De l’offensive conservatrice et du racisme : Daniel et Valérie
Ce que les nostalgiques de l’avant c’était mieux ne disent pas, c’est que dans les années 70, sous la présidence de Valéry Giscard d’Esteing, les fournitures scolaires sont passées à la charge des communes. Et que très rapidement les communes ont commencé à faire des économies. À partir des années 80, les enseignants ont eu recours aux polycopiés, aux stencils. Les livres comme Daniel et Valérie ont disparu.
Accuser la méthode globale est donc un peu fort de café quand en réalité les enfants et les enseignants ont été les victimes de politiques d’économies budgétaires concernant l’année la plus importante et la plus déterminante pour un enfant, son cours préparatoire. (...)
Daniel et Valérie était une méthode globale. Afin de pouvoir alimenter l’activité de découverte, afin de susciter la curiosité de l’enfant, afin d’en appeler à sa créativité et mobiliser ainsi toutes ses capacités (on est donc à l’opposé d’une méthode syllabique qui transforme l’enfant en une feuille blanche qu’un « maître » va remplir et policer), le livre reproduisait le monde qui entourait l’enfant, un monde connu, avec des gestes et des objets de la vie courante. Et dans la France de la fin des années 50 début des années 60 quand la méthode est apparue, ce monde était encore un monde rural, avec la ferme, la maman qui portait un tablier et une robe, un papa qui fumait la pipe et travaillait dans les champs, la chèvre, la mule et l’âne, la sortie « en ville » et la visite dans de petits commerces. Daniel et Valérie nous replonge dans une France de villages et de villes moyennes, où l’agriculture avait encore sa place. Et cela, les enfants pouvaient en parler, en discuter. Avec un instituteur réellement ouvert aux pédagogies nouvelles, toute une classe pouvait s’exprimer et devenir une agora où chaque enfant partait de son expérience pour comprendre et forger son propre apprentissage. Dans les années 60, cette collection représentait le pays tel qu’il était encore, les HLM n’avaient pas encore défiguré les paysages et, pour tout dire, même un enfant des bidonvilles où s’entassaient les immigrés pouvait s’y reconnaître, une maman qui reste à la maison et met un foulard pour aller en ville, une vie dehors…
Mais la France a changé. J’aimerai les rencontrer, les enfants qui aujourd’hui savent ce qu’est un mulet, un âne, une chèvre, une maman en tablier et mettant un foulard pour faire les courses. D’un livre qui représentait un réel possible, on est désormais en face de la nostalgie pour un monde qui n’existe plus et dont beaucoup d’aspects dégoûteraient ses promoteurs actuels. Vous les imaginez, ces parents de classe moyenne, à la corvée de vache, en train de curer l’étable, aux labours, leurs vêtements souillés comme nous le montrent souvent les dessins ?"
"Non, ce que nos nostalgiques aiment, c’est la France blanche, celle dont Nadine Morano se réclame et qu’elle entend protéger. C’est une certaine idée de la France, provinciale, surtout pas ouverte au monde. Figée. La nouvelle édition de la collection, « méthode traditionnelle » a supprimé toute l’originalité qui en avait fait sa force. Finis les posters, finis les tampons à colorier. Et bonjour les lignes d’écritures. Ne reste plus qu’une sorte de méthode Boscher avec l’histoire de deux bouseux d’une époque que personne ne connaît mais qui sont sensés incarner des valeurs solides, celles de la terre, car « la terre, elle, ne ment pas », comme disait le patriarche d’une autre époque où la France s’est rêvée éternelle, et blanche.
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