connus sur son territoire. Le Turkménistan est sur le point de devenir le deuxième pays à mettre fin à l’apatridie, et d’autres Etats d’Asie centrale lui emboîtent le pas. Le Vietnam s’est attaqué au problème de l’apatridie parmi les anciens réfugiés cambodgiens et les groupes ethniques minoritaires. De nombreux autres pays ont adopté des lois visant à garantir qu’aucun enfant ne naisse apatride.
    Pourtant, l’apatridie perdure. Elle peut résulter d’une discrimination délibérée fondée sur la race, l’appartenance ethnique, la religion, la langue ou le sexe. Les Rohingya par exemple, l’un des groupes les plus touchés, sont apatrides à la fois en Birmanie en raison d’une loi discriminatoire sur la citoyenneté, et à l’extérieur du pays, en tant que réfugiés.
    Vingt-quatre pays ne permettent toujours pas aux femmes de transmettre leur nationalité à leurs enfants sur un pied d’égalité avec les hommes. Par conséquent, les enfants peuvent se retrouver apatrides lorsque les pères sont inconnus, disparus ou morts, ce qui ajoute une nouvelle injustice à la discrimination fondée sur le genre.
    Parfois, les causes sont moins malignes – par exemple parce que les lois sur la nationalité ne garantissent pas que personne ne devienne apatride, ou en raison d’obstacles bureaucratiques qui rendent difficile ou impossible l’acquisition ou la preuve de la citoyenneté ou l’enregistrement d’une naissance.
    Mais il existe des mesures concrètes qui peuvent et doivent être prises. De nombreux pays doivent encore mettre en œuvre des réformes qui permettraient de conférer une nationalité aux apatrides et de prévenir l’apatridie chez les enfants. Malgré plusieurs adhésions récentes, moins de la moitié des Etats membres des Nations unies sont parties aux conventions de 1954 et 1961 sur l’apatridie. Des millions d’enfants ne sont toujours pas enregistrés à la naissance, ce qui accroît le risque d’apatridie.
    La nécessité d’agir est plus urgente que jamais. C’est pourquoi nous avons créé l’Alliance mondiale pour mettre fin à l’apatridie, lancée le 14 octobre, qui réunira des Etats, des agences des Nations unies, des représentants de la société civile, des organisations dirigées par des apatrides et bien d’autres pour travailler ensemble et partager les bonnes pratiques, s’appuyer sur les meilleurs moyens de prévenir et de résoudre l’apatridie, encourager les réformes politiques et juridiques, et donner une voix aux apatrides.
    Il ne s’agit pas seulement pour ces personnes de pouvoir gérer leur quotidien, mais il est avant tout question de répondre à un besoin fondamental d’appartenance. Il s’agit d’être reconnu et de se voir accorder les droits dus à chaque citoyen. Rien ne justifie l’apatridie, et les solutions sont à notre portée. Il s’agit d’un problème créé par l’homme et que nous devons éradiquer – pour de bon.

    #Covid-19#migrant#migration#HCR#apatride#droit#citoyennete#femme#mineur#sante

  • Karim Kattan, écrivain palestinien : « Pourquoi Gaza a-t-elle disparu derrière des sophismes, des approximations, des murmures désolés ? »

    "En plus de Gaza, d’autres ont disparu : où êtes-vous, mes pairs, mes collègues, mes amis – vous, les écrivains ? Où est votre parole collective, vous, penseurs et faiseurs de mots ? Mes amis, auriez-vous perdu l’usage du langage, oublié comment vous organiser ? N’avez-vous pas vu qu’on détruit aussi les livres, qu’on décime les vôtres, qu’on rase vos lieux sacrés d’apprentissage, d’inspiration, d’oisiveté, de souvenir : bibliothèques, universités, ruelles, chambres, jardins ? Voici devant vous l’endroit où l’on vous assassine et mutile impunément ; où meurent le plus de gens qui écrivent et le plus d’enfants qui rêvent.
    Où sont vos têtes, vous si fiers de vos pensées ? Où sont vos plumes, vous qui vous épanchiez partout en cette rentrée littéraire ? Vous étiez partout, mais là, vous n’êtes pas. Où êtes-vous ?"

    https://www.lemonde.fr/idees/article/2024/10/08/karim-kattan-ecrivain-palestinien-pourquoi-gaza-a-t-elle-disparu-derriere-de

    https://justpaste.it/ga24j

    #gaza #palestine

  • Calomnier les analystes critiques de la guerre à Gaza n’est plus tolérable
    https://www.blast-info.fr/articles/2024/calomnier-les-analystes-critiques-de-la-guerre-a-gaza-nest-plus-tolerable

    Ce texte réagit à un article publié par Le Monde sur le livre « Une étrange défaite. Sur le consentement à l’écrasement de Gaza » (La Découverte, 2024). Il vise à en corriger les calomnies, insinuations et falsifications des faits, parfaite illustration de ce que, précisément, l’ouvrage analyse. Un droit de réponse ayant été rejeté par le quotidien, nous remercions Blast d’avoir accepté de le faire paraître. La campagne d’intimidation engagée depuis un an à l’encontre de celles et ceux qui proposent des analyses critiques de la destruction de Gaza et de ses habitants n’a pas seulement restreint la liberté d’expression. Elle a aussi contribué à la présentation au public d’un récit qui donne une vision fausse des événements et qui, ainsi, participe de la justification de la brutalisation des Palestiniens par l’armée et le gouvernement israéliens.

  • Karim Kattan, écrivain palestinien : « Pourquoi Gaza a-t-elle disparu derrière des sophismes, des approximations, des murmures désolés ? »
    https://www.lemonde.fr/idees/article/2024/10/08/karim-kattan-ecrivain-palestinien-pourquoi-gaza-a-t-elle-disparu-derriere-de

    Quel bien étrange paradoxe : #Gaza est partout et nulle part. Il est aussi courant de lire chaque jour le nombre de morts que de commenter les averses en automne. Phénomènes météorologiques, violence atmosphérique : la pluie est normale, et mourir amputé, torturé, affamé par les Israéliens à Gaza aussi. Nous redoutions ce moment mais le savions inévitable tant la mécanique du #racisme est prévisible : les gens s’y sont habitués. Les Israéliens comptaient-ils sur ça, sur l’effet du temps qui atténue l’horreur, facilite le consentement, habitue au pire ? Quoi qu’il en soit, la crise ne suscite plus le même intérêt. Gaza, champ de mort, la Palestine mutilée : dorénavant une normalité et non une urgence. Un aléa, non des crimes contre l’humanité. Une guerre, non des atrocités.

    En France, comme ailleurs, des controverses détournent l’attention. Chaque jour apporte sa petite polémique, où des représentants du pouvoir français s’indignent au sujet des propos tenus par Untel ou Untel et lancent des accusations en tout genre, peu caractérisées, expriment des indignations morales approximatives qui ne souffrent aucune démonstration. Le tout, souvent, pour taire la parole en soutien à la survie et la liberté des Palestiniens. On aurait rêvé qu’ils s’indignent avec au moins autant de ferveur au sujet des dizaines de milliers de victimes palestiniennes.

    Quant aux automatismes journalistiques que l’on aperçoit un peu partout – utilisation de la voix passive, de verbes approximatifs, déshistorisation, euphémismes –, ils viennent créer des ambiguïtés, rendre impersonnelles les atrocités, amoindrir les réalités de l’apartheid, de l’occupation, de la colonisation. C’est à se demander vraiment qui tue les #Palestiniens, dans quel but, et depuis quand.

    Les témoignages des citoyens, des journalistes, des médecins et des rares étrangers pénétrant dans l’enclave détruite mettent en lumière à quel point ce paysage discursif est défaillant. Ils montrent que l’enfer est là depuis près d’un an déjà. Même les soldats le décrivent, car ils sont fiers d’avoir créé cet enfer. Tout cela en dépit du black-out médiatique total imposé par Israël, qui s’assure qu’aucun journaliste étranger ne puisse pénétrer dans Gaza, à moins d’être escorté par l’armée.

    Démissions consenties

    Manière grossière, mais efficace, d’empêcher la production d’une iconographie directe de ses crimes – bien sûr, les Palestiniens la produisent chaque heure, mais on ne croit jamais entièrement ce que nous disons, nous soupçonnant toujours de mensonge et d’imprécision. Ce fait, qui conditionne la manière dont les nouvelles circulent ou non depuis Gaza, devrait être mentionné dans chaque article pour contextualiser les sources, leur absence ou leur fiabilité. Or, il est seulement rappelé de temps à autre, de façon incidente, jamais comme l’élément structurant de l’information en #Israël-Palestine.

    Pourtant, les instances internationales, les spécialistes, les chercheurs, les juristes alertent. Beaucoup affirment que tous les critères sont réunis et que nous faisons face à un risque de génocide – ce mot qui semble horrifier les politiciens plus que les réalités qu’il désigne. Certains disent même que ce génocide serait en cours. En tout cas, l’agression est si furieuse que Gaza est aujourd’hui le lieu au monde le plus dangereux pour les enfants.
    Où est Gaza ? Pourquoi a-t-elle disparu derrière des sophismes, des approximations, des murmures désolés ? C’est qu’on a consenti à bien des démissions avec nos mots.

    En plus de Gaza, d’autres ont disparu : où êtes-vous, mes pairs, mes collègues, mes amis – vous, les #écrivains ? Où est votre parole collective, vous, penseurs et faiseurs de mots ? Mes amis, auriez-vous perdu l’usage du langage, oublié comment vous organiser ? N’avez-vous pas vu qu’on détruit aussi les livres, qu’on décime les vôtres, qu’on rase vos lieux sacrés d’apprentissage, d’inspiration, d’oisiveté, de souvenir : bibliothèques, universités, ruelles, chambres, jardins ? Voici devant vous l’endroit où l’on vous assassine et mutile impunément ; où meurent le plus de gens qui écrivent et le plus d’enfants qui rêvent.

    Où sont vos têtes, vous si fiers de vos pensées ? Où sont vos plumes, vous qui vous épanchiez partout en cette rentrée littéraire ? Vous étiez partout, mais là, vous n’êtes pas. Où êtes-vous ?

    Gaza n’a pas disparu de l’esprit de tous, fort heureusement. On salue ceux qui se réunissent, ceux qui militent, qui écrivent et qui regardent ; les étudiants qui résistent face à des administrations hostiles ; les activistes, mais aussi les citoyens qui œuvrent pour la justice, et certains d’entre vous qui osent prendre la parole. Mais ces derniers sont rares : où êtes-vous ?

    La normalisation de l’horreur

    J’entends que la normalisation de l’horreur, le rétrécissement de l’empathie, est aussi un mécanisme de défense, pas seulement un processus sinistre. Toutefois, ces dernières semaines, j’ai commencé à soupçonner que l’on peut nommer et théoriser un nouveau principe organisateur : la haine des Palestiniens. C’est peut-être cela qui vous fait accepter l’anéantissement et l’invasion en vous contentant de vagues formules d’empathie. Vous n’utilisez pas les mots que vous maniez si aisément ailleurs : massacres, atrocités, crimes, car, au fond, vous trouvez que tout cela est dans l’ordre des choses.
    Alors, nous détestez-vous ? Comment pouvons-nous comprendre autrement votre attitude cette année passée ? On parle beaucoup de déshumanisation, mais ce préfixe « dé- » suggère qu’on nous aurait d’abord considérés comme humains et qu’au terme d’un processus nous aurions perdu ce statut. Je crains que vous n’ayez jamais considéré les Palestiniens comme des êtres humains.

    Je vous soupçonne désormais de cette haine. Certes, elle est nourrie d’islamophobie, de haine anti-arabe, de racisme, du substrat colonial qui charpente la pensée française. Certes, elle est passive, froide, nourrie d’indifférence. Mais elle est aussi, dans cette nouvelle séquence historique, une haine singulière des Palestiniens.
    C’est peut-être seulement ainsi que je peux m’expliquer votre démission intellectuelle, qui risque de devenir, chaque jour un peu plus, votre complicité. Contre toute attente, j’espère me tromper, mes amis. Je comptais sur vous. Je croyais en vous. Où êtes-vous ?

    Karim Kattan est un écrivain palestinien, né à Jérusalem et vivant en France. Son premier roman, « Le Palais des deux collines », est paru aux éditions Elyzad en 2021 et a reçu le Prix des cinq continents de la #francophonie la même année. Il vient de publier « L’Eden à l’aube » (Elyzad, 336 p., 21,50 €).

    #intellectuels

    • « Je vous soupçonne désormais de cette haine. Certes, elle est nourrie d’islamophobie, de haine anti-arabe, de racisme, du substrat colonial qui charpente la pensée française. Certes, elle est passive, froide, nourrie d’indifférence. Mais elle est aussi, dans cette nouvelle séquence historique, une haine singulière des Palestiniens.
      C’est peut-être seulement ainsi que je peux m’expliquer votre démission intellectuelle, qui risque de devenir, chaque jour un peu plus, votre complicité. Contre toute attente, j’espère me tromper, mes amis. Je comptais sur vous. Je croyais en vous. Où êtes-vous ? »

      Je ne m’y attendais pas chez cet auteur en particulier mais voilà un des symptômes de la brisure définitive (?) entre « nous » et les autres...

  • Omer Bartov, historien : « Israël va-t-il enfin comprendre que son pouvoir a des limites ? »
    https://www.lemonde.fr/idees/article/2024/10/07/omer-bartov-historien-israel-va-t-il-enfin-comprendre-que-son-pouvoir-a-des-

    Le premier ministre israélien, Benyamin Nétanyahou, martèle qu’il poursuivra la guerre à Gaza tant qu’Israël n’aura pas remporté de « victoire totale ». Il se refuse cependant, obstinément, à exposer les objectifs politiques de ce conflit. Faut-il en déduire qu’Israël fait la guerre sans stratégie claire ? Si cette guerre n’est pas la continuation de la politique par d’autres moyens, s’agit-il d’une guerre pour la guerre, d’une guerre absolue, d’une guerre d’anéantissement ? Ou bien Nétanyahou dissimule-t-il ses objectifs politiques pour ne pas torpiller l’argument selon lequel sa guerre est une guerre de défense légitime ?

    Selon maints observateurs, si Nétanyahou s’oppose à un accord sur un cessez-le-feu et à l’échange des otages contre des prisonniers palestiniens, c’est parce qu’il redoute que les ministres d’extrême droite Bezalel Smotrich et Itamar Ben Gvir, hérauts de l’occupation militaire et de la colonisation de la bande de Gaza, ne renversent son gouvernement. Une chute du gouvernement pourrait signifier la création d’une commission d’enquête sur la tragédie du 7-Octobre et la reprise du procès de Nétanyahou pour corruption. Avec pour conséquence que sa carrière politique pourrait prendre fin plus tôt que prévu et qu’il pourrait lui-même se retrouver derrière les barreaux. D’où sa volonté inébranlable de poursuivre la guerre à Gaza et l’offensive au Liban, à tout le moins jusqu’aux élections américaines du 5 novembre – dans l’espoir que Donald Trump soit réélu et qu’il tire pour lui les marrons du feu –, voire jusqu’aux prochaines élections israéliennes, programmées en octobre 2026.

    Ces enjeux immédiats ne doivent pas masquer le fait que Nétanyahou poursuit une stratégie à long terme, la même que celle menée depuis le début de sa longue carrière politique. Une stratégie qui, malgré quelques différences cruciales, a beaucoup en commun avec les politiques sionistes d’avant la création de l’Etat hébreu. Et qui est à l’origine de la crise actuelle. Ce n’est donc qu’en la remplaçant par un nouveau modèle politique que l’on peut espérer en finir avec cette « guerre de cent ans » qui oppose Israël aux Palestiniens et à leurs alliés.

    Dogmatisme idéologique et fanatisme religieux

    Au cœur de la vision du monde de Nétanyahou se trouve ainsi la conviction que la totalité d’Eretz Israel, la « terre d’Israël », qui couvre au moins les territoires compris entre le fleuve Jourdain et la mer Méditerranée, appartient aux juifs ; que la mission de l’Etat est de concrétiser leur droit historique et moral sur cette terre par un processus de #colonisation continue, en tirant parti de toutes les occasions politiques et militaires qui se présentent ; que la population palestinienne vivant sur ce territoire doit se plier à l’hégémonie israélo-juive ou, lorsque c’est possible, sous la pression ou la contrainte, partir.

    Alors que le #sionisme signifiait, à ses débuts, différentes choses pour différentes personnes et que, lors du mandat britannique en Palestine [1923-1948], une minorité de sionistes se montraient favorables à la coexistence des Palestiniens et des juifs, l’intensification de la résistance palestinienne à la colonisation juive, qui s’est accompagnée d’éruptions périodiques de violences intercommunautaires, a marginalisé les voix les plus conciliantes. Pendant la guerre israélo-arabe de 1948, l’expulsion de la majorité des Palestiniens de ce qui est devenu l’Etat d’Israël, puis la décision d’interdire leur retour, tout cela sous le commandement du premier ministre socialiste David Ben Gourion, ont été applaudies par une grande partie, si ce n’est la vaste majorité des juifs israéliens : le rêve d’établir un Etat majoritairement juif se réalisait enfin.

    Vingt ans plus tard, en 1967, la stupéfiante victoire d’Israël lors de la guerre des Six-Jours a été vécue par la plupart des Israéliens comme la réalisation d’un autre rêve encore : établir une domination juive sur les terres « historiques » de l’Israël biblique, qui incluent Jérusalem réunifiée, Naplouse et Hébron. Fondé peu après, le Mouvement pour le #Grand_Israël a recruté de nombreux membres des élites intellectuelles et académiques auparavant ancrées à gauche. Malgré des déclarations diverses et variées sur « l’échange de terres contre la paix », Israël dans son ensemble s’est vite habitué à régner sur la totalité du territoire, tout en « gérant » l’occupation de ses habitants palestiniens. Et le projet de colonisation de la Cisjordanie a pris de l’ampleur, avant même que la droite n’accède pour la première fois au pouvoir, en 1977.

    Les responsables travaillistes israéliens ont toujours été conscients des ressources économiques, militaires et politiques limitées du pays. Bien avant la création d’un Etat, ils s’employaient à prendre possession des terres progressivement, avec pragmatisme – « acre par acre », disait un slogan. Mais ces dernières décennies, et en particulier depuis Nétanyahou, un nouveau cocktail de dogmatisme idéologique et de fanatisme religieux est apparu. La population israélienne s’est droitisée, notamment en réaction à la vague d’attentats-suicides de la seconde Intifada [2000-2005] ; l’influence de factions de plus en plus messianiques au sein du mouvement de colonisation s’est également accrue ; et le segment laïque et progressiste de la société a perdu du terrain, en butte à des critiques de plus en plus acerbes.

    Régime colonial

    Un demi-siècle d’occupation menée derrière des murs et des clôtures, à travers des routes de contournement et des postes de contrôle, a accoutumé la population juive à ignorer l’oppression d’une population ne vivant qu’à quelques kilomètres d’elle. Cette normalisation de l’occupation s’est accompagnée de la diabolisation de la résistance, de la lente plongée de l’oppresseur et de l’opprimé dans la barbarie, et de l’exacerbation de la corruption morale résultant inévitablement d’un régime colonial.

    Le massacre du 7 octobre 2023 perpétré par le Hamas en Israël a fait voler en éclats le modèle d’un #apartheid « géré » en Cisjordanie, qui ne dit pas son nom, et d’une annexion rampante. Non seulement les #Palestiniens sont de nouveau apparus comme des ennemis redoutables, mais ils sont aussi parvenus à convaincre certaines parties de la région de leur venir en aide. La vision du monde de Nétanyahou n’a pas changé d’un iota et, au sein de sa coalition nationaliste religieuse, le fanatisme de ses partenaires n’a fait qu’aller croissant. Pour Nétanyahou, outre mettre en péril sa survie personnelle, la fin de la guerre exposerait au grand jour la vacuité de la tactique à laquelle il s’adonne depuis des dizaines d’années : assurer la faiblesse de l’Autorité palestinienne et la survie du Hamas, car cette faiblesse et cette survie constituent son plus solide argument contre la négociation d’un accord.

    Quand la guerre sera finie, il faudra élaborer une politique de réconciliation entre Israéliens et Palestiniens. Or, les extrémistes de l’actuel gouvernement considèrent le 7-Octobre non pas comme une catastrophe, mais comme l’occasion d’accomplir enfin leur objectif d’#annexion et de #nettoyage_ethnique, qu’importent le sang versé et la dégradation de l’image de l’Etat hébreu sur la scène internationale, car Dieu est avec eux.

    Est-il possible de stopper cette course à l’abîme ? Israël va-t-il enfin comprendre que son pouvoir a des limites ? Je ne pense pas qu’un changement puisse venir de l’intérieur. En revanche, une intervention internationale soigneusement planifiée a, à l’heure actuelle, de meilleures chances d’aboutir à un changement de paradigme qu’à tout autre moment depuis la fin de la guerre du Kippour [du 6 au 24 octobre 1973], voire plus. Chaque jour, Israël perd un peu de sa force militaire, économique, sociale et politique. Les Palestiniens, trahis par leurs dirigeants, sont victimes d’une politique de destruction systématique à Gaza, mais aussi en Cisjordanie. L’expansion actuelle de la guerre au Liban, où les forces d’invasion de Tsahal [l’armée israélienne] risquent de s’enliser comme cela s’est produit dans le passé, et la menace croissante d’une guerre totale avec l’Iran rendent une intervention internationale encore plus urgente.

    Le moment est venu pour les leaders du monde d’agir, pour leurs propres intérêts, pour éviter l’explosion de troubles nationaux et une situation de chaos international. En ces jours, si des puissances comme la France, l’Allemagne, l’Espagne et le Royaume-Uni menaient des actions sous la houlette des Etats-Unis, celles-ci pourraient rapidement transformer les opinions publiques de la région, en proie à un sentiment d’impuissance et au désespoir.

    Le coût de l’inaction

    Les étapes nécessaires pour y parvenir ont déjà été clairement exposées, mais elles n’ont jamais été mises en œuvre avec la détermination requise. Dans un premier temps, il faut un cessez-le-feu immédiat à Gaza, suivi de l’échange des otages contre des prisonniers et du départ de Tsahal de la bande de Gaza, sous la menace d’un embargo sur les armes. En l’absence des livraisons continues d’armes en provenance des Etats-Unis et d’Europe, en effet, Israël ne peut se battre pendant plus de quelques semaines. Tout cela doit mettre un terme aux affrontements avec le Liban et apaiser les tensions avec l’Iran.

    Dans un deuxième temps, une force internationale principalement arabe prendra le pouvoir dans la bande de Gaza et les dirigeants du Hamas s’exileront. Troisièmement, la pouvoir sera progressivement transféré à l’Autorité palestinienne, qui devra être pilotée par de nouveaux dirigeants.

    Dernière étape, cruciale pour l’ensemble du processus : Israël et l’Autorité palestinienne entameront des négociations, sous l’égide de la communauté internationale et des principaux Etats arabes, afin d’élaborer des plans de partage des territoires, dans l’idéal dans le cadre d’une confédération de deux Etats souverains.

    Si cette dernière phase ne manquera pas d’être longue et ardue, elle a des chances de bénéficier du soutien croissant des juifs israéliens et des Palestiniens, et d’affaiblir les extrémistes. Reste que rien de tout cela ne pourra se faire sans une pression politique ferme et constante. Il y aura un prix à payer en politique intérieure, mais, pour les dirigeants qui prendront ce risque, les bénéfices politiques à long terme seront plus importants. Le coût de l’inaction serait d’ailleurs bien plus élevé. Israël pourrait devenir un véritable Etat d’apartheid, et donc un handicap permanent pour ses soutiens occidentaux et la cause de violences continues dans la région.

    Pour ceux qui se soucient véritablement de l’avenir d’#Israël et ne supportent plus de rester les bras croisés pendant que les Palestiniens se font massacrer, l’heure est venue de faire pression sur les gouvernements pour qu’ils agissent, au nom des droits humains et de l’ordre international.

    Traduit de l’anglais par Valentine Morizot
    Omer Bartov est un historien israélien, spécialiste de la seconde guerre mondiale et de la Shoah. Professeur à l’université Brown (Rhode Island), il est l’auteur, entre autres, de L’Armée d’Hitler. La Wehrmacht, les nazis et la guerre (Hachette, 1999) et Anatomie d’un génocide. Vie et mort dans une ville nommée Buczacz (Plein Jour, 2021).

  • Dix déclinaisons pour un même plat du jour servi par l’#état_de_droite

    Discours de politique générale : ce que Michel Barnier veut changer | Alternatives Economiques
    https://www.alternatives-economiques.fr/discours-de-politique-generale-michel-barnier-veut-changer/00112622

    Gouvernement Discours de politique générale : ce que Michel Barnier veut changer
    Le 02 Octobre 2024
    19 min

    Malgré un discours qui s’inscrit dans la continuité de la politique macroniste, Michel Barnier a annoncé quelques (mini et maxi) ruptures. Alternatives Economiques fait le point sur dix d’entre elles.

    https://justpaste.it/210j9

    • https://www.liberation.fr/idees-et-debats/yanis-varoufakis-le-nfp-na-pas-dit-aux-francais-que-leur-programme-impliq

      Couper plus de 40 milliards d’euros dans le prochain budget, comme Michel Barnier l’envisage, est-ce de l’austérité sévère ?

      Michel Barnier n’existe pas. C’est un algorithme. Nous l’avons vu pendant les négociations du Brexit, il n’avait pas la moindre idée originale. Il les conduisait comme un comptable algorithmique qui passait en revue une « checklist » donnée par Bruxelles. Il cochait les cases et a enflammé le Brexit. Il est le meilleur exemple de ce qu’il ne faut pas faire en tant qu’être humain en position de pouvoir. Aujourd’hui, on lui a donné une nouvelle check-list consistant à détruire ce qui reste du tissu social en France afin de faire semblant de respecter les règles.

      Il parle néanmoins de « justice fiscale »…

      Quand les politiques reçoivent des ordres d’en haut pour causer des dommages à la société, ils inventent de délicieuses contradictions. Lorsque les conservateurs ont gagné en 2010 au Royaume-Uni, le ministre des Finances a inventé l’expression de « contraction budgétaire expansionniste ». Ne soyez pas surpris si Barnier trouve des manières de déguiser des mesures préjudiciables au plus grand nombre pour le compte d’un petit nombre.

  • « Si la volonté politique fait défaut pour protéger le loup, elle fera défaut sur tout le reste », Stéphane Foucart
    https://www.lemonde.fr/idees/article/2024/10/06/si-la-volonte-politique-fait-defaut-pour-proteger-le-loup-elle-fera-defaut-s

    Environ un millier de loups vivent sur le territoire national. Ils y cohabitent avec 68 millions d’êtres humains, 16 millions de bovins, 7 millions d’ovins, 1 million d’équidés de toutes sortes. Mille loups, donc, arpentent discrètement les forêts et les montagnes d’un pays de 55 millions d’hectares. Cela fait très peu de loups au kilomètre carré, mais c’est déjà trop. La France fait partie de la vingtaine d’Etats membres de l’Union européenne (UE) qui ont favorablement accueilli, le 25 septembre, la proposition de la Commission de réduire le niveau de protection du grand carnivore.

    Début décembre, le comité directeur de la Convention de Berne (où l’#UE détient la majorité) devrait faire passer Canis lupus du statut de protection stricte à celui de protection simple. La directive « Habitats », qui transpose les dispositions de la Convention de Berne, devra ensuite être amendée. Cela promet d’être intéressant : l’article 19 de la directive en question dispose que toute modification de son annexe IV (la liste d’espèces strictement protégées) ne peut intervenir qu’en cas de nouvelles données « scientifiques et techniques », et à l’unanimité des Etats membres. Le hic étant qu’il n’y a aujourd’hui ni unanimité des Etats membres ni nouvelles données.
    Une fois ces obstacles contournés, on pourra « tirer » les loups avec bien moins d’embarras. Or, sous « protection stricte », on en tue déjà environ 200 par an en France, soit 20 % de l’ensemble de la population. Nul besoin d’être grand clerc pour imaginer ce qui se produira lorsque les digues auront été abaissées.

    La France s’est engouffrée dans la brèche

    La décision européenne n’est pas seulement inquiétante pour la pérennité des populations lupines, elle marque un précédent qui cristallise la fragilité de la volonté politique de sauvegarder ce qui reste de la nature sur le Vieux Continent. Le déclassement de Canis lupus consacre d’abord la possibilité qu’au plus haut niveau des institutions communautaires une croisade personnelle – celle de la présidente Ursula von der Leyen – puisse primer sur toute autre considération. Comme l’ont noté de nombreux commentateurs, c’est en effet depuis la mort de sa ponette Dolly, tuée par un loup à l’âge canonique de 30 ans, que l’exécutif européen s’est décidé à avoir la peau du canidé.

    Comme d’autres Etats membres aux mains de gouvernements conservateurs, la France s’est engouffrée dans la brèche pour plaider à son tour le déclassement. « Il ne s’agit pas d’un déclassement mais d’un reclassement en accord avec l’état de la science », expliquait en janvier l’entourage de Marc Fesneau, alors ministre de l’agriculture, avec cette manière inimitable de piétiner la science en se réclamant d’elle. En réalité, l’expertise collective sur le sujet, rendue en mars 2017 par le Muséum national d’histoire naturelle et l’Office français de la biodiversité, estime que, afin d’atteindre le seuil de viabilité à long terme sur un territoire comme la France, « l’ordre de grandeur qui correspond à un effectif minimal à atteindre est de l’ordre de 2 500 à 5 000 individus matures sexuellement ». Soit deux à cinq fois plus que nos 1 000 loups désormais en sursis.

    Bien sûr, il est incontestable que le loup fait aussi des dégâts. Mais là encore, les données de la Commission elle-même permettent de cadrer la taille réelle du problème : la prédation du loup ne touche guère que… 0,065 % du cheptel ovin de l’UE. Un simple pourcentage moyen n’est pas de nature à rendre compte du désarroi et de la détresse des éleveurs touchés, mais l’impact global du loup n’en demeure pas moins très limité, sans commune mesure avec les effets de l’ouverture des marchés, des zoonoses, etc.

    S’il n’y a pas de volonté politique pour activer les leviers socio-économiques susceptibles de gérer des inconvénients d’aussi faible ampleur, il n’y en aura pas pour sauvegarder le reste de la #biodiversité. Pourquoi ? Non seulement le grand prédateur ne produit de dégâts que marginaux, mais il appartient au patrimoine culturel, ce qui en fait une cause très populaire : depuis une dizaine d’années, les enquêtes estiment qu’entre 75 % et 85 % des Français souhaitent une protection forte pour cet animal emblématique.

    Capital de sympathie

    Par comparaison, les bousiers, les vers de terre, les syrphes, les bourdons, les chauve-souris et tout le cortège des bestioles invisibles qui prodiguent des services cruciaux aux sociétés humaines ne disposent pas d’un tel capital de sympathie. Et les mesures à mettre en œuvre pour les protéger – redéfinir les systèmes agricoles et alimentaires, revoir les stratégies d’occupation du territoire, etc. – sont de surcroît bien plus lourdes que les aménagements nécessaires à la gestion du loup. On l’a compris : si la volonté politique fait défaut pour protéger ce dernier, elle fera défaut sur tout le reste.

    Sur ce dossier, la duplicité de la Commission est spectaculaire. Bruxelles assure que les populations lupines sont trop nombreuses. Pourtant, en novembre 2022, l’UE refusait à la Suisse le déclassement du loup au motif que cela n’était « pas justifié d’un point de vue scientifique, ni du point de vue de la conservation ». Or, comme le note Guillaume Chapron (université suédoise des sciences agricoles), l’un des meilleurs spécialistes du sujet, « depuis 2022, il n’y a aucun changement notable, ni sur la prédation ni sur la dynamique des populations de loups en Europe ». La Commission, qui se pose volontiers en gardienne de la raison scientifique face à l’inconséquence des Etats membres, vient d’administrer la preuve empirique qu’une simple lubie de sa présidente, adjuvée par le virage à droite de l’UE et la colère du monde agricole, pouvait renverser trois décennies de politique de conservation de la nature.

    Cette mandature s’annonce sous les meilleurs auspices.

    #écologie

    • Biodiversité : « Sacrifier le loup s’inscrit dans une réaction antiécologique profonde »
      https://www.lemonde.fr/idees/article/2024/10/30/biodiversite-sacrifier-le-loup-s-inscrit-dans-une-reaction-antiecologique-pr

      L’histoire se répète. L’Union européenne vient d’accueillir favorablement, le 25 septembre, la proposition faite en 2023 par la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, de réviser le statut de protection des loups en Europe, sans doute pour calmer un monde agricole en proie à de graves difficultés socio-économiques. Le nouveau premier ministre français lui emboîte le pas. On peut résumer leur credo : les loups sont plus nombreux, tuons-en davantage. Pour autant, on ne soulagera pas la souffrance des éleveurs en massacrant encore plus de Canis lupus.

      Jusqu’à présent, le carnivore a pu retrouver une place dans nos écosystèmes grâce à son statut d’espèce dite « strictement protégée », octroyé par la convention de Berne en 1979. Ursula von der Leyen s’appuie sur la haine ancestrale du loup afin de plaider, sans aucun argument scientifique, son déclassement au rang d’espèce « protégée ». Ce qui signifie un assouplissement des conditions des tirs mortels dans un contexte où, déjà, sur les près de 1 000 individus estimés en France, 20 % sont légalement éliminés, soit 200 loups par an – la même proportion que les cerfs, une espèce chassable. En matière d’espèce « strictement protégée », on peut donc mieux faire…
      De plus, les abattages illégaux sont déjà nombreux, et mal quantifiés à cause de l’omerta qui règne. Parfois, ils s’accompagnent d’actes de cruauté comme à Saint-Bonnet-en-Champsaur (Hautes-Alpes), où une louve a été pendue à l’entrée de la mairie en 2021 ; celles et ceux, environnementalistes comme éleveurs, qui voudraient dénoncer ces actes n’ont pas toujours le soutien escompté des pouvoirs publics. En 2023, les estimations de la population de loups en France montrent pour la première fois une régression de 9 %, probablement due au « quota » (plan loup) de tirs en vigueur et aux tirs illégaux.

      Cette volonté de tuer plus de loups est totalement anachronique, alors même que la situation de coexistence s’est améliorée. Quel est l’objectif souhaitable ? Tuer plus de loups ou faire baisser les pertes des éleveurs ? Si les prédations lupines augmentent légèrement à l’échelle européenne, elles ont baissé en France en 2023. Les choses ne sont certes pas parfaites et nécessitent davantage d’études et d’expérimentations.

      Baisse des dommages

      Des éleveurs demeurent dans des situations tendues psychologiquement et économiquement, mais une stabilisation, voire une baisse, des dommages, se constate en France depuis 2017, malgré un doublement du nombre de loups entre 2017 et 2023. Ainsi, un accroissement du nombre de loups n’est pas nécessairement corrélé à une augmentation des dommages.

      Les populations de loup s’autorégulent, et la concurrence entre les meutes pour les proies sauvages fait qu’un nombre maximal d’individus sur un même territoire est atteint dès lors qu’il y a reproduction. Mieux protéger les troupeaux et transformer certaines pratiques d’élevage est efficace, permettant d’éviter aussi d’autres pertes (autres prédations, vols).

      Dans les Alpes, où le loup est durablement installé, plus de la moitié des fermes qui ont contractualisé des mesures de protection avec les pouvoirs publics n’ont subi aucune attaque. Selon la Mutuelle sociale agricole, c’est aussi dans les Alpes, où il y a le plus de loups, que l’élevage ovin est le plus dynamique en matière d’installations et de création d’emplois. Et, rappelons-le, les loups causent moins de pertes que les parasites ou les maladies : d’après la Fédération nationale des syndicats d’exploitants agricoles, la fièvre catarrhale a provoqué cette année la mort de plus de 500 000 brebis – bien plus que les loups en trente ans.

      Si les actions préventives menées sur le terrain présentent une efficacité réelle, aucune étude ne prouve, au contraire, celle des tirs létaux pour diminuer la prédation des loups sur le bétail. Eliminer un ou plusieurs individus au sein de la meute peut inciter les individus restants à devenir plus téméraires et accélérer leur dissémination. Un seul loup peut commettre plus de dégâts que des meutes installées, notamment dans les territoires non préparés. Faire du #loup le bouc émissaire des difficultés économiques des #éleveurs, c’est à la fois ne pas s’attaquer aux causes de ces dernières et menacer la protection de l’environnement.

      L’affaire de tous

      D’autant que le loup est aussi un agent naturel qui, en chassant les grands herbivores, contribue à limiter l’abroutissement nuisant à la régénération des arbres. Par ailleurs, une majorité de citoyens est favorable à sa préservation et à une cohabitation avec le monde de l’élevage, auquel les Français sont aussi attachés. Ce n’est donc pas uniquement aux chasseurs et aux éleveurs d’influer sur le destin des loups. Le loup est l’affaire de tous.

      Nous ne croyons pas qu’Ursula von der Leyen souhaite venger son poney dévoré par les loups en 2022. Il s’agit sans doute plutôt d’un calcul politique pour se concilier les voix de droite et d’#extrême_droite hostiles à toute véritable politique environnementale dont le loup est l’incarnation forte. Sacrifier le loup s’inscrit dans une réaction antiécologique plus profonde que l’on voit se dessiner sur d’autres thématiques telles que les pesticides ou la pêche.

      Nous demandons au gouvernement français de prêter attention à la voix des scientifiques et des acteurs de la cohabitation, et de proposer aux professionnels de l’élevage des solutions plus pérennes, notamment dans les fronts de colonisation du loup et pour la protection des bovins.

      Nous demandons à la Commission européenne de ne pas se détourner des véritables raisons de la souffrance du monde agricole. Nous appelons expressément les élus français et européens au maintien du classement du loup en espèce strictement protégée, car il est plus que jamais vital de sauvegarder et d’améliorer les dispositifs réglementaires permettant de lutter contre l’appauvrissement de la biosphère. Il est temps de faire la paix avec la nature.

      Auteurs : Farid Benhammou et Philippe Sierra, géographes, chercheurs associés au laboratoire Ruralités (université de Poitiers), auteurs de « Géographie des animaux. De la zoogéographie à la géopolitique » (Armand Colin, 2024) et cofondateurs du collectif GATO (Géographie, animaux non humains et territoires) ; Mélina Zauber, documentariste.
      Signataires : Jean-David Abel, France Nature Environnement ; Marie Amiguet, cinéaste (La Panthère des neiges, César 2022) ; Clara Arnaud, écrivaine ; Isabelle Autissier, navigatrice, présidente d’honneur du WWF France ; Muriel Arnal, One Voice ; Jean-Michel Bertrand, cinéaste (Marche avec les loups, 2024) ; Allain Bougrain-Dubourg, président de la Ligue pour la protection des oiseaux (LPO) ; Lydia, Claude et Emmanuel Bourguignon, microbiologistes, spécialistes des sols ; Marie et Pierre Boutonnet, naturalistes, guides nature à Casa Folgueras (Espagne) ; Denis Chartier, géographe, professeur à l’université Paris Cité ; Bernard Chevassus-au-Louis, association Humanité et Biodiversité ; Patrick Degeorges, philosophe et politiste, Institut Michel Serres (IMS)/Institut des hautes études pour les pratiques et les arts de transformation (Ihepat) ; Renaud de Bellefon, animateur nature et culture ; Yolaine de La Bigne, administratrice et porte-parole de l’Association pour la protection des animaux sauvages (Aspas) ; Cyril Dion, auteur et réalisateur ; Marine Drouilly, biologiste, coordinatrice de recherches pour l’ONG Panthera et université du Cap (Afrique du Sud) ; Maie Gérardot, géographe, laboratoire Ruralités (université de Poitiers) ; Philippe Huet, écrivain et guide ; Jean-Marc Landry, éthologue, Institut pour la promotion et la recherche sur les animaux de protection (IPRA) ; Rémi Luglia, historien, président de la Société nationale de protection de la nature (SNPN) ; Guillaume Marchand, géographe ; Rémy Marion, auteur, conférencier et membre de la Société de géographie ; Valérie Masson-Delmotte, climatologue ; Baptiste Morizot, philosophe ; Marc Mortelmans, journaliste environnement (podcast « Baleine sous gravillon », « Mécaniques du Vivant », France Culture) ; Vincent Munier, photographe et cinéaste (La Panthère des neiges, César 2022) ; Claire Nouvian, fondatrice de Bloom ; Patrice Raydelet, photographe, écrivain et conférencier, fondateur de l’association Le Pôle grands prédateurs ; Estienne Rodary, directeur de recherche à l’Institut de recherche pour le développement ; François Sarano, océanographe, compagnon du commandant Cousteau et fondateur de l’association Longitude 181 ; Thomas Ruys, président de la Société française pour l’étude et la protection des mammifères (SFEPM) ; François Savatier, journaliste scientifique ; Bertrand Sicard, président de l’Association nationale pour la défense et la sauvegarde des grands prédateurs (Ferus) ; Francis Schirck, éleveur ; Sébastien Testa, président de Focale pour le sauvage ; Baptiste Trény, président et fondateur de Créateur de forêt ; Yves Verilhac, naturaliste et ancien directeur de la LPO ; Jean-Louis Yengué, géographe et professeur des universités (université de Poitiers).

  • [7 fronts, c’est plus que la Russie en révolution, et que le régime nazi] Elie Barnavi, ancien ambassadeur d’Israël en France : « Israël gagne des batailles, mais est en train de perdre la guerre »
    https://www.lemonde.fr/idees/article/2024/10/05/elie-barnavi-ancien-ambassadeur-d-israel-en-france-israel-gagne-des-bataille

    Dans une tribune au Monde publiée au lendemain du 7 octobre 2023, j’écrivais que ce cataclysme était « susceptible de bouleverser les équilibres régionaux ». Prévision facile. Ce que j’étais incapable d’imaginer est que, douze mois plus tard, on en serait toujours là. En pire. #Israël fait désormais face à sept fronts. Sept ! Nous nous mesurons au sud au Hamas, au nord au Hezbollah, à l’est, en Cisjordanie, à une intifada qui ne dit pas encore son nom, en Syrie et en Irak à une myriade de groupes terroristes, plus loin aux houthistes du Yémen, et enfin à l’Iran, patron de tous les autres. Il fallait du génie stratégique pour se trouver ainsi englué.

    Passons rapidement sur la question des responsabilités des uns et des autres. J’en ai dit un mot dans la tribune précitée pour ce qui concerne celle de Benyamin Nétanyahou. Quant à Yahya Sinouar, le chef du Hamas, et feu celui du Hezbollah, Hassan Nasrallah, leur idéologie djihadiste les a rendus aveugles aux réalités de l’adversaire. Le premier est parfait hébréophone, le second se piquait d’être un expert ès Israël, mais les deux n’ont rien compris aux ressorts de la puissance de ce pays et ont tiré des conclusions fausses de ses faiblesses momentanées. Dans un discours célèbre, Nasrallah n’a-t-il pas déclaré qu’Israël, malgré sa puissance nucléaire et son aviation, était « plus faible qu’une toile d’araignée » ? Un quart de siècle plus tard, la toile d’araignée a fini par l’étouffer.
    Cela dit, la seule question qui vaille est celle-ci : peut-on encore sortir par le haut du bourbier dans lequel l’assaut barbare du 7 octobre 2023 a plongé la région ? Oui, à condition d’avoir à l’esprit trois faits. Le premier : le retour au statu quo ante est impossible. Obscurcie par la personnalité toxique de Nétanyahou, sa politique destructrice et la composition de son gouvernement, la cause première de la situation où nous nous débattons est la présence aux frontières d’Israël de proto-Etats surarmés dont la finalité est son élimination. On peut se gausser de la « victoire totale » que Nétanyahou promet à ses concitoyens, à savoir l’annihilation une fois pour toutes du Hamas et du Hezbollah. Mais il est hors de doute qu’il faille les priver de leur pouvoir de nuisance, c’est-à-dire de leur pouvoir tout court.

    Renverser la table
    Le deuxième fait concerne les modalités de ce changement de paradigme. La force en est une, indubitablement. Après le 7 octobre 2023, le démantèlement systématique des structures militaires et politiques du Hamas s’imposait, tout comme le changement brutal de la donne face au Hezbollah. Encore une fois, il faut se demander pourquoi, deux décennies durant, lesquelles coïncident avec la présence de Nétanyahou aux affaires, Israël a permis à ces deux entités djihadistes de monter en puissance et se doter de véritables armées. Toujours est-il que le massacre du 7 octobre 2023, les barrages de feu quotidiens sur les localités de Galilée et les quelque 100 000 déplacés israéliens éparpillés à travers leur propre pays ont obligé le gouvernement d’Israël à renverser la table.

    Mais la force seule ne saurait suffire, il faut qu’elle débouche sur la politique. En clair, la nature ayant horreur du vide, si l’on ne remplit pas le vide laissé par les djihadistes, ils seront encore là demain, battus, diminués, épuisés, mais toujours debout et susceptibles de se refaire. Or, pour des raisons de politique politicienne, c’est précisément ce dont Nétanyahou ne veut pas entendre parler. Voilà pourquoi Israël gagne des batailles, mais est en train de perdre la guerre.

    Le troisième fait, enfin, concerne la condition sine qua non de ladite sortie par le haut : une implication forte, déterminée, brutale, des Etats-Unis et de leurs alliés. Eux savent ce qu’il faut faire, il y a même un « plan Biden » à cet effet. Il consiste d’abord à arracher un cessez-le-feu dans la bande de Gaza, que l’armée israélienne elle-même, consciente d’avoir épuisé les bénéfices de sa campagne, réclame depuis des mois. Un #cessez-le-feu à Gaza conduirait à la libération des otages israéliens, du moins ceux qui sont encore en vie. Un cessez-le-feu à Gaza permettrait à l’Autorité palestinienne de reprendre pied dans le territoire à l’aide d’une force multinationale, essentiellement arabe . L’élimination de Nasrallah et de l’ensemble, ou peu s’en faut, de son état-major militaire et politique aidant, un cessez-le-feu à Gaza désamorcerait la bombe libanaise.

    Changement de logiciel
    La désescalade permettrait d’enclencher un processus diplomatique visant à rétablir la souveraineté du gouvernement libanais sur la totalité de son territoire, avec une armée nationale renforcée et l’appui d’une force internationale enfin digne de ce nom ; d’assurer, sous les auspices de la France et des Etats-Unis, le règlement du (maigre) contentieux frontalier le long de la « ligne bleue » ; de permettre le retour des dizaines de milliers de déplacés israéliens dans leurs foyers. Au-delà, un cessez-le-feu à Gaza ouvrirait la perspective révolutionnaire dessinée par Joe Biden d’une normalisation rapide avec l’Arabie saoudite et, à terme, d’une alliance régionale anti-iranienne. Evidemment, le « prix » à payer serait le début d’une négociation de paix renouvelée avec les Palestiniens. Bref, le « nouveau Proche-Orient » que nous avait fait miroiter en son temps Shimon Pérès.

    Mais pour que cela advienne, Washington et ses alliés doivent changer de logiciel. Les tentatives de persuasion de l’administration américaines sont pathétiques. Biden et son secrétaire d’Etat, Antony Blinken, écument de rage entre les quatre murs de leurs bureaux tout en faisant publiquement état de différends polis avec Nétanyahou, qui leur ment effrontément et n’en fait qu’à sa tête. Tant que ce dernier craindra davantage sa « base » que les Américains, rien ne sera possible.

    Dans la foulée du 7 octobre 2023, j’ai longuement rencontré des responsables de haut niveau français et européens. Convaincu que les catastrophes les plus épouvantables offrent aussi les opportunités les plus prometteuses, j’ai supplié mes interlocuteurs de rédiger, de concert avec les Américains et les Etats arabes sunnites, une feuille de route selon les lignes exposées ci-dessus. Pour se faire respecter, leur ai-je dit, et faire respecter sa feuille de route, un tel front américano-euro-arabe doit impérativement l’assortir de clauses contraignantes – en clair, une résolution du conseil de sécurité des Nations unies, et des sanctions.

    A l’époque, j’espérais que la France prendrait l’initiative d’une telle démarche. Je l’espère toujours, bien que, comme disent les Américains, je ne retiens pas mon souffle. Mais il faut avoir à l’esprit la signification historique de cette lâche abdication. Cela s’appelle non-assistance à peuples en danger.

  • « Affirmer que la #transition_énergétique est impossible, c’est le meilleur moyen de ne jamais l’engager »
    https://www.lemonde.fr/idees/article/2024/01/22/affirmer-que-la-transition-energetique-est-impossible-c-est-le-meilleur-moye

    Partant du double constat selon lequel il n’y a jamais eu, par le passé, de remplacement d’une source d’énergie par une autre ; et que les transformations énergétiques se sont toujours faites de manière additive (les énergies s’ajoutant les unes aux autres), certains historiens en déduisent, à tort selon nous, qu’il n’y aurait aucun horizon pour une sortie des fossiles. Cette sortie des fossiles (le « transitioning away from fossil fuels », dans le langage forgé à la COP28) serait donc condamnée par avance.

    Tel est le message récurrent de Jean-Baptiste Fressoz [chroniqueur au Monde] notamment, dans ses ouvrages ou tribunes, qui visent toutes à réfuter ce qu’il considère comme « la fausse promesse de la transition ».

    Or, ce déclinisme écologique est non seulement grandement infondé, mais également de nature à plomber les ambitions dans la lutte contre le changement climatique. Affirmer que la transition est impossible, c’est le meilleur moyen de ne jamais l’engager. A rebours de ce défaitisme, nous voulons ici affirmer, avec force, qu’il est possible de réussir cette transition.

    Certes, à l’exception des années de crise – financière en 2008-2009, sanitaire en 2020-2021 –, les émissions de CO2 n’ont jamais cessé d’augmenter, bien que sur un rythme ralenti, d’environ + 1 % annuel au cours des années 2010, contre + 3 % annuels dans les années 2000. Car, dans le même temps, la population mondiale continuait à augmenter, tout comme la satisfaction des besoins énergétiques d’une part croissante de cette population.

    Pourtant le désempilement des énergies a déjà lieu dans certaines régions du monde : c’est le cas en Europe, par exemple, qui a engagé sa transition énergétique. Parallèlement, des acteurs de plus en plus nombreux – Etats, entreprises, chercheurs, citoyens – intègrent aujourd’hui la nécessité de réduire les émissions de gaz à effet de serre dans leurs stratégies et comportements. L’ambition n’est pas encore assez affirmée, la mise en œuvre des transformations pas assez rapide et efficace, mais le mouvement est enclenché. Comment l’ignorer ?

    Sobriété, efficacité et investissements
    Le 11 janvier, Fatih Birol, directeur de l’Agence internationale de l’énergie (AIE), indiquait que les capacités installées dans l’année en énergies renouvelables avaient augmenté de 50 % entre 2022 et 2023. Pour la part des renouvelables dans la production d’électricité, l’AIE attend le passage de 29 % à 42 % en 2028 (de 12 % à 25 % pour les seules énergies éolienne et solaire). Depuis 1975, le prix des panneaux photovoltaïques est passé de 100 dollars par watt à moins de 0,5 dollar par watt aujourd’hui, soit une réduction de 20 % du coût pour chaque doublement des capacités installées ; c’est la mesure du taux d’apprentissage de la technologie. Et alors que la question du stockage de l’électricité devient de plus en plus cruciale, on constate le même taux d’apprentissage pour les batteries : depuis 1992, chaque fois que double le nombre de batteries produites, leur coût diminue de 18 %.

    Il est clair que ces progrès spectaculaires ne contredisent pas la thèse de l’additivité des énergies : si depuis 2016 les investissements dans les énergies décarbonées dépassent largement les investissements dans les énergies fossiles, ces derniers ont à nouveau augmenté après la baisse de 2020. Et la sortie des fossiles ne se vérifiera vraiment que le jour où l’augmentation de la production d’énergie décarbonée sera supérieure en volume à celle de la consommation totale d’énergie.

    Pour atteindre cet objectif, sobriété et efficacité énergétique sont indispensables afin de maîtriser la croissance de la demande. Mais il est également évident que sobriété et efficacité ne suffiront pas. Pour atteindre le plafonnement des émissions avant 2030, il faudra décupler les investissements dans ces énergies décarbonées, et notamment dans les pays du Sud, afin de faire baisser le volume des énergies fossiles : c’est la condition sine qua non pour atteindre les objectifs de l’accord de Paris. Nous sommes conscients qu’il s’agit d’un processus long et difficile, mais osons le dire : il n’y a pas d’autre solution, et nous pouvons y arriver.

    De nouvelles alliances s’imposent
    Serions-nous condamnés par l’histoire ? Faut-il prendre acte de notre impuissance supposée, ou poser un renversement complet du système comme condition préalable à la transition ? Dans les deux cas, cela serait très risqué, et franchement irresponsable.

    Car il n’y a pas de fatalité ! On trouve sur le site du dernier rapport du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) une citation d’Albert Camus : « Pour ce qui est de l’avenir, il ne s’agit pas de le prédire, mais de le faire. » C’est dans cette perspective que s’inscrivent tous les acteurs des COP et des négociations internationales – que certains stigmatisent comme un « grand cirque » –, pour qui « dire, c’est faire ».

    Evidemment, dire ne suffit pas, et il faut aussi mobiliser des moyens puissants, politiques et financiers. Il faut également affronter ceux – lobbys industriels et politiques – qui, par fatalisme ou par intérêt, freinent cette transformation. Enfin, comme le suggère le philosophe Pierre Charbonnier, la création de nouvelles alliances s’impose entre ceux qui ont compris que la transition servait leurs intérêts, et surtout ceux de leurs enfants.

    La démarche des sciences de la nature et de la physique consiste à s’appuyer sur des constats d’observation pour en tirer des lois immuables. Elle s’applique mal cependant aux sciences sociales. Mais ces obstacles ne doivent pas empêcher de penser l’avenir, à la manière de Gaston Berger, le père de la prospective, qui ne cessait de rappeler : « Demain ne sera pas comme hier. Il sera nouveau et il dépendra de nous. Il est moins à découvrir qu’à inventer. »

    Signataires : Anna Creti, économiste, chaire Economie du climat, université Paris-Dauphine ; Patrick Criqui, économiste, CNRS, université Grenoble-Alpes ; Michel Derdevet, président de Confrontations Europe, Sciences Po ; François Gemenne, politiste, HEC Paris ; Emmanuel Hache, économiste, IFP énergies nouvelles et Institut de relations internationales et stratégiques ; Carine Sebi, économiste, chaire Energy for Society, Grenoble Ecole de Management.