c’est la continuité de ce post que je ne retrouve pas et que je colle donc ici parce FB c’est trop la loose pour retrouver les choses
Ca fait 50 jours qu’on a commencé 2025. Et même 500 jours de guerre au Liban tiens.
Comment on termine un projet en ayant en tête les revers d’autres projets similaires, soit brutalement arrêtés soit petit à petit éteints, terminés par épuisement et lassitude des auteurs ? Je m’étais donné un an maximum pour celui-ci, quand il est apparu que le temps commençait à devenir long, et en sachant combien l’exercice était usant. Ce premier janvier j’ai décidé que la dernière page du carnet, et il en reste par hasard seulement une, serait réservée à une anti-chronologie, un rebours complet de tout le reste : chaque jour sans rien, sans dynamitage, sans raid aérien, sans incident, aurait son signe.
Depuis c’est simple, il n’y en a pas eu un seul et je n’ai rien noté. Avant-hier il y a eu retrait israélien officiel, minus 5 positions, mais hier encore il y a eu une bombe à Aita-al-Shaab, et un mitraillage à Chebaa. Pas un seul jour sans dynamitages, raids, tirs, morts. Israël est revenu à une guerre à bas bruit, pas si loin de la campagne d’octobre 2023 à septembre 2024 (cette guerre d’attrition avant de procéder à une campagne d’autant plus massive qu’ils anticipaient un combat féroce et des milliers de morts)(des articles sont sortis ces dernières semaines sur le désarroi des israéliens et des américains au fil de l’opération, à réaliser que tout était tellement plus facile que prévu), mais désormais au sol et en pouvant flinguer sans les roquettes en face.
Il y aura donc eu, entre octobre 2023 et aujourd’hui, trois guerres, trois phases, et il faut continuer à dire que c’est une guerre, encore aujourd’hui, au risque sinon de faire dangereusement ressembler les opérations israéliennes au Liban à une opération de police à bas bruit dans le cadre d’une trêve. Si l’on admet que c’est encore la guerre, alors je crois réellement que c’est simplement la période de guerre au Liban la plus longue depuis des décennies, guerre civile et occupation comprise : on peut se moquer des trêves qui n’ont jamais tenu (il y a comme ça un wikileaks marrant des années 1970 où un diplomate américain ironise sur la 51e de suite), ce sera toujours mieux qu’une trêve qui n’en a pas été une.
Entre temps Israël a réussi à modeler le débat d’une manière à nouveau totalement hallucinante, c’est à dire d’une part à faire porter le débat sur la date de son retrait plutôt que sur ce qu’il fait entre temps dans les zones encore occupées, et à ralentir tout ça à loisir ; et d’autre part à maintenir un débat faussement familier, comme si on était encore en 1982 ou en 2006, alors que le véritable contrôle ne porte plus sur le sol que de manière secondaire, comparé à l’occupation par les airs.
Ce même si en fait 1982 c’était en fait déjà une date importante pour l’histoire des drones : « le 9 juin 1982. Israël est en train d’envahir le Liban, mais les batteries de missiles sol-air syriennes, dissimulées dans la plaine de la Bekaa, font peser une menace importante sur l’aviation israélienne. Des drones Mastiff et Scout identifient leurs positions. Des engins-leurres, dont des drones Delilah, sont alors dirigés vers les batteries. Les opérateurs syriens, croyant être survolés par des avions hostiles, allument leurs radars de tir pour les abattre. Mais l’émission de ces radars attire des missiles conçus pour se précipiter sur les sources de radiation. Les dix-neuf batteries sol-air sont détruites en moins de deux heures. La chasse syrienne décolle alors pour reprendre le contrôle du ciel. Cependant, d’autres drones rôdent autour des bases syriennes et diffusent vers les postes de commandement israéliens des images des parkings où stationne l’aviation syrienne. L’activité des MiG peut ainsi être anticipée. En outre, des avions de détection israéliens E-2C, évoluant à haute altitude, suivent les trajectoires des avions syriens et en informent les pilotes de chasse israéliens, qui peuvent intercepter leurs adversaires dans les meilleures conditions. En un après-midi, les Syriens perdent 22 avions, et les Israéliens n’essuient aucune perte. Les drones viennent de prouver leur valeur ajoutée quand ils sont intégrés dans des architectures regroupant différents capteurs et effecteurs. Les informations spécifiques qu’ils recueillent et leur distribution en temps réel améliorent l’efficacité de l’ensemble. » (cf. Noël, J. (2013) . Occuper sans envahir : drones aériens et stratégie. Politique étrangère, Automne(3), 105-117)
Depuis, c’est n’est plus une histoire de combats aériens (dans le temps le contrôle de l’espace aérien, c’était d’empêcher l’adversaire de voler), ni de frappes, ni d’opérations ponctuelles d’une aviation qui passe les frontières à sa guise, encore moins de compléments du reste par les drones. C’est une occupation aérienne constante, lente et invisible qu’induisent les drones et contre laquelle aucun discours public n’a émergé à ce stade - on continue à entendre des drones à Beyrouth, ces marqueurs d’une époque où il n’y a plus besoin de chars et d’encombrants checkpoints ou de présences physiques de soldats dès lors dangereusement exposés.
Avec l’infiltration et la paralysie des télécommunications du HzB (ce que les russes n’avaient pas réussi à faire en Ukraine - lors de l’invasion de 2022 la préparation à un choc virtuel était pourtant intense), qui montrent que la guerre est redevenue asymétrique même quand on pensait l’avoir symétrisée en se dotant d’une quasi-armée, c’est l’autre enseignement sur ce que peuvent être les guerres d’aujourd’hui : les drones permettaient auparavant d’aller là où l’on ne voulait pas perdre des hommes, notamment pour les assassinats ciblés, ou de compléter l’offensive utilement (comme dans les opérations en Irak dans les années 2000), ils sont devenus un scan permanent, associé à des logiciels de gestion de la donnée en volume (comme Palantir) : ils ne tuent plus nécessairement, ils narguent.
Le reste au sol depuis plusieurs semaines n’est probablement qu’un complément de ça, l’occasion de pouvoir visiter et détruire les sous-sol et bunkers, et toute l’infrastructure non-visible depuis les airs, d’enlever les obstacles à la visibilité en dynamitant. Et à vrai dire je ne suis pas tout à fait certain que les cinq postes d’observation aient une réelle utilité militaire - ou peut-être comme bases de drones ? - comparé à leur capacité de test des limites diplomatiques et de leurre.