Tunisie : Victor Dupont, un jeune doctorant français, a été arrêté par la justice militaire
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Arrestation d’un doctorant français en Tunisie
Victor Dupont, 26 ans, a été placé sous mandat de dépôt par la justice militaire alors qu’il effectuait un travail sociologique sur la jeunesse tunisienne.
Par Benoît Delmas
Publié le 30/10/2024 à 19h45
Victor Dupont. © DR
La vague d’arrestations qui a conduit en prison la plupart des opposants politiques à Kaïs Saïed a franchi une étape. Un jeune doctorant de nationalité française, 26 ans, nommé Victor Dupont, a été arrêté au Kram (banlieue nord de Tunis) le samedi 19 octobre.
Dix-huit policiers ont fait irruption dans le petit appartement qu’il louait. Plusieurs personnes étaient avec lui, dont une amie franco-tunisienne qui a été arrêtée, libérée puis de nouveau arrêtée et placée sous mandat de dépôt à la prison pour femmes de La Manouba (Tunis).
Accusé d’« atteinte à la sûreté de l’État »
Doctorant contractuel en sciences politiques, rattaché à l’Institut de recherches et d’études sur les mondes arabes et musulmans (Iremam), structure qui dépend du CNRS et de l’université d’Aix-Marseille, le chercheur se trouvait en Tunisie pour un « processus sociologique tout à fait banal », raconte un proche, étudiant les trajectoires biographiques de Tunisiens, notamment des diplômés chômeurs.
Il était membre d’un programme scientifique financé par le Conseil européen de la recherche (ERC). Ses recherches n’avaient, semble-t-il, aucun caractère politique, aucun lien avec les dissidents du régime. Il avait passé plusieurs semaines pour ses travaux à Jendouba, dans le nord-ouest du pays, puis était rentré en France. Il était passé par l’université d’Aix-Marseille avant de repartir pour la Tunisie.
Le 19 octobre, Victor Dupont a été mis en garde à vue par la garde nationale puis placé, le lundi 21, sous mandat de dépôt par la justice militaire dont il dépend désormais. Il serait soupçonné d’« atteinte à la sûreté de l’État ». Il est emprisonné à La Monarguia, faute de places disponibles dans une prison militaire. Cette prison « héberge » depuis février 2023 plus de 60 prisonniers politiques, dont la quasi-totalité est constituée d’opposants à Kaïs Saïed.
Ses parents sont arrivés à Tunis le 28 octobre en fin de journée. Sous la houlette d’Anne Guéguen, l’ambassadrice qui connaît très bien la réalité du pays, on a provoqué plusieurs rendez-vous. On ne veut pas que l’affaire soit médiatisée. Pourtant, une précédente affaire de même nature fut placée sous silence sans pour autant déclencher une issue heureuse. Des proches du dossier expliquent que « c’est très sérieux, c’est un geste clairement inamical des autorités tunisiennes à l’égard de la France ».
Le retour à la case dictature de la Tunisie
L’arrestation d’un citoyen français, non binational, sonne comme un avertissement pour les étrangers travaillant en Tunisie, qu’ils soient universitaires ou journalistes. Le ministère de la Justice avait mis en garde la presse internationale avant l’élection présidentielle du 6 octobre dernier : si leurs écrits étaient jugés « mensongers », les journalistes « seraient traités par la justice comme des Tunisiens ».
Les ONG sont également dans le collimateur du pouvoir, surtout si elles perçoivent des subventions étrangères (UE…). Certains membres de la société civile qui s’occupaient de migration ont été emprisonnés. Depuis le coup d’État mené par Kaïs Saïed le 25 juillet 2021, Tunis change de cap, se coupe petit à petit de l’Occident. Les plus importants pays européens n’ont pas commenté sa réélection en octobre dernier (90,7 % des suffrages exprimés, avec une abstention de 72 %).
Adepte de la théorie du « grand remplacement », le dirigeant a peu à peu éliminé tous les contre-pouvoirs avec l’appui de la police et de l’armée. Un de ses deux adversaires à l’élection, Ayachi Zammel, a été arrêté puis condamné avant le premier tour. Après plusieurs procès express pour « falsification de parrainage » – il en fallait 10 000 pour être candidat –, il cumule déjà vingt-cinq années de peines de prison.
Le climat répressif est redevenu celui de la dictature Ben Ali qui avait été mise à bas en 2011 par le soulèvement du Printemps arabe. Médias mis au pas, toute-puissance de la police, règne de l’aléatoire, fabrication de dossiers pour mettre sous les barreaux tout esprit critique…On ignore quel usage Kaïs Saïed, lui-même universitaire, fera de ce dossier concernant un ressortissant français.