Certes, le soutien d’un intellectuel haut de gamme à un présidentiable peut parfois être raisonné, argumenté, et non point relever uniquement d’un désir de paraître. Prenez Michel Onfray, par exemple. Bien sûr, il est devenu depuis quelque temps, sans que cela semble d’ailleurs lui poser question, comme disent les psychanalystes freudiens, l’unique et omniprésent « libertaire » présentable sur petit écran et audible sur les stations de radio. Mais on sent bien que seule l’ardente volonté de nous aider à réfléchir le guide, au point d’accepter de s’exprimer dans des émissions aussi stupides et vulgaires qu’« On n’est pas couché », là même où pouvait s’exprimer quelque temps auparavant une star du porno et où bêtifiera la semaine suivante une vedette éphémère du show-biz crétinisant.
« Dans un parti, le principe d’une primaire ouverte est une mauvaise chose : à quoi bon un parti si son leader est choisi en dehors de lui dans une nébuleuse de gauche où toutes les motivations sont possibles, y compris les plus mauvaises – choisir le pire en face pour conserver les chances de celui qu’on soutient par ailleurs à gauche ? » C’est en ces termes assénés comme toujours de manière péremptoire que débute la tribune libre que le philosophe bas-normand consacre à la primaire socialiste, parue dans Le Monde du 23 septembre dernier. [Oui, il est aussi le seul penseur « libertaire » admis à fournir une chronique régulière dans le grand quotidien de référence…] En accord ou non avec ce point de vue, on se dit que voilà une façon bien nette de faire savoir qu’il n’est pas question pour ce « libertaire proudhonien » (sic) de jouer à un jeu qu’il désapprouve, d’autant que dans ce pays, ajoute-t-il, « tout a été fait pour évincer le minoritaire et créer une majorité sur le mode bipolaire ». Cette opinion serait éminemment respectable, bien sûr, si dans la foulée le chantre de la gauche de gauche n’écrivait ceci : « On sollicite le peuple de gauche – j’en suis : j’irai donc. » En 1914, Onfray-j’en-suis eût sans doute été de la trempe de ces militants ouvriers qui chantaient encore L’Internationale en début d’année pour affirmer quelques mois plus tard vouloir percer jusqu’à Berlin afin de montrer aux Boches de quel bois se chauffent des Français de gauche, certes, mais obéissants et disciplinés.
C’est ainsi, donc, que l’Onfray-Besancenot de naguère s’est mué, le temps d’un week-end, en Onfray-Montebourg, du nom de ce candidat qualifié sans rire d’antilibéral et rallié à François Hollande. Et si Onfray-j’en-suis a préféré momentanément opter pour la même attitude que ces libertaires ordinaires qu’il méprise tant, en refusant de devenir un Onfray-Aubry ou un Onfray-Hollande pour le second tour, nous savons d’ores et déjà, en revanche – il l’écrit dans ce même article ! –, que nous aurons bientôt affaire à un Onfray-Mélenchon, du nom de ce candidat qu’on ne savait pourtant pas vraiment partisan du « capitalisme libertaire », dernière et curieuse trouvaille de l’ « idiot utile » multiservices.
Ma voisine de palier, elle, me disait ne pas être socialiste, tout comme Michel Onfray, et par conséquent, contrairement à ce stratège hors pair, non désireuse de se mêler de cette fameuse primaire. Elle est comme ça, Mme Boullard, simple, logique. Elle sait pour qui ira son suffrage futur, sans échafauder de tactiques savantes qui permettent tous les revirements et toutes les contradictions, et ne changera pas de poulain à cinq reprises en quelques mois au nom d’une efficacité supposée. Ni hédoniste, ni prétendument proudhonienne, ni de la « gauche libertaire », elle pense et affirme crûment que le capitalisme c’est de la merde, quel que soit le qualificatif qu’on lui accole. Mais vous ne verrez pas son nom sur ces listes à venir de gens qui comptent, ces fameuses personnalités de premier plan. Son avis, les médias s’en foutent. Il ne vaut pas celui d’un philosophe. Moi, je l’aime bien, Mme Boullard.