• Sur la piste des femmes du treizième - Culture / Next
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    Matrimoine ? Voilà une idée astucieuse, initiée par le collectif Osez le féminisme, et l’association HF Ile-de-France. Avec, pour nous guider tambour battant, Edith Vallée, docteure en psychologie, auteure, entre autres, d’ouvrages sur le choix de ne pas avoir d’enfants. Mais pourquoi diable la statue de Pinel (1749-1826) ? « Parce que c’est lui qui a libéré les aliénées de la Salpêtrière, en ôtant leurs chaînes », explique Edith Vallée, courant dans les allées de l’hôpital, après un petit point de présentation dans le square Marie-Curie (la femme qui a le plus de rues à son nom en France). La Salpêtrière, haut-lieu d’enfermement des femmes au XVIIe siècle – et longtemps après –, marginales, prostituées, cartomanciennes, faiseuses d’ange, mendiantes. Tout était alors prétexte à enfermer et aliéner les femmes, parfois même à les tatouer et les déporter pour peupler les nouvelles colonies, comme le Québec ou la Louisiane. Ce samedi, Edith et deux camarades seront « en grande robe blanche » pour donner à entendre les textes sur ces « aliénées », hystériques de Charcot par exemple.
    Gorille qu’on chatouille

    Dans la cour de la Salpêtrière, on croise aussi l’ombre un peu triste de Madeleine Pelletier, première femme psychiatre au début du XXe siècle, socialiste libertaire tendance anar, issue d’un milieu pauvre, d’où elle parvint à s’extraire par ses propres moyens pour conquérir de haute lutte un métier masculin. Elle milite pour les droits politiques des femmes, pratique des avortements, s’habille en homme, avant d’être arrêtée et internée en 1939 pour pratique d’avortement. Elle meurt sept mois plus tard dans un asile. Triste et édifiante histoire, se dit-on, en repartant au pas de charge sur les pas d’Edith Vallée pour contempler les frises de l’Institut de paléontologie humaine, bâti en 1914 sous la houlette d’Albert 1er de Monaco, où on causera naissance du patriarcat et mythe du bon sauvage, Engels et domination d’un sexe sur l’autre dès que les armes apparaissent dans une société, gorille qu’on chatouille (sur la fresque deux femmes agacent un singe enchaîné – reste à savoir ce que le sculpteur a voulu exprimer), et violence des deux sexes.

    Petit détour par le temple du droit humain et les loges maçonniques. Au fronton, l’inscription « Dans l’humanité, la femme a les mêmes droits que l’homme, elle doit avoir les mêmes droits dans la famille et la société », claque fièrement, bien que les francs-maçons n’aient pas été les premiers, tant s’en faut, à accueillir leurs sœurs les bras ouverts… Il a fallu que la grande oratrice Maria Deraismes cofonde avec le politique Georges Martin ce siège de l’ordre maçonnique mixte en 1893, après bien des années pour faire accepter la mixité des loges.

    Au fil de la balade, on se prend à se demander mais pourquoi spécialement le XIIIe arrondissement de Paris pour exposer ou expliquer le matrimoine ? « Parce que j’habite là », tranche Edith Vallée, silhouette menue de rouge vêtue, qui a conçu ce parcours en cinq temps. On finira avec Jeanne d’Arc, sa tenue d’homme, sa coupe de garçon, chère payée, et on accrochera sur sa statue une banderole « je suis féministe ». Car la pucelle a bouleversé les ordres et les codes sociaux et patriarcaux. Au loin, le Panthéon : « Soixante-douze hommes, quatre femmes depuis peu », tempête Edith Vallée. Dont une, Mme Berthelot, inhumée là pour ne pas être séparée de son mari. C’est sûr, il y a encore des marches à gravir.

  • Et la femme créa... - Culture / Next
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    Germaine Tailleferre, le silence de l’oubli pour la compositrice

    Dans le Paris de l’entre-deux-guerres, aux soupers du cabaret Le bœuf sur le toit, près de la Madeleine, on pouvait croiser l’avant-garde artistique des années 20, de Satie à Picasso, de Cendrars à Coco Chanel, de Radiguet à Picabia. Mais on y trouvait également la musicienne Germaine Tailleferre (1892-1983), l’une des rares femmes compositrices. Eminente membre du « groupe des six », aux côtés de Poulenc, Milhaud, Auric, Durey et Honegger, Germaine Tailleferre, entrée au conservatoire de Paris contre l’avis de son père, fut une figure familière mais oubliée de cette époque fertile.

    Elle nous a pourtant laissé des dizaines d’œuvres, des concertos aux menuets en passant par les opéras bouffes, et même une comédie musicale. On peut évoquer ses Six Chansons françaises (1929), à la tonalité discrètement féministe, où elle met en musique des chants anonymes des XVe et XVIIe siècle qui font notamment l’éloge de l’infidélité. Rappelons enfin que les critiques d’art adoraient insister sur l’aspect jugé « féminin » de son œuvre, tout comme ils le faisaient avec celle de l’aquarelliste Marie Laurencin, dont Germaine Tailleferre était très proche.
    Aphra Behn, l’auteure « punk »

    Insensé qu’une femme de lettres prolifique, traitée de « punk » au XVIIe siècle, n’ait pas aujourd’hui les honneurs des bibliothèques. C’est le drame d’Aphra Behn (1640-1689). Aphra qui ? Une Anglaise qui rêva qu’on « accorde à ses vers l’immortalité ». Elle émerge de trois siècles d’éclipse alors qu’elle fut la première auteure à vivre intégralement de sa plume. Vingt pièces, moult novels, ces courts récits en prose et un best-seller de son vivant : Oroonoko l’esclave royal, histoire d’un prince esclave au Surinam qui se révolte, ouvrage qui inspira les abolitionnistes. Femme libre, s’exprimant sur la place publique, elle fut traitée de punk, qui signifiait « pute » à l’époque, joua les espionnes à Anvers sous le nom de code Astrea, pour Charles II, et - ô outrage - compara le mariage forcé à la prostitution. Si Virginia Woolf la mentionne (« Toutes les femmes en chœur devraient déposer des fleurs sur la tombe d’Aphra Behn […] car c’est elle qui obtint, pour elles toutes, le droit d’exprimer leurs idées »), il faut attendre les féministes américaines des années 60-70 pour qu’Aphra Behn sorte de l’ombre. En France, une poignée d’admirateurs s’échine à la faire connaître, dont le traducteur Bernard Dhuicq (disparu en 2013), la chercheuse Edith Girval (dont la thèse doit bientôt être publiée), et Aline César (présidente de HF Ile-de-France).
    Marie Bashkirtseff, la ruse plutôt que la muse

    Que fait-on lorsqu’on est une femme à la fin du XIXe siècle et que l’on désire se consacrer à la peinture ? On ruse. Jusqu’en 1897 en effet, pour des raisons purement sexistes, les Beaux-Arts étaient interdits à la gent féminine. Et de toute façon, que peindre ? Les sujets étaient limités puisqu’il aurait été parfaitement inconvenant de peindre ou de sculpter un homme nu sans passer pour une femme de mauvaise vie (et comme le dit le Dictionnaire des idées reçues de Flaubert, « Femme artiste ne peut être qu’une catin »). Seule solution, donc : passer par une académie privée ouverte ou réservée aux femmes. C’est ce que fit la riche Ukrainienne Marie Bashkirtseff (1858-1884), arrivée à Paris et passée par la progressiste Académie Julian. Sa carrière fut courte - elle mourut de tuberculose à 25 ans - mais l’artiste et diariste nous laissa quelques œuvres injustement dédaignées, notamment une scène de rue naturaliste avec des enfants mendiants (la Réunion, 1884, exposé à Orsay) ainsi qu’un portrait époustouflant de naturel d’une jeune élégante, la Parisienne (1882, à voir au Petit-Palais).
    Sarah Bernhardt, la divine sculptrice

    Sur un tableau de Georges Clairin, exposé au Petit-Palais, elle pose nonchalante dans une robe de satin blanc. Le tableau réalisé en 1876 est célèbre. La femme qu’il dépeint, encore plus : Sarah Bernhardt (1844-1923), tragédienne couverte de fleurs et de gloire de son vivant, passée à la postérité avec une flopée d’éloges : « la Divine » « l’Impératrice du théâtre », « la Voix d’or »… Bref, Sarah Bernhardt n’a rien d’une inconnue méprisée. Mais tout un pan de sa vie d’artiste a longtemps été gommé. « L’Impératrice » fut aussi sculptrice. Un choix audacieux à une époque où l’on considérait l’affaire réservée à des musclés. « Elle a commencé à sculpter vers 1870, très inspirée par son environnement maritime à Belle-Ile », explique Bénédicte Gattere, historienne de l’art, désignant une œuvre fascinante de la tragédienne, experte en lignes sinueuses : une dague en bronze sur laquelle s’enroulent algues et coquillages. Présentée à l’Exposition universelle de Paris en 1900 dans la vitrine « Algues-poissons » (regroupant les créations de l’artiste éprise, selon ses propres termes, de « formes étranges et tourmentées »), elle est enfin visible par tous au Petit Palais, qui l’a acquise en 2014 (seulement) pour 37 500 euros (quand même). Dans ce musée, la sculptrice a enfin sa place aux côtés de la femme modèle de Clairin.

  • Sexisme dans la BD : 147 dessinatrices s’insurgent - Culture / Next
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    Cette idée leur est venue en 2013 lorsque Lisa Mandel a contacté une trentaine d’auteurs « pour recueillir toutes les questions qui leur ont été posées "sur le fait d’être une femme dans la bd" et ce dans le but de préparer l’événement parodique "Les hommes et la bd" (depuis culte !) pour le FIBDI 2014 [le festival d’Angoulême, ndlr]. » En 2015, quand une autre dessinatrice, Julie Maroh, est approchée pour participer une expo collective pour la « BD des filles », c’est la goutte d’encre qui fait déborder le flacon. Elles décident de s’organiser plus sérieusement, d’où le lancement de ce site web.
    Contre le sexisme ordinaire et le marketing genré

    Les nombreux témoignages publiés montrent le « sexisme ordinaire » subi par les auteures, de la part des libraires, des éditeurs, des lecteurs, des journalistes, etc. Les témoignages sont très variés, plus ou moins longs. « J’en ai marre des expos et prix pour « la BD de femme ». Ça fait expo ou prix « handisport ». […] Ça crée un fossé. Ça différencie encore plus, nous éloigne de nos confrèreS, appuie sur les différences, au lieu de voir les similitudes. Nous sommes auteurs point barre », juge ainsi Marion Montaigne. « J’ai accepté une fois d’être exposée parmi une sélection purement féminine, ils avaient baptisé ça « Bulles de femmes ». J’ai été mal à l’aise tout le week-end, tellement l’exposition n’avait ni queue ni tête (ah, tiens…) vu que nos styles et les thèmes abordés n’avaient rien à voir », ajoute de son côté Aude Picault.

    Reste maintenant à changer vraiment les mentalités et notamment le « marketing genré ». « Le marketing genré connaît des jours extrêmement fertiles, et l’édition y trouve son compte, reconnaît en effet Oriane Lassus. Pas nous, c’est clair et c’est une bonne chose de le faire savoir. »

    #genre #femmes #femme #féminisme #BD