CFCM : l’adieu amer de Boubakeur

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  • L’adieu de Dalil Boubakeur au CFCM : l’heure du bilan - AFP

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    Le recteur de la Mosquée de Paris laisse mardi les rênes du Conseil français du culte musulman. Il dresse un bilan plutôt sombre de son mandat.

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    Dalil Boubakeur n’est pas fâché de quitter la présidence du Conseil français du culte musulman (CFCM), fatigué par les critiques et pessimiste devant les « prophéties négatives » qui agitent l’islam. À 74 ans, ce médecin érudit transmettra mardi les rênes de l’instance représentative à Anouar Kbibech, lié au Maroc , pour se recentrer sur la grande mosquée de Paris, fief algérien dont il est recteur depuis 23 ans. Premier président (2003-2008) du CFCM, Dalil Boubakeur y est revenu mi-2013 dans le cadre d’une présidence désormais tournante tous les deux ans.
    Le mandat de trop ? Le Dr Boubakeur n’en voulait pas. Chems-Eddine Hafiz devait en hériter au titre de la mosquée de Paris. Mais cet avocat a défendu le Front Polisario, mouvement indépendantiste du Sahara occidental : une provocation pour les Marocains. Dalil Boubakeur a donc accepté de reprendre du service alors que, confie-t-il, il s’était « sauvé dans le Nord pour fuir toute tentation d’y retourner ». Deux ans plus tard, contre vents et marées, il défend son bilan. Une note du CFCM liste en 27 points ses actions et prises de position, « face au dénigrement médiatique et sans fondement que subit l’instance représentative depuis quelques semaines ».

    Son mandat a été ébranlé par les suites de l’affaire Merah en 2013, l’attentat de Mehdi Nemmouche en mai 2014, la décapitation d’Hervé Gourdel en septembre, les attaques parisiennes en janvier... On ne compte plus les colloques et débats sur la radicalisation auxquels le CFCM et ses fédérations ont participé, ainsi que leurs communiqués de condamnation des exactions djihadistes. Vendredi encore, après l’attentat de Saint-Quentin-Fallavier (Isère), le CFCM a fustigé des « actes inqualifiables qui ne peuvent se réclamer d’une quelconque religion ou d’une quelconque cause ».
    Mais, cette institution est-elle encore audible ? Sa « convention citoyenne des musulmans de France pour le vivre-ensemble » de 2014, jugée intéressante par de nombreux observateurs, est passée largement inaperçue dans la première communauté musulmane d’Europe. « Pas besoin de matraquage », estime Dalil Boubakeur, qui reconnaît cependant avoir « quasiment baissé les bras » pour l’imposer, « sachant l’impossibilité de toucher la communauté et notamment les jeunes » . « On a des éléments extrêmement forts de désorientation de la communauté, et j’en suis malade », souligne le recteur, fustigeant au niveau mondial « la montée de l’Arabie saoudite et de son wahhabisme, son salafisme, qui impose sa vision grâce à son pétrole ». « Je crois vraiment, dans le réveil de l’islam, que les prophéties négatives prennent corps », déplore celui qui a été lui-même menacé de mort par le groupe État islamique.

    Une communauté « déboussolée »

    Or, le CFCM, sans moyens financiers ni humains (...). « On a trop attendu de lui », estime son président sortant, soulignant que cette instance « ne représente pas les musulmans mais le culte musulman » . « On lui reproche même de ne pas répondre aux problèmes d’intégration. Et puis quoi encore ? Ce n’est pas son rôle ! » lance-t-il, s’inquiétant de la portée des discours radicaux : « Quand vous avez 50 % de chômage chez les jeunes, comment voulez-vous que la devise liberté, égalité, fraternité soit entendue ? La chanson Douce France de Charles Trenet, ils la chantent, mais pour s’en moquer ».
    Dans sa note de bilan, Dalil Boubakeur n’épargne pas les autorités : « La communauté musulmane de France, minée par le communautarisme et par le fondamentalisme, s’est bien dégradée du fait de l’inertie de fonctionnaires peu vigilants et d’un laisser-faire coupable permettant au salafisme, aux imams autoproclamés et à tous les meneurs de travailler sans cesse » une population « déboussolée ». « Nous sommes loin d’une vision religieuse laïque et moderne », conclut le texte, sur une note désabusée. « Si Dieu (lui) donne la force et la vie », dit-il, Dalil Boubakeur souhaite toutefois rester « utile » pour « réaliser un islam de France ». Ou au moins, ajoute-t-il prudemment, « un islam vécu par les musulmans français ». Et, loin de la sempiternelle rivalité algéro-marocaine, il assure son successeur de son soutien. « Sa tâche ne sera pas facile », prédit-il.