Brève histoire de l’Islam et de l’Europe

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  • Brève histoire de l’Islam et de l’Europe

    "L’histoire de l’islam en Europe commence en fait dès l’apparition de la religion musulmane au VIIe siècle, et se déploie en trois grandes vagues de pénétration territoriale. Ce monothéisme est l’un des trois grands courants religieux issus du foyer proche-oriental qui, depuis le début de notre ère, ont marqué l’Europe de leur empreinte. A l’époque romaine, les Juifs (et les Carthaginois) se dispersent dans tout l’empire, de l’Italie à la France, et au-delà. Le christianisme apparaît peu après, mais ne s’impose véritablement qu’avec la conversion de Constantin en 313, pour ensuite se propager à partir de son berceau romain. Né trois cents ans plus tard, l’islam amorce son expansion au Maghreb dès le VIIIe siècle sous l’impulsion des Arabes, puis poursuit sa percée au XIVe arrivant tour d’abord avec les Turcs ottomans dans les Balkans, puis en Europe septentrionale avec les Mongols récemment convertis. Chacune de ces phases d’expansion contribue à faire évoluer la pensée occidentale, qui prend alors la mesure des connaissances du raffinement de la civilisation musulmane, et surtout de sa puissance militaire. Celle-ci était d’ailleurs perçue par les populations les plus éloignés des lignes de front comme une menace, qui est restée ancrée dans l’usage linguistique : tout comme le nom des Ostrogoths et des Vandales est passé dans le vocabulaire courant pour désigner des brutes épaisses, les conquérants turco-mongols ont laissé leur marque sur la plupart langues européennes. En français, un « Turc » est un personnage dur et fort, tandis qu’en anglais « un petit Tartare » ou « un petit Turc » est un enfant brise-fer. Dans les fêtes villageoises, les envahisseurs d’antan sont encore souvent représentés sous les traits caricaturaux des Maures et des Nègres dans les défilés de chars fleuris. Primo Levi rappelle que, dans le jargon des camps de concentration nazis, les prisonniers qui « renonçaient » étaient appelés des « musulmans ».

    L’Occident a souvent passé sous silence ces influences aussi anciennes que massives de l’Islam sur sa culture. Ce sont au premier chef les historiens qui ont forgé cette image tronquée de l’Europe, décrite comme une région farouchement attachée au maintien de ses frontières et comme une culture se réclamant d’une part de la Grèce et de la Rome antiques, et d’autre part du christianisme. L’enseignement de l’histoire et de la géographie dans les écoles européennes est au demeurant tout à fait révélateur, en ceci qu’il privilégie l’Europe, perçue comme entité géographico-culturelle - lorsqu’il ne se limite pas à ses variantes purement anglaise, française ou allemande. Par cette vision exclusive de son histoire et de sa géographie, la « vieille Europe » n’ est pas très différente des jeunes nations d’Afrique, par exemple, qui en accédant à l’indépendance ont vu leurs frontières tracées en dépit du bon sens et se sont mises à écrire leur propre histoire et leur propre géographie pour se définir et trouver une 1égitimité.

    Depuis l’ Antiquité, l’Europe tend vers l’autarcie et, forte de son éthique catholique ou protestante, de son esprit d’entreprise, de son capitalisme, elle s’est attachée à se démarquer de l’Asie, perçue comme une terre de despotismes, incapable de connaître un développement capitaliste, voire, selon certains, d’être aussi créative que les Européens, bref fondamentalement rétrograde. L’assimilation systématique de l’Europe au christianisme et à la modernité a fait oublier - ou même réfuter - tout ce que l’Islam a pu apporter à la civilisation européenne. Des historiens espagnols ont ainsi pu affirmer sans sourciller que le monde musulman n’avait eu qu’une influence superficielle sur le monde ibérique, et n’avait jamais affecté le « tempérament propre » des Ibères

    L’Orient a en revanche maintenu une vision beaucoup plus floue des frontières entre les continents. Le mot Uruba (Europe) n’est apparu que dans la seconde moitié du XIXe siècle. Auparavant, les Levantins englobaient tous les Européens sous le nom générique de « Francs » (Ifranj), mais à l’époque ottomane ce terme ne s’appliquait plus aux Européens, ce qui prouve qu’il s’agissait davantage d’un concept politique que géographique. La notion d’Occident (Gharb), plus vaste, pouvait recouvrir la Russie, voire les États-Unis.

    Il est vrai qu’en soi l’Europe n’est pas à proprement parler une entité géographique : elle n’est séparée de l’Asie que par un petit bras de mer, le détroit du Bosphore ; au nord, elle se prolonge vers les vastes étendues terrestres des steppes russes. Cette frontière ténue est, à mon sens, aussi géographique que culturelle et sociale. En réalité, l’Europe n’a jamais été totalement isolée, ni purement chrétienne. "

    Jack Goody

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