Hitler, les dessous d’une prise de pouvoir, par Johann Chapoutot (Le Monde diplomatique, août 2024)
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Toute ressemblance avec la situation actuelle ne serait probablement pas fortuite, vu le nombre de balais de chiottes qui ont appris à lire.
La crise économique, partie des États-Unis, frappe l’Allemagne à l’automne 1929 : sa violence fait exploser un gouvernement dont la droite prônait l’austérité budgétaire, la gauche, le renforcement de l’assurance-chômage. Aucune majorité ne paraissant se dégager au Parlement, un petit groupe de conseillers du président du Reich - militaires, grands propriétaires agrariens, industriels et financiers - opte pour une mutation de la pratique constitutionnelle, une sorte de coup d’État permanent enté sur l’autorité, le prestige et la simple figure de Hindenburg. La droite gouverne par des cabinets présidentiels. Elle ignore le plus souvent le Reichstag. L’article 48-2 de la Constitution de 1919 permet en effet au chef de l’État de prendre des mesures législatives par décret. Mais la méthode vide la démocratie de son contenu. Elle dévoie une disposition prévue pour des situations de péril politique, sans conscience, par convenance, afin d’imposer une austérité budgétaire, violemment antisociale, de la baisse des prestations sociales à celle des salaires minimaux de branche - Ebert en avait fait un usage fréquent, contre les sécessionnistes, contre les bolcheviks et contre les nazis, entre 1919 et 1923. Le chancelier Heinrich Brüning mène cette politique de déflation pendant deux ans, de mars 1930 à mai 1932. Elle aggrave sans surprise la crise et suscite, dès l’automne 1931, de fortes réserves du patronat et de la banque, qui commencent à prôner une approche économique moins orthodoxe, une relance par l’offre - baisses d’impôts et subventions à l’industrie, mais pas à la population.