Plus de 250.000 morts en Syrie

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  • Chiffres formidables, une fois de plus, sur le nombre de morts en Syrie, cette fois sous l’angle : le régime syrien est responsable de 80% des morts en Syrie, et tue essentiellement des civils.

    C’est sorti il y a 3 jours dans le Washington Post : Islamic State has killed many Syrians, but Assad’s forces have killed more
    https://www.washingtonpost.com/world/islamic-state-has-killed-many-syrians-but-assads-forces-have-killed-even-more/2015/09/05/b8150d0c-4d85-11e5-80c2-106ea7fb80d4_story.html

    Between January and July, Assad’s military and pro-government militias killed 7,894 people, while the Islamic State killed 1,131

    et c’est repris dans le Monde aujourd’hui : En Syrie, qui de l’EI ou du régime de Bachar Al-Assad a fait le plus de victimes ?
    http://www.lemonde.fr/les-decodeurs/article/2015/09/08/en-syrie-qui-de-l-ei-ou-du-regime-de-bachar-al-assad-a-fait-le-plus-de-victi

    Le Réseau syrien des droits de l’homme (RSDH) estime ainsi qu’entre août 2014 et août 2015, 80 % des victimes ont été tuées par les forces gouvernementales (armée régulière, milices locales et milices chiites étrangères alliées du régime), et 10 % par l’EI. La proportion reste assez similaire que l’on considère les civils ou les militaires tués.

    La source n’est pas l’habituelle OSDH (Observatoire syrien des droits de l’Homme) mais le RSDH (Réseau syrien des droits de l’homme) :
    http://sn4hr.org/blog/2015/09/01/11533

    A. Le premier point à noter est que nos médias passent des chiffres d’un organisme à l’autre sans prévenir. Le Monde cite le chiffre de 240.000 morts, et le Wapo de 250.000 ; ce sont habituellement les chiffres de l’OSDH. Or si l’on travaille avec les chiffres de l’OSDH, il n’est pas possible de défendre les affirmations de l’article basé sur le RSDH (voir plus loin).

    B. Le second point tient à la « méthodologie » du RSDH. Même en admettant que les chiffres qu’il fournit sont fiables, il faut tout de même noter la limite indiquée ici :
    http://sn4hr.org/public_html/wp-content/pdf/english/SNHR%20Methodology.pdf

    The lifted case that SNHR not documenting is the victims of government forces like se- curity forces, intelligence, Shabiha and army, as there are no specific criteria or methodol- ogy can be followed, as known for everybody government forces prevent all human rights organization from working on the Syrian ter- ritories and even persecute them.

    En clair : le RSDH ne fournit pas d’estimation du nombre de combattants du régime tués. Il ne compte que les civils et les combattants de l’opposition. La phrase des Décodeurs du monde, selon laquelle « La proportion reste assez similaire que l’on considère les civils ou les militaires tués » est donc très fausse.

    D’ailleurs, si l’on survole le joli graphique du Monde, on obtient ceci :


    Lisez bien : les groupes armés non-radicaux de l’opposition auraient tué en un an 1006 civils et 73 militaires : un taux de 93% de civils ! Ça n’a l’air de chagriner personne… La raison est que le RSDH ne compte pas les combattants du régime, et ce qui est appelé « militaires », ce sont des combattants de l’opposition et des islamistes.

    C. J’ai repris le dernier rapport du RSDH sur le nombre de tués en août 2015 pour en faire cette synthèse :
    http://sn4hr.org/wp-content/pdf/english/2040_people_killed_in_august_2015_en.pdf

    Forces gouvernementales ont tué :
    – 1213 civils
    – 410 combattants de l’opposition

    Forces kurdes ont tué :
    – 14 civils

    ISIS a tué :
    – 117 civils
    – 119 combattants de l’opposition

    al-Nusra a tué :
    – 6 civils
    – 5 combattants de l’opposition

    L’opposition armée a tué :
    – 104 civils
    – 1 combattant de l’opposition

    La coalition internationale a tué :
    – 14 civils

    Des groupes non identifiés ont tué :
    – 25 civils
    – 12 combattants

    Maintenant, si on reprend les chiffres de l’OSDH pour avril 2015 et début août 2015 :
    http://www.lemonde.fr/proche-orient/article/2015/04/16/plus-de-220-000-morts-dans-la-guerre-en-syrie_4616855_3218.html
    http://www.lefigaro.fr/flash-actu/2015/08/06/97001-20150806FILWWW00329-plus-de-250000-morts-en-syrie.php

    on obtient ce tableau :

    Ce qui ferait, depuis le début du conflit, la répartition suivante :

    Plus intéressant, l’évolution entre avril et août 2015 :

    Le moins qu’on puisse dire, c’est que ce graphique ne donne pas du tout la même impression que celui du Monde reproduit ci-dessus.

    D. Les médias ont tendance à passer d’un organisme à l’autre en fonction de l’idée du moment.

    Les chiffres du RSDH permettent de mettre en avant l’idée qu’il s’agit purement et simplement du massacre du peuple par son dictateur. Le problème, c’est qu’alors on ne peut pas comprendre pourquoi ce régime serait en permanence au bord de l’effondrement, et pourquoi il aurait besoin d’être soutenu à ce point par ses alliés étrangers. De son propre aveu, le RSDH ne compte pas l’ensemble des morts et ignore les combattants tués côté régime, et ne prétend donc pas livrer d’estimation globale du nombre de morts.

    Les chiffres de l’OSDH, à l’inverse, permettent de montrer que le régime subit des pertes particulièrement importantes, mais dans le même temps ne donnent plus l’image d’un peuple massacré sans défenses (certains comparent le nombre de soldats américains tués en Iraq au nombre de civils irakiens qu’ils ont tué comme « dommages collatéraux » – même exercice avec les guerres menées par Israël au Liban et à Gaza).

    Je n’en tire pas grande conclusion, en dehors du fait que l’on s’enthousiasme bien rapidement pour les chiffres pourtant extrêmement contradictoires de ces « organismes », sans prévenir le lecteur de ces problèmes.

    Je crois qu’on atteint très clairement ici les limites de ce « data journalism » qui prétend que les chiffres seraient, par eux-mêmes, suffisamment « parlants » si l’on fait de jolis graphiques.