Nous, les issuEs de la prétendue culturelle misère prolétaire, qui avons connu les étoiles filantes de la pensée radicale parce que notre génération compte pas mal d’étudiants aussi, on ne propose rien, culturellement parlant, on essaie juste de pas faire d’impairs. De capter ce qui est subversif ou pas, et de pas l’ouvrir trop vite pour se taper les sourires condescendants ou juste un peu gênés des camarades fils de profs de fac ou de cadres. On se casse la tête à savoir ce qui distingue la remarque brillante sur Debord, de la citation trop ressassée qui nous classerait dans le minable « néo-situ ». On croyait qu’aimer Noir Désir et les avoir vus à l’Elysée Montmartre, c’était le top de l’underground... non, mais franchement, déjà quand ça joue à l’Elysée Montmartre, c’est dead.
On s’abreuve d’infos pour imiter encore et toujours. Quels peintres, quelles musiques, quelles sapes, est-ce qu’il faut être pour le revenu ou pour la gratuité, aimer les graffitis, ou pas parce que ce serait démago. Ecouter Satie ou faire mine de rejeter la #culture bourgeoise ? Avouer qu’on adore Monet, ou parler de la momification de la subversion qu’incarne le musée capitaliste ? Les jupes, c’est sexiste ou c’est la preuve qu’on kiffe notre corps et qu’on fucke le regard des mâles ? D’ailleurs faut se déclarer féministe OU anti-sexiste ?
Alors, on ne risquait pas de proposer France Gall pour la manif, bien qu’on soit super heureuses, que quelqu’un ait dit ce qu’on ressent au fond de nous, nous qui sommes devenues un peu cocos ou un peu anars en prenant très au sérieux , gamins, les envole moi de Jean Jacques Goldman et les provocs de Madonna.
Ceux qui proposent, dans notre vague bouillonnante de radicaux, comme dans d’autres sphères intellectuelles et politiques, ce sont ceux qui sont issus des classes supérieures, culturellement parlant. Et souvent des mecs, mais pas toujours. Et très souvent, pas des issus de l’immigration, sauf UN ou UNE, mais pas plus.
Ils proposent parce que chez eux, c’est « naturel » de donner son avis, de l’imposer. Naturel de penser que son avis est le bon, que sa réflexion est solidement étayée, et son goût bien assuré. Naturel de penser qu’on est apte à créer et innover. Naturel de penser que leurs actes et leurs préférences culturelles ou politiques ont évidemment le sens qu’ils veulent leur donner. Que l’interprétation qu’en feront les contradicteurs éventuels est erronée et montre leur inintelligence ou leur ringardise.
Ca s’appelle le #capital_culturel des #classes_supérieures , et ce n’est pas seulement une question de quantité des connaissances, mais de qualité. Eux savent trier, et se sentent « naturellement » aptes à décréter comment on trie, le subversif du snob, l’affecté du sincère, le vulgaire du provocant, le conformiste du génialement populaire. Le génie de la boite de conserves d’Andy et le pathétique du cube exposé à côté, ils savent.