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  • #Réfugiés_syriens en #Turquie : l’#hésitation du #retour_au_pays

    La chute de Bachar al-Assad a donné des envies de retour aux trois millions de Syriens réfugiés en Turquie. Dans l’euphorie, beaucoup se disent prêt à rentrer pour retrouver leurs proches et leur maison. Beaucoup aussi n’ont pas toujours réussi à s’intégrer, victimes de xénophobie dans leur pays d’accueil. Reportage à Istanbul, la ville qui abrite le plus de Syriens.

    « Mon pays me manque trop. Istanbul c’est beau, mais je préfère l’endroit où je suis né ». Ahmed, originaire d’Idlib, a fêté dimanche 8 décembre la chute de Bachar al-Assad, et, comme pour bon nombre des trois millions de réfugiés syriens en Turquie, sa joie s’est accompagnée d’envie de retour. L’homme de 33 ans projette de rentrer dans « un mois ou deux ».

    Ahmed travaille dans un restaurant chic situé à Fatih, un quartier de la rive européenne d’Istanbul où habitent une grande partie des 500 000 Syriens de la ville. Il s’est fait emprisonner en Syrie en 2011, accusé d’avoir posé une bombe dans l’un des bureaux du Baas, le parti du dictateur, puis a trouvé refuge en Turquie en 2015. Son jeune collègue, Muhammad, les cheveux en brosse, raconte brièvement ne plus avoir de nouvelles de ses deux parents depuis 10 ans, sans trop se bercer d’illusions sur leur sort. Lui aussi pense à rentrer.

    « La chute d’Assad a été très rapide, et ça a été un choc pour eux », note Kadri Güngörür, le directeur de l’aide sociale à Mülteciler Derneği (l’association des réfugiés), basée à Sultanbeyli, un quartier excentré d’Istanbul. Environ 95 % de ses bénéficiaires sont Syriens. « Sur le coup, ils disent qu’ils veulent rentrer. Mais ensuite, ils commencent à réfléchir au fait que là-bas, il n’y a pas d’écoles ni d’hôpitaux, que leurs enfants parlent turc [près de la moitié des personnes sous protection temporaire, le statut créé pour les Syriens en 2013, ont moins de 18 ans] », poursuit le trentenaire aux lunettes rondes.
    Le regard tourné vers la Syrie

    Entre le 9 et le 13 décembre, seulement 7 621 Syriens ont passé la frontière turque vers la Syrie. Mohammed, originaire de Damas, est employé dans une fabrique de textile à Fatih. Une cigarette largement finie dans la main, il veut « voir si un gouvernement se met en place » avant de faire ses valises, explique-t-il, la voix couverte par le bruit des machines à coudre. Il a étudié le journalisme à l’université, mais pour l’heure, il repasse du tissu, en claquettes dans ce petit atelier.

    Lorsqu’Assad a fui en Russie, Ibrahim* a savouré une liberté nouvelle depuis Istanbul. « Avant en Syrie, on n’avait pas le droit de dire le mot ’dollar’ au téléphone. J’ai appelé ma famille et je l’ai répété en boucle », sourit cet ancien élève du lycée français Charles-de-Gaulle à Damas. « Je pense beaucoup à rentrer mais j’ai peur que ce soit juste de l’excitation ». Venu à Istanbul en 2014 pour étudier, il avait promis à ses parents de revenir rapidement. Depuis, il n’a pas remis un pied en Syrie.

    Ibrahim accorde une certaine confiance à HTS, les rebelles à l’origine du départ d’Assad. « J’ai bon espoir. J’ai vu sur les réseaux sociaux que des soirées de musique techno avaient repris ».

    En ce samedi soir, il va justement célébrer la chute de « Bachar » avec des amis à Beyoğlu, un quartier festif d’Istanbul. Masa aussi est « trop contente », mais elle appréhende la nouvelle orientation politique de son pays. « Je ne veux pas d’un État islamique, sinon ce sera difficile pour tout le monde, pour les femmes comme pour les hommes ». Elle se dit prête à quitter Istanbul, « sa deuxième maison ». « J’étais libre ici, mais avec les Turcs, on a une relation amour/haine », ajoute-t-elle en riant.

    Le bar où s’est réunie la trentaine d’amis a interdit la présence de drapeaux syriens, remisés au vestiaire, car « trop politiques ». Le moral de la troupe reste au beau fixe malgré cette embûche, qui illustre les propos de Bilal*. « Tout est compliqué pour nous en Turquie », râle-t-il. Cheveux mi-longs et nez de boxeur, l’homme de 32 ans est sur le point de mettre les voiles à l’opposé de son pays d’origine. Il a obtenu un visa d’un an pour la France. Arrivé en 2015, il a vu le regard des Turcs changer à mesure que le pays s’est enfoncé dans une crise économique durable - l’inflation était de 47 % sur une année en novembre 2024 -, dont les réfugiés ont été désignés responsables. « Ils n’acceptent pas que je réussisse en étant Syrien, expose l’agent immobilier. Je me suis embrouillé avec un taxi à cause de ça récemment ».
    « Le seul sujet qui unifie les Turcs »

    « Les Syriens, c’est le seul sujet qui unifie les Turcs. Près de 75 à 85 % veulent qu’ils rentrent chez eux », détaille Didem Danış, chercheuse spécialisée sur le sujet et professeure à l’université Galatasaray d’Istanbul. Le CHP, principal parti d’opposition à Erdoğan, avait promis, lors de l’entre-deux tours de la présidentielle de 2023, d’expulser les réfugiés. « La xénophobie peut les motiver à rentrer, analyse l’universitaire. Mais ils font un calcul entre ça et la grande incertitude en Syrie ».

    Yaman habite avec sa famille à Sulukule, un quartier qui accueillait beaucoup de réfugiés jusqu’à ce qu’il ne soit plus possible d’y prendre un permis de résidence en étant étranger. « Les Turcs sont plutôt hostiles », témoigne cet étudiant syrien de 22 ans, naturalisé. « Lui, je le déteste par exemple », souffle-t-il alors qu’un voisin au bonnet jaune le nargue dans la rue.

    Muhammat, 20 ans, natif de Damas, s’est battu dans le tramway il y a peu, lorsqu’un homme l’a entendu parler en arabe. Un brin nostalgique de son pays, il pense tout de même rester en Turquie. Il inaugure tout juste sa boutique de calligraphie dans le quartier de Balat, en jonglant avec des études de dentiste. « Tous les vendredis, on allait prier à la mosquée des Omeyyades [à Damas, ndlr], puis on allait se promener en forêt », se souvient-il. En 2012, son père a profité d’un déplacement professionnel pour embarquer toute la famille, direction Istanbul. « Le bruit des bombes faisait trembler la maison, comme pendant un séisme ».
    Des émissaires afin de jauger la situation

    Ses parents pensent rentrer à la fin de l’année scolaire. « Avant le ramadan [au mois de mars, ndlr], les Syriens vont analyser l’évolution de la situation, anticipe la chercheuse Didem Danış. Des jeunes hommes vont se rendre sur place dans un premier temps et aller voir l’état de leurs propriétés, et envisager un retour de la famille ». Murat Bakan, le vice-président du CHP, propose la création d’un statut spécial pour ces sortes d’émissaires, car pour l’heure, toute sortie du pays est définitive.

    Certains semblent avoir pris leur décision à la hâte. Dans le grand bâtiment de son association, financée à 90 % par l’Union européenne (UE) et le reste par la mairie de Sultanbeyli (dirigée par l’AKP d’Erdoğan), Kadri Güngörür raconte que deux familles de bénéficiaires sont rentrées au pays. « Elles nous ont appelés pour dire qu’elles regrettent leur choix. Il n’y a pas d’eau ni d’électricité dans leur maison ». Les quelques milliers de personnes qui ont passé la frontière jusqu’ici l’ont davantage fait par obligation. « Ce sont des familles qui avaient des problèmes de documents, dont un membre avait été expulsé par exemple », liste Didem Danış.

    Les conditions de séjour en Turquie se sont durcies, avant même la chute d’Assad, assorties de contrôles d’identité récurrents. Entre 2016 et 2022, 500 000 Syriens avaient quitté la Turquie. « Le bureau de l’immigration me fait souffrir, déplore Zakaria, serveur dans un restaurant syrien, en tenue traditionnelle. Je n’arrive pas renouveler mes documents, et je ne peux pas sortir d’Istanbul ». Le statut de protection temporaire interdit notamment aux réfugiés de changer de province.

    Pour ceux qui ont obtenu la citoyenneté turque, la vie est plus simple. Ils sont près de 280 000, et peuvent voter. En général, ils ne tarissent pas d’éloges sur Erdoğan. « Il nous a énormément aidés », salue Walid, 22 ans. Vendeur au grand bazar d’Istanbul, il s’est totalement adapté en cinq ans, au point d’en oublier l’arabe. « Je ne veux pas rentrer. Je me sens Turc maintenant, et tous mes amis sont ici », souligne-t-il, cheveux bouclés et doudoune sans manche.
    La grande majorité devrait rester

    Didem Danış estime que deux millions de Syriens resteront en Turquie, quand un million feront leur valises, sur le long terme. « Au plus fort des flux migratoires, en 2014-2015, il n’y avait pas plus d’un million de personnes qui arrivaient. Ça veut dire que le retour sera encore plus lent. Si tout se passe bien en Syrie, il devrait y avoir beaucoup de retours au printemps-été 2025, mais pas plus d’un demi-million de personnes par année ».

    Wafa, elle, a décidé de ne pas choisir. Cette ancienne professeure d’anglais de 55 ans a été naturalisée turque, et fait de la traduction bénévole pour les réfugiés. « Depuis la libération du pays, j’ai deux maisons, une en Syrie et l’autre en Turquie », se réjouit celle qui a passé neuf mois derrière les barreaux pour s’être révoltée contre le régime d’Assad, en 2014.

    Dans ses propos, Erdoğan se veut rassurant. « À mesure que la Syrie gagnera en stabilité, le nombre de retours volontaires, sécurisés, dignes et réguliers augmentera également », sans envisager de retours forcés. Selon Didem Danış, le pouvoir va sans doute transformer le statut de réfugié « en permis humanitaire ou de travail par exemple, pour justifier leur présence ».

    Mercredi 18 décembre, l’UE a débloqué un milliard d’euros pour l’aide aux Syriens en Turquie. Kadri Güngörür et son association vont donc continuer à travailler pour plus de « cohésion sociale » entre Turcs et réfugiés, car la cohabitation pourrait encore durer un certain temps.

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