Entre Musk et la base MAGA, le camp trumpiste se divise sur les visas de la tech
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Entre Musk et la base MAGA, le camp trumpiste se divise sur les visas de la tech
Par Corine Lesnes (San Francisco, correspondante)
Publié hier à 18h30, modifié à 08h29
Nouvelle fracture dans le clan Trump. Après l’affrontement interrépublicain au Congrès sur le relèvement du plafond de la dette, c’est l’alliance – quelque peu contre-nature – entre la base MAGA (« Make America Great Again ») et la droite de la Silicon Valley qui est mise à mal sur l’immigration légale et la place à accorder, dans l’économie américaine, aux ingénieurs étrangers.
La querelle a commencé le 22 décembre lorsque Donald Trump a annoncé la nomination de l’investisseur d’origine indienne Sriram Krishnan comme conseiller pour l’intelligence artificielle (IA) au bureau de la Maison Blanche pour la science et la technologie, un service stratégique à l’entrée d’une année où les autorités américaines devront statuer sur l’encadrement de l’IA. Il travaillera avec David Sacks, un autre investisseur de San Francisco nommé le 5 décembre par le président élu comme « tsar » pour l’IA et les cryptomonnaies, et né en Afrique du Sud, comme Elon Musk.
Ingénieur de formation, ancien de Microsoft et de Facebook, artisan de la mise en œuvre des projets d’Elon Musk après le rachat de Twitter, devenu animateur, avec son épouse, d’un podcast populaire parmi ses pairs, Sriram Krishnan, 40 ans, est un pur produit du sérail libertarien de la Silicon Valley. Récemment, il était posté à Londres où il a ouvert l’antenne britannique de la firme d’investissements a16z de Marc Andreessen, autre figure de la tech séduite par Trump et ses promesses de baisses d’impôt et de déréglementation des cryptomonnaies. L’ingénieur en a profité pour mettre en contact Elon Musk et l’ancien premier ministre britannique Boris Johnson.
La base anti-immigration du Parti républicain a critiqué la nomination de M. Krishnan. Elle lui reproche d’avoir plaidé pour l’octroi de cartes vertes automatiques pour les ingénieurs étrangers de haut niveau et d’être partisan de la suppression du plafond de visas H1B, qui permettent aux entreprises technologiques de recruter des employés à l’étranger, en particulier en Inde. Des recrutements à bon marché qui, de l’avis général, évitent aux géants de la tech d’employer des Américains mieux payés. Les loyalistes MAGA réclament l’élimination de ces visas spéciaux qui ont contribué à l’essor d’une économie technologique dont ils ont peu profité.Elon Musk, dont les entreprises sont de grandes consommatrices de visas H1B, a défendu le programme, mettant en cause le professionnalisme des informaticiens américains. « Le nombre d’ingénieurs qui sont super talentueux et super motivés est bien trop faible aux Etats-Unis », a-t-il assuré, le 26 décembre, sur sa plateforme.
Son partenaire au nouveau « bureau de l’efficacité gouvernementale » annoncé par Trump, Vivek Ramaswamy, né aux Etats-Unis de parents originaires du Kerala (Inde), a enfoncé le clou. « La raison pour laquelle les grandes entreprises technologiques recrutent souvent des ingénieurs nés à l’étranger ou de première génération plutôt que des Américains “natifs” n’est pas liée à un supposé déficit de QI chez les Américains », a-t-il relevé, mais au mode de vie local. « Notre culture américaine a vénéré la médiocrité plutôt que l’excellence depuis trop longtemps », a-t-il posté sur X. Avant de reprocher aux parents américains de laisser leurs enfants passer plus de temps en « soirées pyjama » et « dessins animés le samedi matin » qu’en cours de maths et compétitions scientifiques.
Sur les réseaux sociaux, les attaques ont pris un tour xénophobe, dont Elon Musk a fait les frais – ila lui-même bénéficié d’un visa H1B dans les années 1990. Laura Loomer, fervente soutien de Donald Trump, a critiqué les « gauchistes de carrière » recrutés pour servir dans la prochaine administration « alors qu’ils partagent des vues en opposition directe avec le projet “America First” » du président élu.
« Notre pays a été construit par des Européens blancs, pas par des envahisseurs venus d’Inde », a-t-elle posté. Elon Musk a rétorqué en appelant à débarrasser le Parti républicain des « méprisables imbéciles » qui s’opposent à l’immigration de talents étrangers. Il a proclamé qu’il entrerait « en guerre » sur le sujet. Une guerre « d’un type que vous ne pouvez même pas saisir ».
En trois jours, la querelle a pris le tour de ce que les démocrates, pas mécontents du spectacle, ont qualifié de « nuit des longs couteaux » dans les rangs trumpistes. Steve Bannon, l’ancien stratège populiste de Trump, a pris parti contre Elon Musk – qu’il avait déjà accusé en 2023 d’être à la solde du Parti communiste chinois. Le programme H1B est une « escroquerie » au profit « des oligarques » de la Silicon Valley, a-t-il estimé. Laura Loomer a, elle, accusé le prétendu « absolutiste de la défense de la libre expression » Elon Musk d’avoir réduit sa capacité à collecter des revenus sur X, pour étouffer ses critiques.
Donald Trump avait fait campagne en 2020 en promettant de mettre les géants de la tech au pas. En 2024, il a multiplié efforts et promesses pour amadouer les milliardaires. Lui qui avait durci les conditions d’obtention de visas H1B pendant son premier mandat, a semblé prendre position en faveur de ses nouveaux amis. Dans une interview par téléphone au New York Post, samedi 28 décembre, il a affirmé qu’il avait « toujours aimé les visas » et qu’il avait nombre d’employés titulaires du H1B dans ses « propriétés », sans autre précision. La presse s’est demandé dans quels golfs il employait des informaticiens.
La querelle actuelle intervient après la bataille sur le budget, qui a failli entraîner la fermeture des services du gouvernement fédéral quelques jours avant Noël. Bataille perdue par celui qui l’avait déclenchée, à savoir Elon Musk. Pour l’éditorialiste de centre droit David Brooks, le même type de contentieux va marquer le paysage politique de 2025 dans nombre de domaines, de la politique commerciale aux réglementations sur le travail ou le logement.
« C’est le genre de tension fondamentale qui se manifeste dans votre parti lorsque vous faites ce que Trump a fait : prendre un parti capitaliste dynamique et axé sur le libre marché et y insuffler une philosophie protectionniste, régressive et réactionnaire », écrit-il dans le New York Times du 27 décembre. Selon lui, la manière dont le septuagénaire, qui entrera en fonctions le 20 janvier 2025, gérera ces tensions dans sa coalition sera déterminante pour les élections de mi-mandat en 2026.
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