On ne m’a pas donné la cohérence.
▻http://sansdeclinersnarclens.tumblr.com/post/69412163857/on-ne-ma-pas-donné-la-cohérence
(texte du spectacle A Poil !, 2013)
Impossible de se faire entendre.
Le silence sourd et des milliards de bourdons inaudibles couvrent nos voix.
J’ai essayé de parler, je n’ai pas été entendue.
C’est parce que je n’ai pas les mots, je n‘ai pas les mots.
Qui a les mots ? À qui sont les mots ?
La reine de coeur a crié « Tous les mots sont à moi ! »
Vous savez, le langage, la langue, est politique. J’ai tellement mangé, comme vous, ce génie, cette médiocrité, véhiculé par cette langue qui n’est pas la mienne, vendu pour du pognon qui ne me revient pas, dominé par des gens qui ne me ressemblent pas, qui créent du « pas pour moi », qui font du « pour certain » à qui s’identifie « tout le monde ».
Quand je parle, je tiens leurs discours, avec leurs mots, avec leurs images. Je véhicule leurs traditions, leurs institutions, leur système. Comment faire autrement, sans les mots ? Sans mes mots ?
Comment les baiser, puisque je n’ai pas le droit de dire « baiser » ? Comment baiser d’ailleurs, puisque je suis le sexe, mais que je n’en ai pas ?
Comment parler et quoi dire ? Que peindre ? Que filmer ? Qu’écrire ?
Ils sont heureux, ceux pour qui est fait cette langue – et qui sont faits par elle. Et ils transmettent, ils reproduisent, tous les jours, ils font le monde, sans s’en rendre compte. Ils croient que le monde est déjà fait, qu’il est fini, qu’il est naturel.
Je fais avec ce que j’ai, parce que je n’ai rien d’autre. Je fabrique du discours. Je transmets ce que je peux, avec les biais, les normes, les paradoxes. On ne m’a pas donné la cohérence. On m’a piégée dans l’incohérence pour disqualifier mes discours, pour faire fermer ma gueule, mais je ne vais pas la fermer. Moi, les mots, je les crée, je les déforme, je les salis. Les mots, je les performe. Les mots je les prends et je les retourne. Je les gueule, jusqu’à ce qu’ils ne veulent plus rien dire, comme quand on répète quelque chose jusqu’à qu’on ne distingue plus le début de la fin.
#feminisation #langage #oppression #vocabulaire #dominants #dominés a mettre en lien avec Christiane Rochefort
►http://lmsi.net/Rupture-anarchiste-et-trahison
et l’histoire de l’âne du paysan et de la carotte ►http://www.radiorageuses.net/spip.php?article460