• http://lemonde.fr/sciences/article/2015/08/31/predire-la-schizophrenie-par-ordinateur_4741621_1650684.html

    Parmi les symptômes avant-coureurs de la schizophrénie (et de la maladie avérée) figurent les altérations du cours de la pensée et du discours des patients. Le premier à identifier ces troubles, en 1911, a été le psychiatre suisse Eugen Bleuler. Sur cette parole et cette pensée disloquées, on dispose d’un fulgurant témoignage  : «  Ma pensée m’abandonne à tous les degrés. […] Mots, formes de phrases, directions intérieures de la pensée, réactions simples de l’esprit, je suis à la poursuite constante de mon être intellectuel  », confiait, en un poignant aveu, l’écrivain-poète Antonin Artaud, qui fut diagnostiqué schizophrène (Correspondance avec Jacques Rivière, 5 juin  1923).

    Le logiciel d’IBM quantifie deux dimensions du langage   : sa cohérence sémantique et sa structure grammaticale (par la longueur des phrases prononcées, notamment). Un psychiatre est certes rompu à identifier les anomalies du discours les plus flagrantes. «  Mais certains facteurs, notamment culturels, peuvent brouiller notre capacité à repérer des anomalies moins sensibles  »,admet Pierre-Michel Llorca.

    Ce logiciel a su détecter, parmi 34  sujets vulnérables, 100 % des patients (5) qui ont développé un épisode schizophrénique au cours des deux années et demie ultérieures. Cependant, «   cet outil informatique, comme tous les marqueurs potentiels du risque de schizophrénie, doit confirmer son intérêt en clinique   », estime Cheryl Corcoran, principale auteure de ce travail. Et quelles seront son acceptabilité et sa faisabilité  ? Une analyse supplémentaire (non encore publiée) suggère que ce logiciel reste performant dans d’autres langues que l’anglais. Au Brésil, il a su discerner des patients atteints de schizophrénie de sujets en bonne santé parlant portugais. Plus singulier  : «  Il est aussi parvenu à distinguer la poésie de Borges de la prose de journaux argentins   », indique Guillermo Cecchi, d’IBM.

    De coaxer la poésie d’Antonin Artaud dans un calculateur IBM et d’en obtenir une manière de résultat qui pourrait s’avérer utile me laisse nettement plus pantois que la victoire d’un ordinateur de même marque aux échecs fusse contre Gary Kasparov (même à l’époque de sa gloire).