• Excellent article (mais très long) dans la London Review of books : « The hijackers » par Hugh Roberts.
    L’article se présente comme un passage en revue fouillé de l’histoire politique de la Syrie du début de l’époque mandataire à nos jours pour critiquer la thèse de J.P. Filiu selon laquelle l’"Etat profond" syrien (ou les nouveaux « Mamelouks ») a produit l’Etat islamique pour pirater la révolution syrienne afin d’assurer sa survie.
    http://www.lrb.co.uk/v37/n14/hugh-roberts/the-hijackers

    • Malgré la haute tenue de l’article trois remarques :
      – l’auteur a omis d’indiquer que le concept d’"Etat profond" tiré de l’histoire turque contemporaine où il désignait un ensemble de forces (mafieuses, militaires, des services turcs et étrangers et des Loups gris d’Anatolie) orientant de manière secrète la politique en Turquie, a par la suite été développé et popularisé par l’universitaire canadien Peter Dale Scott pour désigner par analogie un complexe de forces occultes au sein de l’Etat US. Son emprunt par Filiu censé étayer sa thèse que l’Etat syrien est le concepteur de Da3ich n’est donc pas anodin car Filiu retourne un concept développé pour tenter de donner un fondement théorique aux thèses dénonçant une implication US dans le 11.09 (Dale Scott est proche des truthers) en une arme dans la propagande de guerre contre le régime d’Assad, clairement ciblé par l’Etat américain, profond ou pas.
      – je me demande si l’auteur ne s’illusionne pas un peu sur la bonne volonté de Lakhdar Brahimi dont il omet de rappeler les liens avec la famille royale jordanienne (la princesse Rym de Jordanie est la fille de Brahimi)
      – l’auteur s’avère incapable de rendre compte de l’aspect « révolution colorée » des révoltes arabes et des conséquences de cet aspect

  • Hugh Roberts reviews ‘From Deep State to Islamic State’ by Jean-Pierre Filiu, ‘Syrian Notebooks’ by Jonathan Littell, ‘The Rise of Islamic State’ by Patrick Cockburn and ‘Isis’ by Michael Weiss and Hassan Hassan · LRB 16 July 2015
    http://www.lrb.co.uk/v37/n14/hugh-roberts/the-hijackers

    Contexte : le fameux document déclassifié de la DIA http://seenthis.net/messages/372860

    Ainsi le service du renseignement américain a vu l’Etat Islamique venir et était non seulement détendu à cette perspective, mais, paraît-il, positivement intéressé. La formule précise utilisée dans le paragraphe 8c est intrigante. Elle ne parle pas de ‘ la possibilité que l’Isis puisse établir une principauté salafiste ’ mais de ‘ la possibilité d’établissement ’ d’une principauté salafiste. [...]

    Un deuxième élément de preuve est une carte préparée par le lieutenant-colonel Ralph Peters de l’Académie de guerre des États-Unis et publiée dans le Journal des Forces armées en Juin 2006. Elle montre un « Nouveau #Moyen-Orient » qui, tel qu’imaginé par le colonel Peters, contrarierait la plupart des gouvernements actuels de la région.

    Ce qui est frappant c’est que, à la place de l’Irak et de la Syrie, il suggère qu’il pourrait y avoir trois états, un état "arabe chiite" s’étendant jusqu’à Bagdad, un« Irak sunnite », puis « la Syrie », les deux derniers étant dépouillés de leur régions kurdes, maintenant incluses dans un nouvel état de « Kurdistan libre ». En elle-même la carte ne prouve rien au-delà de l’imagination d’un homme et le fait qu’un journal l’a trouvé assez intéressante pour l’imprimer.

    Mais elle suggère que depuis neuf ans la partition de l’Irak est envisagée par les hauts responsables américains comme une possibilité. Avec les progrès que l’EI a réalisés au cours de la dernière année, des discussions sur une partition, à la fois de l’Irak et de la Syrie, se font de plus en plus.

    Ce que nous pouvons en faire n’est, bien sûr, pas clair.

    À un extrême, les théoriciens de la conspiration diront que ça va dans le sens de leurs affirmations, à savoir que les puissances occidentales ont délibérément créé le chaos pour des raisons personnelles inavouables. À l’autre extrémité du spectre, on peut émettre l’hypothèse que le document de la DIA peut avoir été lu par quatre personnes sans importance à Washington et été ignoré par tout le monde. Entre les deux, en affichant plus de respect pour la DIA, nous pourrions imaginer autre chose : la possibilité que, en 2012, les services de renseignement américains et d’autres services occidentaux ont vu l’Isis autant qu’ils virent Jabhat al-Nusra et d’autres groupes djihadistes, comme des auxiliaires utiles dans la dynamique anti-Assad, et pouvaient envisager sa prise de contrôle du nord-est de la Syrie comme un développement utile sans implications préoccupantes. Si l’État islamique a échappé à toute influence que les services de renseignement ont initialement cherché à avoir sur lui et s’il ne roule que pour lui-même, cela signifie que des personnes ont joué avec le feu.

    Je ne prétends pas savoir ce qu’est la vérité. Mais il n’y a pas besoin de prouver des intentions malignes de la part des puissances occidentales. La théorie la plus charitable à notre disposition, la théorie de l’histoire ’qui foire éternellement de manière récurrente ’, convient assez bien. Si une théorie plus sophistiquée est nécessaire, je suggère que nous nous rappelions l’évaluation de C. Wright Mills quand il disait que la politique américaine était faite par des « réalistes cinglés », des gens qui étaient des réalistes accomplis quant à la façon de promouvoir leurs carrières à l’intérieur du Beltway et d’incorrigibles cinglés quand on en venait à la formulation de la politique étrangère.