• Le « complot » féministe, par Gisèle Halimi (Le Monde diplomatique, août 2003)
    https://www.monde-diplomatique.fr/2003/08/HALIMI/10360

    Avocate opiniâtre, militante anticoloniale, féministe intransigeante, Gisèle Halimi est décédée ce mardi à Paris. Engagée contre toutes les injustices et les dominations, elle restera dans l’histoire comme une femme libre et courageuse, une des pionnières du féminisme, ne pliant devant aucune autorité. En 2003, elle prenait la plume dans nos colonnes pour la dernière fois afin de défendre la première Enquête sur les violences envers les femmes (Enveff) attaquée de toute part (de Élisabeth Badinter à Alain Minc)… C’était bien avant que l’un de ses trois fils, Serge Halimi, ne devienne directeur du Monde diplomatique.

    #rétrospective #féminisme #patriarcat #violences_faites_aux_femmes

  • repris par
    https://europalestine.com/2003/12/16/a-lire-lavocate-gisele-halimi-sur-marwan-barghouti

    Semaine du jeudi 11 décembre 2003 – n°2040 – Nouvels obs
    Gisèle Halimi
    Elle est l’avocate du leader palestinien, qui risque la prison à vie

    « Sur Israël, j’ai perdu quelques illusions »

    « Dans le procès de Marwan Barghouti » – accusé d’être l’instigateur de 23 attentats – « j’ai constaté que la justice et les droits de la défense avaient été constamment bafoués »

    Le Nouvel Observateur . – L’ancien responsable du Fatah pour la Cisjordanie, Marwan Barghouti, accusé d’incitation au terrorisme et dont le procès doit être repris ces prochains jours en Israël, vous a demandé de l’assister en tant qu’avocate étrangère. A ce titre, vous avez suivi les
    audiences sans être autorisée à plaider. Pourquoi vous ?
    Gisèle Halimi . – Je pense que Marwan Barghouti voulait, en choisissant une avocate française, se référer aux valeurs d’un pays qui lui est cher, la France des droits de l’homme. Sa thèse de docteur en sciences politiques avait pour titre : « Cent Ans de relations franco-palestiniennes ». C’est peut-être à cause de cette approche que j’ai été d’abord étonnée puis choquée de voir qu’Israël, qui reconnaît s’être mis hors la loi internationale en refusant d’appliquer les résolutions de l’ONU, n’était pas non plus un Etat vraiment démocratique. Dans le cas de Barghouti, j’ai constaté que la justice et notamment les droits de la défense, qui sont des révélateurs dans toute démocratie, avaient été constamment bafoués. Sur plusieurs points. Son arrestation a été un véritable kidnapping. Le l4 avril 2002, il a été enlevé par l’armée israélienne qui a fait irruption chez lui, la nuit, en territoire palestinien occupé. C’est un acte que l’article 49 de la 4e Convention de Genève proscrit formellement – on n’a pas le droit, quand on occupe un territoire, de procéder au moindre déplacement de population ou d’individus – et qu’il qualifie de crime de guerre. Ensuite, on lui a mis un bandeau sur les yeux, on l’a battu, maltraité, menotté, ligoté sur une chaise, on l’a soumis à des interrogatoires de dix-huit à vingt heures d’affilée, sans le faire ni boire ni manger, et cela pendant dix-neuf jours, sans que personne, même pas ses avocats, sache où il était. Ce no man’s land juridique n’a pris fin qu’au bout de trois semaines, lorsque ses avocats ont pu lui rendre visite mais jusqu’à aujourd’hui il n’a pas pu voir une seule fois sa femme, avocate, ni ses enfants ni ses amis. Il a ensuite été transféré à Beer-Sheva, dans le désert du Néguev, où il est soumis à un isolement total : selon un avocat israélien, il vit dans une cellule d’un mètre quarante sur un mètre quatre-vingts, il ne voit jamais les autres détenus, et quand il sort, il marche boulets aux pieds, menotté et seul. Aucune autorité n’a le droit de traiter ainsi ceux qu’elle détient. Je rappelle que Barghouti est un leader politique important, député élu (élections reconnues par Israël et par la communauté internationale) au Conseil national législatif palestinien !

    N. O. – Avez-vous pu le rencontrer ?
    G. Halimi. – Il a comparu six fois, j’ai assisté à quatre audiences et je l’ai rencontré deux fois en prison, longuement. Quand il a été transféré à Beer-Sheva son avocat israélien, Jawad Boulos, et moi avons été jetés dehors avec une seule explication : plus de visites. Or la manière dont on traite ses prisonniers est aussi un révélateur important de l’état d’une démocratie.

    N. O. – On vous rétorquera en Israël que le pays est en état de guerre depuis l’Intifada et que les règles habituelles peuvent ne plus s’appliquer.
    G. Halimi. – Alors il faut le dire. L’exception en droit est toujours dangereuse pour les libertés. Or lorsque les avocats ont soulevé le problème de la compétence du tribunal – civil et non militaire –, lorsqu’ils ont évoqué les conventions bilatérales israélo-palestiniennes, jamais dénoncées, qui devraient s’appliquer, leurs demandes ont été rejetées. De même qu’ont été rejetés tous les recours adressés à la Cour suprême d’Israël – qui a, ne l’oublions pas, justifié la torture ! Là aussi, j’ai perdu quelques illusions.

    N. O. – Sur le fond, le procès s’est-il malgré tout déroulé normalement ?
    G. Halimi. – Sur le fond, quand on connaît Barghouti, l’accuser d’avoir commandité des attentats semble une énormité. Ce n’est pas son champ de réflexion ni d’action. Mais si on juge sur pièces, où sont les preuves ? Tous les témoins à charge sont venus dire à l’audience qu’ils avaient signé leurs accusations sous la menace. Le tribunal n’en a pas tenu compte. Des centaines de documents, correspondances diverses, ont été saisis au domicile de Barghouti. Comme on n’y a pas trouvé une seule lettre de lui prouvant une quelconque participation à un acte terroriste, on a retenu contre lui des courriers qui lui étaient simplement adressés ! C’est pourtant là-dessus qu’on l’accuse d’être l’instigateur de vingt-trois attentats terroristes !

    N. O. – Que risque-t-il ?
    G. Halimi. – La peine maximum, c’est-à-dire celle qu’un kamikaze aurait s’il survivait, puisque la peine de mort n’existe pas en Israël. Mais je voudrais dire un mot sur les droits de la défense. Quand je suis arrivée à l’aéroport de Lod, on m’a détenue deux heures dans un local de police, après avoir mis dehors le diplomate français venu m’accueillir. On m’a fait déshabiller, rhabiller, déshabiller encore, on a fouillé mes bagages, on a surtout pris ma sacoche d’avocate, mes dossiers, mes notes et mon téléphone portable pour consulter sa mémoire. J’ai protesté évidemment, on m’a répondu : « On fait des copies et on vous rend le tout » ! A ma sortie d’Israël, même scénario mais là, quand les policiers ont voulu prendre les notes prises pendant mon séjour, le délégué du consul de France s’est interposé physiquement et j’ai pu sauver mes carnets. Je n’avais jamais vu cela, moi qui ai plaidé pendant huit ans aux pires moments de la guerre d’Algérie.

    N. O. – Pourtant, on s’accorde à dire en Israël que Marwan Barghouti pourrait être, demain, un interlocuteur possible…
    G. Halimi. – Il pourrait l’être. Il est sans doute en ce moment le leader le plus populaire parmi les Palestiniens. C’est un homme intègre, qui a lutté au sein de son propre parti contre la corruption. C’est aussi un homme de paix, un humaniste. Il m’a dit, et je le crois sincère, que voir des civils israéliens tués dans un attentat était pour lui aussi horrible que si les victimes étaient des Palestiniens.

    N. O. – Mais il n’a jamais désavoué ces attentats qui le navrent…
    G. Halimi. – Aucun dirigeant politique ne peut extraire ces attentats de leur contexte, qui est l’occupation. Pour désavouer les kamikazes, il faut aussi désavouer l’occupation.

    N. O. – Sur la guerre et la paix, quelles sont ses positions ?
    G. Halimi. – Dans sa dernière plaidoirie – il assume seul sa défense politique – il a déclaré qu’Israël avait maintenant devant lui trois solutions. Soit continuer à occuper le territoire palestinien, et alors les pires violences continueront des deux côtés. Soit négocier pour permettre l’existence côte à côte de deux Etats indépendants et libres, ce qui était jusqu’alors son choix. Si cela n’était pas possible, il ne resterait plus aux Palestiniens qu’à constater que tout avait échoué et que la seule solution serait celle d’un Etat unique, dont Israël prendrait l’entière responsabilité.

    N. O. – Cela ressemble à une menace. Un Etat unique devrait sacrifier soit son caractère juif, soit ses valeurs démocratiques.
    G. Halimi. – En effet. Et cette perspective, à ma connaissance, n’avait encore jamais été évoquée par Barghouti. Plutôt qu’une menace, j’y vois un avertissement. Pour dire qu’il faut faire vite et que le plan de Genève – auquel Barghouti a été, dit-on, discrètement associé – est peut-être la dernière chance à ne pas laisser passer. Propos recueillis par JOSETTE ALIA

    Josette Alia

    L’héritier d’Arafat ?
    Député de Ramallah depuis 1996 et secrétaire général du Fatah en Cisjordanie, Marwan Barghouti, 43 ans, a été arrêté le 15 avril 2002 par l’armée israélienne qui l’accusait d’être le chef des Brigades des Martyrs d’Al-Aqsa, responsables de plusieurs attentats sanglants. Accusations qu’il n’a cessé de nier, depuis les premières audiences d’un procès transformé en tribune politique. Car cet universitaire, qui a passé plusieurs années en exil et en prison – où il a appris l’hébreu –, est l’un des Palestiniens les plus populaires. Membre du parti de Yasser Arafat, mais assez indépendant pour critiquer la corruption et les abus de pouvoir de l’Autorité ; partisan des accords d’Oslo, mais défenseur de la lutte armée – contre les soldats et les colons des territoires occupés ; incarnation de la seconde Intifada, mais interlocuteur familier des Israéliens du « camp de la paix », il est aujourd’hui considéré, malgré sa détention, non seulement comme l’un des successeurs possibles d’Arafat mais comme le partenaire quasi incontournable d’un futur processus de paix. « Sa libération renforcerait le camp modéré palestinien », estimait en septembre, dans une interview à « Haaretz », Ephraïm Halevy, ancien directeur du Mossad, les services secrets israéliens.

    • Lundi, 5 Juillet, 2004
      "Une violation flagrante des droits de l’homme"
      Entretien réalisé par P. B.
      https://www.humanite.fr/node/308525

      Gisèle Halimi, membre du collectif d’avocats de Marwan Barghouti, revient sur le procès et les conditions de détention.

      D’un point de vue du droit, comment considérez-vous l’arrestation de Marwan Barghouti et le procès qui a suivi ?

      Gisèle Halimi L’armée israélienne l’a arrêté et enlevé chez lui (il pensait d’ailleurs qu’il allait être exécuté tout de suite), à Ramallah le 15 avril 2002, alors que Marwan Barghouti est un député régulièrement élu, c’est le secrétaire général du Fatah pour la Cisjordanie. Il y a donc une atteinte flagrante à la législation internationale, les textes qualifient même cela de crime de guerre. C’est l’article 49 de la quatrième convention de Genève qui interdit tous les transferts forcés de populations ou d’individus par l’autorité occupante. Cette convention a pourtant été signée par Israël. C’est aussi la compétence des tribunaux israéliens qui est remise en cause, c’est illégal et parfaitement contraire au droit international et même au droit bilatéral, entre Israël et l’Autorité palestinienne (AP). Contrairement à ce qu’on pourrait penser et malgré les horreurs qui se sont poursuivies depuis, les accords d’Oslo et les accords du 18 septembre 1995 restent valables. Et ces accords disent que toutes les arrestations en zone A (sous contrôle administratif et sécuritaire de l’AP), ce qui est le cas de Ramallah, ne peuvent être faites que par les autorités palestiniennes. Cela est reconnu par la Cour suprême israélienne car dans certains arrêts, notamment l’un datant de septembre 2002, elle fait référence à ces accords. Il y a donc une double violation : un député enlevé chez lui, transféré en Israël et jugé par des tribunaux israéliens, dont il a toujours contesté la compétence. C’est la raison pour laquelle il a demandé à ses avocats de ne pas l’assister. Il l’a été juste au moment des moyens de droit pour soulever cette incompétence et dénoncer ces crimes de guerre. Les tribunaux israéliens ont évidemment rejeté tout cela et se sont saisis du cas et l’on a jugé à cinq fois la perpétuité et deux fois une peine de sûreté de vingt ans.

      Comme il est député, l’Union interparlementaire s’est saisie de son cas et a envoyé à trois reprises des mandataires pour essayer de le rencontrer, de rencontrer les autorités israéliennes. Tout contact leur a été refusé. Ils ont donc fait une enquête auprès de la procureur israélienne, des tribunaux, des avocats, de moi-même et ont remis un rapport qui dit exactement ce que je viens de vous dire quant à la violation flagrante du droit.

      Quelles ont été, quelles sont ses conditions de détention ?

      Gisèle Halimi Dès son arrestation, il a été mis au secret, son épouse l’a vu dix minutes le 17 mai 2002 parce que le bruit courait qu’on l’avait descendu et les Israéliens voulaient montrer qu’il était vivant. Mais depuis cette date, elle est totalement interdite de visite. Elle n’a jamais revu son mari. Pendant cinq semaines, il a été au secret total, il ne pouvait même pas voir ses avocats. Il a été interdit de visite avec ses avocats français et nous avons été interdits de plaidoirie. Je l’ai néanmoins vu à deux reprises, en prison, mais à la suite de circonstances particulières. Pendant un mois, il a subi nuit et jour des interrogatoires avec tout ce que les conventions et les droits de l’homme condamnent : privation de sommeil, lumière dans les yeux, bandeaux, et cette torture israélienne qui s’appelle le shabeh. On l’attache pendant des heures et des heures sur une petite chaise métallique très inconfortable, menotté et quand il est épuisé et tente de s’adosser, il ne le peut pas car le dossier est plein de clous ! Il a évidemment reçu des menaces de mort à l’encontre de sa personne, de sa famille, de son fils qui est arrêté. Tout est contraire à la Déclaration universelle des droits de l’homme. Peut-on, après ça, encore dire qu’Israël est une démocratie ?

      Depuis la dernière audience du 29 septembre, il a été transféré dans le désert du Neguev, dans la prison de Beer Sheva. J’ai tenté de le voir dès le lendemain. Je me suis faite littéralement jetée. Il y a des comportements d’une brutalité qui font froid dans le dos. Ces soldats aux check-point avec des mitraillettes évoquent pour moi des images terribles, sur lesquelles je préfère ne pas insister. Par un avocat israélien il a pu faire passer un message sur ses conditions de détention : c’est abominable. Il est actuellement dans une cellule de 1,40 mètre sur 1,80. Il a eu des problèmes pulmonaires, on ne le soigne pas. Ce sont des conditions indignes d’un pays civilisé : la cellule est infestée de bêtes. Il ne sort même pas pour ses repas. Il est 24 heures sur 24 dans sa cellule, à l’exception de 45 minutes par jour où il va dans une toute petite cour de 4 mètres sur 5, tout seul, et où il tourne en rond. Évidemment, il y a une urgence caractérisée à ce que l’opinion publique se préoccupe de lui et le tire de là.

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      Gisèle Halimi, une vie de combats
      28 juil. 2020, Journal l’Humanité
      L’avocate, infatigable militante féministe et anticoloniale, est morte à l’âge de 93 ans. Retour en images sur une vie de combats.
      https://www.youtube.com/watch?time_continue=103&v=1UPV7FzUTJU&feature=emb_logo


      (l’article ci-dessus à 0:58)

    • Jeudi. 30 juillet 2020

      Avocate opiniâtre, militante anticoloniale, féministe intransigeante, Gisèle Halimi est décédée ce mardi à Paris. Engagée contre toutes les injustices et les dominations, elle restera dans l’histoire comme une femme libre et courageuse, une des pionnières du féminisme, ne pliant devant aucune autorité. En 2003, elle prenait la plume dans nos colonnes pour la dernière fois afin de défendre la première Enquête sur les violences envers les femmes (Enveff) attaquée de toute part (de Élisabeth Badinter à Alain Minc)… C’était bien avant que l’un de ses trois fils, Serge Halimi, ne devienne directeur du Monde diplomatique.

      Le « complot » féministe, par Gisèle Halimi (Le Monde diplomatique, août 2003)
      https://www.monde-diplomatique.fr/2003/08/HALIMI/10360

  • Notre usine est un roman, de Sylvain Rossignol
    https://www.monde-diplomatique.fr/2009/08/BURGI/17734

    Après avoir lutté contre la fermeture d’un centre de recherche pharmaceutique à Romainville, et finalement perdu cette bataille, les salariés de #Sanofi #Aventis, autrefois Roussel-Uclaf, se sont organisés pour conserver et transmettre un fragment de leur histoire — qui est aussi celle de l’#industrie_pharmaceutique des années 1967-2007. Rédigé à partir de très nombreux entretiens de salariés (ouvriers, syndicalistes, cadres, techniciens), ce livre « filme la force des mots » de ces hommes et de ces femmes restés fidèles à l’utilité sociale du travail, notamment aux enjeux de santé publique liés à leur activité — des enjeux peu à peu sacrifiés par les élites économiques et politiques sur l’autel du marketing et du profit (de là, par exemple, la pénurie de médicaments innovants dans le monde). Ici, comme dans d’autres secteurs industriels, l’abandon des finalités essentielles de la production industrielle à la faveur de vagues de restructurations répétitives s’est classiquement accompagné d’une individualisation de l’organisation du travail et d’une dévalorisation, sinon d’une destruction, des métiers.

    À propos de #Nereïs, un contre-projet pharmaceutique à #Romainville, voir @Fil (2003). https://www.monde-diplomatique.fr/2003/03/RIVIERE/10000

    Dont le site d’époque… https://web.archive.org/web/20050409180657/http://www.nereis-sante.com/nereis.html

    … fait aujourd’hui de la publicité pour le « Lait de toilette bébé : le soin quotidien indispensable ».

    • Témoignage de Pierre Vermeulin, ancien directeur-adjoint du secteur chimie au CNRS (Intervention publiée dans un quatre pages CGT, novembre 2002, cité dans Sanofi : Big Pharma, Syllepse, 2014 ).

      Que les chercheurs, les techniciens, les employés de Romainville aient lutté pendant toutes ces années pour la sauvegarde de leur emploi, c’est évident. Mais au-delà de cette résistance indispensable, ces travailleurs ont su opposer à la logique de régression, de repliement et de fermeture, celle de l’extension de leur activité en construisant un projet novateur qui corresponde à des besoins urgents dans le domaine de la santé. Les raisons de fermer tout ou partie du centre de Romainville sont essentiellement celles de la rentabilité : les firmes pharmaceutiques, en particulier Aventis, ne manquent pas encore pour l’heure, d’équipes de recherche performantes capables de découvrir de nouvelles molécules et de les développer. Cependant leur travail n’est pris en compte par les firmes que dans la mesure où il peut déboucher, avec une quasi-certitude, sur un retour élevé sur investissement. Il s’ensuit un rétrécissement de l’activité sur les créneaux jugés les plus rentables, sur des fermetures de sites et à terme sur le démantèlement d’équipes de recherche et de production. C’est ce que vivent ceux de Romainville. Avec le projet Néréis, les travailleurs du centre ont mis en avant une tout autre logique. Ils ont opposé à cette recherche du profit maximal, la responsabilité de l’entreprise dans la prise en charge des besoins actuels de la santé publique, aussi bien dans les pays développés que dans ceux qui ne peuvent actuellement faire face aux maux qui les frappent. Faire de Romainville, ou du moins d’une partie du site, un centre de développement de nouvelles molécules, c’était offrir un outil pour élargir l’innovation thérapeutique. Ce pouvait être un lieu d’accueil, de test et de développement des idées nouvelles issues de laboratoires publics ou privés qui n’ont pas ou peu les moyens de passer de la recherche à l’application. Ne mettant pas en priorité la rentabilité financière, le projet permettait d’ouvrir des voies dans des domaines où le profit ne peut être garanti, notamment ceux des maladies qui frappent le tiers-monde. Ce pouvait être un lieu de formation pour des équipes de pays en voie de développement qui aspirent à une autonomie scientifique et industrielle dans l’industrie pharmaceutique. Dans un moment où il est de bon ton de prôner la valorisation scientifique et la promotion de l’innovation, les propositions des travailleurs de Romainville auraient dû rencontrer un accueil plus militant de la part des ministères responsables, ceux de la recherche et de la santé. Un engagement de l’État, et des organismes de recherche qui en dépendent, aurait affirmé l’intérêt public du projet et aurait contribué à mieux placer Aventis devant ses responsabilités. Les discours en faveur de l’entraide envers les pays du Sud auraient trouvé plus de crédibilité. Utopie, alors, dépourvue de toute référence à la réalité. C’est certainement ce que d’aucuns voudraient faire croire. Ce sont bien pourtant ces propositions nouvelles qui collent à une réalité qui commence à être bien connue. Il faudra bien un jour qu’en matière de médicaments, l’intérêt des millions des personnes en attente de traitements, soit reconnu prioritaire sur le fameux retour sur investissement. L’utopie est bien ici l’annonce de l’avenir qu’il faut construire. La lutte de ceux de Romainville est exemplaire, elle a su lier la lutte pour la sauvegarde de l’emploi à la lutte pour une nouvelle conception de l’entreprise qui doit œuvrer à produire pour les besoins des populations. C’est certainement une avancée considérable dans la stratégie de lutte contre la régression sociale dont chacun peut faire l’expérience de nos jours. Il ne s’agit pas seulement de résister mais aussi de commencer à tracer les voies du futur. La loi du profit maximal n’est pas encore révoquée, les intérêts des grandes firmes et de leurs actionnaires sont encore dominants. Cependant dans les luttes actuelles de nouvelles possibilités se créent.

      PDF du bouquin https://www.syllepse.net/syllepse_images/articles/sanofi.pdf

    • « Big Pharma », ou la corruption ordinaire, par Philippe Rivière @fil (Le Monde diplomatique, octobre 2003)
      https://www.monde-diplomatique.fr/2003/10/RIVIERE/10610

      Cette mise à l’écart du politique (qui n’est que l’autre nom du « trou » de la Sécurité sociale) n’est pas irrémédiable : diverses propositions permettraient de réintégrer patients et médecins dans les choix de santé — comme l’ont fait, sans attendre d’invitation, les malades du sida. Il faudra en premier lieu faire sauter les verrous intellectuels solidement mis en place par les laboratoires, qui assurent la carrière des chercheurs scientifiques leur ouvrant des marchés et répriment les autres, achètent la bienveillance ou la complicité de certains médias, flattent les « bons prescripteurs » et se défient des médecins « passéistes » qui se contentent de donner de bons vieux médicaments éprouvés... L’industrie — mise en coupe réglée par la finance et disposant de fabuleuses réserves de cash — fait régner, sur l’ensemble des protagonistes, une effrayante police de la pensée. La petite corruption ordinaire instillée par ces pratiques a fini par gangrener, à tous les échelons, le contrat social signé autour de la santé publique.

  • Le grand secret de l’#industrie_pharmaceutique, de Philippe Pignarre (2003). Note de lecture par @fil
    https://www.monde-diplomatique.fr/2003/05/RIVIERE/10155

    Après les expérimentations sauvages, dans les années 1950-1960, de molécules de synthèse sur des cobayes humains, il était indispensable qu’une réglementation vienne encadrer l’innovation pharmaceutique. Ce fut la méthode des essais thérapeutiques, avec pour conséquences, entre autres, une importante socialisation du médicament (via la participation de volontaires aux essais, et par l’entremise de la Sécurité sociale), la financiarisation à outrance du secteur et, paradoxalement — c’est là la grande originalité de l’analyse de Philippe Pignarre —, l’ossification de la recherche. D’où la situation actuelle : de grands conglomérats pris de panique quand ils réalisent que le filon sur lequel ils ont bâti des fortunes colossales est épuisé ; la spéculation, en conséquence, sur la génomique et les start-up du « drug design » ; la stratégie de « cosmétisation » des médicaments, qui deviendraient des gammes de « produits de santé » — comme il est des « produits de beauté ». L’acharnement de « Big Pharma » à étendre la durée de vie de ses brevets signerait donc, d’après l’auteur, l’avis de décès de l’industrie pharmaceutique telle que nous la connaissons.

  • Si quelqu’un n’a que ça à faire dans la vie, je suggère d’étudier la notion de Syrie utile, qui a fleuri entre, disons, 2013 et 2016. Tout le monde s’y est mis, et c’est devenu une sorte d’incantation familière. Si tu voulais faire « expert de la Syrie », tu disais « Syrie utile » et voilà…

    Le thème est tellement banal qu’il fait l’objet d’un fiche (particulièrement indigente) sur Wikipédia :
    https://fr.wikipedia.org/wiki/Syrie_utile

    Il faudrait étudier l’intérêt d’une telle expression, qui peut se justifier dans une logique de pure stratégie militaire (le régime n’a pas intérêt à perdre ses grandes villes et ses principaux centres de production, parce que sinon, ça s’appelle assez bêtement « perdre la guerre »), mais ça devient très problématique au-delà. Or, le terme est devenu clairement la prétention à définir le « but de guerre » du régime syrien, puis de la Russie (on a de très beaux articles de 2016 qui regrettent que « Bachar », contrairement aux Russes, voudrait reconquérir « plus » que la Syrie utile). Exemple :
    http://www.lefigaro.fr/international/2016/12/13/01003-20161213ARTFIG00280-contre-l-avis-de-moscou-assad-veut-plus-que-la-sy

    Alors à aucun moment il n’est expliqué :
    – comment le régime structuré autour du parti Baas pourrait maintenir sa cohérence et sa « légitimité » interne (je mets les guillemets exprès : c’est une dictature) en revendiquant soudainement juste une « Syrie utile » ;
    – comment le Hezbollah, dont le fondement idéologique même est la défense (au mètre près) de l’intégrité territoriale, accepterait de se battre pour un régime dont le but serait d’abandonner des pans entiers du territoire national (les Fermes de Chebaa, si on va par là, font-elles partie du « Liban utile » ?) ;
    – comment le PSNS, qui est un des premiers partis impliqués dans le conflit aux côtés du régime, y compris chez les druzes syriens, aurait soudainement redéfini les frontières de la Syrie naturelle (dite, plus couramment, « Grande Syrie ») comme celle d’une « Syrie utile » amputée de près des deux tiers de sa superficie…
    – comment les Iraniens accepteraient l’idée d’une Syrie « à l’Ouest », rompant sa ligne stratégique jusqu’à la Méditerranée ;
    – et comment les Russes pourraient tolérer la création d’un État né d’une rébellion largement islamique, alors que toute une partie de sa doctrine stratégique est liée à l’Afghanistan et à la Tchétchénie et au rôle, selon elle, des milices islamistes comme outil de sédition à son encontre depuis les années 1980.

    Je pense qu’au delà de la pure logique militaire, le concept de « Syrie utile », attribué comme but de guerre au régime syrien, est devenu une façon à la fois de dénoncer la duplicité de ce régime (voyez, il serait prêt à sacrifier une partie de son territoire), renforcer l’idée que ce régime serait purement sectaire (à la libanaise, il viserait à créer une « petite Syrie » constituée d’alaouites et de chrétiens), prétendre qu’une possible partition de la Syrie serait en réalité un souhait du régime (ou une conséquence de sa stratégie), « à l’insu du plein gré des gentils miliciens révolutionnaires » et de leurs soutiens en quelque sorte, et enfin soutenir que, même si « personne » ne peut gagner la guerre (et notamment pas l’opposition présentable), l’issue de la guerre ne serait pas forcément une victoire totale du régime, celui-ci étant uniquement intéressé par son petit territoire « utile » (comprendre : même si le régime tient « la Syrie utile », à terme on doit pouvoir lui arracher assez facilement une partition où les rebelles auraient droit à leur part de Syrie-pas-utile).

    Un intérêt est également de faire passer l’idée que, si le régime tient cette partie du territoire, c’est uniquement parce qu’il met les moyens militaires sur cette « Syrie utile », et non parce que les habitants de cette région préfère ce régime aux joyeux drilles de l’autre camp (même pour des raisons discutables). Or c’est un des points de Balanche (et, je crois de Landis et Cole) : le régime a tenu en large partie parce qu’une grosse partie de la population reste derrière lui ; ce que le terme « Syrie utile » permet d’occulter.

    Or, l’idée que le régime et ses alliés auraient soudainement rallié une idéologie de la « Syrie utile », j’aimerais savoir d’où ça sort, en dehors de quelques lectures extrêmement biaisées des discours d’Assad. Et à quel moment les Russes auraient fait savoir que leur but de guerre était de… ne pas gagner la guerre mais de laisser la situation s’enliser face à une rébellion à forte teneur islamique, je trouve ça extrêmement mystérieux.

    Dit autrement : je pense que le concept de « Syrie utile » restera comme un des éléments de langage centraux de la propagande de guerre en Syrie.

    • petite recherche vite fait (ngrams viewer)

      Et sur gg (tout court) un seul lien avant 2010, un article du Diplo (avec cartes de @reka)

      Comment l’Empire ottoman fut dépecé, par Henry Laurens (Le Monde diplomatique, avril 2003)
      https://www.monde-diplomatique.fr/2003/04/LAURENS/10102

      En 1918, la question pétrolière devient dominante. Selon l’accord, la France devrait contrôler la région de Mossoul, où se trouvent d’importantes réserves potentielles, mais les Britanniques, eux, ont les droits de concession. Georges Clemenceau veut bien satisfaire le groupe de pression colonial, mais en se limitant à une « Syrie utile » ne comprenant pas la Terre sainte, mais permettant un accès aux ressources pétrolières. Une trop grande extension territoriale impliquerait de lourdes charges d’administration sans commune mesure avec les revenus que l’on pourrait en tirer. C’est l’abandon de la revendication de la « Syrie intégrale » (on dirait actuellement « Grande Syrie »). Au lendemain de l’armistice, il traite directement et sans témoin avec Lloyd George du partage du Proche-Orient.

    • En anglais, je ne trouve pas d’occurrences avant novembre 2015. Les deux premières…

      6/11/2015 (assez éloquent, présenté comme une « création » du « régime »,…)
      USEFUL SYRIA or WHOLE SYRIA ?
      http://orient-news.net/en/news_show/93549/0/USEFUL-SYRIA-or-WHOLE-SYRIA

      The “Assad regime” has always bragged about a sovereign powerful and formidable state; but when Syrians rose against this regime, Syria became the country for only those who defend the regime. That is in the words of the head of the regime himself. Early on the first days of the people’s rise, Syria turned into something so cheap in the regime’s eyes to the extent that it spread the slogan that says: “We either rule it, or we put it into flames”. Due to the Syrian opposition’s resistance and the influx of Isis, the Syria under the regime’s control began to shrink to a point where the regime- with all the help of Iran, Hezbollah and other mercenaries- does not control more than 18% of the Syria known before March 2011. Those 18% came to be known and referred to by the regime and its allies, in particular Iran, as USEFUL SYRIA.

      et le 19/11/2015 MEI, particulièrement clairvoyant
      Will Assad Create a « Useful Syria » ? | Middle East Institute
      https://www.mei.edu/content/at/will-assad-create-useful-syria

      After nearly five years of throwing its own forces and Iranian assets against the rebellion, the Syrian regime remains unsuccessful in its attempt to quell it. With a further injection of forces through Russian intervention, a new chapter of the Syrian conflict has commenced. However, the assumption that Russia will succeed where neither the regime nor Iran have prevailed ignores the structural weaknesses in Damascus’ capacity that make such a situation unlikely. The prospects of the regime regaining control of Syria as a whole, or even a “Useful Syria," comprised of already controlled territories, seem faced with insurmountable obstacles.

    • En France, on a bien des choses dès le début 2013 : Syrie : chronique d’une lente agonie du 15 mars 2013
      https://www.franceinter.fr/emissions/partout-ailleurs/partout-ailleurs-15-mars-2013

      Débordé dans les premiers mois, Bachar Al-Assad a compris qu’il ne pourrait controler le territoire dans sa totalité. Damas s’est concentré sur une stratégie de contre-insurrection qui lui permet de garder le pouvoir sur une « Syrie utile », entendons les axes stratégiques comme les grandes villes.

    • La première mention que j’ai trouvée, c’est du Malbrunot en juin 2012 : Syrie : pourquoi le régime durcit la répression
      http://www.lefigaro.fr/international/2012/06/13/01003-20120613ARTFIG00732-syrie-pourquoi-le-regime-durcit-la-repression.php

      Face à la persistance de la guérilla, Assad aurait opté pour une stratégie de défense de la « Syrie utile », c’est-à-dire des trois plus importants bassins de population : autour de Damas, d’Alep et de Homs (là où sont rassemblés la majorité des 70 % de Syriens encore passifs).

  • Latakia Is Assad’s Achilles Heel - The Washington Institute for Near East Policy
    http://www.washingtoninstitute.org/policy-analysis/view/latakia-is-assads-achilles-heel
    Fabrice Balanche maintenant dans un think tank américain, The Washington Institute (une boite proche de l’AIPAC, il va devoir batailler pour faire valoir ses idées, le garçon...) https://en.wikipedia.org/wiki/Washington_Institute_for_Near_East_Policy)

    Over the past few months, the Syrian army has grown weaker and lost many positions, a development that explains Russia’s recent deployment of troops. Previously, Russia had sent only military advisors and technical staff to support the Syrian army. Another key question, however, involves why these troops are being sent to Latakia and not Tartus, site of the official Russian military base. Indeed, this new, strong Russian presence along the northern Syrian coast can be explained by the Assad regime’s weakness in the area, where Alawites no longer constitute a majority.

    #Syrie #Lattaqieh