« Et t’as essayé de te faire éditer ? »
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C’est toujours pareil. T’es en soirée, ou avec des potes à un bar, et tu rencontres un humain. Comme t’es poli, t’échange des données entre gens, histoire de se connaître et tout. Forcément, comme écrire c’est à peu près le seul truc dont t’es capable dans ta vie, ya toujours cette question qui débarque.
« Et t’as essayé de te faire éditer ? »
(Sous-entendu par une vraie maison d’édition, hein, genre Gallimard ou autres, pas un truc de prolo à 100 exemplaires, ça existe pas ça.)
Summon ze dico
Je crois qu’il faut revenir en arrière. Kessidi le Larousse à ce sujet ?
Éditer
Choisir, reproduire et mettre en vente l’œuvre d’un écrivain, d’un artiste (musicien, peintre, photographe, chanteur, etc.)
Fabriquer quelque chose et s’occuper de sa diffusion
Ce qui est marrant quand on nous pose cette question, c’est que la polysémie passe toujours à la trappe. On « se fait éditer », on « édite » jamais. La personne qui pose la question, à vrai dire, n’a pas la moindre idée de ce que peut être « éditer un texte ». Après des décennies de pratiques éditoriales, éditer est un synonyme direct de « mettre en vente un bouquin à la fnac ». Dans l’imaginaire collectif, nulles traces du long travail de mise en page, de correction, de graphisme et de diffusion nécessaire pour transformer un texte en livre. Toutes ces étapes restent dans la cuisine secrète de l’éditeur, dans le sanctuaire où il mène ses opérations mystérieuses qui feront de vous un de ces êtres d’exception, supérieur aux mortels, un Auteur.
En gros, quand un gens me pose cette question, je traduis par « Est-ce que tu as essayé de vendre ton âme pour obtenir des super-pouvoirs ? »
Ouais mais bon
En général c’est à ce moment là que je suis emmerdé.
Faut bien comprendre que pour l’humain en face de moi, être édité, c’est devenir un putain de dieu vivant. L’égal de Victor Hugo et tout. Même s’il n’a pas lu un bouquin depuis le lycée, on lui a appris à craindre et respecter les livres. Et il n’y a pas de livres sans éditeurs.
Peu importe que les éditeurs cannibalisent l’essentiel des revenus du livre pour ne laisser à l’auteur que des miettes.
Peu importe qu’ils impriment cent exemplaires d’un livre juste pour dire et ensuite gardent les droits dans un coin pour plus tard, empêchant l’auteur d’essayer de se trouver un nouveau moyen de diffusion. Voir même prennent des options sur l’univers et les prochains livres, empêchant donc l’auteur d’écrire quoi que ce soit à l’avenir.
Peu importe qu’ils ne donnent jamais de nouvelles à leurs auteurs, et que certains attendent toujours de savoir combien de livres ont été vendus.
Peu importe qu’ils utilisent le nom des auteurs pour sauvegarder leur business au détriment des auteurs eux-mêmes et des lecteurs. Et faire passer en force des législations à leur seul profit.
Peu importe qu’ils appliquent aux livres des DRM invasifs et restrictifs qui gâchent ou rendent impossible le fait même de lire.
Non, l’éditeur est dieu et le bouquin en rayon est son prophète. Pour le commun des mortels, il n’y a pas de possibilité d’exister dans la création littéraire sans passer par un éditeur (Et d’ailleurs, pour les responsables politiques non plus). Et comment leur reprocher ces pratiques, après tout ? L’industrie éditoriale détient un monopole (pour l’instant) à la fois économique et intellectuel, ils auraient tort de se priver.