Mes plus sincères salutations - Le Monolecte

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  • Mes plus sincères salutations | Agnès Maillard (Le Monolecte)
    http://blog.monolecte.fr/post/2011/11/25/Mes-plus-sinceres-salutations

    C’est une telle explosion de haine que l’étreinte de la peur glace ma colonne vertébrale. Il est comme fou. Il a attrapé sa femme par les cheveux qu’elle a omis de couper depuis le début de l’été et il la fait valdinguer sous les cris de terreur de nos copains. Je n’ai jamais rien vu de semblable et pourtant, ceux qui me connaissent savent que j’en ai déjà vu bien trop pour mon âge. Flo tente de s’interposer et prend une beigne qui l’envoie bouler contre la rambarde. Je retourne dans le chalet pour demander qu’un adulte intervienne avant que tout bascule, même si, en vrai, tout a déjà basculé. (...) Source : Le Monolecte

  • Mes plus sincères salutations - Le Monolecte
    http://blog.monolecte.fr/post/2011/11/25/Mes-plus-sinceres-salutations

    Ce soir-là, je suis en train de faire la vaisselle quand j’entends confusément des cris venir de dehors. Dans un premier temps, je pense bien sûr que les parents sont au courant de nos chevauchées fantastiques et qu’on va se ramasser une foutue corvée de ramassage de haricots verts à la rosée du matin pour au moins 15 jours. Mais cela vient d’un peu plus loin et ça hurle plutôt que ça ne crie.
    Les cris ont cette tonalité d’urgence et d’effroi qui nous fait soit fermer les volets de trouille, soit sortir sur le seuil de notre porte, portés par un élan irrésistible. Je pense au feu qui peut dévorer avidement nos beaux chalets alpestres, jusqu’à ne plus laisser que les fondations de pierre, nues et noircies.

    #femmes #violence

    • J’ai rajouté un commentaire, ce matin, parce que cette nuit, j’y ai repensé...

      De la violence qui ne dit pas son nom

      Autre lieu, autre temps. Je suis chez une copine de classe pour des révisions. Milieu petit-bourgeois avec la raie sur le côté. Ma copine n’est pas du genre expansif, elle a tout de même une caractéristique intéressante à mes yeux : elle se ronge les ongles. Mais vraiment. Elle se bouffe tous les ongles. Entièrement. Jusqu’à ce qu’il ne reste plus qu’un petit bourrelet de viande sur la dernière phalange de chaque doigt. Impressionnant.

      La maison est plutôt sympa, bonne déco ère pré-Ikéa. La mère est grande, mince, un peu guindée, droite comme une tragédie grecque. Le frangin est un frangin standard : il se chamaille avec sa sœur et bricole dans son coin.

      Après, j’ai déjà bourlingué, j’ai déjà posé mes guêtres dans des tas de maisons différentes, du lumpenprolétariat aux lambris de la noblesse, je m’adapte partout, je suis quelqu’un de facilitant, mimétisme social en option. C’est une maison un peu froide et sans joie, mais sans plus.

      Finalement, l’heure tourne et on me propose de rester dîner avant de me ramener. Je ne refuse jamais une bonne écuelle tendue. On discutaille tranquillement jusqu’à ce que le père rentre du boulot. D’un coup, l’air est plus épais. C’est assez bizarre ce malaise. Le gars est plutôt affable quoiqu’un peu fatigué de sa journée. C’est un patron, alors, forcément, comme il va nous le rappeler régulièrement pendant le repas, il bosse beaucoup, il n’a pas d’heure et donc il rentre toujours un peu à l’improviste... heureusement que sa petite femme est toujours prête à le recevoir. La petite femme en question, plus grande que lui par ailleurs, n’accueille pas le compliment avec une joie débordante. Je ne suis pas encore éthologue, mais depuis qu’il est là, la tension est palpable et le stress se traduit par d’infimes crispations de la famille. C’est un peu comme une soirée d’août, où tout le monde halète comme un poisson hors de l’eau en attendant que l’orage veuille bien péter. Je fais mon moulin à paroles : j’ai toujours des histoires à raconter, et généralement, ça déplombe pas mal l’ambiance.

      Pour le dessert, la mère se lève et clac, il l’attrape au vol par la taille, comme une grosse araignée qui vient de chopper une mouche.

      « N’est-ce pas qu’elle est bien, ma petite femme ? »

      Il a un tel air carnassier que j’ai l’impression qu’il va la décapiter d’un coup de dent avant de la boire à même le cou. Elle est plus raide que la justice des comparutions immédiates. On est dans un coffrage de pilier et quelqu’un vient de verser du béton à prise rapide dans la cuisine.

      « Et elle a mis sa jolie jupe portefeuille pour me faire plaisir »

      Dans deux secondes, il va demander du Chianti pour accompagner son foie... Sa main conquérante glisse sur ses fesses à elle et joue à écarter un pan de la jupe. Elle résiste maladroitement en tentant de lui échapper. Je suis soufflée par l’intensité de la scène, les gosses sont tendus comme des arcs, j’ai vachement envie d’être ailleurs, là, tout de suite.

      « Non, c’est très bien, la jupe portefeuille, tu sais que je l’aime, mais pourquoi la mettre quand je ne suis pas là ? »

      Elle se tortille et il continue à jouer avec les plis du tissu. Sa voix est maintenant menaçante, crissante, mais il continue de sourire, comme si tout cela était parfaitement naturel.

      « Parce qu’elle est si facile à enlever, alors tu la mets quand je ne suis pas là... »

      J’ai l’impression qu’il va la foutre à poil, comme ça, au milieu de la cuisine, devant les gosses et l’invitée et qu’il va la ruer de coups.

      « Parce que c’est quand même une jupe de salope, non ? »

      De nouveau la main de glace qui se referme sur mon bulbe rachidien. Il n’élève pas la voix, mais j’ai compris qu’il ne le fera pas. J’ai compris qu’il n’a jamais levé la main sur personne. Pas besoin. C’est une démonstration de force et de domination dont je ne sais toujours pas si elle a été mise en scène à mon usage exclusif ou s’il a suffisamment fondu les plombs pour n’en avoir rien à foutre d’avoir un témoin. Pas de cris, pas de beigne, mais la violence à l’état brut. État de sidération généralisé.

      Il a désamorcé le truc d’un coup, par un ordre sec, un demi-sourire, il la laisse reprendre sa tâche silencieuse, tout le monde replonge son nez dans l’assiette. Et je repense aux mains de ma copine. Tout l’or du monde n’aurait pu m’obliger à retourner dans cette famille, construite sur cette dynamique perverse qui alimente probablement la rubrique faits divers des journaux.

      Je pense que depuis le temps, les ongles de ma copine ont dû finir par repousser.