Émancipation et pensée du complexe

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    La dialectique, vous connaissez ? Vous savez, ce vieux truc tiré de la philosophie d’#Hegel et remis à jour par Karl #Marx censé nous aider à comprendre le monde. Ringard ! Balayé par les certitudes des néolibéraux et de la seule politique possible, le fameux #TINA [1].

    Oui, mais voilà que depuis plus de quarante ans, de nombreuses disciplines scientifiques sont révolutionnées par des concepts qui rompent avec la logique déterministe qui caractérisait le #cartésianisme et les sciences dites exactes. Chaos, fractales, intelligence artificielle, structures dissipatives, systèmes dynamiques non linéaires, bifurcation, boucles de rétroaction, systémique, théorie des catastrophes, théorie des niveaux sont les nouveaux outils des scientifiques qui leur permettent désormais d’appréhender le monde non pas tel qu’il se doit d’être, mais tel qu’il est.

    La #révolution_du_complexe
    Ancienne élève de l’École normale supérieure, Janine #Guespin-Michel nous propose avec Émancipation et pensée du complexe un parcours audacieux, tout en étant très compréhensible, dans l’univers des nouveaux concepts scientifiques. Chaque système doit être appréhendé avec un grand nombre d’éléments, lesquels ont de nombreuses interactions entre eux, le tout inséré dans un environnement qui n’est pas lui-même sans incidence sur celui-ci. L’usage intensif de l’ordinateur n’est pas pour rien dans cette révolution que l’auteure a choisi d’appeler la révolution du complexe.

    « La #pensée_du_complexe à elle seule ne permettra pas d’accélérer la transformation sociale. La pensée du complexe étant une forme, une méthode de pensée, ce n’est ni une doctrine, ni une conception du monde, et elle peut servir, elle a servi, à soutenir de multiples positions politiques. Si son déni favorise l’idéologie dominante, son utilisation ne peut en aucun cas tenir à elle seule lieu d’objectif politique », rappelle fort justement l’auteure. En effet, cette pensée du complexe ne s’affranchit nullement du débat sur la contextualisation de la recherche qui, si elle se doit d’être impartiale, n’en est pas neutre pour autant. Au service de quels intérêts une recherche doit-elle être menée ?

    Voilà qui nous relie à l’interférence entre recherche et #démocratie. Après avoir pointé, au sein des sciences complexes, les impasses de l’auto-organisation – impuissante à elle seule pour penser la transformation – et de l’incertitude – qui favorise un pragmatisme qui mène tout droit au refus de tout changement –, elle pointe les effets pervers du dualisme qui oppose, sans aucun espoir de transcendance, deux contraires.

    Penser la #transformation_sociale
    L’auteure avance que « face à un phénomène politique donné, la pensée dominante analytique et linéaire nous pousse à l’isoler, puis à le découper en parties qu’on analysera séparément en les confrontant deux à deux. La pensée du complexe nous conduit au contraire à l’envisager comme constituant d’un – voire de plusieurs – système(s) et à rechercher les interactions entre les parties. » Voilà qui met à bas toute pensée réductionniste et linéaire en politique.

    L’auteure prend, entre autres, comme illustration l’approche politicienne des guerres américaines en Irak destinées à éradiquer le "mal". Une approche raisonnable et plus "scientifique" nous aurait au contraire laissé entrevoir les boucles de rétroaction qui ont succédé aux interventions armées. Mais l’impérialisme le souhaitait-t-il ? De même, ne sommes-nous pas, à gauche, souvent tributaires de cette pensée linéaire qui, au final, favorise l’idéologie dominante ? Voilà en quoi la dialectique serait, selon Janine Guespin-Michel, un indispensable complément de ce renouveau du complexe : « La pensée du complexe ne sait pas dépasser une contradiction antagonique. Elle est donc insuffisante pour penser le dépassement du capitalisme. Pour la pensée dialectique, ce qui aide à comprendre une situation dynamique, ce sont les contradictions, qu’elles soient antagoniques ou non. »

    Voilà un ouvrage stimulant qui nous amène à nous interroger sur nos pratiques, notre façon de penser la transformation sociale qui ne peut plus se concevoir d’une façon déterministe, mais doit prendre en compte les interactions multiples des classes et groupes sociaux ainsi que de leurs relations à l’environnement. Un appel vivant à un renouveau de la pensée dialectique.